Emiliano Mondonico, Gianluca Vialli, les jours heureux

Au moment où Gianluca Vialli se met en retrait de la sélection nationale pour se soigner, souvenons-nous de ses belles années à la Cremonese aux côtés d’Emiliano Mondonico.

En septembre dernier, alors que la rencontre face à Sassuolo vient de débuter, un petit événement détourne l’attention des spectateurs du stade Giovanni-Zini de Crémone : Gianluca Vialli vient d’apparaître. Vêtu d’un polo aux couleurs de la Cremonese, il s’installe le plus discrètement possible dans la tribune d’honneur. Pense-il vraiment que sa casquette grise le dissimule aux yeux du public ? Ses visites sont trop rares pour que les journalistes négligent sa présence. A la mi-temps, ils se bousculent afin d’obtenir de lui quelques mots pour l’édition du lendemain. Gianluca se prête en souriant au jeu des questions-réponses, donne quelques nouvelles sur sa santé qui se veulent rassurantes et évoque son attachement à la Cremonese en se rappelant l’enfant prodige qu’il fut ici-même au début des années 1980. Et puis, très vite, il prononce le nom d’Emiliano Mondonico, comme une évidence, son mentor disparu en 2018 après des années de lutte contre la maladie.

Il Terrore del Po

Mondonico grandit dans une ferme lombarde située entre Milan et Crémone, une de ces innombrables corti coloniche de la morne plaine du Pô. Comme tant d’autres avant lui, il joue avec les gamins de la paroisse puis fait ses armes en championnat régional avec la Rivoltana. Il a déjà 19 ans quand il brave l’interdiction maternelle pour rejoindre la Cremonese en Serie C. L’apprentissage est douloureux, marqué par une relégation en guise de bienvenue dans le monde professionnel. Dès l’année suivante, il est l’homme-clé de la remontée et se fait remarquer par le Torino de Mondino Fabbri. Deux saisons avec l’équipe Granata, une à Monza, une autre à Bergame et il revient à Crémone en 1972 en ayant laissé la sensation de ne pas avoir tout tenté pour réussir au plus haut niveau.

Avec le Torino.

Il retrouve la Cremonese telle qu’il l’avait laissée quatre ans plus tôt, une famille soudée autour du président Menico Luzzara et composée d’une secrétaire telle qu’on l’imagine, soumise aux humeurs du patron, une machine à écrire et un téléphone en Bakélite noire à portée de main, un directeur sportif, un médecin, un vieux masseur ayant connu Giacomo Losi[1] et bien sûr, Carla Bonazzoli, dont il faut parler. Carla est née en 1923 dans la loge située sous la tribune principale du Giovanni-Zini, son père étant déjà l’homme à tout faire de la Cremonese. Avec son mari, elle perpétue des décennies durant l’œuvre paternelle, prenant soin des équipements et des joueurs pour qui elle est Signora Carla. Jamais elle ne veut déménager, même veuve et retraitée. Chaque fois que la direction tente de récupérer son modeste logis, Carla trouve le soutien de Mondonico qu’elle appelle avec un mélange d’affection et de dévotion, il mio Mister

Il Terrore del Po.

Mondonico est incontestablement le symbole de la Cremo di Luzzara des années 1970. Il évolue pourtant aux côtés d’autres enfants du pays, à l’aube ou au crépuscule d’immenses carrières comme Cesare Prandelli, Antonio Cabrini ou Aristide Guarnieri, le « stoppeur gentilhomme », double champion d’Europe avec l’Inter de Helenio Herrera. Même le fidèle Luciano Cesini et le talentueux Giancarlo Finardi ne peuvent le supplanter dans le cœur des tifosi. Il Mondo dilettante au visage glabre des débuts s’efface derrière il Terrore del Po, un infatigable ailier filiforme à la moustache noire. Parmi ses faits d’armes, une accession en Serie B, une saison à 18 buts et des réalisations décisives contre Piacenza qui en font le capocannoniere du derby del Po[2]. Il quitte la scène à 32 ans seulement, quelques mois après que Mina, la Tigre di Cremona, chanteuse-diva immensément aimée, ait renoncée brusquement à toute apparition publique.

Mondo et Vialli

Mondonico se reconvertit au sein de la Cremo en coachant les équipes de jeunes au sein desquelles se trouve Gianluca Vialli. Conscient d’accompagner la croissance d’une future étoile, Mondo pousse dans ses retranchements le fils de bonne famille crémonaise qu’est Vialli, refusant de le voir gâcher son talent par manque d’envie comme lui autrefois. Les deux hommes prolongent les entraînements par des séances spécifiques consacrées aux frappes, au dribble et même aux simulations, leçons précieuses que Gianluca sait exploiter tout au long de sa carrière. L’exigence souriante et bavarde de Mondonico perdure quand celui-ci prend les commandes de l’équipe première en 1982 et fait de Vialli, 18 ans, un des grands espoirs italiens du moment.

Les beaux gosses.

Il leur faut deux exercices pour mener la Cremo en Serie A, performance attendue depuis la relégation de 1930. La ville se passionne alors pour ses Grigiorossi et il n’est pas rare de voir Ugo Tognazzi au Giovanni-Zini, monstre de la comédie à l’italienne soignant ses tendances dépressives en cabotinant devant ses concitoyens et ses amis d’enfance.

Ugo Tognazzi sans Zaza.

L’après Vialli

Pour Gianluca, cette accession est une fin en soi, Stradivialli est déjà trop grand pour la Cremonese. La Sampdoria et son jumeau Mancini l’attendent alors qu’Alvaro Chiorri, génie incompris, fait le trajet inverse. Hasard du calendrier, les Blucerchiati accueillent la Cremo pour l’ouverture du championnat. Une première défaite et le début d’un chemin de croix renvoyant les Grigiorossi au purgatoire.

Dimanche d’accession à la Serie A pour Mondo et la Cremo.

Mondonico reste aux commandes de la Cremonese jusqu’en 1986 puis il dirige l’Atalanta et le Torino. La légende de Mondo est en marche, tutoyant les sommets européens comme s’il lui appartenait d’effacer l’image du joueur désinvolte qu’il fut avec les Granata et les Nerazzurri. L’Atalanta, alors en Serie B, atteint les demi-finales de la Coupe des vainqueurs de coupe 1988[3] alors que son Torino, impitoyable rival de la Juventus, n’échoue qu’en finale de Coupe de l’UEFA 1992[4], victime d’une décision litigieuse définitivement associée à l’image de Mondo brandissant une chaise au ciel en guise de protestation. A Turin, il reproduit avec Gianluigi Lentini cette relation quasi-filiale déjà vécue avec Vialli, faite de disputes et de réconciliations autour d’un bon pain et d’un morceau de salami traditionnel. Quand Gigi frôle la mort au volant de sa Porsche, quand il est évident qu’il ne retrouvera pas son niveau, Mondo est là pour lui tendre la main comme un père le ferait tant il est manifeste qu’il est le fils qu’il n’a jamais eu.

Avec Gigi Lentini.

Il Gentiluomo

Ses expériences suivantes oscillent entre réussites (une mémorable accession en Serie A avec la Fiorentina et des exploits à la tête de l’AlbinoLeffe) et échecs, notamment avec le Napoli en ruines du début des années 2000.

Il revient à Crémone en 2007, alors que le club végète en Serie C. Le président Luzzara et Ugo Tognazzi sont morts depuis longtemps et seuls les inconditionnels fréquentent encore le Giovanni-Zini. La Signora Carla, elle, est toujours là, présence silencieuse et rassurante sous la Tribuna Centrale rebaptisée du nom de Domenico Luzzara. Mondo n’a pas changé, Salvatore Sirigu et le malheureux Davide Astori[5] vivent au quotidien son intransigeance. La Cremonese frôle l’accession puis le ressort se casse, l’entraîneur ne trouve plus dans la nouvelle direction le soutien et la patience de la Cremo di Luzzara.

Il réalise encore des piges avec l’AlbinoLeffe puis Novarra mais la maladie est déjà là. Des années à batailler au cours desquelles il se tourne vers les laissés-pour-compte. Il consacre ce qu’il lui reste d’énergie à entraîner les estropiés de la vie dans des lieux improbables, la prison pour mineurs de Beccaria ou le centre pour toxicos de Rivalta d’Adda, près de la ferme familiale. Cela dure jusqu’à ce qu’il s’avoue vaincu, en mars 2018.

A la même époque, Gianluca Vialli entame un long combat contre le cancer dont on vient d’apprendre qu’il est loin d’être gagné. Comme Lentini, Finardi et bien d’autres, il soutient l’Associazione Emiliano Mondonico créée par Clara Mondonico pour perpétuer l’œuvre de son père auprès des plus faibles. Quant à la Signora Carla, elle a 94 ans quand meurt il Mondo. Elle abandonne alors sa loge pour la maison de retraite, comme si, avec la disparition de son Mister, plus rien ne la reliait au Giovanni-Zini et à la Cremonese[6].

La Signora Carla peu de temps avant son décès en compagnie de deux joueurs de la Cremonese.

[1] Grand défenseur de la Roma des années 1950 et international italien.

[2] Meilleur buteur du derby del Po avec six buts.

[3] Eliminée par Malines.

[4] L’Ajax s’impose grâce aux buts inscrits à l’extérieur : 2-2 à Turin,  0-0 à Amsterdam après que l’arbitre ait refusé de siffler un potentiel pénalty en faveur des Granata.

[5] Capitaine de la Fiorentina, il meurt dans son sommeil en 2018 à 31 ans.

[6] Elle décède l’année suivante, en 2019.

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25 réflexions sur « Emiliano Mondonico, Gianluca Vialli, les jours heureux »

  1. Je vais pas vous mentir
    Gianluca Vialli, je le connaissais pas trop, en 90
    Je sais plus s’il était rentré pour l’Italie

    Par contre, la finale Sampdoria Barçà, je m’en souviens

    Et aussi, son passage à la Juve
    Un match de coupe d’Europe, face au Benfica de João Pinto

    Un retourné acrobatique aux abords de la surface, qui fracasse la barre

    Andiamo, ragazzo

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    1. Hello Van, Vialli est déjà là en 1986. Il entre en jeu lors du France Italie et donne l’impression d’être un tout droit. C’est encore un joueur fruste, plutôt excentré. C’est Boškov qui va en faire un attaquant complet soutenu par Mancini.

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    2. Finale 92 où il rata tout, avec un Vialli à 100% la Samp gagnait fort probablement cette finale..mais il avait notoirement la tête à l’envers, cerveau retourné par les moult rumeurs de transfert le concernant à l’époque.

      C’était peut-être une façon de foutre la merde, les clubs-oligarques sont coutumiers de ce genre de pratiques : déstabiliser un joueur (et son club) en agitant des bonbons, un truc de pervers.

      Dans mes souvenirs Vialli fut bon à l’Euro88, une belle attraction, très largement médiatisée d’ailleurs.

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      1. Idem. Apres en 2003, sur la finale et sur le parcours, je pense que la Juve le méritait. Bon, la finale était assez pénible à voir.
        Pour un club de ce standing, la Juve n’a pas tant de période que ça où l’on pouvait considérer qu’elle était la meilleure du monde.

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  2. Très beau texte ! Vialli, j’ai l’impression qu’il n’a pas été très chanceux avec le maillot de la Squadra. Il ne marque pas en 1990, rate l’Euro 92 après un parcours chaotique en éliminatoires et Sacchi ne le sélectionne pas pour 1994 (pourquoi d’ailleurs ?)

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  3. Hehe. Le petit clin d’oeil à Sattouf sur une de tes photos.
    Que c’est compliqué de s’imposer en attaque en Italie. Le record de Riva tient toujours. Il n’est pourtant pas tres haut selon les standards actuels. 35 buts.
    Que devient Gigi d’ailleurs?

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    1. Eh eh, y a quelque chose de Lacoste, t’es d’accord, non ?
      Riva, je ne sais pas ce qu’il devient. Est-il encore en Sardaigne ou est-il revenu sur le continent ? Comment vit-il le déclassement de Cagliari ?

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      1. Je dirais même plus (car à l’instant relu) : très, très bel article.. Il est manifeste que tu y as mis beaucoup d’amour, on peut comprendre pourquoi en appréciant mieux son parcours – et ces destins croisés.

        Je n’avais jamais remarqué que Mondonico était l’entraîneur de l’Atalanta en 88…………. Déjà guère verni, l’Emiliano : son équipe de D2 n’eût pas démérité de l’emporter (ça se joua à extrêmement peu), et d’affronter l’Ajax en finale!

        La finale Ajax-Torino en 92, ça oui je savais que c’était lui..et merci de me raviver qu’il y avait eu une décision effectivement litigieuse.

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      2. J’aime ce genre d’entraîneurs, des types authentiques que l’on connaît peu. Il aura fallu qu’il tombe malade pour que les médias s’intéressent à lui… il y en a d’autres que j’aime bien, bourrus, durs, mais avec une humanité évidente. Bagnoli bien sûr, Bianchi, Bersellini, Radice, Simoni…

        En 88, oui, Malines élimine de peu l’Atalanta. Un petit plaisir pour Lamberechts eh eh.
        En 92, tu as raison de parler d’action litigieuse et non d’erreur car objectivement, le penalty n’est pas si évident que ça. Ce sont les années 90, n’importe quelle équipe italienne pouvait prétendre gagner une C2 ou une C3. Le Torino de Mondo bénéficiait de bons joueurs (Marchegiani, Scifo, Casagrande, Martin Vázquez, Lentini et ce boucher de Pasquale) mais je crains fort qu’il comptât quelqu’excellent médecin dans son staff…

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      3. Moi aussi c’est le genre de profils que j’aime bien..

        Bersellini, j’avoue : ça ne me dit rien??, vais vérifier.. Les autres : oui, oui et re-oui bien sûr.

        Malines-Atalanta? Bientôt 35 ans, ça commence à dater donc j’étais prudent..mais j’en garde souvenir et conviction que la meilleure équipe était celle de l’Atalanta, les Malinois eurent le cul bordé de nouilles..

        Loin de moi de vouloir discuter ce sacre ajacide : Scifo (puis tous les autres) oblige, j’étais pour le Toro..mais Ajax était au-dessus.

        Dopage? Je perdis tout intérêt pour le Calcio à compter des premières mascarades sacchi-berlusconiennes, fin-80’s donc..et ce n’est pas de voir la moindre de leurs équipes battre soudain (mais à l’intensité physique exclusivement!) n’importe quel cador continental qui me fit changer d’avis, euphémisme : c’était grotesque!

        A leur décharge : le mouvement procédait des Pays-Bas, comme souvent.. Cette fois cependant, fin 80’s donc (climax EPO NL = 88..et, contrairement aux analystes de salon, je ne dis pas ça au regard des résultats bruts) : le foot NL fut presqu’aussitôt ringardisé, et pour cause : le Calcio de fin-80’s – 90’s compila, pour sa part, TOUTES les voies-doping possibles et imaginables, une farce.. C’était gros comme un camion ; comment les journalistes-stars de l’époque peuvent-ils encore se regarder dans une glace après avoir couvert sans jamais sourciller un truc pareil???

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      4. Bersellini est l’entraîneur de l’Inter championne en 1980, la dernière fois qu’une équipe 100% italienne est sacrée. C’est l’Inter du président Fraizzoli, pour moi la plus attachante de l’histoire nerazzurra. Beaucoup de paternalisme de la part du couple Fraizzoli, de braves gens sincèrement amoureux de l’Inter n’ayant pas pu avoir d’enfants et reportant leur manque d’affection sur les joueurs, Lele Oriali notamment.

        Eugenio Bersellini était un type bourru révélé par le Cesena de Dino Manuzzi (président de province typique, omnipotent). Je n’ai jamais lu un mot négatif le concernant de la part des joueurs de l’Inter (ça arrivera par la suite dans d’autres clubs), Oriali donc, Marini, Bordon, Altobelli, Beccalossi ou encore G. Baresi.

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      5. Et oui, je me suis détourné du foot italien au début des années 90, dégouté par ce que je voyais. Quand je lis aujourd’hui ceux qui s’extasient et regrettent la Serie A de cette époque, ça me fait marrer tant c’était grossier, du même acabit de ce qu’on voyait en cyclisme avec des gregarii transformés en vainqueurs de classiques !

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      6. Bersellini, ok, je pige mieux : sinon en Coupes d’Europe, je ne regardais jamais rien des clubs de la Botte, leur style dominant ( exception : la Roma de Liedholm) nous – mon contagieux père et moi – rebutait, football archi-fermé……….. Encore pire que le belge!, à quoi bon s’intéresser à un truc qui ne valait guère plus et était moins encore sexy/attractif?

        Puis arriva Maradona…….. J’ai grandi dans un Little Italia liégeois, bref : mes voisins, tous supps de la Juve, me disaient tout le temps « il faut que tu voies ça, c’est du jamais vu ».. alors j’ai fini par regarder le Calcio chez/avec eux, ils me traduisaient gentiment.. mais l’Inter n’était plus vraiment à la page, on ne les voyait guère que comme une espèce de sparring-partner amélioré.

        Mon intérêt pour le Calcio n’a pas duré longtemps : après 2-3 ans de Berluscouillonneries, dans la foulée de mon vieux qui en avait vu d’autres et l’avait aussitôt qualifié de « mafieux » : j’avais compris ce qu’il en advenait.. trop gros, ubuesque.. sans moi!

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