Divergents (3/5) : Mélomane & hooligans (deuxième partie)

Chronique de Pat Nevin, dans le NME du 25/08/1984. En rien complaisant à l’endroit de ses amis d’Aztec Camera ou des Smiths (« Comme dirait Morrissey, le maître de l’auto-contradiction, je finirai par me ranger du côté de ce single. J’ai hâte de voir Morrissey sur Top of The Pops, suivre la progression naturelle des fleurs aux branches, des branches aux buissons et des buissons aux arbres »), c’est donc assez logiquement qu’il écrirait, d’un Depeche Mode encore fort immature, et à l’occasion de la sortie de Master & Servant : « Je n’ai jamais pensé qu’ils puissent avoir grand-chose à offrir. Leurs ficelles sont souvent trop grosses, l’inspiration fait souvent défaut, et ce n’est pas ce single qui fera exception. Ils occupent un petit créneau confortable : celui des jeunes filles de 12 ans qui ont dépassé le stade de Kershaw ou de Jones, mais pas encore atteint celui de New Order. J’espère que le chanteur a arrêté de vouloir ressembler à Jim Kerr, car il n’a vraiment pas ce qu’il faut. »

(Suite et…pas fin de ce troisième portrait, consacré à un footballeur pas tout à fait comme les autres… Et retrouvons donc Pat Nevin là où nous l’avions laissé : vedette parmi les plus inspirées du football britannique de la seconde moitié des années 1980, ami des artistes, plus que jamais passionné d’art et de technologie, adulé par des tribunes infiltrées par le National Front…et fraîchement orphelin de son ami et mentor, le célèbre DJ de la BBC John Peel)

« J’ai hérité de beaucoup de bonnes choses de mes frères et sœurs aînés, mais je dois être honnête, le premier album que j’aie acheté était un double-album-concept de Genesis, The Lamb Lies Down On Broadway. À cette époque, j’aimais beaucoup Pink Floyd et Genesis. Et j’aimais bien Yes aussi, sans pour autant avoir été vraiment amateur de rock progressif. C’est alors, à mes 14 ou 15 ans, que le punk commença à émerger et que j’ai commencé à écouter le show de John Peel. Et ce fut une révélation. »

« Assez étrangement, je n’avais pas de héros dans le monde du football. J’aimais le football, je supportais le Celtic, j’étais admiratif du talent des joueurs, mais cela ne m’aurait jamais traversé l’esprit d’avoir une photo d’un footballeur sur les murs de ma chambre. Mes passions, c’étaient la littérature et la musique. Et dans ma chambre, il n’y avait que des posters de groupes de musique. »

« D’ailleurs, c’est bien simple : quand Chelsea apprit que j’avais le goût de l’écriture, et me proposa donc de tenir une rubrique dans le magazine du club, je leur répondis « Ok… pourvu du moins que ce soit une chronique musicale, parce que je n’y connais pas grand chose en football. » Mais la vérité, c’est que cela ne m’intéressait pas beaucoup, mon amour pour le football n’était qu’artistique. »

« A l’époque où je jouais pour Chelsea, je profitais par exemple d’être à Londres pour me rendre tous les mercredis soir à White Hart Lane, dans la fameuse tribune du Shelf, de sorte de pouvoir y goûter l’esthétique singulière du jeu des Ossie Ardiles, Micky Hazard et Glenn Hoddle. Je n’ai jamais été particulièrement tribal en matière de football, et la raison en est probablement que, ce qui m’intéresse fondamentalement dans la vie : ce n’est pas le football, mais la musique. »

The Shelf, du temps de l’idole des 70’s Pat Jennings. Antre du noyau dur de Tottenham…et de l’ailier Pat Nevin, star alors des rivaux londoniens de Chelsea.

Amitiés

Clare Grogan : chanteuse des Altered Images, lancée en octobre 1980 par John Peel… et compagne de Pat Nevin durant ses années à Chelsea.

C’est donc sous l’influence, jusqu’alors purement radiophonique, de son futur ami John Peel que Nevin découvrit les productions de Factory Records, et entreprit de collectionner fiévreusement le moindre disque de Joy Division puis de New Order, tandis qu’il menait de conserve ses études et sa carrière de footballeur.

« Le premier groupe vraiment punky que j’aie aimé fut Siouxsie And The Banshees, et j’ai raté de peu Joy Division en concert », dit-il avec regret. « Je me rattrapai heureusement avec le 33 tours original de Ceremony de New Order, acheté juste après Atmosphere de Joy Division, tous deux restés parmi mes vinyles les plus précieux – je les aime toujours autant… Puis il y eut les premiers Cocteau, et bien sûr tous les trucs des Associates, qui sonnent merveilleusement bien sur vinyle… Ensuite il y eut Belle And Sebastian et Camera Obscura, formidables aussi sur vinyle, et puis tous mes trucs Postcard Records… J’adore aussi les illustrations. J’adore les pochettes de Factory Records, le moindre vinyle de Durutti Column… – je donnerais cher pour me retrouver seul avec ça, sur une île déserte… C’est tellement parfait sur vinyle, tous les trucs 4AD aussi… »

« A côté de ça, j’étais aussi un fan absolu de Bowie. Ses années berlinoises en particulier, Heroes et Low. Je ne voyais aucune contradiction à adorer Bowie, et à aimer Joy Division ou The Cure, tout en suivant le moindre de ces groupes qui arrivaient de Glasgow, comme Johnny And The Self Abusers, qui est devenu Simple Minds… Empires And Dance et les deux premiers albums de Simple Minds étaient géniaux, et c’est alors que sont arrivées les premières productions de Postcard Records, les premiers Aztec Camera… J’adorais Altered Images, d’abord pour la musique bien sûr, mais partiellement aussi pour une autre raison. Je suis devenu un grand collectionneur de disques. Je jouais au football, j’étais aussi étudiant, je partageais mon appartement londonien avec l’écrivain du NME Adrian Thrills, je tenais une chronique dans le NME, j’organisai l’une ou l’autre expositions de peinture… mais surtout, surtout : j’étais devenu l’assistant et l’ami de John. »

De conserve avec « Sniffin’ Glue » de Mark Perry, « 48 Thrills » fut l’un des tout premiers fanzines de punk, écrit et distribué par le colocataire londonien de Pat Nevin, l’éponyme Adrian Thrills. Journaliste au sein du NME, Thrills serait aussi l’un des initiateurs de la cassette audio C86, produite afin de présenter de nouveaux groupes issus de labels indépendants de l’époque, tels Primal Scream ou The Wedding Present. Associée à l’idée de certaine mièvrerie musicale, et acmé de l’esprit Do it yourself, cette publication est désormais tenue pour un moment-pivot dans l’Histoire de la musique indépendante au Royaume-Uni.

Dans la foulée de leur première rencontre, Pat et John n’avaient jamais cessé de se croiser lors de concerts. Leur entente était si naturelle que Nevin prit finalement l’habitude de se rendre aux enregistrements de son prestigieux ami, avec lequel il finit par conclure un gentlemen’s agreement : Pat aiderait John à mettre les disques voire à préparer l’émission, et en contrepartie John ne mentionnerait jamais sa participation. « Nous avons un footballeur célèbre ce soir », se bornerait çà et là à annoncer la star de la BBC, tandis que son jeune assistant apportait les disques, ou prenait les coordonnées des artistes pour leur verser leurs royalties. « Je ne le faisais pas tout le temps, parce que je ne voulais pas être un boulet. Et en même temps je tenais énormément à ce groupe d’amis, dont la moindre des vertus n’était certainement pas de me tenir à distance de l’anthropophagie du football. »

L’amitié avec Peel perdura tant et si bien qu’il inviterait systématiquement Nevin à la moindre de ses légendaires fêtes d’anniversaire, quand bien même ce dernier avait pris sa retraite sportive, accepté un poste d’expert pour Channel 5 et la BBC, et ne parvenait jamais à se libérer en raison de ses engagements professionnels – du moins jusqu’aux 55 ans de l’illustrissime DJ anglais…

« Pour une fois c’est Sheila, l’épouse de Peel, qui m’avait contacté : « Viendras-tu, cette fois-ci ? » Je raccrochai le téléphone, en parlai à mon épouse, et réalisai que j’avais organisé un tournoi de golf caritatif en Écosse, le vendredi matin et le samedi matin – or la fête de John avait lieu le vendredi soir, dans son antre de Peel Acres, à quelque 600 kilomètres de chez moi. Ma femme comprit ce que j’avais à l’esprit : « Arrête, Pat. Tu sais très bien que ça n’ira pas. Rappelle Sheila, et dis-lui que ce n’est pas possible. » Mais je savais que je devais en être, j’ignorais pourquoi mais il fallait que j’y aille. Bien que je ne sois pas l’un de ces footballeurs riches, je lui répondis que je devais y aller et que j’y serais, même s’il me fallait affréter un avion privé pour y arriver. » 

De loin son groupe préféré, The Fall serait canonisé comme suit par le légendaire John Peel : « Ils sont toujours différents ; ce sont toujours les mêmes. » Sous la férule chaotique du corrosif Mark E. Smith, selon qui « ta grand-mère peut s’occuper des bongos si ça lui chante, ce sera quand même The Fall tant que je serai là », ce groupe se caractériserait par un chant parlé et combatif, des paroles acérées, des claviers mi sombres mi-cliquetants et des guitares stridentes, le tout dessinant un post-punk tendu, claustrophobe et hostile tel qu’à cette peinture grinçante du football anglais du début des 80’s, ou qu’à cette réaction typique de Smith, après que Peel eut, pour une fois, exprimé ses réserves à la sortie de leur dernier album : « Putain de John Peel, c’est le pire, il est pire que Tony Blackburn ne l’a jamais été. Bâtard. »

« J’avais compris que je pouvais terminer le golf, prendre l’avion pour Stansted à trois heures de l’après-midi, prendre part à la fête jusqu’à minuit, et être de retour sur le terrain de golf à neuf heures le lendemain matin. Et c’est ce que je fis. Et ce fut la soirée la plus brillante que j’aie jamais vue, le concert privé de Camera Obscura, mon groupe préféré à l’époque, avait été formidable. »

« Quoique d’un naturel épouvantablement timide, John avait été comme à la radio, dans son élément. Puis je rentrai chez moi comme prévu, à minuit. Et John mourrait deux semaines plus tard. J’avais perdu un ami et un héros. Ma femme m’a dit : « Jamais je ne t’avais vu être habité par ce besoin d’être quelque part. » Je ne suis pas spirituel ou quoi que ce soit du genre, mais le fait est que tout mon corps me disait d’être là ce soir-là. » 

« L’une des dernières sessions de John avait été consacrée à The Fall, un groupe que j’ai toujours adoré. Je me rappelle être allé acheter le nouvel album, Fall Heads Roll, celui avec le titre Blindness, et d’avoir pensé : « Ce sera la dernière fois que j’achèterai un morceau de vinyle qui m’avait été recommandé lors de l’émission de John. » Il faisait tellement partie de ma vie. J’étais si profondément bouleversé que j’ai éclaté en sanglots, tandis que le gars derrière le comptoir me regardait comme si j’étais fou. »

Gémellés

Depuis ce jour où, à ses 14 ans, il avait été raillé par ses jeunes équipiers du Celtic après leur avoir fait écouter le premier disque de U2, Nevin hésita toujours longuement avant d’essayer encore de partager sa passion des disques avec d’autres footballeurs. « J’apportais parfois des vinyles pour l’un ou l’autre d’entre eux, et il m’arriva bien sûr de faire des mixtapes pour Graeme Le Saux ou pour Paul Canoville, lequel adorait le heavy dub reggae, mais peu de gens connaissaient grand-chose en musique. C’est sans doute pour cela si mon meilleur ami à Londres fut un musicien. Je me rappelle l’avoir rencontré au LSE, dans le cadre de la tournée que Cocteau Twins avait consacré à la sortie de Head Over Heels. Et ce qui se produisit durant ce concert défie toute logique… »

En 2009 avec son ami Simon Raymonde, le bassiste des Cocteau Twins.

« D’abord il y eut la réaction du public, au terme de la seconde chanson : absolument personne n’applaudissait. Après un long moment, je regardai autour de moi et réalisai que tout le monde restait bouche bée, littéralement soufflé par ce qui venait de se passer. Par la suite, et à mesure que le concert progressait, j’engageai la conversation avec un jeune homme à mes côtés, d’évidence follement amoureux de ce groupe, et non moins bluffé que moi par le mur de son que nous venions d’affronter. Un garçon délicieux et posé. Quelque six mois plus tard, quand je le revis, il avait intégré le groupe aux côtés de Liz Frazer et de Robin Guthrie : ce jeune homme était le bassiste Simon Raymonde ! Et il devint mon meilleur ami. Pendant les deux voire trois années qui suivirent, nous déjeunâmes ensemble chaque jour, dans un café du quartier. »

« Il va sans dire que Head Over Heels reste, aujourd’hui encore, l’un des vinyles auxquels je tiens le plus – vous pensez bien : un exemplaire sur lequel figure mon nom, alors que Liz et Robin n’ont jamais jugé utile de retranscrire les paroles sur les livrets de leurs albums! Mais il y a une autre raison à cela… Je me rappelle parfaitement de la première fois où j’entendis les Cocteau Twins, alors que je vivais toujours chez mes parents à Easterhouse : je venais à peine de tomber sur le Peel show que, soudain, John mettait « Wax and Wane » sur les platines. Je ne savais rien d’eux, mais je sus aussitôt que j’aimerais ce groupe toute ma vie. Le lendemain, je me ruais au magasin pour acheter leurs disques. Football oblige : je ratai malheureusement de peu leur tournée avec Orchestral Manoeuvre in the Dark, car je signais pour Chelsea. Et c’est alors que sortit Head Over Heels… »

Nevin avait été tant échaudé par ce concert manqué de 1983, qu’il répondrait un an plus tard au Président Bates, venu lui proposer un nouveau contrat, qu’il le signerait « à une condition : je ne veux pas jouer le match contre Brentford, car ce lundi-là il y a un groupe que je veux absolument voir jouer ! » La mine stupéfaite de Bates n’y changerait rien : c’était accepter ou renoncer à jamais aux services du Joueur de l’année 1984. Nevin tout au plus, préfigurant le grand écart effectué 20 ans plus tard pour revoir son héros John Peel, concéderait-il de disputer au moins la première mi-temps. « Ken Bates me prenait pour un fou. Et s’il n’y avait eu que cette histoire… Initialement, c’est moi qui avais sollicité cette revalorisation salariale, mais Bates avait réagi avec un mépris absolu en découvrant le montant que j’avais inscrit sur un morceau de papier : un fou rire d’abord, avant d’embarquer pompeusement dans sa Rolls Royce, en me laissant seul dans son bureau… que j’avais aussitôt entrepris de fouiller, et où je ne tardai à trouver trace des contrats dévolus à mes collègues… Quand je me représentai le lendemain, avec une revendication revue à la hausse, Bates me toisa avec agacement : « C’est plus que la dernière fois! » « Je sais », lui répondis-je, « mais c’est la moyenne des salaires que vous pratiquez, Monsieur Bates ».

A l’épreuve de Ken Bates

Bagdad, 4 mars 1986. But, superbe, de l’Irakien Khalil Allawi. Auquel répondra un but du défenseur écossais Joe McLaughlin. Insuffisant, toutefois, pour éviter à Chelsea une curieuse défaite sur le score de 2-1… du moins selon la presse irakienne.

C’est peu dire que les rapports entre les deux hommes ne s’amélioreraient pas au rythme des très exotiques tournées que Bates contractait aux quatre coins de la planète. A Bagdad par exemple, où Nevin et ses partenaires devaient le disputer à l’équipe nationale irakienne, l’ailier écossais disparaîtrait toute une journée pour pouvoir visiter des musées, loin l’ennuyeux programme officiel concocté par le régime baasiste. Au terme de la rencontre, qu’il avait entamée sur le banc pour le punir de sa fugue, Nevin attendrait près d’une heure encore sous un soleil de plomb, jusqu’à l’arrivée cérémonieuse d’un Saddam Hussein lequel, en dépit du nul sanctionnant la rencontre (mais que la presse locale présenterait comme une victoire 2-1), remettrait au capitaine irakien une coupe plus grande que celle attribuée aux visiteurs anglais – « Elle était même plus grande que moi », en rapporterait bien plus tard un Nevin hilare dans ses mémoires.

La Bulgarie communiste, quant à elle, promettait d’être une destination plus encore intimidante pour l’époque, et cependant Nevin y trouverait-il les habitants presque trop amicaux.
« Au pays, le label 4AD venait de sortir une série d’albums dudit Mystère des Voix Bulgares, que j’avais dit apprécier à un journaliste dont je ne savais plus comment me débarrasser. Mais manifestement, les Bulgares lisaient la presse anglaise et m’avaient pris au mot, car quand nous arrivâmes à l’aéroport de Sofia, il y avait deux types qui m’attendaient en disant : « Nous travaillons dans l’industrie de la musique, et nous avons appris que vous appréciez ce genre de spectacle, alors nous allons vous y emmener. » 

Nevin dans son appartement londonien, devant une peinture semblant le représenter.

« Cétait génial, rendez-vous compte : deux guides touristiques, rien que pour moi! Mais le plus étrange, c’est que nous étions un lundi après-midi… Mes hôtes s’en expliquèrent ainsi : « Nous avons abandonné le travail pour venir vous rencontrer. De ce côté du Rideau de Fer, ce n’est pas grave de quitter son travail : grâce au communisme, nous sommes certains d’en obtenir un autre. » Avec le recul, je sais désormais pourquoi le communisme n’a pas fonctionné ! »

Mais la relation avec Bates, non plus, ne fonctionnerait jamais. « Le fait est qu’il n’a jamais su comment me gérer : je n’avais pas d’agent, je ne cherchais pas à devenir à tout prix footballeur professionnel, je n’avais d’intérêt que pour la culture, la musique… Et surtout : je pouvais décider à tout moment de revenir en arrière, et de terminer mes études si je le voulais. »

A l’épreuve du National Front

C’est la musique, encore, qui lierait à vie Pat Nevin et Paul Canoville, le premier joueur noir de l’Histoire de Chelsea. Circonscrits d’abord à des compilations de musique, les liens entre les deux hommes se renforceraient quand, pour la seconde fois le 14 avril 1984, Canoville se verrait lancer des bananes par ses propres supporters, contre Crystal Palace. Auteur du but de la victoire, c’est un Nevin fou de rage qui éructerait à sa descente du terrain, au journaliste de la BBC venu l’interviewer : « Je ne parle pas du match, je suis dégoûté par ces gens qui prétendent être des fans de Chelsea. Il n’y a pas de place pour ça. »

Hôtel « at Cleethorpes », Grimsby, 12 mai 1984. De gauche à droite : le photographe de Chelsea Hugh Hastings, Pat Nevin, Paul Canoville. Photo prise au lendemain de la rencontre qui assura à Chelsea la remontée en première division anglaise.

« Il y avait beaucoup de hooligans à l’époque et leur impact était terriblement négatif, tant pour les joueurs que pour les supporters, lesquels ne pouvaient plus faire les déplacements à cause de la violence ambiante. C’étaient des voyous, qui ont ruiné la vie de beaucoup de personnes, et qui pour ce-faire eurent recours à des endroits comme celui-ci. Mais Chelsea n’est en aucun cas un club raciste. Et Everton non plus n’est pas un club raciste. Ces individus ne regardaient même pas les matchs la plupart du temps, seul le chaos les intéressait. »

Le président de Chelsea, Ken Bates, convoquerait aussitôt Nevin. « Le président m’a fait entrer et m’a dit : « Qu’est-ce que tu cherches, avec ces histoires que tu racontes à l’encontre de nos fans ? Ce n’est pas ton combat. » Mais bien sûr que si, c’était mon combat : je jouais pour ce club ! La semaine suivante, je suis sorti publiquement avec Paul… et le match suivant ils chantaient son nom, ce qui était formidable. »

Nevin et John Barnes, au duel durant la finale de la FA Cup 1989.

Ken Bates, cependant, ne serait pas le seul à demander des comptes à Nevin, qui recevrait rapidement des lettres du National Front. « J’ai répondu à chacune d’entre elles, en précisant avoir lu leurs tracts mais ne pas être d’accord avec leur contenu. Quelques jours plus tard, je me rappelle avoir rencontré quelqu’un qui prétendait être du National Front, dans un salon de coiffure sur King’s Road. Il avait le crâne rasé, et le moins qu’on puisse dire est qu’il n’était pas très content de moi. Je dus palabrer de longs moments pour pouvoir m’en sortir. »

La croisade de Nevin contre le racisme dans les stades se poursuivrait après qu’il fut devenu un joueur d’Everton : six mois avant son arrivée dans le Merseyside, une banane avait été lancée sur John Barnes, lors d’un derby survenu au cinquième tour de la FA Cup, à Goodison Park. Dès son arrivée, Nevin s’impliquerait donc avec Barnes et son futur équipier Steve Mungall, actif au sein des Tranmere Rovers, dans la campagne « Merseyside contre le racisme », qu’il perpétuerait encore entre 1993 et 1997, quand il fut nommé à la présidence de l’Association des Footballeurs Professionnels. Un combat qui lui vaudrait un diplôme honorifique, délivré en 2012 par l’Université d’Abertay – le seul titre académique, qu’il ait jamais reçu dans sa vie.

(To be continued…)

18 réflexions sur « Divergents (3/5) : Mélomane & hooligans (deuxième partie) »

  1. Merci Alex pour cette plongée dans 20 ou 30 ans de pop, je vais écouter les groupes que je ne connais pas et il y en a quelques uns !
    PS : il s’aime bien le Pat, non ? Je lui trouve une petite tendance à l’auto glorification eh eh

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    1. Auto-glorification, oui : je m’en faisais la réflexion à mesure que je lisais de ses interviews. Et cependant il n’a jamais été éreinté là-dessus par les critiques de ses deux (!… 😉 ) autobiographies, que du contraire : l’humilité est parfois mise en avant pour qualifier le ton avec lequel il se raconte, bref??

      J’ai mis des hyperliens un peu partout dans le texte, se faire idée de ces groupes. Dans le tas, il y en a concernant The Fall (le groupe que je préfère parmi ceux qu’il cite), clip tourné dans le stade de Burnley.. ==> Ca donne bien le ton du groupe, acide.

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      1. Je ne connaissais pas the Durutti Column. Les quelques morceaux que je viens d’écouter méritent de s’y attarder. Merci pour la découverte.

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      2. Ahah j suis en train d écouter the fall aussi.
        C est vachement bien.

        Je me régale Alex. Merci beaucoup

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      3. Durutti Column, toujours classe comme groupe.. On en reparlera un peu dans la dernière partie.

        A l’époque ils eurent ce titre, « Belgian friends » : https://www.youtube.com/watch?v=LsM_L_R9Th4

        Jamais su de qui il retournait!

        Mêmes milieux, la dernière compagne de Ian Curtis était belge.. Peut-être un début d’explication?? A moins qu’Arno?? (il eut un temps des liens particuliers avec Manchester).. ==> Aucune idée.

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    2. @Goozi : En sus de la musique, y a un côté « bête » et méchant que j’aime beaucoup chez The Fall (j’allais écrire « sans concession » mais, de 1) c’est rabâché, au secours……et, de 2) : au fond je n’en sais rien, bref 🙂 ). Bref je me satisfais déjà de leur ton agressif, vitriol..surtout que je trouve (?? – question de sensibilité) qu’ils tapent souvent juste.

      @Verano : Retour de RDV, davantage de temps! J’aimais beaucoup le joueur.. L’individu, par contre : découvert sur le tard et il me laisse cet arrière-goût aussi (et vas-y que j’ai rencontré tchic, et que j’ai fait tchac, et que j’ai fait tchitchi avec tchouc..). Mais bon, c’est peut-être un peu le milieu qui veut ça??

      A choisir je partage plutôt les goûts musicaux de ce bonhomme (quoique, des nunucheries genre Aztec Camera.. ;), re-au secours), mais en filigrane il y a effectivement cet arrière-goût……..qu’on peut parfois retrouver au contact de bon nombre (pas tous!!!) de lecteurs de NME, Inrocks, amateurs compulsifs (longtemps mon cas) de concerts, genre « oui euuuh, moi j’étais à ce concert-là », « et, oui euuuh, j’ai cette plaque-là », que sais-je encore..bref? 😉 Vos Inconnus, s’ils ne l’ont fait, se seraient régalé de certains travers de ce milieu-là!

      Et puis, pas oublier : on a affaire à un plouc issu de l’un des pires quartiers d’Europe, qui du jour au lendemain découvre les vibratos de la scène culturelle londonienne…… ==> Y a matière à attraper un p’tit melon!, même si le récit qu’il en fait 30-40 ans plus tard.. Il raconte cela à 60 ans, une distance critique lui eût davantage gagné mes faveurs. Mais je soupçonne que son public premier doive un peu lui ressembler.

      A sa décharge : je n’ai lu nulle part aucun réel marqueur de mépris culturo-social dans ce qu’il a raconté de sa vie. Et puis quel parcours tout de même ; même sur un ton que je trouve également brin autosatisfait, et même si ça ne va pas beaucoup plus loin (Canoville et le racisme, certes – histoire confirmée par Canoville) qu’une espèce d’hédonisme au fond légitime : tout cela garde un petit côté tour de force – une vie qui démontre, fût-ce futilement, que même pour un footballeur il n’y a pas de fatalité.

      Ce que j’en pense est tout de même glissé dans l’article, Cf. cette photo devant un portrait de lui-même.. 😉

      Et ce détail qui m’intrigue : c’est son colocataire, qui lança le mythe de « first post-punk footballer », Cf. nom de l’auteur sur le port-folio 😉

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      1. Bref je pense que tu tapes dans le mille, tu es un peu mon Mark E. Smith (une version plus civilisée, hein).

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      2. Ce que j ai écouté ce matin était très cool.
        J vais me pencher dessus sérieusement. Si ils sont bêtes et méchants c est encore mieux ahah

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      3. C’est ce que je me suis dit en voyant la dernière photo et celle où il pose devant un portrait le représentant !

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    1. D’aucuns parlèrent à une époque de « petit Hoddle »?? Ce n’était évidemment pas du calibre de Hoddle, mais titulaire d’une très belle technique tout de même. Et joueur plus énergique, dirais-je.

      Je l’ai plutôt connu à..Chelsea. Où il fut décevant.

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  2. Superbe. Merci Alex. J’ai absolument pas toutes les références musicales mais c’est agréable de découvrir un footeux qui cherche à deborder le cadre de son métier. Rui Jordao était devenu peintre à la fin de sa carrière.

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  3. Sinon, la chronique ci-reproduite de Nevin épingle (plutôt favorablement) Malcolm McLaren, l’ancien manager des Pistols.. A l’époque il avait embrassé l’avant-garde des musiques urbaines US, hip-hop et scratchings, djeeing.. Ca doit être sa meilleure période, « Duck rock ».

    McLaren, dans l’absolu : toujours sucer l’air du temps, être à tout prix dans le coup, pas mal de plagiats d’ailleurs.. Pas mal pour un prétendu faiseur/défaiseur de modes…..mais je présume qu’il fut looooiiiiin d’être le seul à ce registre, et que ce petit monde-là fonctionne fort ainsi? Celui du football ne me semble pas valoir beaucoup mieux..

    En aparté vous citiez hier The Clash ==> L’un des groupes préférés de Nevin à l’époque.

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