Le mûrisseur de bananes le plus célèbre du football français

« Il était là, toujours là. Tout le monde le connaissait. Mais personne ne savait qui c’était. Il ne disait rien. »

Just Fontaine

Au cœur des Halles de Paris, au sous-sol du 12 de la rue Quincampoix, était jusqu’à la fin des années 1960 une mûrisserie de bananes. Parmi ceux qui y travaillaient, était un certain Georges Belle, « Jojo » pour les amis, les collègues et la famille. Georges Belle était donc ce qu’on appelle un mûrisseur de bananes. Mais qu’est-ce qu’un mûrisseur de bananes ? Réponse en images : https://labanane.info/wp-content/uploads/reportage_murisserie_20h_TF1_05032021-1-1-2.mp4?_=1

Pourtant, si Georges Belle est célèbre, ce n’est pas à cause de ses extraordinaires capacités dans le mûrissage des bananes. A vrai dire, sa célébrité n’a aucun rapport avec son métier. Car Georges Belle avait un hobby, qu’il pratiqua une fois par an pendant 26 ans. Ce hobby, pour le moins original, consistait à s’introduire le plus près possible de la Coupe de France et à défiler avec les vainqueurs du trophée.

Ainsi, de 1946 à 1971, sur les archives photos ou vidéos, on voit Georges Belle apparaître au cœur de la mêlée victorieuse. En 1954 et 1956, il pose la main sur le ballon du match ; en 1957 et 1962, il porte le capitaine soulevant lui-même la Coupe ; en 1961, il saisit la Coupe à pleines mains. Mais on le voit aussi, sur le terrain, lors de matchs de l’équipe de France, ou lors de la première finale de la Coupe des clubs champions européens en 1956. Il pose alors, accroupi, à côté des joueurs du Real Madrid.

Et puis, après 1971, Georges Belle disparaît. Le poids des ans, sans doute, ne lui permet plus de se faufiler avec la même agilité et la même efficacité. Mais c’est aussi à cette époque que les Halles sont fermées (1969), puis démolies (1973), et le marché de gros transféré en banlieue, à Rungis. C’est ainsi à L’assassinat de Paris (Louis Chevalier) que l’on assiste et, avec la restructuration du quartier, peut-être la foi de Georges Belle défaille-t-elle. Avec la mort des Halles, c’est aussi son plus célèbre anonyme qui disparaît. Qui sait ?

Toujours est-il que, pendant longtemps, Georges Belle resta effectivement un anonyme. Déterré par Didier Braun, il eut droit à un beau dossier de trois pages dans l’album Coupe de France, la folle épopée, publié en 2007 par les éditions L’Equipe. Il y est tout simplement appelé « L’inconnu de la Coupe ». L’année d’après, l’obscur Louis Bédarieux dévoila son identité dans Le foot de papa, un livre dont le rayonnement fut pour le moins limité. A telle enseigne que les journalistes de L’Equipe se crurent les premiers à établir, le 6 janvier 2012, l’identité de Georges Belle. Mais ce sont bien eux qui lui donnèrent la plus large publicité. Finalement, en 2018, Stéphane Cohen consacra à Georges Belle un chapitre de son livre Les fous du stade, publié chez Solar.

29 réflexions sur « Le mûrisseur de bananes le plus célèbre du football français »

  1. Ce personnage pittoresque me dit vaguement quelque chose. Je ne sais plus son nom, mais il y avait exactement son pendant en politique. Un mec qui se faufilait partout et apparaissait aux côtés de Chirac notamment, lors des grandes cérémonies.
    Il y avait un cinéma d’art et d’essai en plein coeur des Halles. Je me souviens y avoir vu un film sur les grands danseurs de claquettes noirs et musiciens de jazz dans des fameux « Soundies », ces ancêtres des scopitones et des clips video, destinés à la clientèle noire.
    Un aperçu: https://youtu.be/D851f5U59fU

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    1. Dussé-je ou aurais-je dû le préciser, les photos ici proposées sont extraites du bouquin de L’Equipe (« Coupe de France, la folle épopée », un bouquin assez naze par ailleurs).

      C’est là que Didier Braun réalise un dossier systématique sur celui qu’il appelle « L’inconnu de la Coupe », et dont il retrouve la trace photographique sur toutes les éditions de 1952 à 1968. Par la suite, le dossier a été repris et complété (notamment avec les archives vidéos) : Georges Belle apparaît en fait dès 1946 et disparaît en 1971.

      Bref, c’était bien plus que le happening ou le quart-d’heure warholien de Rémi Gaillard en 2002. Un véritable hobby, une passion, secrète qui plus est. « Jojo » n’en tirait aucune vanité et ne chercha pas à devenir célèbre. Il était un anonyme.

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  2. Passion inoffensive, artisanale et truculente. Quoiqu’en rien un cas isolé, ce Monsieur méritait bien un article!

    Le côté artisanal surtout me plaît, autre chose que les faussement candides campagnes de presse de l’Omar Sy, que l’on vit apparaître parmi les clichés de l’une ou l’autre stars du football européen.

    Et il aura donc sévi de la sorte un quart de siècle durant, si je lis bien? Eh ben.. Qu’y trouvait-il encore après tant d’années? Le grand frisson devait avoir de longue date disparu.. C’est dommage, qu’il ne fût a priori jamais interrogé, j’aurais aimé savoir ce qui l’animait et l’anima durant tant d’années.

    Même registre, je ne reviens pas sur le nom de ce passionné au profil méditerranéen (Turc d’origine??), qui parvint même à apparaître sur les clichés de tout frais champions du monde, son chef-d’oeuvre sans doute.

    En Belgique il y a une dizaine d’années, un noir aux origines diverses (NL, Surinam, Congo..) s’était retrouvé comme ça sur la pelouse pour la photo du sacre anderlechtois, bouteille de champagne à la main! Pour expliquer comment il avait pu déjouer la vigilance de la sécurité, passer pour un joueur parmi d’autres, il avait dit en substance que c’est compliqué pour un Européen de distinguer un noir d’un autre – la réciproque est vraie pour les Africains.

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    1. « C’est dommage, qu’il ne fût a priori jamais interrogé, j’aurais aimé savoir ce qui l’animait et l’anima durant tant d’années. »

      Je crois que c’est ce qui fait son charme. Ce côté mystérieux et anonyme. Le type apparaît on ne sait pourquoi, mu par on ne sait quoi, et disparaît on ne sait quand, on ne sait pourquoi. Car si on ne trouve sa trace, pour la première fois en 1946 et pour la dernière en 1971, peut-être commença-t-il plus tôt et termina-t-il plus tard, mais échoua-t-il à atteindre son Graal ou à être capturé par les moyens photos et/ou vidéos. Mais symboliquement, en lien avec l’histoire des Halles, 1971 est une belle date. Comme si la disparition de son lieu de travail l’avait dévitalisée.

      « c’est compliqué pour un Européen de distinguer un noir d’un autre »

      J’ai le même problème avec les blondes (je parle des femmes, pas des bières). En mon chef, rien ne ressemble plus à une blonde qu’une autre blonde. C’est affreux !

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      1. Ah ah, j’ai ça aussi avec les blondes, source de l’un ou l’autre peu glorieux ennuis domestiques quand je vivais en Pologne, bon.. Pour ce qui me concerne, pas la moindre blonde dans la famille, ceci doit expliquer cela : un manque culturel de repères? Après 6 mois d’Afrique par exemple, je ne me trompais plus jamais ; j’imagine que le cerveau a besoin de référents pour fonctionner.

        Parmi les points cardinaux d’un visage, les oreilles ne mentent pas! Ceci dit ça fait une belle jambe de le savoir, car se focaliser durant une discussion sur les oreilles de quelqu’un pour être sûr de ne pas se tromper???……… ==> C’est surtout le plus sûr moyen qui soit pour passer pour un tordu fétichiste avec une femme, je préfère encore me tromper je crois.

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    1. Un métier qui m’a toujours fait rêver.
      J’imaginais les mecs avec des pouvoirs magiques en train de faire mûrir les bananes en insufflant magiquement avec leurs petites mains des fluides sous forme d’éclairs. Tu vois, des couvertures de feuilleton du début du XXe siècle ?

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    2. D’ailleurs, quand je dis « le mûrisseur de bananes le plus célèbre du football français », je mésestime sans doute notre ami Georges Belle. C’est peut-être même le mûrisseur de bananes le plus célèbre du monde entier. Une espèce de Christophe Colomb du métier.

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