Années 1970, l’âge d’or de Catanzaro

Ce week-end, la saison régulière de Serie C arrive à son terme. Ultra-dominatrice dans sa poule  (une seule défaite, 100 buts inscrits, 18 encaissés), l’Unione Sportiva Catanzaro 1929 sait depuis longtemps qu’elle va retrouver la Serie B, 17 ans après sa dernière participation, deux faillites et trois changements de dénomination. C’est l’occasion de se souvenir des belles années des Giallorossi, de la rivalité avec la Reggina, u classicu, le derby calabrais n’ayant plus eu lieu en Serie B depuis 33 ans[1].

La révolte pour Reggio, l’accession pour Catanzaro

Si l’époque bénie de l’US Catanzaro s’étale de 1971 à 1983, dont sept saisons en Serie A, les Giallorossi  vivent une première épopée en Coppa Italia en 1965-66. Emmenée par le grand attaquant Gianni Bui, l’USC élimine le Napoli au San Paolo, le Torino puis la Juventus au Stadio Comunale de Turin, des exploits monumentaux. Finaliste, Cantanzaro ne s’incline qu’à l’issue des prolongations face à la Fiorentina. Cette performance nourrit l’ambition du président Ceravolo et malgré de modestes moyens, la Serie A n’est plus une utopie. Mais avant cela, l’USC doit surmonter des obstacles n’ayant rien à voir avec l’environnement sportif.

Catanzaro 1965-66. Gianni Bui, dit « La Torre » est debout, troisième à partir de la gauche.

En 1970, le gouvernement italien accélère la décentralisation d’une partie de son administration et crée de nouvelles régions. Pour la Calabre, Catanzaro est désignée capitale, ce qui signifie que le conseil et l’exécutif de la région y siégeront, alors que Cosenza obtient l’université. Reggio di Calabria, cité la plus peuplée, n’obtient rien. Ses habitants ne l’acceptent pas et manifestent violemment, convaincus que l’alliance gouvernementale Démocratie chrétienne – Parti socialiste italien a cédé aux intérêts d’édiles de Catanzaro et Cosenza, eux-mêmes membres du PSI. Selon eux, il s’agit d’une énième preuve de l’abandon de Reggio, une ville déshéritée craignant la délocalisation de ses services publics vers Catanzaro.

De sanglantes batailles urbaines éclatent en juillet 1970, un blocus ferroviaire, routier et maritime est organisé jusqu’à ce que le mouvement citoyen spontané soit noyauté par les néo-fascistes et la mafia locale, la ‘Ndrangheta, justifiant l’usage de la force par la police. La violence va crescendo avec la multiplication d’attentats, dont un particulièrement meurtrier[2]. Il se constitue même une éphémère république dans un quartier de Reggio protégé par des barricades, version pittoresque de la Commune de Paris où gauchistes, fascistes et mafieux s’unissent contre le pouvoir central corrompu. Il faut l’intervention de l’armée et ses blindés, l’arrestation des leaders extrémistes et la répression brutale des derniers foyers insurrectionnels (de trois à cinq morts selon les sources) pour instaurer une trêve au printemps 1971. En promettant d’importants financements créateurs d’emplois et en confiant le conseil régional à Reggio sans déposséder Catanzaro de son statut de capitale, le nouveau gouvernement italien éteint définitivement la rébellion. 

Un comité d’action en faveur de la désignation de Reggio en tant que capitale de la Calabre.

Ces incidents impactent évidemment la saison 1970-71 de Serie B au sein de laquelle évoluent la Reggina et l’US Catanzaro. Plusieurs matchs des Amaranti de Reggio sont délocalisés pour des raisons de sécurité et il est évidemment inenvisageable que les deux équipes se rencontrent dans leurs enceintes respectives. Les derbys ont donc lieu à Florence, distante de près de 1000 kilomètres de Reggio. En fin de saison, la Reggina se classe huitième alors que les Giallorossi sont seconds ex-aequo et peuvent disputer un barrage d’accession.

Grâce à Angelo Mammì, un bomber trentenaire né à Reggio, l’US Catanzaro s’impose 1-0 contre Bari et s’offre le droit de goûter à la Serie A. En étant la première équipe de la région à réaliser cet exploit, Catanzaro prouve qu’elle est bien la capitale footballistique de la Calabre.

Le but de Mammi face à Bari grâce auquel l’USC accède à la Serie A en 1971.

Les années Palanca

Malgré une relégation immédiate en 1972, le président Ceravolo demeure ambitieux. Il tente d’abord de faire du neuf avec du vieux puis il mise sur un tout jeune technicien de 34 ans, Gianni Di Marzio[3]. Avec lui, l’USC entame un cycle de trois ans dont l’issue est un second aller-retour en Serie A lors de la saison 1976-1977.

A partir de 1978 s’ouvre le quinquennat doré de l’USC, cinq exercices consécutifs dans l’élite. Cette période d’allégresse coïncide avec la phase d’investissements massifs de l’état italien selon la promesse ayant suivi la révolte de Reggio, comme si la révolution industrielle atteignait enfin la Calabre. Parmi les projets emblématiques annoncés avec grandiloquence par les élus locaux figurent la construction du port de Gioia Tauro, gigantesque terminal destiné à nourrir en minerais et en charbon un complexe sidérurgique au Nord de Reggio, les travaux devant faire du barrage de Gimignano la plus grande retenue d’eau d’Europe ou encore la digue de Lamezia Terme, interminable ponton de béton au-dessus de la Mer Tyrrhénienne dévolu à l’accostage des navires de la SIR (Société Italienne des Résines).

Si ce sont les plus belles années de l’US Catanzaro, il ne faut pas imaginer des saisons de douce quiétude. L’inamovible président Nicola Ceravolo finit par passer la main, les entraineurs peinent à tenir plus de 18 mois, eussent-ils pour nom Burgnich ou Mazzone, et le scandale du totonero[4] sauve les Giallorossi d’une relégation sportive en 1980. Dans cet univers de changements perpétuels, Catanzaro dispose de deux piliers qui font la grande histoire du club : Claudio Ranieri, chef de défense durant huit saisons, et Massimo Palanca, le bomber adulé par le Stadio Comunale de 1974 à 1981.

Massimo Palanca face à Francesco Morini, stoppeur de la Juve.

Meilleur buteur de Serie C avec Frosinone, la Reggina doit enrôler Palanca au cours de l’été 1974 mais une nouvelle fois, Catanzaro se montre plus séduisante que Reggio di Calabria. Ses débuts avec les Giallorossi sont médiocres, entre blessures et manque d’efficacité. Mais par la suite, il règne sur la Serie B en étant le principal artisan des accessions de 1976 et surtout 1978 dont il est le capocannoniere.

De prime abord, Palanca n’a rien d’impressionnant (il mesure moins d’1,70 m et chausse du 37 ce qui lui vaut le surnom de Piedino), hormis peut-être sa moustache, plus fournie que celle de ses contemporains Causio et Pruzzo. Mais Piedino di fata (Pied de fée) compense son déficit physique par sa vitesse, son adresse face au but et une prédisposition pour les corners directs. Selon ses biographes, il en aurait inscrit 13 tout au long de sa carrière, le plus mémorable étant celui réussi en 1979 au Stadio Olimpico contre la Roma. Ce jour-là, il trompe Paolo Conti, gardien remplaçant de la Nazionale, et en profite pour réaliser un triplé offrant un succès prestigieux à l’USC.

En 1981, en finissant second au classement des buteurs de Serie A, Piedino attise les convoitises et ne peut résister aux sirènes napolitaines[5]. Un an plus tard, c’est au tour de Claudio Ranieri de quitter les Giallorossi, attiré à Catania par son ancien mentor, Gianni Di Marzio. L’ère glorieuse de l’US Catanzaro touche à sa fin et cela coïncide avec l’extinction des rêves d’essor économique de la Calabre : l’usine sidérurgique de Reggio ne voit jamais le jour et le port de Gioia Tauro ne sert à rien durant des années, le barrage ne ressemble en rien au projet initial et jamais aucun bateau n’accoste à Lamezia Terme…

La digue de Lamezia Terme, projet inutile à l’abandon.

Le miracle Bivi, le désastre Năstase

L’idole Palanca transférée au Napoli, le Roumain Viorel Năstase est recruté en 1981 pour le faire oublier. Năstase évolue pendant les années 1970 au Steaua Bucarest et profite d’un match en Suisse pour fuir la Roumanie de Ceaușescu. Réfugié politique, il joue une saison à Munich 1860 et constitue une attaque séduisante aux côtés du jeune Rudi Völler, inscrivant 14 buts en Bundesliga malgré une indiscipline notoire. Il a 28 ans quand l’US Catanzaro le choisit, devenant ainsi le premier étranger de l’histoire des Calabrais.

Sans Palanca mais avec Ranieri, l’US Catanzaro se classe septième en 1982, frôle la qualification en Coupe de l’UEFA et n’échoue qu’en demi-finale de Coppa Italia, éliminée sur le fil par l’Inter. Ces performances, son nouvel attaquant y est pour beaucoup : 12 buts en Serie A, vicecapocannoniere derrière Roberto Pruzzo. Mais il y a un hic : le nouveau buteur se nomme Edi Bivi, jeune joueur déniché en quatrième division nationale. Năstase, lui, ne score qu’à une reprise.

Que s’est-il passé ? Refusant de porter des protège-tibias, le Roumain se brise la jambe dans un choc fin octobre lors d’une rencontre face à Côme, le jour où il inscrit son seul et unique but de la saison. Indisponible durant six mois, il met son temps libre pour jouir de la vie : il découvre les cozze alla tarantina (moules au piment pour les amateurs) qu’il accompagne de litres de bière et organise d’interminables fêtes dans la villa que le club met à sa disposition. Hors de forme, Bivi ayant explosé, il est remplaçant quand démarre la saison suivante. Un désastre. Le miracle Edi Bivi ne se reproduit pas, Năstase, physique de fêtard ne courant plus, inscrit un seul but par le plus grand des hasards et Catanzaro termine dernier du championnat.

Une anecdote rapportée par l’entraîneur Bruno Pace illustre ce qu’est devenu Năstase. Suspicieux quant au sérieux de son joueur, le technicien fait le tour des discothèques et le trouve dans l’une d’elles par terre, ivre mort : « Il était dans un état incroyable et quand il m’a vu, la seule chose qu’il ait faite, c’est m’offrir à boire. »

Viorel Năstase.

Au début de la saison suivante, le président Merlo veut se convaincre : le duo Bivi – Năstase va faire remonter les Giallorossi. Bivi inscrit 14 buts, Năstase un seul. Lorsque le championnat s’achève, Catanzaro enchaîne une seconde relégation consécutive mais le Roumain n’est plus là pour voir cela, il s’est évaporé depuis plusieurs mois. Avant de s’enfuir, il fait vivre un enfer au club entre maladies bidon, arrestations en état d’ivresse ou pour défaut de permis, fugue des rassemblements… Quand il part sans prévenir quiconque, les dirigeants ne le cherchent même pas.

On retrouve sa trace à Salzbourg, trois misérables rencontres et à nouveau il disparaît. Les rumeurs se multiplient mais personne ne sait où il se trouve réellement. Au milieu des années 2000, il entraîne en Roumanie en troisième division et on perd encore sa trace jusqu’à ce qu’un journaliste de Catanzaro ne le croise en 2012 en Argentine où il entraine de jeunes joueurs en périphérie de Buenos Aires. Ils échangent quelques mots. « Ton pays, mon garçon, a été ma première gorgée de liberté. Une gorgée si longue que je me suis saoulé. Mon désir de savourer la vie m’a conduit à l’excès, et pour échapper au communisme, je suis devenu esclave de l’alcool et de la fausse liberté du monde occidental. J’ai été naïf, mais cela ne compte plus. Aucun de mes jeunes joueurs ne connaît mon passé de footballeur professionnel. Je veux vivre dans l’oubli. » L’oubli ou le pardon, les plus vieux tifosi de l’USC ne peuvent le lui accorder. Pour eux, il est définitivement le fossoyeur du Grande Catanzaro.


[1] Sauf si la Reggina parvient à monter en Serie A à l’issue des barrages, Catanzaro et la Reggina s’affronteront l’an prochain en Serie B.

[2] Le 22 juillet 1970, une bombe explose dans un train faisant 6 morts et 13 blessés.

[3] Père du journaliste Gianluca Di Marzio spécialisé dans le mercato.

[4] Scandale de matchs truqués aboutissant à la relégation administrative du Milan et de la Lazio au profit de Catanzaro et de l’Udinese.

[5] Palanca revient à Catanzaro en 1986 après des échecs à Naples et Côme. Capocannoniere de Serie C, il fait remonter les Calabrais en B et y achève sa carrière en 1990 à 37 ans.

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17 réflexions sur « Années 1970, l’âge d’or de Catanzaro »

    1. En parlant de Nastase, je me souviens que mon père avait servi, en tant qu’écailler, la bande des Ilie Nastase ou Guillermo Vilas, pendant la période du Grand Prix de Toulouse.
      D’ailleurs quel est le plus grand sportif roumain? Je pense à Ilie Nastase ou certainement Gheorghe Gruia qui était le meilleur joueur de handball du monde quand justement la Roumanie dominait ce sport.

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      1. Je parlais uniquement des hommes. Nadia est évidemment la plus grande! En talent!

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      2. Chez les femmes, on peut citer Iolanda Balaș qui a deux médailles d’or en saut en hauteur et qui fut la première à passer la barre d’ 1 mètre 90.

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      3. Hehe
        Muresan était un bon basketteur, avec de bonnes mains pour un homme de sa taille. Il avait reçu le prix de la meilleure progression en NBA, ce qui n’est pas rien. Malheureusement, comme souvent pour des hommes aussi grand, le physique n’a pas suivi. Mec unanimement reconnu pour sa gentillesse du côté de Pau et acteur émérite aux cotés de Billy Crystal!
        https://en.m.wikipedia.org/wiki/My_Giant#/media/File%3AMy_giant_poster.jpg

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  1. Verano, Verano… J’imagine que tu attendais mon commentaire ce matin? Disons un petit peu plus particulièrement que d’ordinaire… Que te dire de bien spécial si ce n’est merci, sincèrement bien sûr… « Grazie grande Verano » pour ce court séjour, ce petit voyage… cette parenthèse matinale dans le plus beau microcosme du monde !
    On a rarement été synchronisés dans notre inspiration mais force est de constater que la secrète et absolument unique Calabre aura été la source d’une stimulation commune ces dernières semaines. Après tout, quel meilleur sujet que celui de cette région si particulière, presque magique, pourrait mieux inaugurer cette sorte de coordination d’idées et d’envies ?
    Je suis heureux de voir partagée sous la forme de tes lignes, l’histoire méconnue, discrète et si humble d’une Calabre dont les propriétés s’apparentent à celles de l’Amour: passionnée, irrationnelle… et si difficilement descriptible !

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      1. J’y allais quasi tous les étés jusqu’à mes 21~22 ans, malheureusement plus depuis (ça fait un peu plus de 10 ans maintenant, ça passe !). J’ai privilégié d’autres voyages, trouvé de nouvelles habitudes ailleurs et mon grand-père n’y va désormais plus non plus (ça joue). J’ai justement tâter le terrain récemment pour y retourner, ce ne sera pas pour tout de suite non plus…
        Des projets de vie oui, l’idée m’a déjà traversé l’esprit quelques fois, comme ça, furtivement… on verra bien ce que l’avenir me réserve.

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      2. Si la Reggina parvient à se qualifier pour les barrages et si par miracle elle montait, tu te devras te rendre en pèlerinage à l’Oreste Granillo pour nous faire vivre un match de Serie A 🙂
        PS : pour le Genoa, ça sent vraiment bon, il peut même viser le titre.

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    1. S’il avait dû jouer en équipe nationale, cela aurait dû être en 1978 et 1981, ses meilleures années, surtout vers 1980-81 quand Paolo Rossi et Bruno Giordano étaient suspendus. Mais il y avait encore Graziani, Pruzzo, Altobelli, Bettega… S’il avait réussi au Napoli, Bearzot l’aurait peut être pris à la place de Selvaggi en 1982 ?

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  2. La photo de cet éléphant blanc, waouaw..

    Catanzaro, chef-lieu de la Calabre??? J’ignorais totalement.. Compromis d’entre Cosenza et Reggio, j’imagine??

    J’ai été voir hier soir, dans la foulée de la lecture de cet article, à quoi ressemblait donc Catanzaro………..et c’est d’un tristounet, un je ne sais quoi de (que Calcio me pardonne!!!) « lépreux ».. Je comprends d’autant mieux certaines colères à l’époque, quelle « vitrine » pour cette région aux atouts (ne fût-ce qu’historiques) pourtant formidables.. C’est incompréhensible.

    Merci pour cette histoire, Verano! Dont notamment pour cette sentence de Nastase, cette épitaphe quasiment :

    « Ton pays, mon garçon, a été ma première gorgée de liberté. Une gorgée si longue que je me suis saoulé. Mon désir de savourer la vie m’a conduit à l’excès, et pour échapper au communisme, je suis devenu esclave de l’alcool et de la fausse liberté du monde occidental. J’ai été naïf, mais cela ne compte plus. Aucun de mes jeunes joueurs ne connaît mon passé de footballeur professionnel. Je veux vivre dans l’oubli. »

    La « fausse liberté du monde occidental »………. : et comment! Ceci dit, tout de la confession de ce joueur tient du sublime.

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