Berlusconi et la révolution de 1987

L’heure est aux hommages alors rappelons-nous des débuts, ce qu’était le Milan avant que Silvio Berlusconi ne choisisse Arrigo Sacchi en 1987.

Qui se souvient de l’arrivée de Berlusconi à la tête d’un Milan au bord de la faillite, fruit de la gestion calamiteuse de Giussy Farina ? Ancien président de Vicenza du temps de Paolo Rossi, Farina avait laissé le Lanerossi criblé de dettes avant de se jeter, en 1982, sur l’opportunité que représentait un Milan exsangue et relégué en Serie B. Quand Berlusconi et son groupe, Fininvest, obtiennent la majorité des parts du club, Farina est en fuite en Afrique du sud et Il Cavaliere apparaît comme un sauveur. Un grand jour pour lui car ce 20 février 1986, le soir-même, La Cinq commence à émettre en France depuis les studios Mediaset de Milan en reproduisant les recettes à succès et bas de gamme de la chaîne Canale 5.

Intronisé président un mois plus tard, Berlusconi fait table rase du passé, aucun administrateur ne conserve son siège, pas même l’icône Gianni Rivera. Quand on injecte plusieurs milliards de lires pour sauver un monument en péril, on décide de son entourage. Alors il choisit des proches, la plupart dirigeant des activités ou filiales de Fininvest (dont Mediaset est le fleuron), des personnes issues des univers de la publicité ou des médias capables de drainer une image positive auprès du grand public et étouffer les éventuelles oppositions. Et en tant que bras droit, comprendre administrateur délégué, il désigne Adriano Galliani, lui aussi issu de Mediaset.

Galliani et Liedholm encadrent Berlusconi.

Les volets administratif et financier réglés, il se lance dans le chantier sportif. Dans un premier temps, il semble convaincu que Niels Liedholm est l’homme de la situation malgré une saison sans relief des Rossoneri. Le vieux sage suédois exige des renforts, Berlusconi les lui fournit : Giovanni Galli, gardien de la Nazionale lors de la Coupe du monde mexicaine, Daniele Massaro, Beppe Galderisi et Roberto Donadoni. Et il le débarrasse d’un Paolo Rossi dont les genoux n’en peuvent plus.

Dès août 1986, Liedholm comprend que son nouveau président a des idées pour lui. Lors du trophée Joan Gamper, quand le Barça de Terry Venables torpille les Rossoneri (3-1), Il Cavaliere convoque Il Barone et lui demande de pratiquer un jeu plus vertical. Considéré jusqu’alors comme audacieux avec sa défense en zone, le système de Liedholm prend un coup de vieux. Le conseil de Berlusconi sonne comme un avertissement que ne semble pas comprendre le Suédois. Le couperet tombe après une défaite face à la Sampdoria en mars 1987 et pour bien marquer le coup, il assène : « Je me demande comment les tifosi ont pu supporter un football aussi horizontal et monotone ». Jusqu’alors adjoint, Fabio Capello prend une première fois les commandes du Milan sans que cela ne change profondément les résultats. De toute manière, il sait qu’il n’assure qu’un intérim car Berlusconi a déjà choisi son entraineur pour la saison suivante : Arrigo Sacchi, le jeune coach de Parme (41 ans). Avec les Gialloblù, Sacchi a obtenu une accession en Serie B et mieux encore, il vient de battre à deux reprises le Milan à San Siro en Coppa Italia en exerçant un pressing obsessionnel et en se projetant très vite vers l’avant.

En juin, alors que Capello est encore aux commandes, Sacchi assiste à la victoire du Milan lors du Mundialito des clubs[1]. Alors que le public et la presse se réjouissent des prestations de Claudio Borghi, désigné meilleur joueur du tournoi et coqueluche de Berlusconi, Sacchi annonce froidement qu’il l’expédie à Côme pour s’aguerrir aux défenses italiennes, convaincu que son nouveau duo d’étrangers Van Basten-Gullit conviendra bien mieux à son style de jeu qu’un soliste comme le jeune Argentin. Déjà très à l’aise derrière les micros, il promet du spectacle, exprime ouvertement sa différence avec ses pairs et adresse des remerciements nourris pour son président, mobilisé avec Galliani à Rome par la signature d’Ancelotti.

Pourtant, plusieurs chroniqueurs influents n’hésitent pas à exprimer leur scepticisme vis-à-vis de ce blanc-bec beau parleur au crâne dégarni. Dès la nomination de Sacchi, Gianni Brera produit un éditorial titré : « Demain, Milan présente Monsieur Personne ». Le journaliste le décrit par la suite comme « un apôtre subjugué par des visions célestes ». Et puisqu’il s’agit d’un illuminé, la réalité va rapidement rattraper Milan et Berlusconi. Faut-il le préciser, Brera ne travaille pas pour l’empire médiatique d’Il Cavaliere.

Les premiers mois semblent donner raison à Brera : le Milan est rapidement éliminé par l’Espanyol en Coupe de l’UEFA, par Ascoli en Coppa Italia et les résultats en championnat manquent de régularité. Mais Berlusconi ne s’impatiente pas. Au printemps, les Rossoneri se lancent dans un sprint effréné alors que le Napoli vogue vers un second scudetto consécutif. Dans un duel au sommet, au San Paolo, le Milan s’impose logiquement (2-3) devant un public anesthésié et des millions de téléspectateurs, la RAI diffusant exceptionnellement la seconde mi-temps en direct.

A la fin du match, Arrigo Sacchi, costume impeccable, larges lunettes de soleil sur le nez, prononce quelques mots aimables pour les Napolitains et refuse tout triomphalisme, ce qui lui vaut dans la presse le titre de « comptable de Fusignano », sa ville natale. Silvio Berlusconi n’est pas à Naples mais à Saint-Moritz, délégant à son frère Paolo la responsabilité de transmettre sa joie par procuration. Derrière son écran, il a pu apprécier le triomphe du modernisme, pressing et verticalité, face au traditionalisme d’Ottavio Bianchi, le coach des Azzurri, celui du football de zone sur ce qu’on appelle encore le catenaccio, et le début de l’emprise de la préparation physique.

Avec la Coupe Intercontinentale.

Après la victoire à Naples, le Milan ne flanche pas et s’offre un premier scudetto suivi d’une Coupe d’Europe des clubs champions en 1989. A l’issue de la victoire éclatante des Rossoneri sur les Roumains, un journaliste de L’Equipe écrit « Après avoir vu Milan-Steaua, le football ne sera plus jamais le même ». Peut-être excessif mais pas totalement faux. Qu’on le regrette ou s’en réjouisse, en choisissant Sacchi, c’est à Berlusconi qu’on doit cette mutation, cette accélération de la dimension physique du football, prémices d’une domination totale du football italien durant une quinzaine d’années.


[1] Destiné à opposer les vainqueurs de Coupe Intercontinentale, la 3e et dernière édition regroupe des équipes ne répondant pas toutes aux exigences initiales, en témoigne la présence du Paris SG.

34 réflexions sur « Berlusconi et la révolution de 1987 »

  1. Le diptyque 5-0 face au Real, suivi de la finale face au Steaua, me semble (aussi) avoir été ce tournant que Berlusconi avait par tous les moyens labouré. Real : rien à redire à titre personnel. Par contre l’un ou l’autre joueurs roumains (Hagi, je m’en rappelle fort bien) épinglèrent, parfois au vitriol, le peu d’engagement manifeste de certains de leurs équipiers, à demi-mots la corruption était l’hypothèse..et, de fait : le Steaua fut soudain indigne de ce qu’il avait jusqu’alors montré.

    Ca + les liens étroits, privilégiés, entre régime roumain et tissu industriel de la Botte.. + surtout les scandales arbitraux déjà survenus en 1/8ème et 1/4…….+ ceux à venir l’année suivante (Malines, Real.. Bayern même, il y avait une décision pas piquée des vers).. + ceux déjà survenus auparavant (Gijon avait, déjà, été cocufié par l’arbitrage)………………..

    La dimension physique a déjà de quoi prêter à suspicion, c’est vrai..mais l’arbitrage de ces matchs était, dans sa fréquence et son caractère souvent WTF, déjà largement suffisant que pour interroger la légitimité des succès de ce Milan berlusconien aux forceps émergent, que pour ma part je me remémorerai toujours avec dégoût, sentiment d’une farce grotesque et de dés salement pipés.

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    1. J’ai le souvenir du miraculeux brouillard contre l’Etoile Rouge de Pixie au top. Me souviens plus du Werder. Après, face au Real, rien à dire. Quant aux Roumains en 1989, pas impossible qu’il y ait eu quelques arrangements.

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      1. Le brouillard……… A l’époque, on n’arrêtait pas les matchs pour cela!, voyez « voir » (on ne voit pas à deux mètres) certain FC Liège – Rapid Vienne de l’époque!

        Le Milan retenta le coup face à l’OM..mais débouté, encore bien..

        En Serbie il est entendu que, dans la foulée de cette décision déjà en soi litigieuse (et il y en eut d’autres) : les dirigeants de l’ER bradèrent tout bonnement le replay, en soi déjà compromis par la différence de profondeur des deux bancs..

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    2. Bref………. : il paraît qu’on ne dit pas de mal des morts, ça ne se fait pas……..

      Moi j’aurai juste une question : qu’est-ce que ce type a apporté de bon au football? à la société italienne?

      Je ne vois rien à en sauver, que dalle.

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      1. Même Nanni Moretti, dont la plupart des films m’a séduit, n’a pas réussi à le rendre intéressant dans Le Caïman 😉

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      2. Il est peut-être prudent, instinct de survi………. Moitié (disons) de l’Italie est-elle prête à regarder dans le blanc des yeux ce qu’elle a goulument avalé, cautionné et célébré pendant des décennies..??

        Berlusconi, si on enlève le costard, ne garde à l’esprit qu’un type silliconé et gras aux méthodes et fins en rien reluisantes, ben ça donne peut-être un miroir assez crade de ce que ce peuple jadis si fructueux est peut-être pour bonne part devenu?

        (NB : pas mieux sous nos latitudes..)

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      3. Si l’Italie a tardé à connaître le miracle économique, elle a basculé avant la France dans la société du spectacle et les chaînes télés de Berlusconi y sont pour quelques chose. Canale 5 a introduit des programmes lamentables, Grande Fratello est né en Italie avant que des équivalents n’apparaissent en France, les veline accompagnent les émissions sportives depuis longtemps. Tout ça laisse forcément des traces dans la société… L’apparence, la frivolité… peut-être l’Italie voulait-elle de la légèreté après les années 70, années de plomb et années de disette footballistique ? C’est après cette période que le cinéma italien s’effondre (avant de renaître) au profit de la télé et ses conneries, c’est à ce moment que l’Italie commence à tout rafler avec la maîtrise de l’EPO. Et aujourd’hui, après 3 défaites en finale de Coupe d’Europe, comment veux tu que ceux qui ont aimé cette période d’insouciance et de fierté (tout le monde ne fait pas la fine bouche sur une victoire discutable, les Italiens ont toujours aimé les vainqueurs, pas comme toi et moi eh eh ) ne la regrettent pas ?

        PS : je devise sans grande conviction, je dirais presque pour ne rien dire !

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      4. Qui parlait plus bas de l’Espagne, Khiadia? Je ne pige pas l’espagnol, mais à chaque fois que je tombais sur une chaîne espagnole, ça me faisait penser à la décadence manifeste du PAF italien – pas aussi marqué peut-être, mais vu du Nord ça semblait bien vulgaire, ne pas voler fort haut.. – j’imagine que ladite « movida », tout ça..?? Je n’en sais rien, juste un questionnement. Mais les codes télévisuels espagnols me semblèrent assez bien vulgus dans les 90’s aussi.

        Ceci dit, la société du spectacle, l’imput aux forceps du matérialisme et du consumérisme dans les esprits……… Dès les 80’s l’on en vit aussi débarquer de belles sur le PAF hexagonal, les Inconnus n’ont pas parodié ab ovo : « Roue de la fortune », « Le juste prix »…….. »Ambitions » avec Bernard Tapie!!!, lol.. Il n’y avait rien de tel en Belgique!!!, ce matraquage faisait mal aux yeux……..puis ce fut la fin de tout : irruption de la téléréalité NL dans vos chaumières (ce fut très tardif et reste plutôt marginal en Belgique).. « Le maillon faible » aussi, même les plus vénales et individualistes de mes connaissances trouvaient le concept odieux………..

        En Italie forcément ça prenait des proportions énormes, ce côté Comedia del Arte..mais le ver était déjà dans le fruit dans bien des pays – RFA aussi, il y avait à redire..

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  2. « Après avoir vu Milan-Steaua, le football ne sera plus jamais le même »

    Goethals avait peu ou prou dit la même chose après avoir vu la finale de C286 à Gerland.. Ceci dit, et ça ne veut évidemment pas dire charrette, ce Dynamo de Lobanovski traîne aussi, à l’instar du Milan de Sacchi, une réputation de dopage pas piqué des vers et (c’est moins connu, et probablement circonscrit à l’échelle soviétique) de matchs arrangés.

    Tout cela me fait évidemment penser aussi au dopage NL, et singulièrement à l’ajacide, des années mid-60’s-70’s ; cette autre « révolution », hum.. C’est cela que je crois bienvenu de soulever : ce mot est souvent commode pour dissimuler des moyens guère loyaux.. (NB : pas de trace tangible de corruption d’arbitres autour de cet Ajax, quoique.. des referees ajaxophiles, ça oui : les archives NL regorgent de ce type de sous-entendus).

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    1. En Italie, le pire en la matière, selon moi, c’est Parme. Avec Sacchi en précurseur et Scala en finisseur. Le pire, c’est que ce club a toujours eu une image sympa, « le petit » qui taquine les gros. Ben tiens… On nous aurait presque fait croire que les joueurs marchaient aux produits laitiers de la Parmalat ! De toutes les équipes vues à l’époque, j’ai toujours eu l’impression que Parme avait le jeu nécessitant le plus d’énergie. Jamais pu saquer ce club où tout semblait artificiel hormis le stade Tardini, très moche mais authentique.

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      1. je précise à l’inverse que j’aime beaucoup Parme, la ville :-).
        J’y ai vu Faustino Asprilla faire le kéké au volant d’une voiture de sport bleue sur la piazza Garibaldi.

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      2. Aaaaaaah enfin ! Je souscris à 500% sur cette analyse .
        L’image du club sympa alors qu’il est tellement artificiel…

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    2. Je ne vais pas jouer au plus malin : sur le coup j’ai pris plaisir à voir jouer le Parme de Scala, genre dans l’esprit il y avait là comme une bouffée d’air frais..

      Rétrospectivement, le temps de réaliser (et surtout de digérer? – compliqué d’aller à rebours de ce que l’on a aimé..) les monstres physiques que c’étaient devenus, en effet………… Pourtant pas faute de m’être posé ces questions après l’affrontement Roma-Anderlecht, mais.. Maintenant je n’ai plus le moindre doute!, et dois avoir perdu l’à peu près tout (tout, je ne serais plus là) de mes illusions sur le foot, affaire entendue.

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      1. Mais dans ce Parme, nuance : pas souvenir d’arbitrages aussi ubuesques que ceux vus sous Sacchi – lui, ce fut combo royal..et à ce titre pour moi le pompon de ce qui n’allait pas dans le football européen.

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      1. Combien de jeunes Français se sont-ils découvert une passion pour les Gunners, à mesure que Téléfoot y consacrait singulièrement, chaque dimanche, 5 bonnes minutes hebdomadaires?

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      2. En Espagne, ça a encore mieux marché qu’en France avec Telecinco qui est spécialisé dans les programmes de daube depuis 30 ans.

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  3. En France on a souvent comparé Tapie et Berlusconi, un a fini cloué au pilori et pourtant il était loin d’être le plus véreux et nuisible, dire qu’il a fini chef du gouvernement.
    Cela en dit long sur le foot et sur les personnages qu’il fallait pour gagner dans les années 80-90’s (et ce qui a beaucoup manqué à la France), le pire c’est que préfère encore ces malfrats à la Rolex que ceux qui dirigent les grands clubs actuels.

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    1. Je crois comprendre ce que tu veux dire.. Parce que c’est devenu tellement technocratique désormais? Que ces magouilles gardaient quelque dimension « humaine » à l’époque?

      Aujourd’hui il y a l’alibi « VAR », on ne triche plus!, lol.. sinon bien sûr que le VAR est activé au bon vouloir des refs, que ses lignes de hors-jeu sont parfois tirées de travers et que, même quand ses responsables sont acculés à en convenir : l’on ne revient pour autant pas sur une décision rendue..

      De surcroît, 90% des risques ont structurellement été supprimés pour lesdits grands clubs, dès lors..

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  4. @Alex, la photo de Gullit me rappelle que tu as entamé une documentation profonde sur un thème très intéressant. Je sais bien que tu aimes maîtriser sur le bout des doigts (ou de la langue) ton sujet mais je me permets d’exprimer mon impatience 🙂

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    1. Je comptais demander à Khiadia d’intervertir deux dates, Van Beveren est mort le 26 juin (dans une opprobre et une misère crades).. 😉 or c’était un géant doublé d’un brave type, qui ne méritait pas ça.

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      1. Je signe.
        J’avais écrit une histoire à ce propos il y a moult années.
        Je vais la chercher dans mon disque dur et la coller ici.

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      2. Non.
        J’ai lu que le premier paragraphe.
        C’est vraiment trop mauvais.

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  5. Bel article Verano ! Toujours intéressant d’apprendre par ta plume le début du Milan AC version Berlusconi. Et aussi, cette époque où la Serie A était le temple absolu de la défense, des 0-0 et d’un petit nombre de buts… L’antithèse du football germanique !

    Rien que lors de la saison 86-87, on voit Empoli se maintenir en ne marquant que 13 buts en 30 matchs, incroyable ! https://en.wikipedia.org/wiki/1986%E2%80%9387_Serie_A

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