A jamais le premier souvenir

Trente ans…

Nous nous souvenons tous de ce que nous faisions lors des événements marquants qui ont jalonné notre vie, lorsque nous sentions que nous vivions un moment qu’on enseignerait un jour dans les cours d’histoire de notre Bobby. Pour ma génération née entre 1975 et 1985, nous nous souvenons tous de ce que nous faisions le 11 septembre ou à la chute du mur de Berlin pour les plus vieux d’entre nous.

Le foot et le sport en général ont ce pouvoir assez rare de marquer la vie d’une génération voire d’un pays. Et à la différence des évènements précédents, pour une bonne partie d’entre eux ce souvenir s’accompagne des réminiscences de joie ou d’allégresse qui l’accompagnait.

C’est à l’aune de ces évènements que l’on mesure le temps qui passe, que l’on se dit « Put*** déjà 25 ans depuis le titre de 98 ! » Et pour notre génération il faut avouer que nous avons été gâté, les années 90 étant particulièrement fournies en moments vibrants pour le foot français. Certes dans le lot il y a pas mal de mauvais souvenirs, Bari, Kostadinov, la bicyclette de Laslandes, la main de Vata, les finales de Bordeaux ou de l’OM contre Parme, les éliminations douloureuses en pagaille contre les clubs italiens alors que « On a dominé tout le match, font chier avec leur catenaccio. » Mais il y a aussi une quantité de moments mémorables dans une concentration jamais connu par le foot français ni avant ni après.

Chaque saison de coupe d’Europe nous offrait, gratuitement à la télévision, des parcours incroyables pour nous supporter de la D1, Marseille, Paris, Monaco, Nantes, Auxerre, Bordeaux, Lens autant de clubs qui nous auront fait vibrer. Cerise sur le gâteau, la sélection conclura la décennie par deux titres. 

Je supportais tous les clubs français et les matchs sur TF1 étaient un rituel familial. Dès le CP je tannais mon père pour tout regarder avec lui, je le questionnais sans cesse sur les pays de la Coupe du monde italienne. « Mais c’est où la Colombie ? et le Cameroun ? », mes parents m’achetèrent un atlas que je dévorais pour connaître tous les pays. En CE1 je fus obligé d’aller me coucher avant les prolongations de Bari et le lendemain mon copain de classe David, qui avait eu la chance de les voir, me racontait le pénalty raté d’Amoros. En CE2 je découvrais Tintin[1] un 5 mai 1992 de triste mémoire, je voyais Monaco échouer contre le Werder en finale quelques semaines plus tard. Autant de moments qui ont profondément marqué ma mémoire.

Nous voici en 1993, je suis en CM1, je lis tous les guides de foot, collectionne les cartes Panini et lis avec avidité les France Football à la bibliothèque. Bref ça y est je suis un gros mordu de foot. Comme tout enfant qui vit dans une région sans club de D1 (le Centre) je suis avant tout supporter des clubs français même si j’ai déjà une préférence pour le grand club de ma génération, l’OM.

Cette saison reste mémorable, je suis tous les matchs de l’OM, les patates de Sauzée, les buts de Boksic, les matchs tendus contre les Rangers, je ne rate aucune miette de ce que TF1 me permet de regarder. Je suis aussi les parcours de l’AJA ou du PSG en C3, ne pouvant regarder que les demies[2], quand l’histoire s’arrête pour les deux clubs.

Mais un mois plus tard l’OM a l’occasion de les venger, mais aussi d’oublier Bari, la défaite aux tirs au but et globalement toutes ces années d’échecs du foot français. Le match étant un mercredi, pas d’école ! Nous nous retrouvions avec les copains pour jouer au foot tout l’après-midi, nous nous demandions si Van Basten et Papin allaient marquer, si notre club peut le faire ! Nous croyons en Abedi Pelé, en notre paire d’attaquant clinique, aux grosses frappes de Sauzée (que l’on essaye d’imiter en vain). Comme des gosses nous sommes tous surexcités, j’en parle toute la journée et suis devant la télévision à 20h pétante.

Le match se déroule, Boli marque. J’exulte, saute par-dessus la table du salon, cours trois fois autour de la maison et finit par me faire enguirlander par ma mère. La deuxième mi-temps n’est que stress, la frappe de JPP, la tête de Massaro mais finalement la délivrance intervient. Les larmes des joueurs rendent mon visage humide. Que la victoire est agréable, qu’elle est euphorisante, pour un gamin d’à peine 10 ans ce délicieux nectar prend les airs d’une dangereuse drogue.

Une tête légendaire

Ce jour-là, j’ai en effet basculé dans l’amour inconditionnel de l’OM, amour qui serait vite blessé par les révélations de l’affaire Glassmann, la relégation puis les années de yoyo qui suivirent la remontée.

30 ans à supporter un club, ça en fait des purges, des désillusions (l’OM en est spécialiste), des moments de bonheur (plus rares), des supporters en grève mais aussi heureusement des ambiances de feu. En 30 années à suivre l’OM, j’ai sûrement vu plus de chèvres que n’importe quel berger des Cévennes. Dans tous ces moments de détresse je me demande pourquoi je m’inflige cela, pourquoi être supporter d’un club qui gagne si peu avec lequel je n’ai aucune attache familiale et géographique. Dans ces moments j’en veux à ce match qui m’a fait tomber dans cette addiction dont je ne trouve aucune porte de sortie.

Puis je regarde une vidéo de ce 26 mai, mes yeux s’embuent et je me rappelle tous les bons moments que j’ai vécus grâce à l’OM et au foot, je me dis que finalement tout cela vaut bien le coup et je me mets devant un Marseille-Ajaccio…


[1]                    Le soir de la catastrophe de Furiani, au moment d’allumer la TV pour voir la demie de Coupe de France, mon père comprenant la gravité de la situation change rapidement, me disant « le match est annulé, un problème en tribune » et zappe rapidement sur France 3 où commençait la série Tintin en dessin animé. Comprenant plus tard ce qu’il s’était passé, je me souviens très clairement de cette soirée.

[2]                    La C3 était sur Canal, TF1 diffusera seulement les demies où Auxerre se fera éliminer de justesse aux TAB après un match héroïque en Bourgogne tandis que le PSG subira la loi de Baggio.

Un résumé commenté du match
Le match entier pour les plus motivés

15 réflexions sur « A jamais le premier souvenir »

  1. donc tu es de 85 et moi je suis au début du spectre en 75^^ bien pour ça que ton début d’article me parle!! mais en 93 je chante « la bonne mére la cannebière Marseille en flamme Marseille en flamme » dans les travées de GG!! le virus je l’ai chopé ton année de naissance j’ai du le raconter un certains nombre de fois, entre içi et so foot!! mon souvenir de l’om cette année là c’est notre victoire en 1/4 de coupe début Mai 93 et oui^^ (avant notre triste défaite en 1/2 a domicile contre Nantes) avec ce superbe maillot Casino mythique et un non moins mythique joueur à la baguette le grand Lubo!! mon dernier match véhiculé par mes tontons en provenance du cantal (les petites histoires s’intercalant dans la grande haha)avant de définitivement m’installer dans le coin 5 ans plus tard!
    vous n’êtes pas et vous ne serez jamais les 1er puisque d’autres petits hommes verts (en jaune pour l’occasion) vous ont précédés de quelques jours du côté d’Athenes où Fred Forte vole la balle à Toni et réalise l’incroyable en finale^^

    je charrie mais c’est un fort bel article de fort belle facture on est là pour ça!!

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    1. 1983 plutôt! J’ai un pote de mon âge abonné à GG, lui c’était ses grands frères qui l’avait fait basculer dans l’amour des verts, il habitait Caen et allait voir tous les matchs de l’ASSE en D2! Mais même en étant né en 1975 tu n’es pas vraiment dans la période dorée des Verts, dans le début des années 80 c’est plus Bordeaux qui attirent les jeunes, Sainté étant dans la tourmente. En tout cas j’ai eu l’occasion d’aller plusieurs fois à GG et j’ai une affection particulière pour ce club, je préfère largement vos virages que les nôtres, c’est plus bon enfant.

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      1. oui oui je confirme je découvre GG pour fêter mes 10 ans (cadeau des tontons) le 20 Aout 85 contre Le Puy en kop nord (ici on dit kop et pas virage attention c’est important) je migrerai en sud en 2000.

        tu as raison à l’époque on suit Bordeaux, j’habite a 3h de sainté dans le cantal (la route refaite je gagne quasi 1h) je vis avec passion la saison de Bordeaux en c1 et leur grosse grosse équipe de l’époque, je saoule mes oncles qui eux depuis la fin des 60’s sont abonnés à gg (l’un d’eux ira à Glasgow) avec ce Bordeaux mais je suis jamais allé au stade, c’est pour cela qu’ils me font un sacré cadeau surprise en Aout.

        Je chope le virus et pdt 10 ans se sont eux qui me véhicule (souvent en fonction de mes résultats scolaires^^ mes parents n’aiment pas le sport) puis étudiant à Lyon forcément les matchs a GG deviennent immanquables et j’arrive en ville en 99
        méfies toi du côté bon enfant surtout en nord (tribune historiquement active depuis les 60’s) plus difficile de faire bouger la sud

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  2. Merci Rui, un peu de nostalgie, ça ne peut pas nuire 😉
    Étrangement, j’ai bien plus de souvenirs de la finale de 1991 à Bari. Peut être parce que ce soir là je me suis dit que l’OM et les clubs français n’y arriveraient jamais. Ou par goût de la lose… J’aimais déjà l’OM et sous l’ère Tapie j’avais déjà vécu bien des désillusions : la demi-finale de C2 perdue contre l’Ajax, la main de Vata et cet échec contre l’Etoile Rouge. Tout cela m’avait convaincu que la France ne pouvait gagner une Coupe d’Europe. J’avais été peiné pour JPP, Waddle, Boli bien sûr mais surtout pour Bruno Germain, le p’tit gars de l’USO qui avait perdu la finale de Coupe de France 1980 contre l’ASM. En 1993, je crois que j’ai regardé cette finale avec détachement. J’avais compris que les défaites ou les victoires se jouaient souvent hors des limites des pelouses, trop d’arbitrages douteux, trop de médicaments (j’avais vu les mutations, pour ne pas dire les mutants, en Italie). Ce titre fut une joie, mais je suis sûr qu’elle n’était rien à côté de ce qu’elle aurait été en 1991.

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  3. Autant, j’étais pour l’Etoile Rouge en 91, autant j’étais très heureux de la victoire marseillaise à Munich. Quel match de patron du jeune Barthez! J’avais vu ses debuts l’année précédente à Toulouse où jouait encore pour quelques mois Marcico. Le souvenir d’une reprise de volée magnifique de Calderaro, à cinq mètres du but toulousain. Et un Barthez chevelu qui claque une parade d’un autre monde…
    Sur cette action, je me suis dit qu’il était à part.

    Après la tete de Boli face au PSG, le dernier match de la saison 93 était à Toulouse. Grand souvenir. Barthez qui arrive au Stadium avec la c1 dans les mains, la première fois que je la voyais, et une victoire 3 à 1 du Tefece grâce à Bancarel!
    A la boxe, Toulouse serait donc devenu le premier vainqueur d’un champion d’Europe en titre donc le nouveau champion. Haha
    Bon, on est descendu l’année suivante…

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  4. Né en 93, je n’ai malheureusement pas connu la décennie dorée du football français (90/2000), la première épopée européenne (et quelle épopée !) que j’ai vraiment vécue étant celle de l’ASM en 2003/2004. Je n’ai pratiquement aucun souvenir de 98, et pour 2000 je ne me souviens que de la finale.

    Pour 93, ce ne fut qu’une finale perdue pour le Milan, le club étant tellement puissant qu’ils étaient convaincu d’en gagner une autre la saison d’après, ce qu’ils ont réussi à faire les bougres, et avec la manière de surcroît, mais il fallut attendre ensuite 2003 pour la suivante.

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  5. OM, Lens….. Je viens d’apprendre, aujourd’hui, que moitié de mes collègues féminines françaises (beaucoup de Français là où je bosse) étaient raides dingues de foot – l’une de Lens c’est certain, l’autre y a l’EDF et..??

    Accros et connaisseuses de surcroît!, c’est rare en Belgique chez les femmes..

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    1. Déniché par Goethals……..alors que le Croate de Split Ivic (un tout grand, pourtant!) ne connaissait même pas Boksic..

      Envoyé en purgatoire à Cannes par Tapie, lequel ne jurait que par rendements immédiats et noms ronflants..

      Goethals ruse alors, en usant de ses relais en Belgique (il provoqua de toutes pièces, habilement, l’intérêt du FC Malines pour Boksic), pour convaincre Tapie de réintégrer Boksic dans le noyau de l’OM.. Tapie l’apprit, se dit que si Malines (club alors infaillible sur le recrutement) s’y intéressait c’est qu’il y avait de quoi.. Quant au reste : ben vous connaissez, pardi.

      Goethals, roi de la tactique, de la débrouille et du scouting! Je serais tchétchène que je dirais pareil : l’OM lui doit énormément! (Tapie ne croyait pas non plus en Sauzée, Völler c’est un choix subtilement imposé contre Tapie qui y préférait je ne sais plus quelle star surfaite/surfacturée, d’autres encore..).

      Goethals fit cela toute sa carrière durant (le bien peu glamour Den Boer aux Girondins, tiens..en tenant ce-faisant tête à un Claude Bez qui pensait que le Belge se foutait de sa gueule) : aucun attrait pour les grands noms, seuls lui importaient la mentalité de l’individu-joueur et l’équilibre de l’ensemble ; ses succès (et ceux qu’il eût dû glaner) lui donnèrent toujours raison, fortiche.

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  6. Je me rappelle très imparfaitement ce match, dont le déroulement ne fut guère bandant.

    Par contre, et que les Ohémiens me pardonnent : je me rappelle de A à Z de l’enchaînement avec l’affaire…….. Loin de moi de vouloir réduire ce sacre européen à cette histoire, j’ai d’ailleurs écrit plus bas trouver, en substance, le sacre ohémien a minima aussi respectable (voire plus!) que bonne moitié probablement des titres historiques en C1 ; rien à voir avec les guéguerres/ histoires de quéquettes d’entre supporters de l’OM et du PSG. Mais il y avait une telle violence dans ce basculement soudain de tout à rien, wouaaaah………….. La roche tarpéienne, beaucoup plus fort qu’un Virenque (& Co) rattrapés par la cavalerie lourde, ou que sais-je encore.. Un choc!

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    1. Et je me rappelle beaucoup mieux de ce que je faisais quand les Bleus remportèrent la WC98! : un festival à la frontière française, j’y suivis d’abord la finale sur un écran géant avant de découvrir live, me disais-je, les revenants-culte de Echo & the Bunnymen………….mais sitôt le coup de sifflet final donné, patatras : ce fut juste pas possible, beaucoup trop de footix dans la foule, des types qui n’entravaient pour plupart rien au foot (mais dont la joie était légitime, ça je respecterai toujours)…….. Le festival partit un brin en couilles.

      Pas l’impression d’avoir raté grand-chose toutefois, groupe a priori trop « mou » pour ce genre d’endroit, pas bien grave tout cela. Mais sur le coup, ce fut un peu saoulant.

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      1. Et, ah oui : un « festivalier » (le public était bizarre ce jour de finale-là, genre pas à sa place) visita la tente que je partageais dans la foulée du sacre français : vol de toutes les affaires de mon hôte + de la seule fringue à laquelle m’arriva de m’attacher, un t-shirt « Einstürzende Neubauten » daté de la seconde moitié des 80’s…………… Centaines de tentes visitées de la sorte, une première pour ce festival jusqu’alors pépère.. Vive le foot, lol

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