Trilogie chilienne – Des mineurs dans le désert

Avant de commencer ce texte sur le club de Cobreloa et sa région, j’ai demandé au plus sud-américain de nos rédacteurs, Ajde, si il était déjà allé dans le coin et comment il pourrait décrire les lieux. Il m’a répondu poussière et aridité. Je reprendrai donc ses mots…

Poussière et aridité, 1915… Faut s’imaginer la tronche déconfite des premiers arrivants à Chuquicamata, la plus grand mine de cuivre à ciel ouvert du monde. Le Chili a un siècle d’indépendance, tout rond, et cette région du nord du pays, l’Antofagasta, a longtemps été source de conflits meurtriers avec la Bolivie. Il n’y a rien, mise à part quelques familles quechuas éparpillées ça et là. Séduits par les perspectives de ce nouveau monde, ce Western à la sauce chili, ou fuyant simplement la misère, éloignés de tout et de tous, ces milliers de mineurs néophytes et leurs familles vont se construire un monde distinct. Et élaborer jour après jour leurs propres règles et codes…

La mine est le point névralgique de la cité. Campement, rangées de maisons identiques où se mélangent mineurs, infirmiers ou mécaniciens. Hôpital, école, un monde clos où tout le monde se connaît. Où l’on sait décrypter instinctivement les pensées obscures du voisin. Que l’on jure de quitter prochainement. Ce que l’on fait rarement, voire jamais… Les mineurs ne paient pas le gaz ni l’eau. Il n’y qu’une seule grande place. C’est sur ses quelques bancs vivement disputés que les anciens admirent les parades annuelles des fanfares. Ou que les jeunes tentent vainement de dissimuler les premiers émois. Un quotidien communautaire éprouvant, fait de labeurs, privations et de promiscuité. Mais d’où jaillit un formidable sentiment d’appartenance. Et une multitude de moments de partage et de joie fouettés par le vent.

Un étendard

Les décennies passant, la population de Chuquicamata et de Calama, la ville dortoir jouxtant la mine, rêve au grand jour d’une entité sportive la représentant. Bien que soutenu par la Codelco, mastodonte mondial dans l’extraction du cuivre, la Fédération chilienne rechigne à offir un statut professionnel aux différents projets. L’éloignement géographique semble rédhibitoire, malgré la promesse faite par la Codelco de prendre en charge les déplacements des adversaires, et les mineurs du coin, qui ne cessent de voir leur nombre augmenter, n’ont que quelques rencontres amicales à se mettre sous la dent. Pas de quoi se sentir reconnus ni assouvir leur passion…

La milieu des années 1970 sera décisif. Sous l’action conjointe de la Codelco et des différents gouverneurs de la région, la Fédération, à la botte de la junte, ne peut plus snober un des centres économiques vitaux du pays. Les villes de Calama et Chuquicamata se mobilisent pendant de longs mois et lancent de vastes campagnes de soutien au cri de « Maintenant ou jamais ! » La majorité de clubs professionnels votent pour une accession au second échelon en 1977. Le 7 janvier est crée Cobreloa. Cobre pour le cuivre, Loa pour sa province d’appartenance.

Cobreloa l’impatient va se doter de l’expertise des plus fins. Fernando Riera, la tête pensante de la discipline, coach lors du bronze au Mondial 1962, supervise l’organigramme technique du club. L’immense vétéran Chamaco Valdés, le jumeau de Carlos Caszely au sein du Colo-Colo carnassier de 1973, accepte de porter sa tunique. Cobreloa accède à l’élite en 1978, dès sa première année d’existence… Nanti de conditions climatiques insoutenables pour l’adversaire, l’Estadio Zorros del Desierto devient immédiatement un enfer, une citadelle imprenable. Bien aidées par les réflexes intactes du vieux Ladislao Mazurkiewicz, las hinchas Naranjas sont dauphines de première division en 1978 et 1979, pour leur découverte d’un monde professionnel qui s’est si longtemps refusé à elles.

Ladislao Mazurkiewicz, à gauche

Du grain de sable aux sommets du continent en l’espace de quatre ans

La prise de poste en 1980 en tant que coach de Vicente Cantatore, pourtant fraîchement accueilli par son groupe, est la dernière pièce du puzzle vers l’excellence. Le gardien Óscar Wirth arrive dans les bagages du technicien argentin, Cobreola est champion sans aucune discussion et entame une formidable série d’invincibilité à domicile de cinq ans, soit 91 matchs ! Afin d’affronter la Libertadores l’année suivante, la base de l’équipe est conservée. A l’exception notable du recrutement du duo uruguayen Washington Olivera et Jorge Luis Siviero qui s’avéra judicieux. Ayant joué la sécurité à l’extérieur au premier tour, les Chiliens se transforment en ouragan à Calama et infligent deux corrections similaires, 6 à 1, aux Péruviens du Sporting Cristal et de l’Atlético Torino. Au grand dam de la star du Sporting Cristal, Julio César Uribe, qui, lassé du marquage plus que viril de Hugo Tabilo, lui administre une splendide manchette dans le pif !

Nullement impressionné par le curriculum vitae du Nacional et de Peñarol au tour suivant, Cobreloa va épater les observateurs et prendre possession de Montevideo et du Centenario en l’espace de quelques jours. Nacional est le premier à céder sur une frappe du traître Washington Olivera qui surprend son compatriote Rodríguez. Avant que ce même Olivera ne crucifie la bande de Rubén Paz dans un Centenario aphone où seuls survivent les cris de joie de la petite soixantaine de Chiliens présents. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la branche sportive de la Codelco aura mis uniquement quatre ans pour devenir un cador continental. Le Flamengo de Zico est prévenu. Los Mineros ne font pas de prisonnier…

La première mi-temps de la finale au Maracanã est néanmoins un calvaire pour Cobreloa. Le Pelé Blanc a déjà scoré un doublé et les consignes désespérées de Cantatore se noient sous le bruit de la torcida. N’ayant plus rien à perdre, les Chiliens se ressaisissent enfin en seconde période et arrachent un penalty aux allures de sursis. Un seul but de retard à combler dans leur horizon caillouteux. Le peuple d’Antofagasta y croit. Ses joueurs vont employer tous les moyens possibles… Mario Soto, le capitaine, est un dur à cuire. Et un rancunier. Il réserve aux Brésiliens un accueil qu’ils n’oublieront pas de si tôt. Dès le début de la rencontre, il balance un immense coup de coude qui met KO le pauvre Adilson. Visiblement pas rassasié, Soto le vengeur masqué, armé d’une pierre dans la main, s’occupe des cas de Lico et Adílio. Résultat des courses ? Les deux sortent du terrain, l’arcade ensanglantée ! L’arbitre n’y voit que du feu ou fait mine de. Flamengo s’incline par le plus petit écart. Pour la belle, jouée au Centenario, le coach de Flamengo, Paulo César Carpegianni, a retenu la leçon et fait sciemment monter la température de ses défenseurs pendant la préparation. Les ombrageux Carlos Mozer et Leando n’en demandaient pas tant, Flamengo est cette fois-ci prêt pour la castagne… Cinq expulsions plus tard, le génial Zico soulève son unique Libertadores.

Le jour de gloire de Fernando Morena

En 1982, Cobreloa recrute celui qui deviendra son plus grand joueur offensif, en la personne de Juan Carlos Letelier. Le titre national acquis, los Mineros ne pensent plus qu’à effacer le triste souvenir de la finale de Libertadores perdue face à Flamengo, qui demeure à ce jour leur unique accroc. Profitant de leur invincibilité à Calama et d’un tirage au sort plutôt clément, Cobreloa se débarrasse sans trop de difficulté de Católica, Olimpia et du Deportivo Tolima et voit poindre l’ombre d’un autre géant continental, Peñarol.

Juan Carlos Letelier

Le parcours du Decano pour atteindre la finale a été bien plus ardu. Saõ Paulo et Gremio au premier tour, les dépouilles de River et du tenant, Flamengo, au second, la bande de Fernando Morena s’est montrée exemplaire. Le vieux buteur, visiblement rajeuni par l’air océanique de Montevideo, marche sur l’eau mais le souvenir de la défaite cuisante à domicile l’année précédente face à ces mêmes Chiliens invite à la prudence.

L’aller confirme les craintes. Bien que soutenu par 45 000 fans surexcités, Peñarol se casse les dents sur une muraille et ne trouve pas la faille. Un 0-0 fêté comme il se doit par les Chiliens, qui bien que ne pouvant jouer dans leur vetuste stade de Calama, sont certains que Santiago leurs sera une nouvelle fois favorable. Merello témoigne : « C’était un environnement très propice, nous venions de sauver un match nul très précieux, avec le goût de la victoire. En dehors de cela, sur le papier, Peñarol était plus accessible. Flamengo était la base de l’équipe brésilienne en Espagne 1982. » Morena ne le contredit pas, « tout le monde pensait plus que toute chose au troisième match. » La rencontre sera tendue jusqu’à ses dernières secondes et tout indique que les belligérants se retrouveront dans quelques jours en terrain neutre lorsque Venancio Ramos lance une contre-attaque supersonique que conclut Morena d’un subtil pied gauche. Peñarol s’offre sa quatrième Libertadores, los Mineros s’effondrent. Les âmes damnées de l’Estadio Nacional peinent à les consoler…

Le but fatal de Morena

Les vieux fans de Cobreloa en sont convaincus. S’ils avaient pu recevoir le retour chez eux, à Calama, le sort de la rencontre aurait été bien different. Les années 1980 imposeront le club en tant qu’indiscutable quatrième force du pays, après la triade indéboulonnable de la U, UC ou du Cacique. Los Mineros célébreront de multiples titres et vibreront devant la classe immense des Marcelo Trobbiani ou autre Alexis Sánchez. A contrario, dans un monde qui n’est plus le sien, le campement de Chuquicamata perdra peu à peu ses effectifs, jusqu’à sa fermeture définitive en 2007. Après 92 ans d’existence… Accompagnant fidèlement le déclin de Chuquicamata, à la suite de son huitième titre en 2004, l’étoile de Cobreloa ne cessera de pâlir. Une longue agonie conduisant à une descente inéluctable en 2015. Loin des fastes de leur jeunesse, les fiers mineurs mettront huit ans à ressortir du tunnel…

21 réflexions sur « Trilogie chilienne – Des mineurs dans le désert »

  1. Gracias Khia.
    Dans le même esprit… A Rancagua, petite cité minière perdue dans les brouillards au sud de Santiago, la Braden Copper Company est à l’origine du club de O’ Higgins. Le stade (qui porte le nom de la Compagnie) a accueilli quelques matchs de la CM 1962, notamment Argentine-Angleterre.

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  2. Je savais que j’en apprendrais, mais à ce point, lol.. Bon : tout est neuf, génial!

    Mazurkiewicz (ça parlait de « h » ajoutés à la fin des patronymes slaves.. ==> pourquoi n’a-t-il hispanifié son nom??) au fin fond de l’Atacama

    Il valait quoi, le Merello dont je lis (tu as ouvert ma curiosité) qu’il inscrivit les buts chiliens en finale? Et qui finit second meilleur buteur du tournoi derrière l’inévitable Zico? C’était un médian, c’est ça?

    Pas vu d’images, mais Cobreola semble avoir loupé le coche dans la belle : certes ils sont à ce moment menés 1-0..mais à compter de la demi-heure de jeu ils se retrouvent en supériorité numérique……….qui ne dura qu’une poignée de minutes, lol : dès la 35ème, eux aussi sont réduits à 10.

    Et apparemment tout ça finit en foire au boudin : 3 expulsions à la 90ème minute, éhéh.

    Détail qui tue : montée au jeu dudit Anselmo à la 90ème..et il est expulsé une minute plus tard, éhéh..

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    1. Merello est considéré comme un titulaire indiscutable du onze historique de Cobreloa mais je mettrais plus en avant Mario Soto, l’homme à la pierre, qui a une vraie carrière en sélection. Il est du Mondial 82 et a une 3ème finale de Libertadores perdue en 75 avec Union Española.

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    2. Ou Oscar Wirth, gardien titulaire au Mondial 82 et à nouveau finaliste de la Libertadores en 93, avec Catolica. Face au Sao Paulo de Rai. Enfin Letelier qui est un des mecs les plus importants de la décennie et finaliste de la Copa America 87. Apres avoir démonté 4 à 0 le Bresil.

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    3. 4 ans pour atteindre les sommets du continent, je ne sais pas si on peut trouver des exemples similaires. En Europe et Amérique du Sud, je ne vois pas. Peut-être sur les autres continents…

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  3. Merci Khidia pour ce voyage en terres inhospitalières. J’ai des souvenirs de ces deux parcours en Libertadores au début des années 80, mais je ne me rappelais pas de la violence des matchs.

    En parlant de Cobreloa et Cobresal, je vois que ce sont deux clubs rivaux, mais il doit y avoir quelque chose en commun dans leur origine (même couleurs, écusson très semblable).

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    1. Bison. Ce sont les mêmes origines. Villes de mineurs, perdues dans le désert. Cobresal est légèrement plus jeune. C’est dans ce club que Zamorano commencera à se faire connaître, avant un étonnant transfert à St Gall. Où ça s’est plutôt bien passé puisque Seville ira le chercher. Ils ont quand même eu de chouettes avant-centres les rivaux du Sevilla FC. Polster, Suker, Zamorano, Luis Fabiano, Kanoute… On a jamais réussi à avoir des cadors au Betis ces 30 dernières années. Ricardo Oliveira aurait pu devenir une référence mais il est parti trop vite et je ne le mets pas à leurs niveaux evidemment.

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      1. Ricardo Oliviera qui jouait encore l’année dernière à 43 ans au Brasilia (je suppose qu’il n’a joué que le championnat de l’Etat) mais il y a deux ans au Paranaense en première division (uniquement 9 matchs, cependant). Un joueur de grande classe mais avec une carrière en demi-teinte, à mon avis.

        Mais évidemment à côté de liste d’avant-centres du Sevilla que tu viens de citer, il n’y pas photo.

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  4. Belle histoire que je ne connaissais pas. Certains noms rappellent le Mundialito de 1980. Dommage que l’entraîneur qui les a fait monter n’est pas celui qui les a amenés au titre de champion de première division, au contraire d’un José Arribas à Nantes, d’un Lucien Leduc à Monaco et surtout d’un Brian Clough qui a réussi cet exploit deux fois. L’un avec Derby County et l’autre avec Nottingham Forest (qui a aussi connu deux finales de C1 mais elles gagnées, après sa promotion en première division et son titre de champion de première division). Mais ce Brian (qui était dans la kitchen pour convaincre Gemmill de signer) avait Peter Taylor pour l’aider.

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    1. Cantatore, le coach du premier titre et des finales de Libertadores, est également celui qui amène le Mortero Aravena, dont j’ai parlé dans la deuxième partie de la trilogie, à Valladolid. D’ailleurs, il est resté attaché à celle ville puisqu’il y a fini sa vie en 2021. Une grosse expérience en Liga. Le superbe Sevilla FC en 90, avec Polster et Dassaev, c’est lui. Il entraînera le rival du Betis.

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      1. Il a raté Diego à Séville ?
        Zico et Messi ont comme point commun d’avoir été soignés quand ils étaient jeunes, ce qui leur a permis de grandir ou de s’étoffer physiquement. Mais comment s’appelle le docteur qui a donc permis à Messi d’avoir sa si belle carrière et que Messi remercie souvent ?

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