La bataille de Glasgow : Jinky et les Argentins

De 1963 à 1975, des batailles, Jimmy Jinky Johnstone en a connu des dizaines sur des champs écossais transformés chaque hiver en infâmes bourbiers. Saison après saison, son Celtic frustre les Rangers et chaque Old Firm est une lutte acharnée, l’expression ultime d’une rivalité sportive soutenue par les antagonismes entre protestants fidèles à la Couronne et catholiques nationalistes sensibles aux revendications de l’IRA, en plein conflit nord-irlandais.

Les souvenirs de Jinky

Pourtant, avant que la maladie de Charcot ne le ronge, ce sont ses duels face aux Argentins dont Jinky se souvient le mieux, en particulier deux matches entrés dans la légende sous le nom de « bataille de Montevideo » et « bataille de Glasgow ». Des batailles ? Il ne faut pas imaginer des combats où le respect des usages le dispute à l’élégance du geste. Dans les faits, ce sont d’infâmes rixes sans caméra pour surveiller les coins les plus reculés des rectangles verts. Les règles sont celles de la rue, quand des balourds bas du front corrigent des petits malins comme Johnstone sous la lumière blafarde d’un lampadaire devant des attroupements de voyeurs excités par le sang.

Un drôle de type, ce Jinky. Minuscule rouquin foudroyant dès ses débuts, il peine à confirmer. Il faut l’arrivée de Jock Stein et une conversation dans les chiottes de Celtic Park pour qu’il s’extraie de l’équipe réserve à partir de 1965. Pour être franc, il n’est pas très beau et ses yeux toujours en mouvement, légèrement globuleux, évoquent Marty Feldman, avorton inquiétant que personne n’a envie de croiser près d’un poteau de corner mal éclairé.

Marty Feldman

Jinky et le Racing Club

Venons-en aux faits. Mai 1967, le Celtic donne un coup de vieux à l’Inter de Helenio Herrera en s’imposant en finale de Coupe des clubs champions et obtient le droit de défier en match aller-retour le vainqueur de la Copa Libertadores, Coupe Intercontinentale en jeu. L’adversaire est le Racing Club, surnommé « el equipo de José » tant les joueurs de la Academia sont acquis aux principes  de de son entraineur, Juan José Pizzuti. Une formation dure, très dure, dont les oppositions avec l’Estudiantes d’Osvaldo Zubeldía sont des moments de bravoure. Humberto Maschio, l’ancien carasucia de 1957, et El Chango Cardenas, le goleador, donnent une touche de noblesse à cette Academia n’ayant plus grand chose à voir avec celle élégante et tricampeón de Guillermo Stábile au tournant des années 1950.

Bagarres et interventions policières à Montevideo.

A Celtic Park, Jinky fait connaissance avec Coco Basile, El Mariscal Perfumo, Oscar Martín et Rubén Díaz, alias Panadero (Le Boulanger, le métier de son père), le latéral gauche chargé de le marquer. Le match est musclé mais les Ecossais s’imposent. Au retour, dans un Cilindro en fusion, le Racing prend sa revanche en durcissant le jeu mais cela reste dans les limites du supportable. Puis vient le match d’appui, « la bataille de Montevideo » début novembre 1967. Une parodie. La rencontre part en vrille dès les premiers instants et l’arbitre paraguayen Pérez Osório perd pied. Le match n’est qu’une succession de fautes et d’agressions, à peine éclairé par une fulgurance de Cardenas offrant le titre au Racing. Sept joueurs sont exclus, dont deux restent sur la pelouse en désobéissant à l’arbitre sans qu’il ne trouve à y redire. Alors qu’il est saoulé de coups, Pérez Osório réalise un tour de force en expulsant Jinky. Dans Miroir du Football, François Thébaud témoigne : « Celui qui a été la cible constante de toutes les agressions (…) est devenu la victime d’un homme dont l’objectif était de protéger les faussaires. » Au retour à Glasgow, les dirigeants du Celtic sanctionnent financièrement leurs joueurs sans que l’on sache s’il s’agit de les punir pour les incidents ou pour la défaite.

Jinky et l’Atlético

Les années passent, le Celtic de Johnstone règne toujours sur l’Ecosse et rêve de conquérir un nouveau titre européen. Finalistes en 1970 et demi-finalistes en 1972, the Bhoys atteignent encore le dernier carré en 1974 avec l’Atlético Madrid pour adversaire. 

L’Atlético 1974 est celui du coach argentin El Toto Lorenzo, dont les méthodes parviennent à réconcilier l’ésotérisme le plus niais et le pragmatisme le plus grossier. Si l’on devait l’affubler d’une devise, ce serait « la fin justifie les moyens ». Maladivement superstitieux, obsédé par la neutralisation des points forts adverses, El Toto impose à ses joueurs ses schémas rigides et ses multiples rituels, comme cette manie de leur faire chanter « Qué viva España » à chaque déplacement au prétexte que cela porterait bonheur. 

Les Colchoneros s’appuient sur une large colonie argentine, dont des oriundos[1], et lors du match aller à Glasgow, ils sont quatre à débuter : El Ratón Ayala en pointe, Ramón Heredia, Iselín Ovejero et Panadero Díaz dans une ligne de défense renforcée. Le Vicente Calderón adule ces brutes épaisses à qui le ballon brûle les pieds, notamment El Cacique Ovejero dont le physique évoque bien plus celui d’un catcheur que d’un footballeur. Charmant en dehors du terrain, en costumes de flanelle tendus à l’extrême par un torse surdéveloppé, il ne peut masquer son statut d’homme de main s’autorisant le passage à tabac de son acolyte Panadero Díaz lors d’un entraînement.

Panadero !

Est-ce par esprit de vengeance que Panadero passe de victime à bourreau face à Jimmy Johnstone ? Le latéral gaucho est un repris de justice en liberté conditionnelle prêt à récidiver. N’ayant rien oublié du passé, Panadero applique à Jinky le même traitement qu’à Montevideo, tentant d’anéantir la Puce Volante comme s’il s’agissait d’une vulgaire vermine. Les agressions sont innombrables, parfois invraisemblables avec le regard d’aujourd’hui. L’arbitre turc Doğan Babacan sanctionne à répétition les joueurs de l’Atléti sans que cela n’altère leur violence : ils récoltent 13 cartons jaunes et trois rouges. Acculés devant leur but qu’ils protègent comme des desperados, ils tiennent le 0-0 jusqu’au coup de sifflet final, moment que choisissent les protagonistes pour déclencher une bagarre générale dans la nuit brumeuse de Celtic Park.

En se qualifiant pour la finale au match retour, les Madrilènes deviennent définitivement les héros de « la Bataille de Glasgow », même si le Bayern les prive sur le fil du titre européen 1974. Pour the Bhoys de Jock Stein, l’ère glorieuse s’achève sur un neuvième titre de champion consécutif. La saison suivante, les Rangers reviennent au premier plan et Jimmy Johnstone, dont les relations avec l’alcool et ses dirigeants sont de plus en plus compliquées, quitte définitivement le Celtic, ignorant encore qu’il sera désigné par les fans « plus grand joueur de l’histoire du club ».


[1] Les Oriundos sont des personnes d’origine espagnole ayant en général la double nationalité. Ils correspondent aux Oriundi en Italie.

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31 réflexions sur « La bataille de Glasgow : Jinky et les Argentins »

    1. J’allais proposer Chelsea, je ne sais plus quelle saison..puis en vérifiant, la numérotation était non pas à l’arrière, mais sur le flanc du maillot.

      Le football écossais des 70’s figurait certainement parmi l’avant-garde rayon merchandising.

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  1. Merci Verano pour ce beau Western et son ambiance presque palpable, on s’y croirait ici aussi! Merci surtout pour la petite précision concernant la différence entre « Oriundos » et « Oriundi », toujours intéressant à savoir…

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  2. C’est beau, c’est Verano.
    Merci bien !
    Toujours aussi incroyable, cette « bataille de Montevideo » avec les joueurs expulsés qui refusent de sortir… Qu’est-il arrivé à l’arbitre ? A-t-il été sanctionné ? Et aux joueurs refusant d’obtempérer ?

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      1. Juste une petite anecdote. Le surnom Cesar du capitaine McNeill est une idée de John Colrain dont je cause aujourd’hui dans mon texte. C’est un hommage à Cesar Romero, un des membres du premier Ocean Eleven et meme un rôle du Joker!

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  3. Ca a l’air incroyable. J vais tenter de trouver des extraits de match.
    Avec Simeone c’est la perpétuation d’une tradition apparement (même si quand meme ça a l air beaucoup moins violent).

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    1. Tu peux déjà tenter tous les matchs de Coupe Intercontinentale de 67-68-69-70, y’a du lourd avec les artistes d’Estudiantes.
      Après tu peux effectivement enchainer par les matchs de l’Atlético Madrid des 70’s 😀

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      1. Eheh entre les discussions sur la boxe et celles sur l Atletico c est combat, combat!
        C est khia qui déteint ou quoi ?

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  4. Je n’ose imaginer Ben Barek, lui l’artiste, entouré de bouchers à l’Atletico !

    Comme disait Rous, les Argentins sont des « animals ». The Animals, par ailleurs, très bon groupe de rock/rhythm ‘n’ blues british avec Eric Burdon qui vocalement enfonçait tous les autres (coucou John) à l’exception de Steve Winwood.

    Les Ecossais n’étaient pas non plus les derniers à mettre la semelle. Remember le match Celtic-St Etienne où les Verts furent broyés 4 à 0, sous les yeux d’un arbitre assez indulgent pour les tacles écossais. Pour un match amical, de retour de Lisbonne, contre le Real , qui plus est le testimonial de Di Stéfano, ils trouvèrent le moyen de s’embrouiller et d’échanger des coups avec les Madrilènes, entraînant les expulsions de Auld et du sanguin Amancio. Ce 6 juin 1967, Di Stéfano joua les 14 premières minutes de son tout dernier match , à près de 41 ans.

    De ces finales intercontinentales on ne voyait heureusement que quelques images au JT. Je me souviens d’une image affreuse: un gardien argentin, je crois, qui file plusieurs gros pointus dans les côtes d’un adversaire à terre (une « Pepe » en somme). Il avait été suspendu à vie. Le nom et l’équipe ?

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    1. Tu dois faire référence à Poletti, gardien d’Estudiantes ayant participé au massacre des Milanais. Après le scandale du match retour à la Bombanera, il fait quelques semaines de prison (avec Aguirre Suárez et Madero) mais rejoue par la suite.

      Quant au jubilé Di Stefano, je me demande si ton chauvinisme ne s’exprime pas de manière éhontée 😉
      Les joueurs du Real, notamment Amancio (excellent joueur mais quel connard !), disjonctent quand leur propre public crie des olé à chaque passe du Celtic. Les Merengues sont à la rue et reprochent aux Écossais, notamment Jinky, de gâcher la fête en chambrant leurs hôtes.

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  5. La finale Inter-Celtic, commentée par un Thierry Roland pas encore franchouillard, fut une des plus fantastiques à voir pour le festival offensif des Ecossais. Sans un incroyable Sarti, on aurait dépassé peut-être les 7 buts du Real.

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  6. grande Verano comme d’hab et j’aime beaucoup les photos que tu as glissé dans l’article limites flippantes bien dans le ‘ton » de l’article et de la guerre sur le terrain!!
    toujours aussi fort pour capter et nous faire vivre l’ambiance du moment, comme dit calcio ambiance western!
    tu en avais parlé de ces matchs dans des com sur so foot il me semble et de cet independiente dont tu parles toujours avec beauté!
    j’allais dire que c’est presque une tradition argentine, les grandes équipes on toujours eu peut être pas des bouchers mais des combattants des durs on parle de la « garra charrua » Uruguayenne mais y’a quelque chose comme ça dans les équipes Argentine (l’ADN du rio de la plata?^^)

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    1. Gracias amigo. Certaines équipes argentines se sont en effet constitué un palmarès sur la base d’un jeu âpre (pour rester poli). Estudiantes évidemment avec ses 3 Libertadores consécutives dans les 60es, Boca de Lorenzo fin des 70es, Vélez depuis toujours…
      A l’inverse, Independiente, River ont plutôt une réputation de beau. Mais avec comme tu dis « des bouchers » dans leurs rangs. En 1986, River gagne la Libertadores avec Francescoli et Beto Alonso mais aussi Oscar Ruggeri en chef de défense…

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  7. Ah oui le fameux poète Poletti.

    D’après ce que j’ai vu les Ecossais mettent quand même des tacles appuyés comme s’il s’agissait d’un match de C1. Ceci dit les Merengues étaient inférieurs.
    La différence de niveau était encore plus criante lors de la finale retour télévisée Real-Penarol, 0-2 avec un fantastique Spencer. Le lendemain L’Equipe fit un papier dithyrambique sur lui faisant un parallèle avec Pelé et Eusebio en en faisant la 3ème « perle noire ». Malheureusement on ne l’a jamais revu.

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    1. Peu d’occasions de voir Peñarol et Spencer en Europe dans les 60es hormis peut-être quelques tournois estivaux espagnols. Et l’Equateur n’existe pas sur le plan international à l’époque. Il fallait vivre en Amsud pour le voir jouer.

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      1. Aujourd’hui il jouerait au Real.

        Si les hispanophiles du site pouvaient nous concocter un article sur Alberto Machimbarrena et les frères Aranguren, ça serait sympa, les archives internet en français étant insuffisantes voire inexistantes.

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