Au bonheur des ‘Dam

Une poignée de photos, quelques lignes à peine de commentaires… Nous vous proposons de la sorte de replonger dans l’Histoire du football, et de redécouvrir les liens qu’il aura nourris avec l’évolution de nos sociétés.

Aujourd’hui : une histoire de machines à laver…

Stade De Kuip, 1970. Les joueurs de Feyenoord, fraîchement sacrés Champions d’Europe, posent avec les 11 machines à laver offertes aux vainqueurs à l’initiative de l’entrepreneur Gérard De Lange. Le back-droit Piet Romeijn ayant été remplacé à la mi-temps par le défenseur Guus Haak, l’histoire ne dit cependant pas lequel des deux eut des comptes à rendre le soir venu à son épouse.
Gérard De Lange, 1975. Propriétaire de 45 succursales dans les années 1970, il était alors le magnat de l’électroménager aux Pays-Bas. Apôtre du crédit à la consommation et du marché globalisé, De Lange serait, avec le groupe Philips, l’un des fossoyeurs des marques néerlandaises de l’électroménager, telles Neerlandia et Bico. Son empire s’effondra quand, dans la foulée et sous prétexte d’un mouvement syndical, la banque AMRO (elle-même en difficulté) lui coupa en 1983 le robinet du crédit.
Lave-linge de marque Neerlandia, années 1950-1960. Jusqu’aux années 1950, quasi-aucun ménage néerlandais ne disposait du moindre lave-linge électrique. Mais à compter de 1954, et pour la première fois : les salaires augmentèrent plus vite que le coût de la vie, tandis qu’en 1957 les épouses étaient décisivement autorisées à prendre seules des décisions engageant des dépenses conséquentes au sein de leur famille. Reines incontestables désormais du foyer, les femmes deviendraient aussitôt la cible première des publicités pour les électroménagers, dont le vecteur principal tint assurément aux images martelées en boucle par ledit Polygoon Journaal. Dopés par cette fièvre consumériste, les frères Klaas et Cees Molenaar, originaires de l’hinterland Nord-Ouest d’Amsterdam, y portèrent la taille de leur commerce, lancé en 1953, de 60m² à quelque 12.000m² en 1975, ce qui en faisait tout bonnement le plus vaste temple européen de la consommation. Concomitamment et en 15 ans à peine, de 1957 à 1972, le nombre de foyers disposant d’une machine à laver passerait de 31 à 86%.
Les grands magasins Wastora, Zaandam (Nord-Ouest d’Amsterdam), 1983. Propriété donc des susmentionnés frères Molenaar, le complexe Wastora (abréviation néerlandaise de « machines à laver, aspirateurs et radios ») fut le premier du genre aux Pays-Bas à se doter d’escalators mécaniques, mais aussi voire surtout d’un « mur de télévisions ». Parmi celles-ci : plusieurs téléviseurs d’une valeur supérieure à mille florins… et un appareil moins cher, certes !… mais dont l’image était à tel point (et délibérément) plus trouble, que les clients optaient toujours pour les appareils les plus onéreux.
Afin d’élargir leur marché, trop focalisé encore sur la gent féminine, les Molenaar firent en 1972 l’acquisition du club de football de l’AZ’67, lequel était alors au bord de la banqueroute depuis plusieurs années. Constitué en société anonyme après qu’en furent apurées les dettes, le club serait désormais géré depuis les bureaux des magasins Wastora, sis en banlieue d’Amsterdam, soit à quelque 30 kilomètres du stade d’Alkmaar (lequel eût même été délocalisé à Zaandam si la ville d’Alkmaar n’y avait opposé son veto). Les investissements des frères Molenaar portèrent bien vite leurs fruits : lors de la saison 1980-1981, l’AZ réaliserait le doublé Coupe-Championnat, tout en atteignant la finale de la Coupe UEFA. Cette dernière photo illustre la réception donnée en leur honneur, non pas à Alkmaar mais à Zaandam, au pied des grands magasins Wastora. Rappelons que, dans la foulée d’une finale européenne en 1970, les machines à laver de Gérard De Lange s’étaient déplacées jusqu’au Kuip. Quelque 10 ans plus tard et toujours après une finale continentale, c’était cette fois un club de football, joueurs et supporters confondus, qui se déplaçait dans un commerce d’électro-ménager ; le rapport de force avait changé.

25 réflexions sur « Au bonheur des ‘Dam »

  1. Voilà un papier qui nous rappelle à quel point s’exprimait la masculinité toxique durant les 30 glorieuses : l’homme, après son triomphe, guerrier ayant arpenté les pelouses européennes, pose devant le trophée qu’il destine à son épouse, cantonnée aux tâches ménagères. Pire, il se sert de l’argument roi pour maintenir les femmes dans une position de servilité : le Progrès.

    Voilà un papier qui montre à quel point le footballeur, depuis toujours, se préoccupe du bien être de son épouse. Quoi de plus généreux que de lui offrir une machine électrique pour lui épargner les peines du lavage à la main ? Et comment pourrait on faire plus plaisir à son épouse qu’en l’emmenant dans un centre commercial où, merveille des merveilles, on peut utiliser les escalators ?

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    1. Parfaite incarnation du bon père de famille soucieux du bien-être des siens, il y avait dans cette équipe le formidable Franz Hasil.

      Franz, qui a l’occasion d’un Noël familial organisé par le club, décida de laisser femmes et enfants sur place pour rentrer à la maison boire des coups et fumer des clopes avec d’autres joueurs. Un mâle, un vrai.

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      1. Lorsqu’il s’est marié, le sélectionneur, je crois, a prévenu la future épouse qu’elle allait en voir de toutes les couleurs. Franz Hasil a été un formidable joueur, enfin lorsqu’il le voulait, mais c’était un sketch. Désigné par l’association des journalistes hollandais comme le meilleur joueur étranger du championnat du siècle dernier, il me semble. Et toujours marié à la même femme.

        À Schalke, il a reçu la visite de son frère, qui lui a demandé une place pour le prochain match. Le jour venu, le frère se pointe et s’installe à la place indiquée. Au bout d’un moment, il constate qu’il est seul dans le bloc, regarde autour de lui et s’aperçoit que des femmes s’accrochant à leurs sacs le regardent de travers. Franz lui avait refilé une place réservée aux femmes des joueurs…

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    2. Masculinité toxique? Sans doute..mais les femmes eurent leur part dans cette aliénation, pas pour rien si elles furent singulièrement ciblées rayon robots-gadgets domestiques..et ça a marché, euphémisme..

      Enfant je devais çà et là me taper des foires internationales vouées à ces totems du progrès, ennui et bien vite rejet profonds. Rétrospectivement, je me suis parfois demandé si mes parents (des gens des plus simples pourtant, la tête bien arrimée sur les épaules et à dire vrai plutôt à la marge de cette « évolution », plutôt ringards) réalisaient l’inanité du bazar?? Peut-être étaient-ils malgré tout la tête dans le guidon, pression sociale inconsciente, que sais-je.. Peut-être était-il impossible d’y échapper. En ce qui me concerne et comme enfant : j’ai vécu cela comme une agression constante, un macro-environnement peuplé de choses ennuyeuses et laides, qui rétrospectivement me paraissent toutes avoir été vulgaires et anti-humaines.

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      1. Ah oui, les foires ! Pour moi, c’étaient les mecs qui t’alpaguaient pour te montrer la nouvelle échelle en alu ultra-légère, le vendeur de véranda avec vitres anti buée, le commercial à la cravate élimée qui sortait de la buvette et qui osait tout, le spécialiste de la motobineuse, une révolution du monde dans le monde de la motoculture, payable en cinq fois sans frais… et des stands à perte de vue, une sensation d’être entré dans un univers infini où rien n’est intéressant.

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  2. Merci Alex. Photos étonnantes! Quel souvenir conservent les Pays Bas du titre de Feyenoord? N’a t’il pas été enseveli par la dynastie de l’Ajax qui commence seulement un an plus tard?

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    1. Moins qu’on puisse dire, oui.

      Pas faute pourtant que ledit football-total made in Holland n’ait pas été initié ni développé du côté d’Amsterdam, qu’ils eussent davantage de valeurs et de standing à l’époque du côté de Rotterdam (club aristocratique) plutôt qu’à Ajax (le fric et rien que le fric), ni même que ce Feynoord 70 n’avait certainement, absolument rien à envier en style et qualité de jeu à ce qui aurait cours à Ajax, mais……………mais les médias!

      Pour te dire, le fort brave homme qui à Feyenoord initia cette révolution « hollandaise » du jeu, et ce-faisant remporta le doublé!, n’a été honoré aux Pays-Bas d’une page Wikipédia qu’il y a..trois mois à peine environ.

      On reparlera de tout cela à l’automne, en détails.

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      1. C’est un peu l’impression que ça donne de l’extérieur. Suis persuadé que de nombreux fans ignorent que Feyenoord a une c1 au compteur. Et pourtant même en se focalisant sur la finaliste, vaincre le Celtic de 70 n’était clairement pas plus élémentaire que la Juve ou l’Inter. Sans parler du Pana.
        Manque de charisme de ses joueurs? Un temps trop court entre la victoire de Feyenoord et la première de l’Ajax pour créer le mythe et la nostalgie?

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      2. Cette finale de 70 sur le plan tactique, elle est importante. Il y a le 433 de Happel, son pressing et ça doit être aussi le premier exemple bien connu de l’utilisation des ombres de couverture.

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      3. Il y avait Kindvall en 9 dans ce Feyenoord, l’homme qui marqua d’ailleurs le but vainqueur en prolongation. Un de plus dans une lignée de grands attaquants suédois des années 50 à 70 : Gren, Nordahl, Liedholm, Kindvall, Magnusson, Edström, Sandberg… du beau monde en vingt ans !

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      4. Lennart Skoglund, Hamrin… Oui, de très grands joueurs assurément!

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      5. Ces Pana et Inter-là n’avaient tout bonnement rien à foutre en finale – l’Inter surtout : 3 tours qualificatifs viciés par la corruption institutionnelle!

        Même la présence de la Juve en finale a fait jaser rayon arbitrage, et pas un peu ni sans raison, Cf. demi face à Derby……….

        Comparés au Celtic défait par Feyenoord, il n’y a évidemment pas photo.

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      6. Charisme des joueurs? Pour le même prix, des Hasil ou van Hanegem (un peu quand même dans son cas) auraient jusqu’à nos jours intégré le saint des saints médiatico-mémoriels, en termes de jeu comme de personnalité ils cochaient toutes les cases.

        Mais le choix mass-médiatique fut différent, c’est ainsi.. Ca troue quand même le cul que des bourrins genre Neeskens ou Suurbier, dont les qualité pures étaient pauvres et la personnalité en rien grandiose, se retrouvent 50 ans plus tard cités parmi les plus grands à leur registre, alors que.. Ca aide d’appartenir à un clan omnipotent et influent, Cf. Cruyff / van Beveren.

        Sinon dans ce Feyenoord il y avait aussi Moulijn (superstar aux Pays-Bas), et surtout feu..Wim Jansen!!!, joueur guère sexy mais peut-être bien le NL le plus déterminant en Elftal dans les 70’s.

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      7. Ce milieu avec Van Hanegem-Jansen-Hasil était simplement de classe mondiale. Trois grands joueurs.

        Hasil n’est pas le plus connu des joueurs de cette époque, mais il était un footballeur incroyablement doué et il a marqué les esprits en Hollande. « Béni des dieux » selon Happel, mais c’était un drôle d’oiseau. Il l’a raconté, en Autriche, il jouait à fond deux matchs et se reposait le troisième.

        À Schalke, son entraîneur voulait le faire jouer avant-centre. Le Hasil avec son 1m74 n’était pas très convaincu. En plus, il ne voulait pas jouer dos au but. Happel, qui venait de signer son contrat avec Rotterdam, est parti le voir en Allemagne et lui a dit, « je prends un nouveau joueur, c’est toi ». Arrivé en Hollande, le Has a constaté que ses futurs équipiers couraient tous plus vite que lui et a pensé à tourner les talons, mais Happel l’a convaincu de se donner à fond. Il lui a fallu 6 mois pour être au niveau, puis il a montré son talent.

        Son départ de Feyenoord en 73 a été une belle bêtise et il l’a reconnu.

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    1. ..et cependant très sérieux! :), je me suis a minima enfilé bon 300 pages éparses et de toutes sortes (indicateurs sociologiques, aléas de l’industrie locale, fiches techniques et plans-marketing de machines à laver des 60’s, etc.), de ci de là, pour pouvoir vous proposer ceci!

      Une question à la cantonade : auriez-vous préféré que les commentaires soient plus grands? Dissociés de leurs photos respectives? La mise en page proposée à la rédaction est-elle vraiment satisfaisante? C’est que je compte adopter ce « concept » pour un article que Verano me réclame à corps et à cris (c’est le cas de le dire) – et auquel, je tiens à le dire : il m’a apporté une enviable expertise.

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      1. Eh eh, ce n’est pas parce que j’ai su lire sur les lèvres d’une Italienne que cela me confère le statut d’expert, c’est très exagéré. Mais en effet, je suis impatient de découvrir ton roman photo…
        Concernant le confort de lecture de ce type d’article, il faudrait en effet que les commentaires soient de taille supérieure.

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      2. Alexandre : Sur le strict plan de la lisibilité (et c’est dû à WP), il est préférable de placer les commentaires dans le corps du texte plutôt qu’en légende dont la police est trop petite pour une lecture facile. Accessoirement, c’est « à cor et à cri » que Verano te réclame l’article :), selon une expression sans doute venue du monde de la chasse.

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      3. Verano : Il va falloir préciser dans quelles circonstances tu as lu sur les lèvres de cette Italienne.

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      4. « A corps et à cris » délibéré!

        Je ferai comme ça, ça marche.

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      5. @triple g, il faut qu’Alex publie les illustrations idoines pour que je puisse fournir une explication.

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