Juan Martín Mujica, de la Copa Libertadores aux Hauts-de-France

Bien avant que le football moderne ne produise en quantité industrielle des arrières latéraux aux qualités athlétiques indéniables et aux envies de défier l’arrière-garde adverse, un jeune défenseur sud-américain faisait parler la poudre sur son côté gauche. International uruguayen ayant joué sur ses terres ainsi qu’en Europe, et régulièrement cité comme l’un des meilleurs à son poste dans les années 1960 et 1970, voici la petite histoire de Juan Martín Mujica.

Mujica naît en 1943 dans le village de Casa Blanca, au sein du département de Paysandú, situé dans l’ouest de l’Uruguay. Assoiffé de football, le jeune défenseur lance sa carrière à l’aube de ses 18 ans lors d’un passage dans la capitale. Le club de Rampla Juniors, après l’avoir testé, accepte de l’embaucher pour son équipe B. Déterminé, Mujica ne tarde pas à montrer qu’il mérite mieux : il ne lui faudra qu’une saison pour convaincre l’entraîneur de l’équipe A de l’époque, et le voir intégrer l’effectif professionnel.

Si Rampla Juniors n’est pas le plus connu ni le plus titré des clubs de Montevideo, son équipe lui permet tout de même de briller et de se distinguer comme l’une des étoiles montantes du championnat uruguayen. Il obtient ainsi une place de dauphin de la Primera División en 1964, et une quatrième place en 1966, au terme de ses cinq saisons là-bas. Son profil atypique se dessine peu à peu, Mujica défend de manière efficace et rude sur son côté, mais il aime aussi prêter main forte aux joueurs plus offensifs et n’hésite pas à montrer de quoi est capable sa patte gauche puissante et précise. Car ce qui surprend le plus, à l’époque, ce sont bel et bien ses qualités du buteur. Il affiche une statistique très intéressante d’un but tous les six matchs environ.

Juan Martin Mujica sous les couleurs du Nacional

Cette année 1966 va occasionner un changement de statut pour Mujica. Le Nacional Club de Football, l’un des mastodontes du pays qui le suit depuis quelques temps, le recrute afin de renforcer son côté gauche. Dans le même temps, il a tapé dans l’œil d’Ondino Viera, le sélectionneur national, qui le pré-sélectionne pour la Coupe du monde en Angleterre – mais ne le retiendra finalement pas. Peu importe, une autre occasion arrive de se montrer.

Avec le Nacional, où il passera également cinq saisons, Mujica confirme tous les espoirs placés en lui. Titulaire indéboulonnable, il prouve alors, longtemps avant l’avènement de Roberto Carlos, qu’effectuer des incursions régulières dans le camp adverse n’est pas une hérésie. Pire encore pour ses adversaires, il se découvre une passion dévorante pour les penalties. Petit à petit, il se forge une réputation de tireur précis et intraitable. Carlos « Cacho » Blanco, son coéquipier arrivé en même temps que lui, racontera d’ailleurs en 2016 lors de l’enterrement de Mujica, qu’il ne « l’a vu rater qu’un seul penalty durant toute sa carrière. Il se démarquait clairement des autres sur cet exercice. » Signe que le bonhomme gère très bien la pression, et sait y répondre.

Durant cette période, au niveau palmarès, Mujica connaît beaucoup de succès : champion avec le Nacional dès sa première saison (1966), il enchaîne ensuite avec la sélection – dont il est un remplaçant solide – un titre de champion d’Amérique du Sud en 1967, puis trois nouveaux titres de champion d’Uruguay entre 1969 et 1971. Cette dernière année se finira d’ailleurs en apothéose puisqu’il obtiendra également une Copa Libertadores au terme de trois matchs serrés face aux Argentins d’Estudiantes La Plata (1-0, 0-1 puis 2-0 lors du match final à Lima), puis une Coupe Intercontinentale contre les Grecs du Panathinaïkos (1-1 à Athènes, 2-1 à Montevideo). Fait marquant, cette dernière année sous forme de moisson de titres coïncidera avec des troubles politiques et financiers en Uruguay, puisque les joueurs effectueront une grève qui obligera la ligue à décaler le début du championnat.

Ces performances de haut vol en club, qui le poussent à devenir un cadre de la sélection, l’ont amené jusqu’à la Coupe du monde au Mexique en 1970. Préparés à un football attentiste et roublard, les Uruguayens s’y présentent avec l’intention de ne laisser aucun espace à leurs adversaires, ce qui rentre parfaitement dans les cordes de Mujica. Son premier match, face à Israël, lui permet déjà de se mettre en valeur puisqu’il défendra parfaitement son côté gauche tout en assurant la victoire grâce à un but (celui du 2-0, score final). Mais la perte du meneur Pedro Rocha, à la 12e minute sur blessure, poussera la Céleste à refuser encore un peu plus le jeu face à l’Italie (0-0) puis la Suède (défaite 1-0).

Mujica reprend le cuir à Pelé

Peu importe, la qualification est là, et après avoir sorti l’URSS 1-0 durant les prolongations, lors d’un quart de finale polémique – les Soviétiques se sont vu refuser un but pourtant valable, Mujica et l’Uruguay se présentent face à un Brésil en pleine forme. Si le score final ne laisse aucun doute quant au finaliste (3-1), Mujica n’aura laissé que très peu de latitude au puissant attaquant Jairzinho, qui sera littéralement martyrisé durant plus d’une heure, dans le plus pur style uruguayen parfois à la limite. Avant que le Brésilien n’aille marquer le but de la victoire sur une accélération fulgurante, sur une passe brillamment millimétrée de Tostao.

Ce sera le premier et dernier mondial de Mujica, mais l’essentiel n’est pas là : l’arrière latéral, en portant la Celeste jusqu’à la quatrième place, s’est bien installé comme une référence mondiale à son poste. Les observateurs ne s’y trompent pas, puisque la FIFA le nomme meilleur défenseur gauche de la compétition. Et ce, peu importe que sa sélection ait perdu la rencontre pour la troisième place.

Alors au sommet de sa gloire, Mujica verra toutefois sa chance tourner, lorsque la saison 1971, minée par une grève des joueurs, prendra fin. Toujours en proie à des soucis financiers, le Nacional est obligé de vendre ses meilleurs joueurs dès la clôture de l’exercice. Trouver un autre club en Uruguay s’annonce difficile : tout le secteur sportif est impacté par une crise financière, et les salaires ne sont plus payés. Pour Mujica, qui fait bien évidemment partie du contingent des joueurs à vendre mais souhaite continuer à vivre de sa passion, il ne reste plus que l’expatriation. Et après avoir trouvé un point de chute éphémère au Mexique (Atlético Español), il rejoindra la France et les rangs du LOSC, en même temps que le héros chilien du Mondial 1962, Alberto Fouilloux. Mais leurs aventures dans le Nord ne connaîtront pas le même destin.

Nous sommes à l’aube de la saison 1972-73. Le club de Lille est alors en Division 2. Le rythme s’annonce un peu différent pour Mujica, qui passe d’une décennie d’un championnat à 10 équipes et 18 journées à disputer, à une ligue de 18 équipes et 34 matches à jouer. Mais la mayonnaise prend d’emblée et le latéral Uruguayen montre les qualités qu’on lui connaît, en terminant la saison avec neuf buts au compteur et seulement deux rencontres sans être titulaire. La quatrième place obtenue par le LOSC l’empêche de goûter à l’élite française, et Mujica pense y avoir droit lors de l’exercice suivant, que son club remporte, même si lui a beaucoup moins participé.

Mujica sous le maillot du LOSC, tout en haut à gauche

« Non », dit Georges Peyroche, son entraîneur de l’époque. Le technicien lillois estime que sa formation joue mieux sans lui et le déplace brutalement en équipe réserve. Mujica y ronge son frein, d’autant plus qu’il doit évoluer en troisième division, comble de l’humiliation, lui qui connaissait les sommets trois ans auparavant. Il s’engage alors, en 1975, avec le RC Lens, revenu dans l’élite au moment où Mujica s’engageait avec l’ennemi juré. Et là, rebelote : après une première saison pleine – il pourra également s’enorgueillir d’avoir disputé quatre matchs de Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupe -, le latéral Uruguayen s’efface peu à peu jusqu’à retomber en équipe réserve, dans l’oubli le plus total des divisions régionales françaises.

Sa carrière de joueur se termine sur un retour en Uruguay au sein du Liverpool Fútbol Club puis du Defensor Sporting Club (une saison chacun), mais Mujica n’y retrouvera plus jamais ses sensations d’antan. Il ne quittera pas vraiment les terrains puisqu’il opérera une reconversion, réussie, en tant qu’entraîneur. Mais ceci est une autre histoire.

22 réflexions sur « Juan Martín Mujica, de la Copa Libertadores aux Hauts-de-France »

    1. Mujica a Lens, une seule saison veritablement où il joue (la premiere), il vient pour remplacer le polonais Grzegorczyk dans une équipe qui sort d’une finale de CDF. Surtout la proximité qui l’a fait venir. Le club n avait de toute façon aucun reseau et ne recrutait que comme ça. Après, rien… on peut pas dire qu il ait laisse un souvenir la-bas. 10 ans plus tard, l uruguayen Venancio Ramos lui laissera un peu plus de souvenirs.

      Mais bon on aura l occasion bientot de recauser en long et large du RC Lens 😉

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  1. Merci Seb.
    Le Nacional du début des 70es est celui de Washington « Pulpa » Etchamendi. Il avait une belle équipe (Mujica, Cubilla, le vieux goleador argentin Artime, le gardien brésilien Manga, Esparrago, Morales, Ancheta, le Chilien Prieto…). Du talent et du vice, il fallait ça pour battre l’Estudiantes de Zubeldía, triple vainqueur de la Libertadores. Malgré ses succès, le Decano est sans le sou comme tu l’écris et vend régulièrement ses meilleurs joueurs. El Pulpa finit par partir à son tour. Il est en Colombie quand il est victime d’une crise cardiaque fatale durant un match de championnat.

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    1. La trilogie d’Estudiantes est superbe mais les 2 derniers titres se font sans la présence des brésiliens dans la compétition. Ça dévalorise un peu la performance.
      Comme lors de la victoire du Stade Toulousain lors la première édition de la coupe d’Europe de rugby en 96. Édition sans les anglais.
      Les embrouilles de fédérations ont privé, en 66, 69 et 70, Pele et Santos de la possibilité de bien figurer à nouveau en Libertadores. Rien ne dit qu’ils auraient gagné mais vu le format, il n’est pas fou de penser qu’ils auraient pu vivre une autre finale.
      Même si le Santos de la fin des 60′ semble moins bon qu’au début de la décennie.
      Entre ces absences en Libertadores et celle du Bresil à la Copa America 67, on lui a enlevé quelques occasions de briller à notre ami Pele.

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      1. Exact. Les « tueurs » d’Estudiantes face au Santos bien sanguin de Lima et les autres… Dommage !

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      2. Verano
        Il etait sanguin le Santos de la fin des 60′? Tu dis ça pour Toninho Guerreiro? Hehe

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      3. Y avait des mecs qui démarraient vite 🙂 Lima notamment, Del Vecchio à son retour après ses années d’errance, était un type instable et méchant, le défenseur argentin protecteur de Pelé, Ramos Delgado…

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    1. Merci Sebek. Super choix.
      Prieto arrive un an avant Mujica. Peut-être a-t-il joué un rôle dans le transfert. Prieto et Fouilloux ont joué longtemps ensemble à Catolica.
      C’est l’epoque de Christian Coste au LOSC également. Coste que je ne connais peu. Suis preneur d’infos!

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      1. evidemment que le recrutement ne se fait que(quasiment) comme ça . Le seul a l’epoque, a ma connaissance, qui a un reseau en AmSud, c’est Bud’ pour le FCN (et ce sera un sacré bon filon).

        Fouilloux avait la double nationalite donc il cjercha a aller jouer en France, car il ne prenait pas de place de joueur etranger. Pourquoi Lille ? sais pas
        .. apres le contexte c’est 1971.. Lille a acceuilli pas mal d’exilés chiliens aussi..

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      2. Y avait Robert Marion à Reims qui a activé la filière argentine avec le succès que l’on connait. Au début des années 70, après son passage à l’AC Ajaccio, Alberto Muro fait venir des Argentins à Monaco (Pastoriza par exemple).

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  2. Artime n’a jamais été approché par un club européen? Dans les années 60, qui est meilleur que lui en attaque en Argentine? Sivori est deja parti depuis la fin des années 50. Je réfléchis rapidement, je vois personne…

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    1. Meilleur ? Peut-être el Nene Sanfilippo ? Y a quelques goleadores comme Oscar Más, Carlos Bianchi dès 68. El Loco Dorval n’est pas un pur buteur, le tank Rojas est sans doute d’un niveau inférieur.
      Je ne sais pas si Artime a été sollicité par des clubs européens, Valencia ou d’autres clubs auraient su lui trouver des aïeux espagnols s’ils l’avaient voulu 😉

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      1. Sanfilippo, je l’avais zappé. Merci. Ça se joue entre les deux sur la période à mon humble avis.
        Bianchi se detache fin des 60′. J’aime beaucoup Mas mais je le mettrais en dessous.
        Artime a vraiment réussi partout. Mais on va en parler bientôt. Hehe

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      2. Cool si tu parles d’Artime.
        Et Sanfilippo méritera un jour qu’on s’attarde sur lui, sacré personnage et putain de caractère ! Toujours bon pied bon œil aux dernières nouvelles.

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  3. Un joueur que je ne connaissais quasiment pas, merci de l’article.

    Un seul péno raté dans sa carrière? Ca me paraît mieux que les plus grands spécialistes européens de l’exercice des 70’s, que me semblent avoir été Bonhoff et Rensenbrink (2 pénos ratés? environ 95% de réussite?).

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