Le 6 août 1945, lorsque l’armée américaine largue une bombe atomique sur Hiroshima, un ancien membre de l’équipe nationale de football du Japon est tué dans l’ancien quartier de Tenjin-machi Kitagumi, une zone qui fait aujourd’hui partie du Parc du Mémorial de la Paix d’Hiroshima, dans l’arrondissement de Naka. Cet homme était Naoemon Shimizu et son nom fut oublié, emporté par le souffle de la bombe.

Shimizu naît dans la prefecture de Shiga en 1902 d’un père commerçant de gros de tissus pour kimonos à Hiroshima. Il vivait dans la boutique familiale située dans l’ancien quartier de Tenjin-machi, avant de déménager à Hiroshima. Athlétique et sportif, Naoemon va rejoindre l’équipe de foot de son école, l’ancienne première école secondaire préfectorale d’Hiroshima (aujourd’hui le lycée Kokutaiji, dans l’arrondissement de Naka). Il se démarque rapidement dans l’équipe et la newsletter « Rijo » publiée par l’association des anciens élèves de son collège avant la Seconde Guerre mondiale, évoquait régulièrement les performances fantastiques de Shimizu, le décrivant avec des phrases assez flateuses dont une ventant fantastiquement la qualité de son tir: « Ses frappes sont si puissantes que des flammes pourraient sortir du ballon. »
On est alors dans les années 1910 et le football commence à gagner en popularité au Japon et à Hiroshima. Celui-ci est d’ailleurs arrivé dans le pays, une fois n’est pas coutume par l’intermédiaire des anglais, et le premier match fut disputé en 1874 à Yokohama. L’évènement fut raconté dans le magazine hebdomadaire britannique « The Graphic » qui publiait ceci le 18 avril 1874:
« Il existe une colonie britannique à Yokohama, au Japon, et elle a introduit les mystères du football en Extrême-Orient… Les Japonais sont un peuple très dynamique, le gouvernement a introduit toutes sortes d’innovations… mais nous ne savons pas encore s’ils ont promulgué un décret obligeant tous les hommes de plus de seize ans à rejoindre un club d’athlétisme et à démontrer leur habileté au moins deux fois par an au Lillie Bridge local, à l’ombre du magnifique mont enneigé Fusiyama (mont Fuji). »
PS: Lillie Bridge était un stade d’athlétisme dans l’ouest de Londres, proche de l’actuel Stamford Bridge

Depuis 1874, le football évolue et continue de se développer au pays du soleil levant. De nombreux clubs locaux sont fondés (souvent associés à des écoles et universités) et veulent participer à des compétitions nationales. C’est dans cette dynamique qu’est fondée en 1921 la « Greater Japan Football Association » (ancêtre de l’actuelle fédération japonaise de football), à la suite de la donation d’une coupe en argent par la Fédération anglaise de football (FA) en 1919. Ce trophée devint celui du championnat national du Japon qui évolua par la suite pour devenir la prestigieuse Coupe de l’Empereur en 1948. Bien que la donation de la FA Silver Cup au Japon en 1919 soit traditionnellement attribuée à William Haigh, des documents récemment découverts révèlent qu’elle s’inscrivait dans une stratégie de propagande britannique visant à renforcer son influence culturelle au Japon par le biais du football. Au-delà de sa visée initiale, cette initiative contribua durablement au développement du football japonais et aux relations culturelles anglo-japonaises.

De son coté, Naoemon Shimizu se démarque particulièrement au poste d’avant-centre dans une équipe qui va remporter plusieurs tournois régionaux dans les régions d’Hiroshima et du Kansai. Après avoir obtenu son diplôme en 1920, il intégre la Kobe Higher Commercial School (aujourd’hui Université de Kobe), dans la ville de Kobe, préfecture de Hyogo, qui disposait aussi d’une équipe de football réputée qu’il va tout naturellement rejoindre. Et on peut dire que le timing est parfait pour le jeune attaquant. En 1923 le Japon participe aux « Jeux de l’Extrême-Orient » – compétition multisports (9 disciplines dont le foot) à laquelle participaient des pays de l’Asie de l’Est et du Sud-est. L’édition se déroule à Osaka et regroupe 3 équipes nationales, le Japon, la Chine et les philippines. C’est à l’occasion du tournoi de foot de cette compétition que le premier match officiel de l’équipe nationale japonaise de football va être reconnu. Shimizu qui continue de faire éclater son talent à l’université de Kobe est tout naturellement selectionné pour faire partie de l’équipe japonaise. Après une défaite 2-1 contre les Philippines lors du premier match, Shimizu inscrit un but de la tête contre la Chine et devient le deuxième buteur de l’histoire de l’équipe nationale japonaise. Le Japon fut finalement battu 5-1 dans ce match, mais le journal Osaka Asahi rapporta que son but était une action remarquable qui enthousiasma le public.

Après avoir terminé ses études, Shimizu reprit l’entreprise familiale de tissus pour kimonos à Hiroshima. Parallèlement, il devint un joueur clé du Rijo Shukyu Football Club, composé d’anciens élèves du collège préfectoral d’Hiroshima. L’équipe remporta même à deux reprises le championnat national, en 1924 et 1925. Plus tard, il fut aussi président de la fédération de football pour la région Chūgoku.

Shimizu qui dédia une grande partie de sa vie au football, y compris dans la promotion du sport, s’éteignit brutalement le 6 août 1945. Alors âgé de 42 ans, il se trouvait avec sa femme Kazuko dans leur maison-boutique située à environ 250 mètres de l’épicentre. Foudroyée par l’immense souffle et la chaleur de la bombe, la zone de Tenjin-machi fut complètement détruite. Son père, qui avait été évacué auparavant en dehors de la ville, revint sur place et retrouva les corps du couple dans ce qu’il restait de la cuisine. Quatre-vingts années se sont écoulés depuis la mort de Naoemon Shimizu. Selon la Fédération japonaise de football, le but marqué par M. Shimizu contre la Chine est enregistré et confirmé dans l’histoire comme le deuxième but de tous les buts inscrits par l’équipe nationale japonaise. En 2010, la Fédération préfectorale de football d’Hiroshima publia un ouvrage intitulé Eiko no Sokuseki (en anglais Footsteps of glory), retraçant 85 ans d’histoire du football à Hiroshima, dans lequel M. Shimizu est présenté comme l’un des grands joueurs de la période fondatrice du sport dans le pays.

Superbe découverte Mayo. L’Antiquité du foot asiatique, le dernier bastion pour des passionnés dans ton genre. Plus encore que l’Africain.
Merci ! Figure toi que il y a un ouvrage qui a été écrit sur les débuts du foot au Japon, j’ai pu en trouver certains passage pour la partie plus histoire de l’article sur la création de la Great association en 1921. Ouvrage écrit par des anglais suite aux liens des débuts avec la FA, ça à l’air d’être une mine d’or d’info !
Cette période d’ouverture vers l’extérieur qui caractérise la période Meiji me fait penser au bouquin de Mishima, Neige de printemps, histoire d’amour impossible.
« Je viens d’avoir un rêve. Je te reverrai. Je le sais. Sous la cascade. »
Gracias Stade&M, un texte et un sujet originaux pour ce 80e anniversaire d’Hiroshima.
Très chouette article, merci !
Je reste admiratif de vos connaissances à tous, sur des personnages très souvent oubliés et/ou peu connus.
Ta série sur l’Irlande était également très intéressante ! J’ai vécu presque 1 dans le comte de Mayo, vers Westport ; dépaysement garanti et grandement apprécié !
C’est particulièrement beau là-bas, veinard!…………………..mais « vers Westport », ce « vers » tout particulièrement.. ==> Une question s’impose : quel travail trouvas-tu là-bas???
Westport est déjà tellement la zone……..mais alors « vers », faut pas demander..!
Et as-tu eu l’occasion de monter au sommet du Croagh Patrick?? Un de mes grands regrets, par là!, ça avait l’air formidable.
Je bossais en TT, y’a effectivement pas grand chose dans le coin mais ça ne me dérangeait pas, j’allais au pub après mon travail et le calme, la fraîcheur me suffisaient !
J’ai pas fait de randonnée, c’est pas trop mon truc, mais j’ai bien sûr été au Connemara comme tout bon touriste.
Dans l’ensemble j’ai pas vraiment trop bougé du comté, à part pour aller sur Galway et Dublin. J’étais à pied donc difficile de se déplacer.
Merci beaucoup !
La scène de match, au pied du mont Fuji, est de celles qui me donneraient bien envie de revenir une siècle et demi en arrière – pour les choses du football au moins – , car quel bazar, éhéh..
Oui magnifique ! Un article plus profond mérite d’être écrit sur ce match et les débuts. Je m’y attelerai peut être après la série Irlandaise, ce petit bout d’article japonais m’a donné envie d’en apprendre plus !