– « Hein, le Progrès, quelle blague ! » et il ajouta : – « Et la Politique, une belle saleté ! »
– « Ce n’est pas une science », reprit Pécuchet. « L’art militaire vaut mieux, on prévoit ce qui arrive. Nous devrions nous y mettre ? »
Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet
Quand débute l’année 1973, le Chili ressemble à une cocotte-minute. Les difficultés économiques et la polarisation croissante de la société créent une tension étouffante qu’accentue la perspective des élections parlementaires de mars 1973. Unidad Popular (UP), la coalition soutenant le socialiste Salvador Allende, défend ses fragiles positions à la Chambre des députés et au Sénat alors que les partis d’opposition alliés sous la bannière de la Confederación de la Democracia (CODE) misent sur l’exaspération des classes moyennes et de la bourgeoisie pour mettre un terme à l’expérience d’un gouvernement de gauche intronisé démocratiquement, une première en Amérique du Sud. S’il veut aller au terme de son mandat (six ans), Allende doit éviter que la CODE n’obtienne les deux tiers des sièges indispensables à sa destitution.
Elu en 1970 grâce au report des voix de la Démocratie chrétienne, un des partis d’opposition, les marges de manœuvre d’Allende sont minces. Sous pression de l’aile radicale de l’UP, il doit poursuivre et accélérer les réformes sans se mettre à dos les centristes de la Démocratie chrétienne, attachés à la propriété privée, sans décourager le Club de Paris, indispensable au rééchelonnement de la dette, et sans exacerber les velléités américaines de le renverser alors que l’URSS se désintéresse de son sort, lui préférant Juan Velasco Alvarado, dictateur péruvien que l’intervention soviétique à Prague en 1968 n’a pas indisposé, au contraire d’Allende.
Régis Debray a écrit que « L’Amérique latine est l’écran vierge sur lequel les Européens projettent l’ensemble de leurs fantasmes politiques ». Cela n’a sans doute jamais été aussi juste qu’à propos du Chili et de Chicho Allende, ce grand bourgeois ayant pris le pouvoir par les urnes. A son propos, Vázquez Montalbán ajoutait qu’ « Allende avait la vertu d’inspirer confiance. C’est une vertu quasi naturelle qui dépend des lignes du corps, de la manière d’occuper une portion d’espace, de la façon de se bouger, de regarder, de sourire, et d’être. Et Allende avait le sens de la perpendiculaire. Il cheminait d’aplomb, la tête bien à sa place, le regard froid derrière ses dioptries et il savait se tenir comme savent se tenir les personnes très très bien éduquées. » Disons-le, le président chilien fascine les gauches européennes. Tous les regards sont tournés vers ce funambule de la vie politique, partagés entre espoir et crainte.
Et le football dans tout cela ? Eh bien, il suit son cours. Si 1973 est d’une richesse infinie sur le plan social et politique, elle l’est également sportivement avec Carlos Caszely en héros du peuple et indéfectible soutien à la cause de l’UP.
Dans « 71 Fragments d’une chronologie du hasard », Michael Haneke segmentait son récit en 71 séquences successives menant au drame, prédéterminé dès les premières scènes. Nous vous en proposons ici un remake que nous avons intitulé « 71 Fragments d’une chronologie ne devant rien au hasard ». Il retrace les événements survenus au cours des six mois ayant précédé l’inéluctable fin d’Allende.
Outre Salvador Allende, figurent au générique Carlos Caszely, Patricio Aylwin, les généraux Prats et Pinochet.
1- Le film de l’année 1973 s’ouvre sur la préparation du Club Social y Deportivo Colo-Colo en amont de la Copa Libertadores. De retour au premier plan concomitamment à l’élection d’Allende en 1970, les rencontres d’El Cacique au stade Nacional sont l’occasion pour la hinchada d’exprimer son soutien au président chilien.
2- Le 20 février, en match amical, El Colo s’impose 2-1 à Lima contre Alianza.
3- Le 1er mars, en ouverture de la Copa Libertadores, Colo-Colo écrase l’Unión Española 5-0, Caszely inscrivant un but extraordinaire. Depuis le milieu de terrain, la jeune étoile colocolina efface plusieurs adversaires, dont le gardien, avant de pousser le ballon dans le but vide, embrasant au sens propre le stade Nacional.
4- Le 4 mars, les élections se déroulent sans incident notable.
5- Le 5 mars, les résultats tombent. La CODE obtient 54,7% des suffrages, l’UP 43,4% en légère progression. Il s’agit d’une demi-victoire pour Chicho Allende qui va devoir continuer à composer avec la Démocratie chrétienne, c’est un camouflet pour l’opposition et les Etats-Unis qui espéraient reprendre les rênes du pays par les urnes.

6- Dans les jours suivants, les partis d’opposition accusent le gouvernement de fraude électorale et envisagent d’engager une procédure de destitution. Une manifestation monstre en faveur d’Allende organisée par la Central Única de Trabajadores de Chile (CUT) les fait renoncer. Le général Prats, ministre de l’Intérieur et commandant en chef de l’armée, confirme la validité du processus électoral.
7- Le 11 mars, Luis Álamos, entraineur de Colo-Colo, est désigné pour prendre en charge la sélection nationale. On lui doit l’expression « quand Colo-Colo gagne, le lundi, la boule de pain est plus grosse et le thé plus sucré ». Sa mission consiste à qualifier le Chili pour la Coupe du monde en RFA en écartant l’adversaire atavique péruvien puis le barragiste issu de la zone Europe.
8- Le 27 mars, Allende annonce la composition du nouveau gouvernement. Renforcé par les élections, il décide de ne confier aucun ministère aux militaires. Le général Prats cède l’Intérieur à Gerardo Espinoza, Parti socialiste.
9- Le 28 mars, soutenu par 73 mille supporters, Colo-Colo s’impose 5-1 contre les Equatoriens d’Emelec (doublé de Caszely) et achève la phase de poule à la première place qualificative. Au tour suivant, il sera opposé à Botafogo et Cerro Porteño.
10- Le 2 avril, le gouvernement réquisitionne 41 nouvelles entreprises par décret. Le virage à gauche d’Allende et de son gouvernement s’intensifie.
11- Le 3 avril, Salvador Allende reçoit les joueurs et dirigeants de Colo-Colo à la Moneda, le palais présidentiel. Il leur remet un immense drapeau pour les encourager avant de se rendre à Rio pour y affronter Botafogo et ses cracks, Jairzinho, Dirceu etc…. En réponse à une question sur les risques d’assassinat pesant sur lui, il aurait répondu « Tant que Colo-Colo gagne, “Chicho” est en sécurité ».

12- Le 4 avril, des incidents se déclarent un peu partout dans le pays. La police se bat avec les militants du MIR (Movimiento de Izquierda Revolucionaria, opposé à l’UP) alors que des grèves sauvages surviennent dans plusieurs entreprises.
13- Le 6 avril, El Cacique surprend Botafogo au Maracanã où Caszely inscrit le premier but de la victoire 2-1.
14- Le 11 avril, les chiffres de l’inflation sont publiés : +183% sur douze mois glissants.
15- Ce même jour, on apprend que les USA acceptent de vendre 12 avions A-4 Skyhawk à l’armée chilienne. En visite officielle en URSS en décembre 1972, Allende n’avait rien obtenu de Brejnev.
16- Le 14 avril, le Chili fait match nul à Port-aux-Princes contre Haïti (1-1, but de Caszely). Dix jours plus tard, la Roja obtient le nul à Quito contre l’Equateur (1-1, but de Caszely).
17- Le 15 avril, le championnat de Primera División 1973 débute. Colo-Colo bénéficie du report de son match et des suivants, mobilisé par la sélection nationale (l’entraineur et sept joueurs) et la Libertadores. Il ne dispute sa première rencontre qu’à l’occasion de la 10e journée de Primera.
18- Le 17 avril, le parlement s’oppose à un projet d’expropriation massive des entreprises.
19- Le 18 avril débute la grève de la mine nationalisée d’El Teniente. On y extrait le cuivre, principale source de richesse du pays. Les mineurs réclament de fortes hausses salariales, ce que ne peut leur accorder le gouvernement dans un contexte de crise économique, avec le risque de contagion à toutes les entreprises publiques..

20- Dans les jours suivants, des grèves solidaires se déclenchent à Rancagua et des manifestations d’étudiants de l’Universidad Catolica viennent également en soutien au mouvement.
21- Le 26 avril, de violents affrontements entre jeunes opposants et soutiens de l’UP font 120 blessés à Santiago. A la même période, parmi les films à l’affiche, figure Ciudad violenta, avec Charles Bronson et Telly Savalas (Città violenta en VO, réalisation de Sergio Sollima)[1]

22- Le 27 avril, la CUT organise une manifestation en faveur de l’UP au cours de laquelle un manifestant est tué au moment où le cortège passe devant le siège de la Démocratie chrétienne. Allende se rend aux obsèques de José Ahumada, militant membre du Parti communiste. Par ce geste, il accélère le processus de distanciation avec la Démocratie chrétienne.
23- Le 29 avril, à Lima, le Pérou s’impose 2-0 contre le Chili lors du match aller des éliminatoires à la Coupe du monde en RFA.
24- Le 1er mai, lors des manifestations de la fête du Travail, Allende appelle « à la responsabilité, à la discipline, à vaincre l’opportunisme, l’improvisation et le volontarisme, à faire preuve de conscience ouvrière organisée, seule capable de contenir la menace fasciste ». Il s’adresse aux franges dures de l’UP qui exigent toujours plus de mesures et qui ne font que le fragiliser.

25- Le 4 mai, le dirigeant du parti d’extrême droite Patria y Libertad, Mario Aguilar, est assassiné en plein centre de Santiago.
26- Ce même jour, Colo-Colo balaie les Paraguayens de Cerro Porteño 4-0, douce revanche après la défaite 1-5 deux semaines plus tôt. Le stade Nacional est plein à craquer malgré la grève des transports privés. Dans les tribunes apparaissent des banderoles sur lesquelles on peut lire « Ouvriers, soldats, unis, nous vaincrons », témoignage des classes populaires s’identifiant à des joueurs comme Caszely ouvertement sympathisants de l’UP.
27- Le 5 mai, le gouvernement déclare l’état d’urgence à Santiago « en raison du climat de troubles sociaux dans la province ».
28- Le 8 mai, Botafogo se rend à Santiago pour le match retour. Malmené par les Brésiliens et notamment Dirceu, El Colo arrache le nul à la 89e minute grâce à Leo Véliz, un des joueurs soutenant Allende. Avec ce résultat, la qualification de Colo-Colo dépend du résultat de Botafogo-Cerro Porteño prévu une semaine plus tard.
29- Le 13 mai, le Chili s’impose 2-0 contre le Pérou. A égalité parfaite, les deux nations doivent disputer un match d’appui.

30- Le 15 mai, grâce à la victoire de Botafogo 2-0 sur Cerro Porteño, Colo-Colo se qualifie pour la finale de Copa Libertadores, une première pour un club chilien.
31- Le 16 mai, le leader de la Démocratie chrétienne Patricio Aylwin – futur président de la République du Chili de 1990 à 1994 – déclare que le gouvernement détruit l’économie chilienne et mène le pays à la misère et à la ruine, « conduisant une offensive totalitaire caractérisée par des irrégularités, des abus, des mensonges, des insultes, de la haine et de la violence dans la quête du pouvoir total afin de pouvoir imposer une dictature communiste ». Jusqu’alors mesurée malgré son appartenance à l’opposition, la Démocratie chrétienne prend ses distances avec Allende.
32- Le 22 mai, en finale aller de Libertadores, Independiente et Colo-Colo font match nul 1-1. L’égalisation argentine de Mendoza est fortement contestée par les Chiliens en raison de la charge subie par le gardien Adolfo Nef.
33- En soirée, Salvador Allende reçoit à nouveau les joueurs d’El Cacique à l’ambassade du Chili à Buenos Aires.
34- Le 24 mai, le président du Sénat alerte Allende qu’en cas de poursuite des nationalisations, une procédure en destitution sera engagée pour non-respect de la constitution.
35- Le 28 mai, les officiers retraités militaires mettent en garde le gouvernement à propos d’un un projet de réforme scolaire qui pourrait être assimilé à un viol constitutionnel. Il s’agit d’une menace de coup d’état à peine voilée.
36- Le 29 mai, devant 72 mille personnes, Colo-Colo et Independiente font match nul 0-0, un but pour un hors-jeu très discutable ayant été refusé à Caszely. Faute de règle concernant les buts inscrits à l’extérieur, un troisième match s’impose sur terrain neutre, en Uruguay.

37- Le 6 juin, Allende adresse un télégramme à l’hôtel de Montevideo où est hébergée la députation de Colo-Colo : « Ce soir, je vous encouragerai comme tous nos compatriotes. En vous réitérant mon soutien, je vous rappelle que, quel que soit le résultat, vous avez déjà tant fait pour le Chili ».
38- En soirée, les joueurs pénètrent sur la pelouse du Centenario accompagnés du muletier chilien qui, quelques mois plus tôt, avait retrouvé les rugbymen uruguayens perdus après l’accident de leur avion dans les Andes. Un porte-bonheur insuffisant car Independiente conserve sa couronne continentale en s’imposant 2-1 après prolongations, Carlos Caszely étant l’auteur du but chilien (meilleur goleador de la compétition avec 9 réalisations devant son équipier Francisco Valdés).
39- Le 13 juin, alors qu’il est annoncé en Espagne et au Brésil, Colo-Colo annonce par voie de presse que Carlos Caszely reste au Chili.
40- Le 24 juin, El Cacique débute le championnat à l’occasion de la 10e journée, une victoire 3-2 contre Palestino dont un but de Caszely.
41- A la fin du mois de juin, dans une longue interview accordée à la revue Chile Hoy, proche du Parti socialiste, Caszely déclare : « j’ai des idéaux communistes et aussi socialistes (…). Je ne suis pas fermé : je vois les bonnes et les mauvaises choses de ce gouvernement ». Au journaliste qui s’étonne de son refus d’une offre mirobolante de Santos pour évoluer aux côtés de Pelé, le fils de cheminot répond « je pense que je dois aider le pays en cette période difficile, le Chili a besoin de moi ». Et en fin d’entretien : « je pense que nous n’aurons jamais de guerre civile (…). Les types de Patria y Libertad brisent des vitres, cassent des kiosques mais il suffit d’un groupe d’ouvriers ou de Ramona Parra[2] pour qu’ils s’enfuient ».
42- Le 29 juin 1973, Santiago se réveille au son des tirs de mitraillette et des sirènes. Six chars M41 Walker Bulldog et environ 80 soldats du 2e Régiment blindé attaquent le palais de la Moneda, un événement appelé le Tanquetazo. Assistant à l’assaut depuis un café, le journaliste argentin Leonardo Henrichsen filme sa propre mort.

43- En fin de matinée, les militaires séditieux se rendent, leur soulèvement ayant été réprimé par les forces loyalistes commandées par le général Prats. A ses côtés, le général Pinochet, commandant en chef de l’armée de terre. Les dirigeants de Patria y Libertad se réfugient à l’ambassade d’Equateur, signant leur implication dans la tentative de putsch.
44- Dans les jours suivants, un contrôle populaire des mines et des usines se met en place afin de protéger les appareils de production. Il s’agit de ce qu’on appelle les Cinturones ou Cordones industriales, des mouvements collectivistes gouvernés par la démocratie ouvrière.
45- Le 2 juillet, le parlement refuse de voter l’état d’urgence demandé par Allende.
46- Le 3 juillet, la grève des mineurs prend fin. Elle a causé la perte de 40 millions de dollars à l’état chilien.
47- A partir du 5 juillet, Allende tente de renouer le dialogue avec la Démocratie chrétienne pour élargir la base le soutenant.

48- Le 13 juillet, au match aller de Coupe Carlos Dittborn, l’Argentine d’Omar Sívori bat le Chili 5-4 à la Bombonera (un but de Caszely).
49- Le 18 juillet, le Chili gagne la Coupe Carlos Dittborn – unique victoire de la Roja en neuf éditions – en s’imposant 3-1 contre l’Albiceleste, doublé de Caszely.
50- Le 19 juillet 1973, le gouvernement est débordé par le processus révolutionnaire, la CUT ne parvient pas à contenir les franges dures du syndicat en faveur d’une accélération des expropriations d’usines. Le Cordón industrial Vicuña Mackenna bloque les routes et s’oppose à la restitution des entreprises, exigence de la Démocratie chrétienne en contrepartie d’un timide soutien à Allende.

51- Le 20 juillet 1973, l’Eglise intervient et force la main de la Démocratie chrétienne dans la recherche d’un accord avec l’UP.
52- Le 22 juillet, le championnat de Primera División s’interrompt. Prévue pour ne durer que quelques semaines et permettre aux clubs chiliens d’effectuer de lucratives tournées, la trêve dure jusqu’au 15 octobre[3].
53- Le 24 juillet, une sélection expérimentale chilienne s’impose 3-0 contre la Bolivie.
54- Le 27 juillet, Arturo Araya Peeters, capitaine de vaisseau et aide de camp d’Allende est assassiné. Homme de dialogue ayant la confiance de toutes les parties, il était celui qui faisait le lien entre Allende et l’armée. L’extrême droite (Patria y Libertad) et l’extrême gauche (MIR) s’accusent mutuellement du crime.
55- Fin juillet, débute la grève d’environ 3500 transporteurs organisée par la CIA, créant des problèmes de circulation et d’approvisionnement. En parallèle, les affiliés de Patria y Libertad et les marxistes révolutionnaires du MIR mènent des actions de sabotage visant à saper le moral des Chiliens et créer les conditions d’une insurrection. Sur les seuls mois de juillet et août, plus de 250 attentats sont recensés.
56- Le 31 juillet, le gouvernement envoie des convois de tracteurs pour dégager les camions. En vain.
57- Le 5 août à Montevideo, le Chili bat le Pérou 2-1 et obtient le droit d’affronter l’URSS en barrage d’accès à la Coupe du monde 1974[4].

58- Le 9 août, Allende remanie le gouvernement et réintègre des militaires. Le commandant en chef de l’armée, le Général Prats, est nommé ministre de la Défense. Après le serment du nouveau cabinet, Allende déclare qu’« il s’agit de la dernière chance. Le Chili est en danger. C’est ainsi que commencent les guerres civiles. »
59- Le 11 août, réquisitionnée pour briser la grève des camionneurs, l’armée rechigne à intervenir.
60- Le 12 août, la Démocratie chrétienne soutient la grève. Les brigades populaires s’organisent pour approvisionner les « magasins du peuple » et livrer les « paniers populaires ».
61- Le 17 août, alors que Colo-Colo est en tournée en Espagne, la presse révèle que Carlos Caszely va s’engager avec Levante en seconde division. Il explique cette étonnante décision par les sommes proposées et par la pression des dirigeants d’El Colo désireux de financer la construction de leur propre stade.

62- Le 22 août, la Chambre des députés approuve un texte qui relève l’existence d’une grave violation de l’ordre constitutionnel et légal de la République, causée par le refus de l’exécutif de promulguer une réforme constitutionnelle votée par le Congrès.
63- Ce même jour, l’opposition, et plus particulièrement la Démocratie chrétienne, rompt le dialogue avec le régime et invite Allende à se démettre. Le démocrate-chrétien Aylwin déclare « il n’y a pas de dialogue possible avec un pistolet sur la poitrine. Je ne peux pas négocier avec un interlocuteur qui me reçoit avec une mitraillette sur la table ».
64- Le 23 août, le général Prats démissionne de son poste de ministre de la Défense et de commandant en chef, sous pression de l’armée. Pinochet est nommé commandant en chef de l’armée.

65- Le 29 août, Colo-Colo achève sa tournée par une victoire 2-1 contre le FC Séville. Buteur, Caszely vient de disputer sa dernière rencontre avec El Colo (il reviendra au club de 1978 à 1984).
66- Le 4 septembre, pour le troisième anniversaire de la victoire électorale d’Allende, une grande manifestation se déroule dans les rues de Santiago au cri de « Allende, ne crains rien, le peuple est avec toi ».
67- Le 11 septembre au lever du jour, la marine chilienne bloque Valparaiso, couverte par quatre destroyers US à proximité.
68- A 7h30, les officiers constitutionnalistes sont neutralisés.
69- A 9h15, les premiers bombardements aériens sur la Moneda débutent. Allende prononce un dernier discours radio. Il indique qu’il ne renoncera pas et annonce sa mort. Dans le palais présidentiel, une quarantaine de combattants demeure aux côtés d’Allende. A Santiago et partout dans le pays, la résistance est presqu’inexistante de la part d’un peuple désarmé.

70- A 14h15, Allende meurt.
71- A 19h, entouré d’une clique de généraux, Pinochet s’adresse au pays et annonce la fin de la démocratie.
FIN

[1] Dans la première partie de « La Bataille du Chili » intitulé « L’Insurrection de la bourgeoisie » (1975), Patricio Guzmán montre l’affiche du film sur la devanture d’un cinéma de Santiago alors que des affrontements violents ont lieu dans les rues alentour. Les deux autres parties de « La Bataille du Chili » sont « Le Coup d’état militaire » (1977, un documentaire extraordinaire où le bruit des hélicoptères et des sirènes crée une atmosphère oppressante) et « Le Pouvoir populaire » (1979).
[2] Brigade communiste spécialisée dans les peintures murales au service de l’UP, des fresques exaltant le monde ouvrier ou déclinant des slogans politiques.
[3] Le championnat 1973 s’achève en février 1974. L’Unión Española est sacrée devant Colo-Colo.
[4] Histoire connue, alors que le Chili a obtenu le nul 0-0 à Moscou fin septembre 1973, l’URSS refuse de se rendre à Santiago après le coup d’état militaire et souhaite que la rencontre se déroule sur terrain neutre. La FIFA refuse après qu’une délégation a inspecté le Stade Nacional, lieu d’exactions au début de la dictature. Faute d’adversaire, à l’issue d’une parodie de match sans adversaire, la Roja obtient sa qualification à la Coupe du monde en RFA.

Ca va vite, de renverser un gouvernement voire une démocratie, et toutes les imperfections qui vont de pair (et que releva Caszely).
Grosse communauté chilienne dans ma ville, ses cercles artistiques notamment.., ils ne sont pas arrivés en Belgique par hasard, et leur 11 septembre référentiel était fort différent de celui que nous avons probablement tous (Alphabet? 🙂 ) connu ici.
Un mot sur Caszely? Quel genre de joueur était-ce?
Je m’étais dit que j’éviterais la politique sur ce sujet, pas bon pour ma tension!, mais j’ai souvent lu ou entendu dire qu’Allende avait péché par intransigeance, manque de pragmatisme..??
Ce fut certainement plus compliqué que cela, déjà Allende n’était pas seul. Mais certains de ces fragments plus haut semblent alimenter l’idée d’erreurs dans son chef, notamment stratégiques.. Pour toi qui as gratté le sujet, ça te paraît vrai?
Avant l’apéro, quelques mots qui n’engagent que moi. Si tu ne l’as pas déjà vu, regarde la partie intitulée Le Coup d’état militaire dans La Bataille du Chili, de Guzmán, c’est édifiant.
Allende n’a pas la majorité absolue au parlement (de mémoire environ 40%) qui lui aurait permis de réformer sans risque de destitution pour inconstitutionnalité et compose avec la DC qui est dans un 1er temps plutôt accommodante. Sans doute parce que ce grand bourgeois pourrait être un des leurs et que son appartenance au Parti socialiste ressemble à une erreur. Il peut mener son programme relativement librement mais en étant attentif à ne pas aller trop vite, trop loin. Il sait qu’il doit composer avec l’armée (donc les US) et la constitution, la première pouvant le renverser par les armes, la seconde par la cour constitutionnelle. Puis viennent les élections parlementaires de 1973 : elles sont souvent présentées comme une victoire d’Allende alors qu’il s’agit d’une défaite de la droite qui n’a pas les 2/3 des élus pour le destituer par la voie démocratique. Allende ne gagne rien de plus que ce dont il dispose déjà : une minorité parlementaire suffisante pour éviter la destitution, rien de plus. Présenter ces élections comme une victoire de Chicho, non ! Il n’a toujours pas de majorité absolue et n’a été élu président que parce que la DC l’a préféré à un libéral de droite. Pourtant, lui-même considère qu’il peut aller plus loin, plus vite après cette élection (ce que tu appelles intransigeance). D’ailleurs, il exclut les militaires de son gouvernement et l’éloigne encore plus des généraux.
Pourquoi cette intransigeance ? Dans le docu de Guzmán, il y a un long passage filmant des débats entre syndicalistes. Un jeune partisan d’Allende expose à ses compañeros la nécessité de composer avec l’environnement national et international, parle de la dette et du club de Paris etc…. Il invite à la patience. Il se fait reprendre par un de ses auditeurs à l’éloquence invraisemblable, une mitraillette, qui exprime d’une traite son impatience vis à vis des réformes sous les vivats de la salle. Tout le problème d’Allende est là : réformer plus vite et plus fort en se mettant à dos la DC (qui, il faut le dire, avait déjà engagé de réelles réformes avant l’élection de Chicho) ou continuer à un rythme mesuré au risque d’être lâché par les communistes et les franges les plus à gauche. Il a joué la carte la plus à gauche, viré les militaires du gouvernement et a créé les conditions pour que la DC le lâche.
Que serait-il advenu s’il avait joué la carte de la mesure pour parvenir à maintenir la DC dans une relative neutralité ? On ne le saura pas mais probablement les communistes l’auraient ils lâché. Alors oui, a posteriori, les choix Allende se sont avérés les mauvais. Mais je reviens sur le propos initial : il était sur un fil, son élection à la présidence relève d’un désaccord entre le centre droit et la droite, il n’a jamais eu de majorité. Un scénario intenable dans une périphérie chasse gardée des US.
Je m’en vais regarder ce docu de suite, merci!
Caszely était relativement rapide. Habile et malin dans ses déplacements.
Oui, très vif et avec un vrai sens du placement. Pas vraiment l’avant-centre type dans le sens où il aimait s’excentrer. C’est en écrivant l’article que j’ai mesuré l’ampleur de ce qu’il a réalisé en 1973. De nombreux buts face à des adversaires de qualité. Une saison énorme ! Sa signature à Levante est vraiment une décision étrange.
Quand il annonce qu’il reste à Colo en juin, Santos le désire vraiment, la presse parle d’un transfert record. L’Atléti est également sur les rangs. Et deux mois après, il s’engage avec Levante avec lequel il va être relégué en 3ème division et où il va rester une saison de plus après la CM 1974… un gâchis car de nombreuses blessures perturbent la suite de sa carrière.
Oui, le but qu’il met au Maracana est assez fantastique. Belle cavalcade.
J’étais bien né le 11 septembre 2001 (j’avais même pas 2 mois), quand les États-Unis ont merveilleusement découverts le karma, si cher aux bouddhistes, et qu’il me plaît encore de célébrer modestement.
Je crois n’avoir jamais lu Flaubert…
Bouvard et Pécuchet, c’est marrant.
Et Madame Bovary n’a rien de surfait, fluide et subtil. Deux lectures qui me laissent un bon souvenir de Flaubert.
Un chef d’œuvre !
Gustave est le plus élégant et de loin ! Un Zidane !
Oups …..
je vous invite à lire Bovary et Karénine en 26 😉
Idem pour Tolstoï, jamais lu. J’ai lu pas mal de bouquins de Dostoïevski, j’adore, de Gogol, certaines pièces de Tchekov mais jamais Leon. Pourtant ses thématiques pourraient me plaire. A faire quoi !
Bouvard et Pécuchet, je l’ai découvert via une adaptation télé dont le scénario avait été écrit par Jean Claude Carrière avec Marielle et Carmet dans les rôles principaux. J’avais adoré et lu le roman dans la foulée. Pour le reste, lu Madame Bovary mais pas forcément à l’âge où j’aurais dû le lire, suis passé à côté…
Funny Games d’Hanecke…
L’URSS aurait il battu le Chili en 73 ?
Sur le papier oui, mais le football…
A noter que le sélectionneur soviétique a ce moment là est le plutôt anonyme Evgeny Goryansky, dont le palmarès se limite à deux titres de D2 avec le Zorya et le Dinamo Minsk.
C’était son second passage avec la Sbornaia, car il avait été l’assistant de Mikhail Yakushin et Gavriil Kachalin.
Pour ce qui est de l’équipe, sans blessure ou bizarrerie bureaucratique soviétique, ça aurait donné un truc du style :
Rudakov – Lovchev, Kaplichny, Khurtsilava, Dzodzuashvili – Kuznetsov, Valentin, Muntyan, Kolotov – Onischenko, Blokhin
Vasenin, pas Valentin*
Bah sur le terrain, l’URSS n’a rien battu du tout, 0-0 à l’aller à Moscou. Avec Caszely au sommet, Valdés et Figueroa, le Chili disposait de trois joueurs majeurs dans chacune des lignes. Mais puisque l’URSS ne s’est pas déplacée à Santiago, on ne saura jamais si elle se serait sorti de ce ballottage défavorable.
Quel était le style du Chamaco Valdes ?
Pas vu beaucoup d’images mais il ressemble à un meneur traditionnel, excellent passeur. À travers de larges extraits des finales de Libertadores, on voit un joueur positionné assez bas qui est souvent à l’initiative des contres ultra rapides de Véliz et Caszely.
Merci Verano. Toujours glaçant de lire les chemins menant à la mort.
Un que j’aime bien dans cette génération de Colo Colo, c’est Sergio Ahumada. D’ailleurs, tu cites José Ahumada. C’est nom qui me semble au courant au Chili.
Il a l’air dingue, ce texte…
Haneke, Flaubert, Pinochet…
Je me le garde pour plus tard !
Super chouette à lire cette chronologie , surtout pour moi qui ne connait rien du tout à toute l’histoire chilienne ! Merci Verano
Viens de lire, j’aime bien le concept du truc, ce lit comme un log souffle (dans la même veine et thématique chilienne : lire Nocturno de Chile de l’immense Bolaño, ça se lit aussi d’une seule respiration sans arrêt …)
Cela a été évoqué, le docu Batalla de Chile de Guzmán, très intéressent, nous immerge au coeur de l’action et des débats, docu d’archive exceptionnel.
Sur Allende, que dire… Il y avait une forte solidarité internationaliste, un symbole et élan qui avait gagné l’Europe et les pays/villes/régions socialistes. si les PC avaient l’URSS et la Révolution Cubaine en modèles, les socialistes tenaient un. Par exemple, ma région et ses villes socialistes accueillir une part non négligeable d’exilés chiliens (c’est comme ça que la talentueuse et magnifique chanteuse chilienne Ana Tijoux est née à Lille).
C’est aussi dit, les débats internes à l’UP, loin d’être un bloc monolithique, étaient intenses et stratégies divergentes, au delà, sur ses frange syndicales et radicales qui exerçaient une forte pression sur le gouvernement UP. Allende devait rassurer, tenir les bouts, équilibrer. Il ne se débrouilla pas trop mal quoi qu’on en dise (sur le fait qu’il aura perdu le soutien populaire, que des syndicats ou partis l’auraient lâché etc.)
Enfin, le blocus US, toujours dans leur rôle ceux-là, a créé une situation étouffante. Au final, Allende avait beaucoup confiance dans le peuple et dans sa transformation radicale par la démocratie; pas de coups militaires, mais par les urnes et la mobilisation. Les préparatif d’un coup d’état étaient plus ou moins documenté, Allende peut être minoré t-il cela, mais il n’était pas moins qu’un exemple à abattre. Pinochet qu’il pensait « tenir », fit le travail.