La grande crise du baseball japonais

En 2004, la Ligue de Baseball japonaise a subi de profonds bouleversements qui ont séverement mis à mal ses fondations. Fusions d’équipes, contestation populaire, grève des joueurs, débat sur le format même du championnat… Retour sur les événements qui ont mis en lumière un grand nombre de contradictions au sein de la NPB, et que les amateurs de football seraient avisés de prendre en considération.

Pour les Européens, le baseball est une discipline nébuleuse. Un sport dont il est difficile de comprendre les règles, bourré de statistiques inutiles et surtout long à en mourir. Le Passe-temps favori des Américains, pour reprendre l’expression habituellement utilisée outre-Atlantique, fait généralement hausser les sourcils sur le Vieux Continent. Encore plus lorsque les Américains critiquent le football en raison de sa supposée « lenteur ».

Pourtant, une fois que l’on a été un peu initié, le baseball est beaucoup plus intéressant qu’il n’en a l’air. Notamment pour toute sa dimension stratégique au cours d’un match, où contrairement aux apparences d’un simple duel entre le lanceur et le batteur, le collectif a une importance capitale : comment le lanceur va-t-il lancer la balle ? Un lancer direct et rapide ? Une balle courbée vers l’intérieur ? L’extérieur ? Comment le batteur va-t-il répondre ? Va-t-il tenter de frapper une balle potentiellement en « faute » (pour réaliser un Strike, la balle doit être lancée dans une certaine zone) ? Comment va-t-il la frapper ? Tenter de l’expédier le plus loin possible ? Assurer sa frappe et se sacrifier pour permettre à un coéquipier d’avancer d’une base ? Comment la défense va-t-elle se placer en fonction des caractéristiques du batteur ? Dans quel ordre doit-on faire défiler les batteurs, sachant que cet ordre ne peut plus être changé au cours du match.

Shôhei Ôtani, le meilleur joueur de sa génération au lancer. Cela a quand même un certain charme.

Ce sont de nombreuses questions de la sorte qui rendent le baseball très sympa une fois que l’on a compris les principes fondamentaux. Et qui ont fait que le baseball n’est pas le sport que d’un seul pays. Très populaire en Amérique centrale, il est numéro un à Cuba, au Venezuela ou en République Dominicaine. Il s’est aussi bien exporté en Asie de l’Est et a un nombre d’amateurs considérables en Corée du Sud et à Taïwan.

Cependant, c’est surement au Japon qu’il s’est le mieux enraciné. Il est en effet connu qu’au Pays du Soleil levant, le baseball est de loin le sport le plus populaire. Bien que concurrencé par le football chez les jeunes générations, il reste une «culture baseball» extrêmement forte dans tout le pays, cultivée dès la période scolaire. Le grand tournoi d’été des Lycées, qu’on appelle généralement le Kôshien d’été (du nom du stade où il se déroule), rassemble des millions de téléspectateurs chaque année et suscite un enthousiasme immense dans le stade, où jeunes et anciens encouragent tous ensemble leurs lycées respectifs. Pour un joueur de baseball japonais, le graal est bien entendu de passer professionnel et d’intégrer la prestigieuse Nippon Professional Baseball, le Championnat national.

L’ambiance d’un match de baseball au Japon n’a rien à voir avec les Etats-Unis : c’est drapeaux, capos, et chants permanents au rythme des tambours et trompettes.

Une Ligue très fermée

Avant d’entrer dans le vif du sujet de cette fameuse année 2004, il convient d’expliquer ce qu’est la NPB et son fonctionnement. Car celui-ci peut sembler un peu déroutant pour un non-initié. La Nippon Professional Baseball, comme sa cousine américaine la MLB, est une ligue fermée. Rien de fondamentalement étonnant sur ce point. En revanche, contrairement aux Etats-Unis, les équipes sont avant tout des équipes d’entreprises, dont elles sont la propriété et dont elles portent le nom. Enfin, la chose la plus étonnante se trouve sûrement dans le nombre d’équipes participantes au championnat : seulement 12 ! Et ces 12 équipes sont réparties dans deux Ligues différentes qui fonctionnent comme deux entités quasiment indépendantes l’une de l’autre : La Ligue Centrale (CL) et la Ligue Pacifique (PL). En 2004, les équipes sont réparties comme suit :

Un des éléments les plus frappants, outre le nombre étonnamment peu élevé d’équipes pour un pays deux fois plus peuplé que la France, c’est la répartition géographique de ces équipes : Sur 12 équipes, cinq sont dans la métropole de Tôkyô et trois dans la région d‘Ôsaka. Soulignons d’ailleurs qu’au début de l’année 2004, les Nippon-Ham Fighters, qui étaient initialement basés à Tôkyô, disputent leur première saison à Sapporo, quatrième ville du pays, (jusque là privée d’équipe), après un accord pour déménager au Sapporo Dome construit pour la Coupe du monde de football 2002.

En dehors de cela, rien pour Sendai, pourtant cinquième plus grande ville du pays. Rien pour Niigata, qui avait accueilli la Coupe du monde 2002 et qui dispose d’un stade de baseball aux normes, rien pour Kagoshima, rien pour la région de Shizuoka et toute l’île de Shikoku, pourtant elles aussi mordues de baseball. Mais le plus absurde, c’est que contrairement aux Etats-Unis, les équipes de chaque Ligue ne se rencontrent jamais ! A deux exceptions près : pendant les matches amicaux de pré-saison, et pendant les Japan Series, la finale de la NPB où se rencontrent le champion de la Ligue Centrale et le Champion de la Ligue Pacifique pour désigner le champion de la saison.

Un système au bord du gouffre

Par ailleurs, autre élément absurde dans une ligue fermée, contrairement aux Etats-Unis, le système de draft ne permet pas aux équipes les plus faibles de choisir les meilleurs joueurs. Ce sont au contraire les meilleurs joueurs qui peuvent choisir leur équipe en fonction de leur intérêt sportif… Ou bien des possibilités financières. Enfin, et c’est peut-être le pire, il n’y pas de répartition équitable des revenus entre les équipes ! Les équipes les plus populaires peuvent générer d’énormes revenus et maintenir leur position tandis que les plus faibles sont condamnées à rester à la marge, loin du titre.

Il est théoriquement possible de créer une nouvelle équipe de A à Z et d’intégrer la NPB,  mais les conditions d’entrée ont été rendues absurdement difficiles et aucune nouvelle admission n’a eu lieu depuis 1954 ! Nous avons ainsi une saison régulière d’environ 140 matches où chaque équipe rencontre seulement 5 adversaires différents. Ce système a été mis en place dans les années 1950 et n’a plus bougé depuis : toujours le même nombre d’équipes, toujours réparties dans les mêmes ligues, toujours les mêmes adversaires. Entrainant naturellement un début de lassitude au fur et à mesure que passent les années. Avec des déséquilibres financiers qui s’accentuent de saison en saison.

Entre 1965 et 1973, les Yomiuri Giants remporteront de façon inlassable et ininterrompue 9 titres de suite. Une domination sans partage qui contribuera à renforcer leur popularité et leur poids financier.

Ce système a grandement bénéficié à quelques équipes, comme les Yakult Swalows, les Seibu Lions et surtout les Yomiuri Giants. Propriété du géant médiatique Yomirui, les Giants sont de loin l’équipe la plus titrée de la Ligue Centrale (39 titres sur 75 à ce jour) et de la NPB (22 victoires à ce jour). Un règne quasiment sans partage a même eu lieu dans les années 1960 et 1970, amenant la franchise de Tôkyô au statut d’équipe mythique au Pays du Soleil levant. C’est la formation la plus populaire de l’archipel, l’équipe la plus forte financièrement, mais aussi celle avec laquelle la rivalité est la plus forte. On estime que près de 40% des revenus générés par la NPB sont dus aux seuls Giants. Cette importance des Yomiuri Giants fait que globalement, la Ligue Centrale est plus populaire, plus solide et plus puissante que sa sœur du Pacifique.

Traditionnellement, les équipes de NPB servaient surtout à promouvoir l’image de leur entreprise mère, et non à générer des bénéfices, contrairement aux clubs de la MLB américaine. Dans un contexte de publicité télévisée coûteuse, posséder une équipe permettait à une entreprise d’être visible toute la saison. Pendant longtemps, la rentabilité n’était qu’un objectif secondaire. Cette mentalité a commencé à changer au cours de la décennie 1990, où le Japon voit s’achever son miracle d’après-guerre et découvre la récession, la stagnation, la crise économique. Les pertes financières deviennent de moins en moins tolérables.

Le séisme

Au début des années 2000, la situation financière de la plupart des équipe de la Ligue Pacifique se dégrade. Notamment celle des Kintetsu Buffaloes qui affichent des pertes annuelles d’environ 40 millions de dollars US ! Ces pertes s’expliquent par la baisse de la fréquentation des matchs à domicile, la hausse des salaires des joueurs, ainsi que le paiement du loyer pour l’utilisation de l’Ôsaka Dome, leur stade.

De leur côté, les Orix BlueWave font eux aussi face à des difficultés financières de plus en plus importantes. La fréquentation de leurs matchs à domicile ne cesse de baisser depuis le départ de la star Ichiro Suzuki pour la MLB en 2001, et l’équipe a terminé dernière du classement deux années de suite. Par ailleurs, ces deux équipes de la Ligue Pacifique toutes deux basées dans la région du Kansai (Ôsaka, Kôbe, Kyôto, …) sont à elles deux moins populaires que les Hanshin Tigers, la grande équipe historique d’Ôsaka, qui évolue dans la Ligue Centrale.

Un schéma vaut mieux que mille explications.

L’entreprise de service internet Livedoor se montre intéressée pour le rachat des Buffaloes au début de l’année 2004, quand il devient clair que la situation financière de la franchise conduira inévitablement à la faillite dans un avenir proche. Seulement, pour des raisons encore inconnues à ce jour, les dirigeants de l’entreprise Kintetsu ont systématiquement refusé d’ouvrir des négociations avec Livedoor. Même s’il n’est pas exclu que l’arrivée d’un acteur totalement nouveau dans le monde du baseball ait suscité l’hostilité de l’ensemble de la NPB. Toujours est-il que devant l’impossibilité de trouver un repreneur, les dirigeants des Kintetsu Buffaloes annoncent en juin 2004, leur intention de fusionner avec les Orix BlueWave. Une fusion qui serait effective dès la saison suivante. A la fin du mois de juin, la NPB approuve le projet de fusion. Une décision qui va mettre le feu aux poudres…

Premier problème, la question des fans, qui ne sont bien sûr pas du tout enthousiastes vis à vis de cette idée. Car même si les équipes sont avant tout des équipes d’entreprises, les Buffaloes et les BlueWave sont basés dans le Kansai depuis leur création, et ont donc construit une fan base fidèle. Les supporters des BlueWave, équipe basée à Kôbe, ont même un lien encore plus fort avec leur équipe en raison de leur victoire en championnat lors de l’année 1996, un an et demi après le terrible séisme qui a touché la ville en janvier 1995. Une victoire ressentie comme un moment de résilience de la ville portuaire et dont le souvenir est encore vivace. Il va sans dire que ce projet de fusion, en d’autres termes de disparition programmée des deux équipes, soulève une vague de contestation qui va polluer l’intégralité de la fin de la saison 2004. Des pétitions rassemblant des centaines de milliers de signataires sont initiées. A quasi chaque match, des banderoles d’opposition au projet sont affichées dans les stades des deux équipes (avec un soutien non négligeable venu des fans des autres équipes d’ailleurs).

« Kyûdan gappei danko hantai »
« Non à la fusion des équipes ! » – Cette banderole, et bien d’autres, sera déployée tout au long de la saison 2004 par les fans des Buffaloes

Deuxième problématique majeure, la question des joueurs des Buffaloes et des BlueWave : une équipe de baseball professionnelle est généralement composée d’une centaine de joueurs sous contrats. La fusion de deux équipes de la NPB entraine mécaniquement le licenciement d’une centaine de joueurs sous contrats. Une situation absolument inacceptable le syndicat de la Japan Professional Baseball Players Association (JPBPA). Durant tout l’été, des menaces de grèves des joueurs planent sur l’ensemble de la ligue. Une première grève est approuvée par la JPBPA pour tous les matches des week-ends de septembre 2004 à moins que trois conditions ne soient remplies avant le 10 septembre :

  • Le gel de la fusion pour au moins un an, c’est-à-dire que la fusion entre les Buffaloes et les BlueWave ne doit pas se faire avant 2006,
  • La promesse qu’aucune autre fusion d’équipe n’ait lieu,
  • La réduction des frais exigés pour la création d’une nouvelle équipe en NPB, ce afin de faciliter le remplacement d’une franchise venant à disparaitre.

Un accord est trouvé quelques jours avant la date fatidique. Mais quelques jours plus tard, les dirigeants de Kintetsu et de Orix annoncent que la fusion se fera quoi qu’il arrive. C’en est trop pour la JPBPA qui décrète la première grève de l’histoire du baseball japonais. Aucun match ne se joue le 18 et le 19 septembre 2004, les joueurs se contentant d’entrainements et de séances d’autographes. Dans tout l’archipel, c’est la consternation…

« La grève a été décidée ! » titrent la quasi totalité des quotidiens japonais le 18 septembre 2004. Dans l’ensemble, les médias et l’opinion publique seront du côté des joueurs.

Le jeudi suivant, avec la menace de continuer la grève le week-end suivant, un accord est trouvé. Les joueurs acceptent de ne pas faire grève à nouveau après que les représentants des équipes de NPB ont enfin assoupli les conditions pour l’entrée de nouvelles équipes professionnelles, autorisant l’arrivée d’une nouvelle équipe dès la saison suivante. On estime que la a grève de deux jours a entraîné des pertes économiques d’environ 1,89 milliard de yens (environ 17,2 millions de dollars en 2004). Les recettes des 12 matchs annulés auraient rapporté environ 1,68 milliard de yens via les ventes de billets et de concessions. Environ 200 millions de yens de revenus télévisés sont perdus, principalement pour les deux matchs des Yomiuri Giants. Les joueurs subissent une réduction de salaire totale de 190 millions de yens.

Vers une refondation

Le 7 juillet 2004, alors que la fusion entre les Buffaloes et les BlueWave est approuvée par les dirigeants des deux groupes, une autre nouvelle fait l’effet d’une bombe : une autre fusion d’équipe en Ligue Pacifique était envisagée ! Quelles équipes étaient concernées, on ne l’a jamais vraiment su à 100%. Certaines rumeurs parlent des Lotte Marines et des Daiei Hawks. On apprend plus tard qu’une fusion qu’entre les Daiei Hawks et les Seinu Lions (pourtant l’équipe la plus solide de la Ligue Pacifique) fut bien envisagée. Ces rumeurs amènent à porter le débat sur la structure même de la NPB puisque qu’avec la fusion de deux équipes, la Ligue Pacifique perd mécaniquement une équipe et se retrouve avec un déséquilibre par rapport à la Ligue Centrale. Mais avec la potentielle fusion de deux autres équipes, c’est le système même de deux Ligues séparées qui perdrait son sens.

Ainsi durant tout l’été 2004, les dirigeants des équipes de la NPB se sont réunis pour répondre à cette problématique : faut-il garder le système à deux Ligues séparées ? Ou bien fusionner les deux pour ne former qu’une Ligue unique à 10 équipes ?

Les arguments pour et contre les deux solutions vont bon train. Les équipe de la Ligue Pacifique sont toutes pour une ligue unique. Les fans sont très divisés sur la question. Les joueurs majoritairement contre, du fait des pertes d’emploi mécaniques que provoquerait la disparition de deux franchises. Du fait de leur poids sur la NPB, l’avis des Yomiuri Giants compte énormément. Il est vrai qu’en raison de leur position, ils n’ont pas grand-chose à y perdre ou à y gagner. Mais le propriétaire des Giants se déclare plutôt favorable à une Ligue unique, allant même jusqu’à présenter à ses interlocuteurs un projet complet de refonte du championnat et des Japan Series.

Cependant, les dirigeants des Hanshin Tigers se montrent extrêmement critiques vis-à-vis du projet de Ligue unique. Et ils ont toutes les raisons de le faire puisque de leur point de vue, ils sont ceux qui ont le plus à perdre dans cette histoire. En dehors des Giants, les Tigers sont de loin l’équipe la plus populaire de l’archipel. Et surtout l’équipe la plus soutenue dans le Kansai. Chacun de leur match se joue à guichet fermé. Fondée en 1935, cette franchise jouit d’une grande aura historique et d’un immense prestige malgré son palmarès relativement famélique (une seule Japan Series remportée à l’époque). Et surtout, les Hanshin Tigers sont les premiers à bénéficier de la présence des Yomiuri Giants dans la Ligue Centrale.

Nozaki Katsuyoshi, président des Hanshin Tigers, a fermement défendu ses intérêts

Hanshin contre Yomiuri, c’est l’un des symboles contemporains de la rivalité entre Tôkyô et Ôsaka. C’est considéré comme le « Classique » du baseball au Japon. Les revenus de billetterie et surtout de diffusion sont sans commune mesure avec les autres affiches du championnat. Il est facile de comprendre que les dirigeants des Tigers n’ont aucun intérêt à ce que la situation ne change, et encore moins à ce que le nombre de rencontres contre les Giants diminue. Et il ne fait aucun doute que c’est cet argument qui fait pencher la balance chez les autres équipes de la Ligue Centrale, lesquelles adoptent tous une position de ferme opposition à la Ligue Unique.

La grève des joueurs de septembre 2004, qui sont eux en faveur du maintien de tout système permettant de conserver un nombre de 12 équipes, fait également pencher la balance. Mais les difficultés financières des équipe de la PL sont bien là, et il faut trouver une solution pour relancer l’intérêt autour de la NPB, dont l’immobilisme du calendrier commence à lasser les fans. C’est donc pour cela que le président des Hanshin Tigers propose un compromis : des matches « Interleague » comptant pour la saison régulière auront lieu chaque année aux alentours des mois de mai et juin. Chaque équipe de la Ligue Centrale rencontrera à 3 reprises chaque équipe de la Ligue Pacifique et vice versa. Ce système permet de maintenir le système à deux ligues séparées, l’existence du All-Star Game et des très populaires Japan Series, tout en permettant de créer de l’intérêt avec des affiches compétitives inédites et aux équipes de la Ligue Pacifique de bénéficier notamment du prestige des Yomiuri Giants. Cette proposition est acceptée en novembre 2004 et il est décidé de la mettre en application dès la saison 2005.

Les Rakuten Eagles prennent la place laissée vacante par la fusion.

Reste à régler la question de la place vacante laissée par la fusion des Orix BlueWave et des Kintestu Buffaloes. Cette fois, pas le choix, il faut créer une nouvelle franchise de toute pièce. Les conditions d’entée dans la NPB ayant été assouplies à la suite de la grève de septembre, deux entreprises se portent candidates pour créer une équipe : Livedoor (qui n’a toujours pas lâché l’affaire) et Rakuten (l’équivalent japonais d’Amazon). Les deux projettent d’implanter leur franchise à Sendai, 5e plus grande ville du pays qui était jusque là désertée par le baseball professionnel. C »est finalement le projet de Rakuten qui est sélectionné. Un choix judicieux puisque quelques mois plus tard seulement, un scandale de détournement de fonds frappe le PDG de Livedoor… Mais ainsi sont nés les Tôhoku Rakuten Golden Eagles, qui intégrent la Ligue Pacifique dès la saison 2005.

Enfin, notons que Daiei, qui cherchait discrètement à fusionner avec une autre équipe de la PL, finit par conclure un accord avec le conglomérat SoftBank (une des plus puissantes banques du Japon), qui achète 98 % des parts de la franchise le 30 novembre 2004. Cette transaction est approuvée lors d’une réunion des propriétaires de la NPB le 24 décembre et prend effet le 28 janvier 2005. La Ligue Pacifique a réussi à conserver son nombre d’équipes à 6 et a même trouvé des actionnaires plus solides pour ses équipes.

En janvier 2005, les Daiei Hawks deviennent les SoftBank Hawks.

Que retenir ?

Après avoir subi la plus grande crise de son histoire, la NPB commence en 2005 une nouvelle saison après deux bouleversements majeurs : trois équipes sur 12 ont une nouvelle identité (Orix Buffaloes, SoftBank Hawks, et les tout nouveaux Rakuten Eagles), et une période de matches inter-ligues permettent enfin d’avoir des affiches inédites et compétitives. Les matches inter-ligues en saison régulière correspondent à ce que les fans de NPB espéraient depuis longtemps, et ils sont attendus chaque année comme un des moments forts de la saison. La création des Rakuten Eagles à Sendai a également suscité un certain enthousiasme. Après Sapporo la saison précédente, c’est désormais la 5e plus grande ville japonaise qui possède son équipe. Désormais, chaque mégalopole de l’archipel a sa franchise et la répartition géographique des équipes de NPB est enfin plus équitable. Il n’aura d’ailleurs fallu que 8 ans à Rakuten pour remporter son premier titre de champion. Tandis que les Buffaloes, malgré des premières années difficiles sur le plan sportif, retrouvent enfin la voie du succès depuis quelques années, avec une Japan Series remportée en 2022 et une finale en 2023.

Cependant, tout n’est pas idyllique. A Sendai, bien que les habitants soient satisfaits de la présence d’une équipe professionnelle, ils la perçoivent avant tout comme l’équipe de Rakuten (les couleurs et le logo sont ceux de la maison-mère), à l’inverse du Vegalta Sendai en football par exemple. De même, les Orix Buffaloes, issus de la fusion de 2004, n’ont pas réussi à fusionner la fan base des deux équipes initiales. Il suffit de se balader un peu à Ôsaka pour le comprendre : il n’y en a que pour les Hanshin Tigers ! Ces derniers jouent systématiquement à guichet fermé devant 50 000 spectateurs, tandis que l’équipe d’en face peine à remplir régulièrement son stade.

Lorsqu’ils se rencontrent en match inter-ligues, même si le Ôsaka Dome est l’antre des Orix Buffaloes, il n’y a pas photo : les trois-quarts des tribunes sont jaunes, aux couleurs des Tigers.

La situation financière de la plupart des équipes reste fragile. En témoigne le déclin progressif du mastodonte Yomiuri Giants, plus aussi soutenu qu’avant par la maison mère, et qui n’a plus remporté de titre depuis 2012. Depuis le début des années 2000, les joueurs japonais n’hésitent plus à s’expatrier pour tenter leur chance en MLB américaine, affaiblissant d’avantage le niveau, les revenus de diffusion, et le prestige de la NPB. Par ailleurs, il n’y a toujours aucun système de répartition équitable des revenus, maintenant donc de fait des inégalités sportives dans un championnat avec peu d’équipes :  les SoftBank Hawks ont entre 2011 et 2020 remporté 7 Japan Series sur 10.

La situation est paradoxale : les joueurs de baseball japonais n’ont jamais été aussi forts. Ils font le bonheur des franchises MLB. L’un d’entre eux, Shôhei Ôtani, affole les statistiques depuis quelques années et s’affirme comme l’un des plus grand joueurs de tous les temps. L’équipe nationale japonaise a d’ailleurs marqué les esprits en 2023 en remportant la World Classic, l’équivalent d’une Coupe du monde de baseball, en battant les Etats-Unis et leur armada de stars de la MLB. Le baseball japonais est à son apogée… Mais son championnat local est dans une forme précaire, souffrant du poids de ses contradictions qu’il a trop longtemps voulu cacher sous le tapis.

Et le football dans tout ça ? Le Sport-roi est peut-être à l’aube de grands bouleversements irréversibles. Les conspirateurs pro-Superleague, Florentino Pérez et Andrea Agnelli en tête, refuseront certainement de le voir. Mais l’exemple de la NPB est très riche d’enseignements pour ceux qui poussent toujours plus loin pour « l’élitisation » du football et la concentration des revenus entre les mains de quelques clubs. Cet immobilisme, cet obsession du profit, ou a minima de la sauvegarde de ses acquis au mépris du sportif et des souhaits des fans a bien failli provoquer l’effondrement de la ligue sportive la plus populaire d’un pays de 130 millions d’habitants.

Xixon

Même un Bordelais peut préférer la bière. Puxa Xixón, puxa Asturies, puta Oviedo ! 俺は日本サッカーサポーター ! (Rien à voir avec le judo) 

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