Lorenzo, entre Giorgio et Edy

Lorenzo Buffon, lointain parent de Gigi, est décédé à 95 ans. Comment lui rendre hommage sans évoquer Giorgio Ghezzi et les chassés-croisés qui ont jalonné leur jeunesse ? Buffon, gardien du prestigieux Milan des années 1950 dut se résoudre à défendre les couleurs de l’Inter alors que Ghezzi, Nerazzurro convaincu dut se convertir à l’écusson rossonero au début des sixties. Une concurrence sportive qu’embellit la présence d’une femme, Edda Campagnoli.

Frioulan de naissance, le jeune Lorenzo Buffon pratique le football à l’oratoire comme tous les gamins d’Italie ou presque. Ses prédispositions physiques lui ouvrent les portes de l’équipe de sa ville, Latisana, puis celle de Portogruaro alors en Serie C. Entraineur-joueur en fin de carrière, Felice Arienti le recommande à l’AC Milan alors qu’il n’a pas 20 ans. Quelques mois d’entrainement suffisent à éliminer la concurrence : Lajos Czeizler le lance en janvier 1950 alors que le trio suédois Gre-No-Li[1] martyrise les défenses de Serie A (71 buts à eux trois lors de la saison 1949-50).

Avec Niels Liedholm.

L’émergence de Buffon correspond à une période de profonde transformation du Milan, selon le vœu du président Trabattoni. Club traditionnellement sans éclat, misant sur un football physique en accord avec les valeurs des populations laborieuses qui le soutiennent, le Milan entreprend de s’affranchir du joug que lui impose son voisin interista. Désireux de rivaliser avec la Juventus et l’Inter, Trabattoni compose une équipe talentueuse, racée, au sein de laquelle la haute silhouette de Buffon ne dépare pas. Plus tard, Andrea Rizzoli poursuit l’œuvre de Trabattoni avec les venues de cracks tels Pepe Schiaffino ou Cesare Maldini. Inamovible gardien rossonero durant une décennie, Buffon se distingue par la précision de son placement et la sûreté de ses prises de balle. Cette capacité à bloquer les ballons repose sur des mains puissantes – des tenailles dit-on – qu’il muscle en serrant des billes dans ses poches. Des qualités qui participent à la domination du Milan durant les années 1950 (quatre scudetti et deux Coupes latines).

A peine plus jeune, Giorgio Ghezzi effectue ses débuts à l’Inter en 1951, voulu par Aldo Olivieri, gardien champion du monde avec la Nazionale en 1938. Ghezzi conquiert le public par son jeu très physique, novateur en comparaison du plus conventionnel Buffon. Lors d’un derby milanais, Ghezzi se jette dans les pieds de Schiaffino, chose assez rare pour l’époque, et reste au sol en se tordant de douleur durant de longues minutes. Schiaffino a-t-il manqué de classe ou Kamikaze Ghezzi doit-il s’en prendre à lui-même ?

La réponse diffère selon les angles de vue et les accointances, évidemment. Toujours est-il que l’événement provoque d’énormes tensions entre tifosi de l’Inter et du Milan à tel point que les polémistes montent peu à peu en épingle le duel à distance que se livrent Ghezzi et Buffon. Pain bénit pour les paparazzi, la rivalité sportive se déplace sur le terrain amoureux. Kamikaze le premier séduit Edy Campagnoli, mannequin œuvrant en silence à l’attractivité des jeux télévisés animés par Mike Bongiorno. La discrète Edy vient alors de succéder à la trop bavarde Maria Giovannini, ce qui donne une idée des critères de sélection de Mike, un présentateur de goût. L’idylle entre Edy et Giorgio ne dure pas, la potiche se jette dans les bras de Lorenzo il Magnifico et abandonne la télévision. Les noces célébrées dans l’église San Gottardo in Corte à Milan marquent les esprits et ouvrent l’ère de la peoplisation du sport.

Edy et Mike Bongiorno.

Gardien de la Nazionale après le fiasco ayant conduit à la non-qualification pour la Coupe du monde en Suède, mari comblé, Lorenzo Buffon vit des heures fastes jusqu’à ce que Gipo Viani, homme fort du président Rizzoli, décide de rebattre les cartes au cours d’un étrange balai à trois impliquant le Milan, l’Inter et le Genoa. Premier concerné, Ghezzi. Persona non grata à l’Inter,probablement en raison de son syndicalisme et de sa sympathie pour les idéaux du PCI, il est cédé au Genoa en 1958. A l’intersaison suivante, Ghezzi file au Milan où il remplace Buffon, monnaie d’échange vis-à-vis du Genoa. Et durant l’été 1960, alors que le Grifone coule à la suite de l’affaire Cappello, Lorenzo conclut le jeu de chaises musicales en signant à l’Inter selon le vœu de son directeur sportif Italo Allodi.

Ce chassé-croisé traduit avant tout les limites affichées par les deux portiers. A propos de Ghezzi, Gianni Brera écrit que « ses sorties semblent toujours dictées par le désespoir ». Difficile de trouver formule plus juste. Derrière cette image de joueur irréfléchi se cache un être profondément sensible, rongé par la peur de mal faire. Dans un style différent, Buffon connaît les mêmes affres, un mental friable occasionnant des performances irrégulières que l’on finit par lui reprocher.

Giorgio Ghezzi.

L’échange profite à Ghezzi, champion en 1962 et vainqueur de la Coupe des clubs champions européens 1963 avant qu’il ne sombre dans la tourmente du Maracanã lors d’une Coupe intercontinentale scandaleuse face à Santos. Cette même année, Lorenzo Buffon conquiert avec l’Inter un cinquième scudetto mais achève la saison sur le banc. Sa carrière internationale a pris fin l’année précédente lors de la frustrante Coupe du monde au Chili. Sous le maillot azzurro, le public retient surtout les images christiques d’un Lorenzo désarticulé, des filets de sang coulant de son beau visage après un choc avec Gerry Hitchens lors d’une rencontre amicale contre l’Angleterre à l’Olimpico,

Quand la carrière de Buffon s’achève, son mariage avec Edy bat de l’aile malgré la naissance de Patricia quelques années plus tôt. Il est jaloux, elle cherche une échappatoire, entre mode et médias. Ils divorcent en 1968, une séparation qui éloigne définitivement Lorenzo des sunlights alors qu’Edy réapparaît parfois aux côtés de l’inoxydable Mike Bongiorno[2].


[1] Gren, Nordahl et Liedholm.

[2] A la fin des années 1970, Mike Bongiorno présente une émission aux côtés de Patricia Buffon, fille d’Edy et Lorenzo.

12 réflexions sur « Lorenzo, entre Giorgio et Edy »

      1. Ah oui, viens de relire. Tu avais écrit cela « il rechigne à se jeter dans les pieds des attaquants, obnubilé par la maîtrise de l’espace, ce qui en fait la cible de certaines critiques qui n’hésitent pas à railler son style archaïque. Les mêmes qui ne croient pas en Zoff dont le modèle est Sarti. »
        Ça va plaire à Alex, le plus grand fan de Dino !

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      2. Le buffet dans mon salon a plus de mobilité que Dino! Je ne l’ai même pas fait exprès mais, pour les besoins d’un article à venir, m’est revenu un match où il fait quand même (encore..) un peu pitié. Gardien surfait.

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      3. Et, à nouveau : le style archaïque n’est en soi pas le problème, bien des anciens restèrent régulièrement supérieurs à bien des modernes. Mais lui : c’est zéro prise de risques..ce qui lui interdit d’aller chercher des ballons que d’autres allaient chercher..et cependant il ne commet pas moins de boulettes qu’eux!!! (simplement : elles sont moins spectaculaires vu la sobriété et le conservatisme de son jeu)

        Parmi les légendes de ce sport, c’est l’un de ceux qui m’ont sportivement le plus déçu. Je trouve que Verano a bien résumé le bazar l’autre jour : il n’a jamais appartenu à la crème de la crème, l’expression était peu ou prou celle-là?? En tout cas je comprends que pendant 20 ans il n’ait jamais fait l’unanimité, il y a quand même un paquet de nations qui avait mieux en magasin à son époque.

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    1. Je n’en vois pas. Un type cultivé ayant le sens de la formule, clivant tant il assumait sa partialité et dont les écrits demeurent malgré le temps qui passe. Il s’est souvent trompé mais avec style !

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  1. En 62, la Serie A recrute en Angleterre. Baker et Law au Toro, Greaves au Milan et Gerry Hitchens à l’Inter. C’est finalement ce dernier qui aura un véritable cycle Italien. Ferai un jour un texte sur leurs venues.

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