Il était une fois… l’Intercontinentale – 1963, Santos – Milan, le diable était Brésilien

Sur la photo d’en-tête, Giovanni Trapattoni observe l’intervention peu orthodoxe de Cesare Maldini sur Almir Pernambuquinho. Il se doute bien que cette action n’est pas anodine. C’est à ce moment précis que bascule la finale de la Coupe Intercontinentale 1963 : l’arbitre argentin Juan Brozzi siffle pénalty. Exaspéré par les protestations de Maldini, il expulse le capitaine du Milan dans la foulée. La pelouse du Maracanã se transforme rapidement en agora, un espace public où s’agglutine un conglomérat de professions et d’influences, chacune ayant sa propre opinion sans que cela ne puisse peser sur la décision souveraine de Juan Brozzi, physique de gratte-papier à la moustache impeccable et au regard fuyant. De longues minutes s’écoulent durant lesquelles les forces de sécurité s’efforcent de faire place nette. Puis le défenseur de Santos et bourreau désigné, Dalmo, exécute froidement la sentence, ouvrant et clôturant le score de ce troisième round – le mot est choisi à dessein – entre Santos et Milan. Le Peixe est champion, Almir en est le héros mi-sacrificiel, mi-criminel, mais ce titre ne glorifie pas les Brésiliens, à mille lieues de la démonstration face à Benfica l’année précédente.

Maldini expulsé.

Les belligérants

Quand il se présente à Milan en octobre 1963, Santos vient de réaffirmer son emprise sur le continent sud-américain en s’octroyant une seconde Coupe Libertadores consécutive (encore appelée Coupe des Champions d’Amérique). Le match retour contre Boca Juniors, la batalha de la Bombonera selon les chroniqueurs brésiliens, prouve si c’était encore nécessaire que Santos et Pelé ne craignent personne[1].

Pourtant, ce déplacement en Lombardie n’évoque pas de bons souvenirs au Peixe. Lors du tournoi honorifique Città di Milano disputé à San Siro en juin 1963, Santos s’est incliné à deux reprises : 2-0 contre l’Inter de Helenio Herrera, tout juste sacré champion d’Italie, et 4-0 contre le Milan, euphorique après son succès contre Benfica en finale de Coupe d’Europe des clubs champions. L’exécuteur de Santos s’appelle José Altafini, auteur d’un quadruplé face à ses compatriotes brésiliens.

D’ailleurs, ce Milan a un fort accent de Seleção avec trois champions du monde 1958 ou 1962 : Dino Sani, « le cerveau » du milieu, le bomber José Mazzola Altafini et le nouveau venu, Amarildo, fraîchement débarqué de Botafogo. Ce dernier ne manque pas d’assurance. Destiné à un rôle de doublure lors de la Coupe du monde au Chili, il remplace Pelé blessé et contribue grandement au second titre de la Canarinha aux côtés de la superstar Garrincha. Quand des journalistes lui parlent de Pelé, il ne prend pas de gants, affirmant n’avoir rien à lui envier et créant une mini affaire qu’O Rei refuse de commenter.

« Pelé, c’est moi »

Le mercredi 16 octobre, en soirée, 52 000 spectateurs seulement se rendent à San Siro dans l’espoir de voir leurs protégés prendre une option sur la victoire finale. Des triomphateurs en Coupe d’Europe, parmi les hommes clés, ne manquent qu’El Conejo Benítez et Dino Sani, blessés. Sur le banc, l’Argentin Luis Carniglia remplace Nereo Rocco, brouillé avec le directeur technique Gipo Viani. Dans les rangs de Santos, les cracks Pelé, Pepe, Coutinho sont là, mais la défense souffre de l’absence du bicampeão Mauro Ramos.

Les Rossoneri ouvrent d’emblée le score d’une frappe sèche à ras de terre de Giovanni Trapattoni à une vingtaine de mètres de Gilmar. De la tête, Amarildo double la mise rapidement, un but lui ayant été refusé pour hors-jeu trois minutes auparavant. Selon certains témoignages, alors qu’il se replace, Amarildo provoque ses compatriotes sur le banc de touche en lançant à la cantonade : « Pelé, c’est moi ». Sur le début de match, ce n’est pas faux. Étouffé par le marquage des blonds Trapattoni et Pelagalli, Pelé n’existe pas.

En seconde mi-temps, le rapport de force s’inverse durant un quart d’heure. A l’entrée de la surface, Pelé feinte le Trap, Maldini glisse et le numéro 10 trompe Ghezzi d’une frappe croisée pour ramener le score à 2-1. Santos croit à l’égalisation mais ses espoirs s’effondrent quand Amarildo, lancé par Rivera, trompe en force Gilmar. Enervés par la maîtrise italienne, les Brésiliens durcissent le jeu sans que cela n’inverse la tendance. Bruno Mora (4-1) puis Pelé sur pénalty (4-2) marquent en fin de match et le Milan remporte sans discussion possible la première manche.

Lula tente de calmer Pelé sous le regard de Geraldino et Amarildo.

Tempête sur le Maracanã

Les deux équipes se retrouvent un mois plus tard au Maracanã de Rio, le Vila Belmiro de Santos étant trop étroit pour un tel événement et le Pacaembu de São Paulo trop hostile (c’est alors l’enceinte du Corinthians). Dino Sani est toujours la seule absence notable du Milan alors que, coup de tonnerre, la presse apprend la veille de la rencontre que Pelé est forfait, tout comme Calvet et Zito. Almir Pernambuquinho remplace O Rei et dans les rangs italiens, l’optimisme est de mise. Comment pourrait-il en être autrement puisqu’Almir est ce qu’on appelle avec mépris un bidone ? Acheté à Boca Juniors par la Fiorentina en octobre 1962, immédiatement prêté au Genoa, il a retraversé l’Atlantique en n’ayant été titularisé qu’à deux reprises en Serie A, un fiasco absolu. Un bidone, quoi !

Ce jugement péremptoire est une erreur de diagnostic. Almir est une énigme, un type à part, le diable travesti en footballeur. Certainement pas un bidone, loin de là. Il suffit de se plonger dans son regard pour y voir le Malin. Capable d’initier des actions merveilleuses et de tout gâcher l’instant suivant en provoquant des échauffourées au moindre prétexte. La bataille rangée de Copa América 1959 au Monumental de Buenos Aires entre la Seleção et la Celeste est sans contestation possible son chef d’œuvre. Ce soir de novembre 1963, Almir a une dette à régler, convaincu que Santos a été floué à San Siro et que l’irrespect d’Amarildo vis-à-vis de Pelé, qu’il vénère, mérite sanction.

Almir avec Boca. Ce match signifiera la fin de son aventure boquense.

Malgré la présence de 150 000 torcidas et l’agressivité malsaine d’Almir vis-à-vis d’Amarildo, Milan affiche sa tranquille assurance et mène 2-0 à la mi-temps grâce à José Altafini de la tête, Bruno Mora du pied droit et Giorgio Ghezzi, excellent avec ses mains. Il faut que Santos inscrive trois buts pour obtenir le droit de disputer un match d’appui et peu d’observateurs croient à ce scénario.

Au retour des vestiaires, le vent tourne au sens propre et la pluie, soudaine et violente, semble vouloir laver l’affront que subit le Peixe. Transfigurés, les joueurs de Santos sont des lions, le public rugit alors que les Milanais sont emportés dans un tourbillon barbare. Pepe réduit le score sur un coup franc mystifiant Ghezzi, Almir égalise de la tête entre deux claques à ses adversaires, Lima inscrit un but de grande classe et Pepe achève les Italiens d’un nouveau coup franc surpuissant portant le score à 4-2. C’en est trop, le cœur du Maracanã palpite dangereusement et plusieurs spectateurs sont évacués à la suite de malaises.

Milan a craqué, blessé à une main, Ghezzi a perdu pied, rappelant amèrement qu’il a toujours été un gardien fragile émotionnellement. Puisqu’il faut un coupable, l’honnêteté de l’arbitre est mise en doute avec véhémence par les Rossoneri. Dans la Stampa du lendemain, Alessandro Porro se montre bien moins définitif : « Tous les joueurs ont commis des irrégularités, et de manière évidente, sans trop se soucier de l’arbitre qui est apparu, à certains moments, comme un esclave de la violence. Juan Brozzi a dirigé le match protégé par l’ombre de Ponce Pilate : il s’en est lavé les mains, permettant des fautes scandaleuses dans les deux camps, comme quelqu’un qui ne veut pas prendre la peine d’intervenir ».

Juan Brozzi.

Almir, de bidone à carnefice[2]

Un troisième match est donc nécessaire pour départager les deux équipes. Milan menace de ne pas se présenter si la rencontre ne se déroule pas sur terrain neutre et si un nouvel arbitre n’est pas désigné. En réponse, la FIFA l’informe que le titre ira Santos en cas de forfait. Alors les Rossoneri reviennent au Maracanã. Officiellement pour gagner, pourraient-ils dire autre chose ? La résignation relève d’un sentiment intérieur et ne se dévoile pas. Luis Carniglia feint d’avoir les choses en main, il écarte Giorgio Ghezzi et Gianni Rivera, les plus atteints physiquement et mentalement, alors que Pelé est toujours indisponible.

Deux jours n’ont pas suffi à effacer les antagonismes et Almir se charge de rappeler sa folie. Dès les premières minutes, il laisse traîner son pied dans la tête du gardien Balzarini qui doit être bandé puis remplacé. Bague au doigt pour mieux châtier, il frappe à plusieurs reprises son garde du corps, Trapattoni, et tous ceux qui se présentent à lui. Puis vient l’action de la 30e minute, celle qu’illustre la photo d’en-tête. Alors que Maldini saute pour dégager un ballon aérien, Almir se jette tête la première entre ses jambes sans autre intention que provoquer un contact. Juan Brozzi siffle immédiatement faute et désigne le point de pénalty alors qu’Almir est prostré au sol. Maldini entre dans une rage folle : non seulement il conteste la véracité de la faute, mais si tant est qu’elle soit réelle, le contact a eu lieu en dehors de la surface de réparation.

Trebbi à la fin du match décisif accompagné aux vestiaires par la police.

Brozzi demeure inflexible[3], Maldini est expulsé, Dalmo marque, Santos s’impose 1-0 malgré le renvoi d’Ismael, auteur d’un coup de tête sur le traître Amarildo. Dans un bordel monstre, Mauro Ramos peut brandir la Coupe Intercontinentale devant le public du Maracanã en liesse.

Des années plus tard, peu avant que son irascibilité ne cause sa perte, Almir révèle les dessous de la finale, les éléments expliquant sa prestation démente, dont la prise de substances dopantes : « Nous avions été tabassés en Italie alors j’étais en colère. J’ai sorti mes couilles. Les gringos se plaignaient mais je ne leur répondais pas. Plus le gringo était grand, plus je le frappais.» Ces soirées de novembre 1963, Almir n’avait plus rien d’un bidone, il avait endossé l’habit du carnefice, le bourreau.

Almir dans les bras de Pelé après le match décisif.

Feuilles de match

16 octobre 1963, Milan, Stade San Siro

Milan AC 4-2 Santos 

Milan : Ghezzi – David, Trebbi, Pelagalli, Maldini – Trapattoni, Rivera, Lodetti – Mora, Altafini, Amarildo.

DT: Luis Carniglia.

Santos : Gilmar – Lima, Haroldo, Calvet, Geraldino – Zito, Mengálvio – Dorval, Coutinho, Pelé, Pepe.

DT : Lula.

Buts : 3e Trapattoni, 15e et 67e Amarildo, 82e Mora pour Milan, 55e et 84e sur pénalty Pelé pour Santos.

Arbitre : Alfred Haberfellner (Autriche)

14 novembre 1963, Rio, Stade Maracanã

Santos 4-2 Milan

Santos : Gilmar – Ismael, Mauro, Haroldo, Dalmo – Lima, Mengálvio – Dorval, Coutinho, Almir, Pepe.

DT : Lula.

Milan : Ghezzi – David, Trebbi, Pelagalli, Maldini – Trapattoni, Rivera, Lodetti – Mora, Altafini, Amarildo.

DT : Luis Carniglia.

Buts : 50e et 68e Pepe, 54e Almir, 65e Lima pour Santos, 12e Altafini, 17e Mora pour Milan.

Arbitre : Juan Brozzi (Argentine)

16 novembre 1963, Rio, Stade Maracanã

Santos 1-0 Milan

Santos : Gilmar – Ismael, Mauro, Haroldo, Dalmo – Lima, Mengálvio – Dorval, Coutinho, Almir, Pepe.

DT: Lula.

Milan : Balzarini (Barluzzi) – Benítez, Trebbi, Pelagalli, Maldini – Trapattoni, Lodetti, Fortunato – Mora, Altafini, Amarildo.

DT : Luis Carniglia.

But 31e sur pénalty Dalmo

Expulsions : Ismael pour Santos, Maldini pour Milan.

Arbitre: Juan Brozzi (Argentine)


[1] Victoires 3-2 à l’aller et 2-1 à la Bombonera.

[2] De tocard à bourreau.

[3] L’exclusion de Brozzi de la liste des arbitres internationaux après ces matchs de novembre 1963 sonne malgré tout comme de sérieux indices de sa culpabilité.

25 réflexions sur « Il était une fois… l’Intercontinentale – 1963, Santos – Milan, le diable était Brésilien »

  1. Merci Verano! J’allais te demander des infos sur Amiraldo dont je ne connaissais pas le caractère. Bien plus affirmé que ce que je pensais! Tu la juges comment sa carrière italienne? Le dernier titre de la Viola mais après…

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    1. Bilan globalement décevant. Le meilleur au début avec Milan puis une succession de saisons plutôt moyennes. Attaquant excentré, ce n’était pas un pur buteur, certes, mais ses performances ne sont pas exceptionnelles. Joueur de petite taille et filiforme, j’ai la sensation (à vérifier) qu’il s’est épaissi et a perdu de sa vivacité assez rapidement. Bref, un bilan mitigé, impression accentuée par un caractère de chien. En tout cas, ce n’était pas Pelé !

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      1. Merci. J’imagine que les bonnes performances de Benitez pousseront la direction milanaise à embaucher Alberto Gallardo l’année suivante.

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      2. Je viens de lire qu’il a été recruté après une mission de prospection de Niels Liedholm en Amsud en fin d’année 1963.

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  2. Tiens Verano, tu aurais un lien pour le 2e match du 16 novembre 1963? (Ou même le 3e?)
    Dans le temps j’étais tombé sur un long résumé (ou une mi-temps, je ne sais plus) de ce 2e match mais ça a disparu de Youtube depuis.

    https://i.imgur.com/OfCKZxd.jpg

    Almir, un talent énorme, à la hauteur de son instabilité chronique…
    Je vous invite à vous intéresser à la suite de sa vie après sa carrière. Pour ceux qui le connaissent un peu, vous ne serez malheureusement pas surpris.

    Dans le même genre, s’il y a un as de l’investigation parmi vous (et -au hasard- expert en football batave :P) qui voudrait bien nous gratifier d’un article sur Aharon « Roni » Kalderon, je lui en serai plus que reconnaissant 🙂

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    1. Demande au dénommé Ruud (c’est à lui que tu parles?? ), me concernant je ne suis à ce point pressé de voir venir ma mort sociale!

      + sérieusement : j’y ai déjà pensé..mais au gré d’un article brassant les indénombrabes histoires de trafic de drogue gravitant autour d’Ajax, à travers les âges…….. C’est juste que, à l’analyse : ben c’est hyper-compliqué..

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  3. A la télé, et pas n’importe laquelle, mais celle du général de Gaulle et du chef des sports Raymond Marcillac, on n’avait évidemment vu aucun de ces trois matchs.
    Heureusement qu’elle diffusait le Tournoi de Paris. Je n’ai pas vu celui de 60, mais j’en ai pris plein les mirettes en juin 61 lors du fameux Santos-Benfica.

    Tournoi de Paris 1961 du RCP:
    Un Roi et une révélation !
    1/2 Benfica / Anderlecht (3/2)
    1/2 RC Paris / Santos (4/5)
    3/4 RC Paris / Anderlecht (2/5)
    Finale: Santos / Benfica (6/3)
    Un nouveau jeune joueur, Eusébio, dispute le Tournoi de Paris, l’un des tournois les plus prestigieux de l’époque.
    En finale, il retrouve le Santos de Pelé, auteur ce jour-là d’un doublé ⚽️⚽️.
    Santos mène 5-0 quand Eusébio entre en jeu et se distingue rapidement par un triplé⚽️⚽️⚽️.
    Santos l’emporte toutefois 6-3 avec un doublé de Pepe et des buts de Coutinho et Lima et bien sûr le doublé de Pelé.
    Malgré la déroute, le jeune portugais de dix-neuf ans impressionne tout le monde, y compris ses adversaires.
    A l’issue de la rencontre, Pelé lui-même aurait demandé « Qui est ce garçon ? » à Mario Coluna, coéquipier d’Eusébio.
    Un an après la découverte du Roi, le Parc des Princes a donc assisté à la naissance d’un nouveau King: Eusébio.
    La chance

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      1. Haha. Je sens que l’on va en parler d’Ujlaki! Je viens de voir qu’il est mort à Sète. J’espère que Guits en parlera un jour!

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      1. Ah, tu comprends la même chose que moi?

        Quoique, gay.. Des travestis, c’est ça? Ou plus largement parlant des acteurs de cabaret?? Je ne pige pas trop.

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    1. En fait je n’y pige rien, réduit à être en mode freestyle-googletrad est mon (faux-?) ami.

      Ce que je comprends par contre c’est que, si tel fut le cas : Nathalie Koscisuzko-Morizet ne devrait pas tarder à en faire son beurre sur Sofoutre!

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