Autriche-RDA 1989 : dernière avant effondrement

Hiver 1989. Alors que l’Europe est en proie à de grands mouvements politiques qui changeront ses frontières pour longtemps, se disputent çà et là les derniers matchs des éliminatoires d’une prometteuse Coupe du monde 1990 sous le soleil italien. La République démocratique allemande, au cœur de la tempête de l’Histoire, est en lice pour obtenir le précieux sésame qui lui permettrait d’être présente en phase finale une deuxième fois après 1974. Pour cela, elle doit faire un résultat face à l’Autriche. Ce qui paraissait jouable va finalement s’avérer à l’image de son système politique en bout de course. P2F revient pour vous sur un match à vau-l’eau.

Quatre prétendants, deux heureux

Le 15 novembre 1989, dans le groupe 3 de la zone UEFA, ont lieu deux rencontres décisives : l’Union soviétique reçoit la Turquie tandis que l’Autriche accueille l’Allemagne de l’Est. Le classement, en américain capitaliste dans le texte, est alors très serré :

Seules les deux premières places sont qualificatives. Les Soviétiques sont les mieux lotis avant cette dernière journée, même s’ils ne sont pas à l’abri d’une mauvaise surprise. L’Autriche, à l’inverse, semble en grande difficulté car elle n’est pas maîtresse de son destin et reste sur une lourde défaite 3-0 en Turquie. Les Allemands de l’Est, pénalisés par une moins bonne différence de buts (laquelle compte à cette époque avant les confrontations directes en cas d’égalité de points), doivent absolument réaliser un meilleur résultat que la Turquie. L’Islande, quant à elle, a déjà disputé tous ses matchs et est éliminée.

Ces qualifications n’ont pas été de tout repos pour « l’autre » Nationalmannschaft, qui a toujours évolué dans l’ombre de son imposant voisin de l’Ouest. Une victoire inattendue face à l’URSS, finaliste sortant de l’Euro, a redonné espoir à tout un peuple, mais le contexte est tendu au sein de la Fédération est-allemande de football, la DFV.

Valse de sélectionneurs

L’affaire remonte à 1988. Bernd Stange, en poste depuis 1983 à la tête de la sélection, est alors dans le collimateur de Wolfgang Spitzner, le nouveau secrétaire général de la DFV qui a succédé au visqueux Günter Schneider parti à l’UEFA. Spitzner exige que Stange se retienne de sélectionner plusieurs joueurs du Dynamo Berlin, dix fois champion entre 1979 et 1988, afin qu’ils puissent se reposer. C’est un des moyens par lesquels la Fédération, sous l’influence du tout-puissant Erich Mielke qui dirige à la fois la Stasi et le Dynamo, met en œuvre la volonté du pouvoir politique de faire de Berlin-Est la vitrine du football est-allemand. Mais Stange, fort de son bon bilan sportif et en cour à la Stasi dont il est un indicateur fiable, ose refuser l’ordre.

Une surprenante défaite 3-1 en Turquie en novembre 1988, alors que Stange avait chanté victoire avant le match, donne à la DFV un bon prétexte pour limoger le gêneur. Il est remplacé par Manfred Zapf, impitoyable défenseur central du grand Magdebourg des années 1970 devenu secrétaire général adjoint de la DFV. Autoritaire, cassant, communiste ultra-orthodoxe qui donne du Genosse (camarade) à ses troupes même pendant l’entraînement, Zapf se rend rapidement très impopulaire auprès des joueurs. Plusieurs d’entre eux n’hésitent pas à se faire porter pâles pour ne pas avoir à rejoindre la sélection et sa morne ambiance. L’ailier Matthias Döschner lâchera ainsi plus tard : « Pour nous, c’était un anti-entraîneur qui pouvait à peine rentrer dans un survêtement ».

Six matchs et trois défaites plus tard, Zapf est licencié à son tour et remplacé en septembre 1989 par Eduard Geyer. Celui-ci aussi est un ancien central de la grande époque, celle du Dynamo Dresde dont il est maintenant l’entraîneur. Fin meneur d’hommes, « Ede » prend la sélection en main en parallèle avec son club et remporte deux importantes victoires, face à l’Islande et l’URSS, qui remettent la RDA dans la course vers l’Italie.

Toni, Toni, Toniiii !

Nous voici donc à Vienne, le 15 novembre. Six jours plus tôt, la chute du mur de Berlin a bouleversé le cours de l’Histoire. Dans ce contexte très particulier, avec la fin de la guerre froide en vue, le gouvernement autrichien autorise l’entrée de citoyens est-allemands sur son territoire sans nécessité d’un visa. Forts de leur liberté nouvelle, ceux-ci sont nombreux (au moins 5000) à garnir les tribunes d’un Praterstadion qui n’a pas encore pris le nom d’Ernst Happel.

Les joueurs apprennent la nouvelle alors qu’ils sont en préparation à Leipzig. Eduard Geyer confiera plus tard : « On a alors annoncé que la frontière était ouverte. Ce n’est pas que les joueurs voulaient partir tout de suite, mais ils n’avaient plus les idées claires. C’était unique dans l’Histoire ». Perry Bräutigam, le gardien remplaçant, confirmera : « Nous n’avons pas pu nous préparer à 100% comme nous le faisions auparavant, nous avions trop de choses en tête ».

Les conséquences ne se font pas attendre sur le terrain. Dès la deuxième minute de jeu, Toni Polster, la star incontestée de l’équipe autrichienne qui fait les beaux jours du Séville FC, frappe au ras du sol à l’entrée de la surface. Dirk Heyne, le gardien du FC Magdebourg, réagit tardivement (peut-être était-il masqué ?) et le ballon finit au fond. Entame cauchemardesque pour la RDA.

Vingt minutes plus tard, l’arbitre Piotr Werner, Polonais d’origine allemande, siffle un Elfmeter pour les Autrichiens, La faute est peu évidente sauf pour le commentateur de la TV autrichienne, même s’il est vrai que le défenseur accroche en fin de course le pied de l’attaquant Christian Keglevits sans forcément le vouloir. Polster ne se fait pas prier et enfonce le clou. Ses difficultés lors des qualifications (seulement 2 buts inscrits en 7 matchs) sont bien oubliées.

Les Allemands de l’Est, mentalement à côté de leurs crampons, livrent une prestation insipide. Les événements des derniers jours pèsent décidément bien lourd… Ils parviennent cependant à revenir dans le match et bénéficient même d’un penalty accordé à la demi-heure de jeu, pour une faute indiscutable cette fois. Mais il était inscrit que cette soirée ne serait pas la leur. Rico Steinmann, le jeune milieu défensif de Magdebourg, voit son tir médiocre repoussé superbement par Klaus Lindenberger, le gardien du FC Tirol. La RDA vient de laisser passer sa chance.

Le rythme retombe ensuite quelque peu, les Autrichiens se repliant en défense et laissant le ballon à leurs adversaires. En seconde mi-temps, on est plus proche du 3-0 que du 2-1 : l’Autriche perfore aisément la défense est-allemande qui laisse des espaces béants entre ses lignes disloquées. Et ce qui devait arriver arrive : à l’heure de jeu, Polster, encore lui, profite d’un marquage lâche pour enterrer définitivement les espoirs de la RDA d’un soyeux tir croisé sur lequel Heyne, mal placé au premier poteau, est de nouveau fautif.

À 3-0, la messe est dite : plus grand-chose n’est à signaler jusqu’à la fin du match si ce n’est l’expulsion de Ronald Kreer, l’inflexible latéral du Lokomotive Leipzig, à la 75e minute. Les minutes s’égrènent lentement tandis qu’à Simferopol, en Crimée, l’URSS mène 2-0 face à la Turquie. On en reste finalement là et les Autrichiens finissent ainsi au second rang. Ce sont eux qui accompagneront les Soviétiques en Italie l’été suivant.

La der de la DDR

Contrastant avec les scènes de liesse des locaux avec leurs supporters, l’abattement est total côté est-allemand. Une nouvelle fois, après 1976, 1978, 1980, 1986, et 1988, ils ratent une compétition internationale de peu. Et tous se doutent bien qu’ils n’auront plus jamais l’occasion de se qualifier sous le marteau et le compas de l’« État des travailleurs et des paysans ». Hormis des Jeux Olympiques fortement dévalorisés question football, la Coupe du monde 1974, disputée chez le voisin « capitaliste », restera leur seule participation à un grand tournoi.

La RDA ne disputera donc que des matchs amicaux en 1990 et sera placée, lors du tirage au sort des éliminatoires de l’Euro 92, dans le groupe 5, en compagnie de la Belgique, du Pays de Galles et du Luxembourg, et… de l’Allemagne de l’Ouest pour deux « revanches » de 1974 qui promettent. Mais la réunification allemande, devenue d’un coup possible à la chute du Mur, a pris un tour inévitable. La situation économique se dégrade tellement vite en RDA que les deux pays, encadrés par les quatre vainqueurs de la Seconde guerre mondiale qui ont droit de regard sur cette affaire, signent le 16 mai un traité d’union économique, monétaire, et sociale effectif au 1er juillet. L’union politique n’est désormais plus qu’une formalité. Le 22 août 1990, la Volkskammer, le Parlement unicaméral de la RDA, entérine la réunification à date du 3 octobre suivant.

La DFV a déjà anticipé les événements et s’est retirée de l’Euro pendant l’intersaison au profit de la future équipe d’Allemagne unifiée. Il est trop tard pour annuler son premier match des éliminatoires en Belgique, le 12 septembre à Bruxelles. Celui-ci est donc reclassé en amical et verra la RDA s’imposer 2-0 pour sa dernière apparition de l’Histoire.

Après la réunification, tous les joueurs est-allemands auront la possibilité d’intégrer immédiatement la nouvelle sélection unifiée. Le cas de la disparition pure et simple d’un État est en effet différent de celui des transfuges, fréquents pendant la guerre froide, et ne s’assortit pas de la suspension automatique de 14 mois qui frappait ceux-ci. Mais la différence de niveau entre les deux pays fera qu’il sera difficile aux Ossis de retrouver l’équipe nationale. Seuls huit d’entre eux joueront pour les deux sélections : Thomas Doll, Ulf Kirsten, Olaf Marschall, Matthias Sammer, Heiko Scholz, Dirk Schuster, Andreas Thom, et Darius Wosz. Deux seulement – Sammer, futur Ballon d’Or 1996, et Kirsten, septième meilleur buteur de l’histoire de la Bundesliga – feront une belle carrière avec la Mannschaft.

Cette période de fin de la guerre froide n’aura pas affecté que les sélections allemandes. Dans ce Mondiale italien d’une époque bien particulière, trois autres équipes nationales vivront leur dernier tournoi avant de disparaître : la Yougoslavie que la guerre civile déchirera peu après et qui ne subsistera plus que comme croupion, la Tchécoslovaquie dont les deux constituants divorceront à l’amiable, et surtout l’URSS dont les dirigeants n’auront d’autre choix que de se saborder le lendemain de Noël 1991. Ce jour-là, pour le rideau de fer, ce sera donc rideau.

PigBenis pour Pinte 2 Foot

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