Un siècle de portiers : les années 1980 (première partie)

Après le succès international du top des défenseurs, P2F se lance dans un top des… gardiens de but ! Toutes les deux semaines, vous retrouverez les portraits des plus fameux derniers remparts classés des années 1920 aux années 2010. Une façon de mettre en lumière un poste trop souvent mal-aimé, trop souvent ringardisé dans les cours de récré. Bonne lecture !

10) Le repenti

« Celui qui ne boit pas

Dénonce. »

(Proverbe polonais)

La légende raconte qu’en 1939, avant un match contre la Hongrie alors vice-championne du monde, l’attaquant polonais Ernest Wilimowski passa la soirée ivre mort sur une table de billard, à Katowice. Pour autant, le jour du match : ce sont trois buts qu’inscrirait ce buteur phénoménal auquel, selon le spécialiste du football silésien Pawel Czado, était injustement accolée l’étiquette d’ivrogne, et dont l’état d’ébriété, pour fréquent qu’il fût, eût gagné à être rapporté à la fragilité notoire de sa santé. Appuyant sa position, et nonobstant une version officielle qu’harasserait le journaliste Andrzej Gowarzewski, ce n’était d’ailleurs déjà pas pour des faits d’alcoolisme, mais bien plutôt de professionnalisme, si le grand Wilimowski n’avait pris part trois ans plus tôt aux Jeux olympiques de 1936.

Edmund Kowal (1931-1960), témoignant que tout tourne toujours rond, sous le regard d’évidence alerte d’un probable admirateur.

Dresser la liste de tous les grands footballeurs polonais liés, à tort ou à raison, à l’alcool exigerait plusieurs dizaines de pages. Parmi les cas les plus fameux, l’on se devrait de citer Edmund Kowal lequel, en tentant de monter dans un train en marche, glissa et tomba sous les roues d’un tramway, libérant la bouteille de vodka entamée qu’il portait sur lui, et qui en se brisant sous son poids lui porta le coup fatal. Ou encore Tadeusz Blachno, qui Dieu merci ne perdra qu’une jambe dans son contact évidemment fortuit avec un tram (« J’étais sobre pour la première fois de ma vie. Si j’avais été ivre, il va sans dire que j’aurais pu y échapper! »), et qui, un soir où des policiers avaient entrepris de le reconduire chez lui, mais convaincu que ceux-ci se trompaient de chemin, échoua une fois de plus en prison après leur avoir hurlé : « Comment diable conduisez-vous, bande d’idiots ! »

Plus récemment, c’est l’ancien attaquant Andrzej Iwan qui, coupable d’agressions sur une serveuse et des policiers et ne pouvant dès lors plus recourir au banal plaidoyer de ceux-là auxquels l’alcool réussît , ajouterait l’argument surnaturel du stimulus climatique : « C’est vrai, je suis faible face à ce genre de choses. Mais il y a une chose qui m’agace : quand je vais quelque part, et que je commande un café, le serveur me rétorque toujours qu’il me connaît déjà de tel ou tel autre estaminet, pfff… Mais qu’on me dise enfin qu’on se souvient de moi pour ce que j’ai fait sur le terrain, bon sang de bonsoir! J’ai joué au football, quand même! C’est d’autant plus rageant que, mon problème, c’est que je n’ai même pas besoin d’un copain pour boire. La pleine lune me suffit. Car je suis un maniaque de la météo, éh oui : il suffit qu’il y ait une pleine lune, un orage de foehn, de la pluie, ou une journée sans soleil, pour que je me sente aussitôt menacé. »

Andrzej Iwan, quand il fut le saint patron d’un club sponsorisé par une marque de bière.

En bonne place au cercle perdu des alcooliques malgré eux, figurerait aussi le bellâtre et fugace Dariusz Marciniak, que les frasques à foison emporteraient à ses prévisibles 37 ans, mais que son bon camarade Miroslaw Myslinski tiendrait pourtant à défendre comme suit : « Quand je suis arrivé au Slask Wroclaw (où les lascars combinaient service militaire et carrière footballistique), Darek était déjà un alcoolique notoire, que l’on casernait pour la nuit. Chaque soir, quand nous rentrions dans nos quartiers après le match ou l’entraînement, nous accomplissions d’abord notre tour de garde, puis nous dormions ensemble dans la même pièce. Mais tandis que moi je me réveillais sobre, lui émergeait toujours complètement ivre. C’était un mystère inexplicable. Puis, avec le temps, nous découvrîmes qu’il s’était lié d’amitié avec des haltérophiles qui le portaient avec son lit, l’infectaient à la gazoline, puis le remontaient à l’étage toujours dans son lit. Personne ne s’en était aperçu… »

Qui s’aperçut de l’état second de Jozef? Et, surtout : qui le dénonça?

Quand éclata le « Scandale d’Okecie », notre protagoniste était déjà considéré comme l’un des meilleurs gardiens de but de son temps…mais aussi comme un fêtard invétéré, auquel pouvait arriver de manquer les entraînements pendant plusieurs jours, voire de tomber dans d’invraisemblables traquenards. A Lodz il avait remplacé Stanislaw Burzynski, décédé dans un accident sous l’emprise de l’alcool. Aussi, la veille des matchs importants et manquant de temps pour fliquer ses ouailles, le président du Widzew, Ludwik Sobolewski, menaçait-il son gardien-réserve Bolesta : « Henryk, tu vas me faire le plaisir de retrouver Mlynarczyk, sinon c’est ton comportement qu’il t’appartiendra de défendre. » Et le pauvre Bolesta, connu pour sa fragilité psychologique, de se plier alors en quatre pour retrouver Mlynarczyk.

L’équipe finalement alignée à La Valette, pour affronter Malte. Du gardien-réserve, Boniek déclarera : « Son état était encore pire que celui de Mlynarczyk! » A noter, deuxième à partir de la gauche au premier rang : la présence d’Andrzej Iwan.

C’est préservé de la sorte par son névrotique rival et ange-gardien, mais hanté toujours par ses notoires démons, que le gardien-phare du football polonais frôlerait la correctionnelle, il y a très exactement 45 ans quand, le 28 novembre 1980 et alors que l’équipe nationale s’était réunie à Varsovie pour s’en aller affronter Malte en éliminatoires de la Coupe du Monde, des journalistes relayèrent que Mlynarczyk s’était présenté à l’aéroport d’Okecie en état d’ivresse…

L’histoire, à vrai dire, avait commencé un peu plus tôt : la nuit précédant le départ, et goûtant peu le repas prodigué à l’hôtel, Mlynarczyk et Smolarek avaient fait le mur pour se joindre à un ami de l’illustre portier, le journaliste Wojciech Zielinski. A juger du témoignage qu’en ferait Andzrej Iwan, certes jamais avare de justifications extravagantes, la conversation s’engagea alors autour de l’épouse étrangère de Zielinski, laquelle, prise en flagrant délit de prostitution dans les rues de Varsovie, avait dû s’en retourner en Italie. Or il se trouvait que plusieurs joueurs du groupe connaissaient fort bien cette femme, et que Mlynarczyk venait d’affronter la Juventus à Turin… Aussi, du moins toujours selon le baroque Iwan, le journaliste avait-il tant et plus encouragé Mlynarczyk à boire, en espérant de la sorte obtenir la moindre nouvelle de sa compagne éloignée.

Cherchant toujours sa belle, en 1986 : le commentateur-phare Wojciech Zielinski.

Las : un colonel constata fortuitement le retour cahin-caha des deux compères, vers 5 heures du matin… Et tandis que Smolarek s’empresserait de se coucher, ce zélé serviteur du régime verrait l’insatiable Mlynarczyk repartir aussitôt avec Zielinski, pour ne se représenter finalement qu’à l’occasion du petit déjeuner, dans un état si profondément détérioré que Smolarek n’eut d’autre choix que de porter ses valises. Vaille que vaille parvenus jusqu’au bus, l’un des assistants de l’entraîneur fédéral lui ferait savoir que, si lui pouvait monter, Mlynarczyk par contre était tenu de rester à quai.

Bien que Boniek et Zmuda eussent pris sa défense, que le surdoué Terlecki enfreignît le bannissement de son équipier en refusant de le laisser seul puis en le conduisant avec son propre véhicule jusqu’à l’aéroport (où il avait pris soin de rameuter des journalistes), et que l’entraîneur fédéral Kulesza eût finalement consenti à l’emmener avec eux, le général Marian Ryba, Président de la Fédération, décida pour sa part de faire un exemple et de sanctionner le présumé coupable et ses soutiens, aussitôt rapatriés en Pologne. En apprenant l’ampleur des sanctions prononcées contre Mlynarczyk et ses soutiens, auxquels s’était joint son secourable acolyte Smolarek, et qui écoperaient tous de suspensions courant de huit mois à deux ans fermes, l’entraîneur Kulesza remettrait sine die sa démission.

Boniek et Kulesza, lors de leurs auditions.

Des cinq joueurs sanctionnés, tous se repentirent sinon le dissident Terlecki, plus provocateur que jamais, indifférent à la perspective d’une réduction de sa peine, et que l’on ne revit plus jamais. Les autres quant à eux réintégrèrent rapidement la sélection, pour bonne part grâce aux efforts du successeur de Kulesza, Antoni Piechniczek, et joueraient un rôle clé dans la performance de l’équipe polonaise lors de la Coupe du monde 1982 en Espagne : Zmuda se distinguerait par son calme, sa confiance et son courage, Boniek inscrirait quatre buts avant de signer pour la Juventus…et Mlynarczyk, enfin libéré de son addiction, s’y affirmerait tout bonnement comme l’un des meilleurs gardiens du tournoi.

Assagi, il glanerait alors deux championnats de Pologne, deux autres du Portugal, une Coupe de Lusitanie, une Coupe des Champions, une Supercoupe de l’UEFA, une Coupe Intercontinentale…et même une place bien chaude, quelques décennies plus tard, dans le 11 historique de cette sélection qui n’avait pu se résoudre à ce qu’il fût radié à vie… Désormais pleinement réhabilité, ce roi jadis des pochtrons se reconnut-il quand, à l’été 2008 et non moins indéfiniment, son lointain successeur Boruc fut à son tour suspendu pour des faits de beuverie? Ces décevants excès, cependant, procédaient au mieux de rumeurs, et avaient été amplifiés par les médias. Comme un écho du passé, et probablement par ennui.

9) L’absout

« Le sage est celui

Qui n’a pas commis de grandes fautes,

L’homme vertueux celui qui les répare. »

(Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville,

Le livre des pensées, 1861)

Quel est l’insensé, l’ignare et la sinistre crapule, qui décida un jour que l’idée même de bévue fût pour toujours attachée au nom d’un seul homme, et sanctionnât sa mémoire jusqu’à la fin des temps? Judas des temps modernes, pénétré à l’abécédaire du discours footballistique par l’une de ses portes des enfers : c’est pour prix d’une boulette éprouvée par tous les gardiens du monde, et après avoir porté jusqu’en finale une équipe que personne n’attendait, que le nom de ce grand gardien devint quoi qu’il en soit et pour toujours synonyme de bêtise ou de maladresse.

Du crime, tout un chacun se souvient. D’abord il y a ce coup-franc, consécutif à un probable plongeon de plus dans le chef du récidiviste Lacombe, à la 57ème minute d’une rencontre globalement dominée par l’Espagne. Curieusement, Platini choisit de frapper à l’endroit même où s’est posté le gardien, à la gauche du but… Pariait-il sur une anticipation de ce-dernier vers son côté ouvert, ainsi que l’un de ses compatriotes tiendra mordicus à l’affirmer en studio? Le fait, très prosaïquement, est qu’à l’instar de Lacombe Platini non plus n’en est pas à son coup d’essai, qui six ans plus tôt avait déjà inscrit de la sorte un deuxième coup-franc consécutif contre Zoff – lequel, comme souvent fort statique mais sauvé par l’arbitre sur le premier, s’était fait ravoir comme un bleu sur le second.

Certes l’action qui nous occupe suggère-t-elle, cette fois encore, que l’anticipation ne fut peut-être pas pour rien dans ce coup-franc de plus transformé par Platini. Mais contrairement à Zoff jadis, le gardien tout de vert et de bleu vêtu retrouve prestement ses appuis, et parvient même à se coucher sur le cuir…qui toutefois se dérobe fielleusement sous son coude gauche, avant de franchir lentement la ligne, irrésistiblement…

Si la postérité se montrera indulgente envers l’Italien, elle sera a contrario impitoyable avec l’Espagnol, coupable de n’avoir pu maîtriser un cuir vers lequel le très rigide Dino n’avait pas même été capable de se retourner, quelque six ans plus tôt… En cette belle soirée du 27 juin 1984, il est 21h15 et un homme vient d’en piéger un autre, dans sa cage du Parc des Princes – un autre dont la chair s’apprête à devenir verbe, car si le footballeur vient de mourir, le geste est désormais rebaptisé, et c’est sous ce nom longtemps illustre qu’il sévira des années durant parmi les commentaires footballistiques.

Rédemption

Durant ces quelque quarante ans où l’idée de « faire une arconada » aura entaché le lexique, ce ne fut pourtant pas faute que Platini se fît souvent fort de rappeler combien ce joueur « méritait de remporter le Championnat d’Europe » en 1984, eu égard aux miracles qu’il avait accomplis d’abord face à la RFA, puis surtout contre le Danemark. Aussi n’y eut-il rien d’étonnant à ce que, en sa qualité alors de Président de l’UEFA, et à l’occasion de la finale bientôt victorieuse de l’Espagne lors de l’Euro 2008, le bourreau voulût convier celui qu’il avait naguère supplicié – ce qu’Arconada accepta, qui assista donc depuis les tribunes au sacre réparateur de sa nation, à la remise des médailles, et même à quelque chose que Platini n’avait pu anticiper : tout bonnement au rachat enfin de son nom.

Sans conteste, le geste de Platini avait été empreint d’élégance. Mais que dire alors de celui que réaliserait, concomitamment et grâce à l’intercession d’un collectionneur et journaliste, le troisième gardien de la sélection espagnole? Un quart de siècle plus tôt, Palop n’avait été que l’un de ces millions d’enfants qui rêvaient d’être Arconada, mais que la corruption des mœurs et des mots avait contraints à un silence poli, à mesure que partout ailleurs le nom de l’idole n’était plus significatif que d’un irréparable manquement… En cette soirée du 29 juin 2008, cependant, un miracle allait se produire : au moment de recevoir sa médaille sous les yeux de Platini, Palop fut en effet Arconada, pour un soir et pour l’éternité. Car c’est vêtu du maillot porté par le malheureux en 1984, qu’il gravit les dernières marches le séparant encore de la consécration, tandis que dans un coin de tribune et absorbé dans ses pensées, il fallut qu’un délégué de l’UEFA intervienne pour qu’un quinquagénaire comprenne lui aussi : « Regardez, Monsieur Arconada : Palop, avec votre maillot de 1984 ! »

Enfances

Avec Platini, déjà, à l’occasion d’un affrontement amical, disputé le 18 février 1981 sur la pelouse du Vicente Calderon à Madrid.

« Je me rappelle de la demi-finale contre le Danemark », expliquerait plus tard le gardien de Séville, « quand Arconada nous qualifia pour la finale grâce à ses nombreux arrêts. A l’époque, je tenais tellement à ce qu’Arconada soulève ce trophée (…)… Mais bien sûr, tout le monde se souvient de cette finale à cause de l’erreur d’Arconada. J’en ai pleuré. J’avais dix ans à l’époque, et je m’en souviens parfaitement. »

« Les gens se souviennent d’Arconada à cause de cette erreur. Cela m’a toujours chagriné. Et c’est alors que j’eus l’opportunité de rendre hommage à Arconada, lors de notre victoire à l’Euro, et de remettre les pendules à l’heure. On ne peut pas juger un joueur sur une seule erreur, vous devez prendre en compte sa carrière entière, ses titres et ses distinctions. Arconada ne se résume pas à cette erreur. »

Tenu pour l’un des plus grands gardiens de l’Histoire du football espagnol, et parmi les meilleurs d’Europe tout au long des années 1970 et 1980, Arconada était doté d’une agilité et d’une réactivité inhabituelles pour les gardiens latins de son temps. Source d’inspiration de moult gardiens ibériques. Il a passé toute sa carrière sous les couleurs de la Real Sociedad, livrant pour eux 414 rencontres de Liga, remportant deux titres historiques en 1981 et 1982, et même une Copa del Rey en 1987. Porteur du maillot national à 68 reprises, Arconada prit part à deux coupes du monde et à deux championnats d’Europe.

« J’avais d’abord pensé à lui envoyer un message. Qu’il sache qu’il avait été un gardien exceptionnel, qui aura inspiré de nombreux joueurs. Il m’arrivait d’en parler avec des gens de la presse à Séville, et c’est ainsi que j’ai fini par rencontrer ce journaliste, qui lui aussi était fan d’Arconada, et qui possédait même un de ses maillots chez lui – le maillot qu’il avait porté en 1984. Alors nous sommes devenus amis, et nous avons décidé de faire quelque chose de spécial à l’occasion de l’Euro… »

« Quand je me suis présenté pour recevoir ma médaille, j’ai dit à Platini que je portais ce maillot en hommage à Arconada. En guise de réponse, Platini m’apprit qu’il avait pour sa part invité Arconada pour la finale, et que mon geste l’avait certainement touché, là-bas dans la tribune. J’ai véritablement le sentiment que, depuis cette finale, Arconada jouit d’une meilleure image, que les gens tendent enfin à oublier cette fameuse erreur, et qu’ils sont désormais conscients du travail qu’il a effectué pour inspirer toute une génération. »

Toute une génération, vraiment? Un jour, l’on demanda à Casillas comment il était devenu un grand gardien : « Je me souviens que j’étais assis à table, à mes quatre ou cinq ans. Ma mère avait préparé de la salade et des sardines pour le dîner. À cet âge-là, cependant, je n’aimais pas trop le poisson. Alors, ma mère me répétait à chaque fois qu’elle avait parlé à la mère d’Arconada, et que c’était ce qu’il mangeait pour attraper si souvent le ballon. »

« Alors bien sûr, je finissais tout mon poisson. Mais vous aurez aussi compris, que ma mère n’a jamais parlé à la mère d’Arconada de toute sa vie. »

8) Les adieux de l’escargot

Sous les couleurs d’Auxerre, seconde étape d’un parcours ascentionnel et globalement maîtrisé. Ici aux côtés de Jean-Marc Ferreri, Jean-Luc Charles et Patrice Garande, vers 1983.

« Les séparations

Donnent une idée de la mort. »

(Marcel Proust, La Fugitive)

Moteur… Action!

Cela faisait longtemps que cette rubrique dénuée de temps mort n’avait plus fait la Une sur Pinte2Foot…or quel meilleur écrin que le Parc des Princes (antre du club qui y aura été le plus souvent mis à l’honneur) pour la remettre enfin sur le devant de la scène?

Et nous sommes donc le 1er mai 1992, à Paris. En cours de journée, ce sont de 15.000 à 50.000 personnes qui y manifestaient contre le Traité de Maastricht, accentuant la confusion d’une Marlène Dietrich qui, depuis la solitude de son appartement du 8ème arrondissement, égrenait ses souvenirs non moins que les dernières heures la séparant encore du tombeau. Le soir venu, sur France 3, c’est par l’actualité étatsunienne, déjà omniprésente, que la jeune Elise Lucet entame et clôture son JT, d’entre émeutes raciales à Los Angeles et San Francisco, et Coupe de l’America disputée à San Diego. La météo passée, enfin et à l’autre bout de Paris, c’est alors un autre chapitre que s’apprête à clore à son tour le public parisien : celui de son gardien-fétiche, le poète et chanteur Joël Bats.

« Batman », puisque tel est son surnom, défend pour la dernière fois la cage d’une défense articulée autour d’Antoine Kombouaré et de Bernard Héréson, que ceignent sur les flancs Patrick Colleter et Laurent Fournier. Un cran plus haut, les profils complémentaires de Bruno Germain, Paul Le Guen et Valdo Filho justifient davantage les ambitions continentales bientôt rassasiées du jeune Président Denisot, tandis qu’à l’avant Christian Perez et David Ginola sont chargés d’alimenter en bons ballons un Daniel Bravo qui vit ses dernières semaines comme attaquant, et que remplacera pour le dernier quart d’heure la future star du PAF stambouliote Pascal Nouma.

Après une demi-heure de jeu, sur le coup de 21 heures : c’est d’ailleurs le « petit Prince du Parc » qui ouvre la marque, d’une tête placée à la réception d’un double décalage vers la droite… Le Parc exulte, et Jojo dessine de ses bras le V de la victoire. La célébration passée, et puisqu’il faudra bien en finir si l’on veut fêter enfin le héros du Jalisco, les joueurs repartent déjà se positionner, tandis qu’à l’écran s’affiche l’état des scores, presque immuable et d’autant rassurant en ces temps troublés de renoncement à une fébrile souveraineté : avec sept 0-0 encore au tiers du temps effectif, le PSG est en effet pour l’heure le second club le plus prolifique de cette sacrée soirée.

Puis il s’écoulera trente minutes encore, avant que ne survienne enfin l’action nous intéressant : corner de Le Guen, et la situation dans le rectangle nantais de rester confuse jusqu’à ce que Karembeu, sans chipoter, ne parvienne enfin à dégager le cuir en catastrophe… A sa réception, le fugace Héréson tergiverse, puis semble même rattraper le coup du talon…jusqu’à ce que le héros du jour, sorti de sa cage et déterminé à inscrire un but pour sa dernière, entreprenne de clarifier tout cela d’une saillie balle au pied, qui élude un premier Nantais, puis un sec… éh bien non : il n’y en aura pas de second : son bravache galop higuitesque ne durera que trois secondes, le temps que Burruchaga héritât déjà du cuir, le ramenât vers son pied droit puis fusillât enfin, d’un lob pleine lucarne des 40 mètres et dans la bonne humeur générale, un Joël Bats qu’acclameront cependant bien sûr ses supporters.

Paris, 22h30. Depuis le rond central du Parc des Princes, en pleine lumière.

Une demi-heure et une ola plus tard, l’arbitre Gilles Veissière siffle la fin du match, et Jojo entame enfin un tour d’adieux…que l’on croira d’abord n’avoir duré que cinq minutes, le temps de jeter ses gants plutôt que de les raccrocher, d’une salve d’applaudissements puis d’une extinction des lumières, et enfin d’un lancer de feux de bengale sur la pelouse, surtout susceptibles à l’époque de contraindre l’ensemble des acteurs à devoir rentrer au vestiaire.

Cependant Joël est toujours là, qui soudain reparaît dans un clair-obscur des plus réussis, tenant un micro auquel le téléspectateur ne comprend de longue date plus rien. Dans la lumière noire de ce vaisseau brutaliste, il est bien là parmi les lueurs vacillantes, qu’on voit danser une dernière fois au loin. Un ultime plan large lui confère alors de faux airs de Christ, que pour ses apôtres l’on eût ressortit du tombeau. Puis tout est fini. Et Paris vient d’enterrer ce curieux bonhomme qui, pour quelques années encore et sans crier gare, aura été le gardien français le plus connu de l’après-guerre, et le plus respecté hors les frontières de France et de Navarre.

7) La vraie vie de Spiderman

A réception de son prix individuel, en 1990.

« (…) celui qui fuit l’humanité

Pour lui-même,

N’arrive qu’à devenir particulier,

Bizarre, défectueux… »

(André Gide, De l’influence en littérature, 1900)

C’est lors de la saison 1983-1984, âgé alors de 23 ans et succédant au pâle vétéran Bordon, que Zenga se fit pour la première fois apprécier par les supporters de l’Inter…et peut-être plus encore par les journalistes lesquels, sur base des 23 buts à peine qu’il avait concédés (mais que relativiseraient aussitôt les 19 puis 17 qu’encaisseront tour à tour l’Hellas puis la Juve), croiront avoir vu en lui un futur gardien de classe mondiale.

Sélectionné pour sa première Coupe du Monde en 1986, où il ne sera que remplaçant de Giovanni Galli, il réussira ensuite l’une de ses meilleures saisons, sanctionnée du prix du meilleur joueur du championnat, avant d’être sacré meilleur gardien du monde en 1989, 1990 et 1991.

Avec Amanda Lear, son genre de nana.

Et cependant, peut-on sérieusement tenir pour meilleur gardien du monde un portier qui, durant toute sa carrière, aura péché sur les tirs au but et dans le jeu aérien? L’époque n’avait-elle vraiment pas plus fort à proposer? Si le gain de la Série A en 1989 était de nature à cultiver l’illusion, il y manquait toutefois un accomplissement international, que l’Euro 88 et les coupes d’Europe avaient été incapables de pallier… La Coupe du Monde domestique serait-elle le théâtre de sa consécration? Il est probable que Zenga, fidèle à sa nature de fonceur, ne s’en posât pas même la question.

S’il n’y encaissera en définitive que deux buts, et s’affirmera comme l’un des meilleurs gardiens d’un tournoi au final assez pauvre, celui-ci serait pourtant déjà son dernier sous le maillot de la Squadra, car Caniggia, ah, ce diable de Caniggia… Pour autant, Zenga avait-il été le seul coupable? Et l’était-il vraiment? Lors de cette demi-finale fatidique de la Coupe du Monde 1990, le but de Caniggia avait à vrai dire procédé tant d’une faute de jugement de Zenga, que d’une erreur collective et défensive initiée en amont par une perte de balle de Donadoni, qu’avait laissé prospérer l’apathie coupable du milieu puis du binôme Ferri-Baresi, tous spectateurs d’un centre bizarre car étrangement bas, presque aussi bas et bizarre que cet étrange Caniggia à sa réception.

Ruptures

Nous sommes aux six mètres et ni Ferri, ni Baresi n’interviennent. Alors Zenga sort de sa cage – son point faible. Mais le ballon est si bas qu’il aboutit sur la tête de Caniggia, puis échoue au fond des filets, délaissés par l’insuffisance de trop de l’imprudent Intériste. Aurait-il pu arrêter le cuir s’il n’était pas sorti? Rien n’est moins sûr mais le mal est fait : l’Italie n’avait encaissé aucun but, et la voici soudain éliminée par Zenga. Personne n’évoquera cette contre-attaque qui n’eût jamais dû exister, ces Maradona et Troglio qu’aucun ne jugea opportun d’entraver, l’absence de réaction de Baresi et de Ferri… Personne n’évoquera les ratés encore de Vialli, ou ceux sur tirs au but de Serena et de Donadoni. Rien de tout cela ne fut évoqué tant le bouc-émissaire était parfait : Walter Zenga et son impuissance sur les tirs au but, et sa sortie une fois de plus ratée.

« Ché… Moi aussi on m’a donné deux jolies objets, maa : jé né sais pas à quoi ça sert, éh? Commé cotontiges, peut-être? Ma, ouiii : cé sont des instrouments médicaux d’oune efficacité hollywoodienne, on devrait rembourser ça par la sécourité sociale ! »

Zenga, fort heureusement, n’était pas du genre à se laisser abattre, qui au terme d’un magnifique parcours personnel remporterait aussitôt une première Coupe de l’UEFA, puis même une seconde en 1994. Mais jugé déclinant, il serait d’abord échangé contre Pagliuca, puis de fil en aiguille échouerait à Padoue, qu’il quittera sine die après un déplacement à Palerme, dans un entrelacs d’insultes, d’applaudissements ironiques et même de doigts d’honneur vertement adressés à la tribune. « Mon aventure se termine ici », confiera-t-il plus tard à ses amis journalistes de la Gazzetta. « Au stade, les gens vous huent et vous insultent. Ils me crachent dessus. Ce jour-là, l’arbitre eut beau me dire de rester calme et de ne pas répondre aux provocations, ma décision était prise : partir, et expressément pour ça. »

Alors, Walter Zenga est rentré chez lui et a regardé la cérémonie des Oscars. Et il a vu le réalisateur et acteur italien Roberto Benigni, remporter les statuettes dorées et danser sur son siège, qui charmait tout un pays avec son anglais approximatif et ses excentricités théâtrales. Zenga a vu son compatriote en Amérique et, bien entendu, il s’est reconnu en lui. « Si je pouvais être le Benigni du football américain, ce serait formidable Mais Benigni dit que la vie est belle. Alors que moi, je vous affirme qu’elle est étrange. »

Alors Zenga partit, et il fit en sorte que sa vie lui donnât raison. Car, après tout : qu’y avait-il de plus étrange, pour l’époque, que de voir l’un des meilleurs gardiens de but évoluer en MLS ? Collectionnant les femmes comme les bizarreries, cet homme aujourd’hui chauve, verrait sa chevelure rajeunir comme par magie, y piloterait une Harley-Davidson « Spiderman » personnalisée, ferait la promotion de produits diététiques dans une émission de téléréalité italienne, et tournerait même avec sa compagne une mini-série érotique dans laquelle il jouera son propre rôle.

Devenu roumain au gré de ses conquêtes féminines, il y tâtera de la cellule dans le cadre d’une opération antidrogue, se frottera aux footballs des Balkans et turc, arabiques et même anglais…et repassera même saluer ces supporters de Palerme auxquels, en mars 1997, il avait décisivement rendu les insultes, et sans qui il n’aurait prêté attention aux contagieuses pitreries de Roberto Benigni.

Goutte de trop ou chemin de Damas, c’est quoi qu’il en soit à la croisée de ces tragicomédies que ce gardien pourtant peu doué pour le grand large, et qu’on pût croire lié à vie à un club et à une ville, trouva matière enfin à ses étrange pérégrinations, et à l’affirmation d’un soi désormais partagé d’entre femmes de tête, ports mythiques et destinations exotiques. Comme toujours radical et fonceur, quoique à l’échelle non plus des pelouses mais des mers chaudes. Et justifiant tout de l’amour que les ragazzi lui témoignèrent, dans cette première vie qui n’avait été que l’ébauche de la deuxième.

6) L’incroyable

Au retour d’un salon de thé, avec Mlynarczyk et Smolarek.

“Jamais au spectateur

N’offrez rien d’incroyable.

Le vrai peut quelquefois

N’être pas vraisemblable.”

(Nicolas Boileau)

Ca peut paraître beaucoup, dit comme ça, 1387 rencontres officielles de football. Et cependant, si l’on y pense bien et fût-ce en comptant large, c’est-à-dire en considérant aussi l’une ou l’autre prolongations voire douloureuses séances de tirs au but, c’est au total moins de cent jours de sa vie que Shilton aura passés sur les pelouses – ce qui revient pour tout dire à cent fois moins que le temps que ce prétendu increvable aura bêtement gaspillé dans son lit, à dormir du sommeil des justes.

Les chiffres en somme, et c’est d’ailleurs bien connu : on leur fait surtout dire ce qu’on veut bien. Or Shilton est un homme de chiffres, de records en tous genres dont l’abord premier donne le tournis, et dont la sidération contribue plus à brouiller les pistes et à semer la confusion, qu’à comprendre vraiment de quel bois se sera chauffé ce très habile Commandeur de l’Empire – une distinction qui, dans le spectacle permanent du Royaume-Uni, et de ses valeurs souffrèteusement coagulantes, fait de lui l’égal nobiliaire d’un Sting, d’un Jock Stein ou d’un Bryan Ferry.

C’est le 26 avril 1969, et sous le maillot de son club formateur de Leicester (où il avait peu élégamment pris la place de son mentor Gordon Banks), que Peter Shilton parvint à établir le premier d’une longue liste de records, en devenant à 19 ans le plus jeune gardien jamais vu en finale de la FA Cup. Le jour même, son capitaine David Nish devenait quant à lui le plus jeune capitaine jamais vu à ce stade de la compétition.

Car jugez plutôt : recordman tenace du nombre de présences pour sa sélection, en dépit de temps modernes qui, partout ailleurs, voient ces records être grignotés voire exploser… Recordman du nombre de clean-sheets en phases finales de Coupe du Monde… Recordman même du nombre de clean-sheets réalisées sous le maillot de l’Angleterre, de surcroît à raison de plus d’un match inviolé sur deux disputés! Et puis bien sûr cette longévité extraordinaire, qui le verra défendre les cages de l’équipe d’Angleterre à très précisément vingt ans d’intervalle… Last but not least, Shilton serait même désigné Joueur de l’Année PFA en 1978, au plus fort de l’écrasante domination statistique des clubs anglais en compétitions européennes, et pour ce qui fut la seconde (car ultime) fois où ce prix fut décerné à un gardien de but.

N’en jetez plus : la coupe est pleine! Et pour autant, voilà un gardien qui de longue date ne fait pas vraiment l’unanimité. Car il y eut Clemence bien sûr, et ce funeste 17 octobre contre la Pologne (seule erreur qu’il jugea utile d’avouer), ou rien qu’en 1990 ce but malheureux contre l’Allemagne (mais qu’un Illgner eût été chercher, lui), et tous ces autres instants où il fut coupable de bévues manifestes, quand il n’était pas sauvé par son cadre ou par l’arbitre pour pallier une main peu ferme (non : il ne sera pas question de la « main de Dieu ») voire un déficit ponctuel de détente et/ou de réactivité.

A Nottingham, en 1979.

Contre la Belgique, mais cette fois sans qu’on pût lui reprocher quoi que ce soit (tant ce fut bien au contraire, et avec celle ensuite contre le Cameroun, l’une des meilleures prestations qu’il eût jamais livrées en équipe nationale), c’est par deux fois que son poteau droit le sauverait, dans une rencontre où il tînt la baraque, et qui contribua assurément à ce que Shilton établisse un record de plus : celui du nombre de fois où un gardien fut sauvé par son armature, dans le cadre d’un seul et même tournoi.

L’objectivité, cependant, oblige à rappeler que ce gardien avait débuté un quart de siècle plus tôt, et approchait déjà les 41 ans. Mais aussi à proposer que ce n’est peut-être pas tout à fait par hasard si Shilton serait, tout au long de son interminable carrière, si souvent sauvé par son cadre : d’une présence intimidante tant il était large d’épaules, et qu’accentuait si besoin son expansive coupe de cheveux, sa carrure non moins que ses réflexes et la qualité de son positionnement avaient en effet de quoi convaincre, fût-ce inconsciemment, tout adversaire d’excentrer plus que de raison sa frappe. Quant aux réflexes, s’ils s’émousseraient certes d’un peu avec le temps, loin les festivals livrés au monde contre Hambourg en 1980, l’Ecosse en 1974 ou Coventry en 1978, ils restaient toutefois suffisants pour prêter à Bobby Robson d’avoir sans doute eu raison, et deux fois plutôt qu’une, de lui confier encore les clés de la cage anglaise en 1986 puis 1990.

« Grrr! »

Quoi qu’il en fût, ne restez pas sur l’image, pas toujours très gratifiante, que ses ultimes années auront laissée de lui. Mais bien au contraire, et puisque les archives en sont nombreuses : soyez curieux, et n’ayez pas peur de ce grand escogriffe haut de près de 1400 rencontres. Admirez ces arrêts, et trouvez-y qui sait le courage et l’énergie qui, à tout un chacun, finissent toujours par manquer un jour ou l’autre.

Et si l’incroyable leçon d’exigence et de longévité qu’il aura livrée ne vous suffit pas, dites-vous alors que s’il y parvint, ce fut nonobstant une addiction au jeu qui dura 45 ans et le ruina complètement, une fuite désastreuse en voiture après avoir été surpris par un mari cocu, les railleries subséquentes essuyées par milliers aux quatre coins du Royaume, et la lente dégradation de sa première vie de couple… Dites-vous qu’en 1986, où il fut très bon mais victime d’une injustice, la police venait de pénétrer l’espace sacré de sa vie intime, dans le foyer familial de Southampton. Et que malgré ces avanies, ces turpitudes et ces excès, cela fait désormais dix ans que, clôturant enfin quatre pleines décennies de chaos, l’inoxydable Shilton est évidemment parvenu à se débarrasser de ses inavouables démons, et à remettre de l’ordre dans la cage de sa vie.

(à suivre…)

Une réflexion sur « Un siècle de portiers : les années 1980 (première partie) »

  1. J’ai visité ce musée! Et, s’il existe toujours (il était temporaire, et j’ai pu bénéficier de sa prolongation) : je vous le recommande!

    Ceci dit : c’est pas le moment, c’est juste parce que j’en vois la photo. Préciser tout de même que c’est plus grand qu’on ne croirait ; sur la photo, vous n’en voyez qu’une des deux ailes, il a une sacrée collection le Jean-Marie Pfaff, il garde tout – et ce n’est pas par hasard..

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