Il était une fois…l’Intercontinentale – 1987, la complainte de Yuki-onna

Blanc… Ce 13 décembre 1987, Tokyo est recouvert d’un épais manteau de neige, plutôt inédit à cette époque de l’année. Józef Mlynarczyk et son impeccable moustache regardent stoïquement leurs coéquipiers s’affairer et se plaindre. Ah, ces Latins, toujours à en faire trois caisses pour une pauvre plaque de verglas… Le temps est menaçant sur la capitale japonaise depuis plusieurs jours et malgré les tentatives de report du match, les considérations mercantiles de la télévision ont eu la peau de la raison.

Mais que peut encore craindre le FC Porto, se demande Mlynarczyk ? On l’imaginait réduit au silence par le Dynamo Kiev de Lobanovsky. Ce football du futur qui devait révolutionner durablement le jeu. Leurs administrer une leçon de mouvement et de tempo. Résultat ? Les Ukrainiens se sont agenouillés, roués de coups. Ida e volta. Futre les a rendu fou… Et quand la belle gueule de Paulo était muselée par les golgoths bavarois, un gamin d’Hussein-Dey eût l’inspiration d’une vie. De celles qui inscrivent éternellement les patronymes dans les livres d’histoire. Il est mort et enterré le temps où Porto la nordiste regardait envieuse et complexée Lisbonne la despotique. Mlynarczyk en est convaincu, Tokyo permettra aux Dragões de réaliser ce que le grand Benfica d’Eusebio n’a pas su faire, s’asseoir sur le trône mondial…

Le Trophée Andros

Son adversaire Peñarol est également une sorte de miraculé. Personne n’aurait misé un peso sur une victoire en Libertadores du groupe d’Óscar Tabárez. Diego Aguirre ne comprend toujours pas comment il a marqué ce but impossible face à l’America de Cali, l’équipe transpire plus qu’elle n’envoute mais Tabárez a l’avantage d’avoir son groupe bien en main. Ce qui n’est pas totalement le cas d’un Tomislav Ivić, ayant la lourde charge de remplacer Artur Jorge et devant faire désormais sans Futre, parti assouvir l’appétit gargantuesque de Jesús Gil y Gil. Quand les Uruguayens entrent sur la pelouse, ils sont frigorifiés et leur premier réflexe est d’échanger aux fans japonais des petits drapeaux du club contre des paires de gants ! La suite est épique, un vibrant hommage à la conduite d’Yvan Muller….

Après une minute de silence dédiée à la tragédie aérienne ayant meurtri Alianza Lima quelques jours auparavant, s’initie une drôle de chorégraphie, où le ballon semble fréquemment disparaître du décor. Du air-foot. Les passes en profondeur sont constamment freinées dans leurs courses, les joueurs, telles des marionnettes malhabiles, trébuchent, glissent, pestent contre la déesse Yuki-onna, maîtresse de l’hiver et de ses tempêtes. Le virevoltant Rui Barros crée quelques frissons dans la défense de Peñarol tandis que Mlynarczyk s’allonge de tout son long sur les timides offensives adverses, comme aux plus belles heures de sa jeunesse à Nowa Sól. Étonnamment, les Sud-américains dominent…

L’avalanche ne cesse pas, les défenses se dégagent comme elles le peuvent lorsque Madjer feinte un Uruguayen dans la surface et déclenche une frappe de poussin du gauche. Une frappe ratée qui, ironiquement, prend tout le monde à revers et semble se destiner à embrasser le poteau. Surgit alors le bulldozer Fernando Gomes qui, pour l’honneur de Magellan et de Rosa Mota, arrache tout sur son passage et ouvre le score pour les Portugais ! Récompense au combien méritée pour l’icône qui avait raté la consécration de son club face au Bayern pour une malencontreuse blessure. Quatre Uruguayens sont au sol sur cette action, les Charrúas impuissants lancent l’opération matraque…

Une histoire de tripes

La seconde période demeurera une des grandes partitions de Mlynarczyk. Fréquemment aveuglé par les flocons, balancé dans les airs par un Peñarol ressuscité, le Polonais est splendide de courage. Et quand il se rate, Dame Nature s’assure que le ballon ne franchisse jamais la ligne. Les Uruguayens jureront après match que Mlynarczyk avait sciemment construit des petites murettes de neige pour parer à tout imprévu…

La colère d’Aguirre et ses vents divins et délirants se font plus pressants, bestiaux, Porto n’est plus que défensive. Geraldão, le futur anonyme parisien, ne sent plus ses muscles bouger et à 10 minutes du terme, Ricardo Viera égalise plein de rage, à la suite d’un corner mal appréhendé par la défense portugaise. Un but amplement mérité. Peu importent les engelures et le froid de canard, le public et les joueurs ont droit à 30 minutes supplémentaires. Dans ce champ de patates où l’on ne distingue plus les lignes de sortie, Antonio Sousa crochète et envoie une mine à l’avant, comme un renvoi aux 22 au rugby. Le défenseur de Peñarol est en avance mais la météo capricieuse fait à nouveau des siennes. Un ballon ralenti, Madjer qui file un bon coup d’épaule, un lob sur le gardien qui a imprudemment quitté ses buts… Une géniale improvisation pour l’Algérien, un autre fait d’armes dans une année qui n’en manquait pas…

Champion du monde !

Peñarol pleure des larmes congelées. Et attend toujours vainement sa revanche, Hibernatus cryogénisé dans les glaces de Sapporo. Le FC Porto, quant à lui, s’est épaissi sportivement et médiatiquement depuis lors et il ne tient qu’à la tradition d’en faire définitivement le plus beau joyau de la couronne des Sanche. Mlynarczyk, qui connut le Rideau de Fer et les barbelés de Furiani, retourna donc en héros du côté du Douro. Il jouera encore un peu, le temps de filer quelques ficelles du métier à un certain Vítor Baía…

18 réflexions sur « Il était une fois…l’Intercontinentale – 1987, la complainte de Yuki-onna »

  1. Magnifique Khia! Un voyage rapide et simple qui donne de merveilleux frissons. Un petit clin d’œil à ce passage plus qu’apprécié: « … telles des marionnettes malhabiles, trébuchent, glissent, pestent contre la déesse Yuki-onna, maîtresse de l’hiver et de ses tempêtes »… ainsi qu’à la conclusion de ton article, beaucoup aimée elle aussi (ici bien sûr, c’est absolument personnel).

    0
    0
  2. Joli texte jefe. Ce n’est pas la plus glamour, cette édition. Peñarol était une équipe sans star, très éloignée des équipes des 60es ou de celles emmenées par Morena.

    Sympa de mettre les feux sur Mlynarczyk qu’on avait vu à Bastia mais surtout à Lodz faire des misères à la Juve en C3 en 1980. Et en 1983, les Polonais n’étaient pas passés si loin de la finale de C1, battus en demi-finale par les Italiens avec Boniek.

    0
    0
    1. Confrontations importantes pour Boniek. La première ayant définitivement accroché la Juve et la seconde face à ses anciens coéquipiers.
      Et une des mes questions préférées. Qui était le meilleur entre Lubanski, Deyna et Boniek?

      0
      0
      1. De ce que j’ai vu, le plus doué me paraît Lubanski : une technique en mouvement incomparable, rapide, instinctif.. La très grande classe. Ce qu’il parvint encore à faire 10 ans durant, quoique en ayant perdu bonne moitié de ses moyens : ben ça parle aussi pour lui.

        Quand j’y vivais, les avis étaient volontiers générationnels : quinquas et sexagénaires à fond sur Lubanski, les quadras plutôt Boniek.. J’adore Boniek mais les capacités de Lubanksi me paraissent vraiment avoir été un cran au-dessus, et pas seulement à l’échelle polonaise j’ai envie de dire.

        0
        0
    2. La saison 88 de Rui Barros est certainement sa meilleure. Il est d’ailleurs élu meilleur joueur du pays, ce qui lui vaudra son transfert à la Juve. Un transfert étonnant à posteriori. Barros était vif, battant pour un homme de sa taille mais un sacré vendangeur devant la cage. Son duo avec Weah à Monaco était sympa. Me souviens de son but de la tête face à la Roma…

      0
      0
  3. Magnifique texte! Au Portugal ce n’était pas rien de voir Porto réussir ce que le grand Benfica d’Eusebio n’avait jamais réussi. D’ailleurs comme un symbole c’est le FCP qui gagnera la dernière coupe intercontinentale! Si Telmo passe ici, ça va sûrement lui rappeler plein de bons souvenirs!

    1
    0
    1. Je vais mettre ça là mais c’est à la cantonade : Rui, y eut-il l’un ou l’autre jalons très clairs dans l’affirmation de Porto sur la scène européenne? Jusqu’aux 80’s il n’y a trois fois rien à se mettre sous la dent, et puis..??

      Sait-on à partir de quand ce club se donna éventuellement une ambition continentale, voire les moyens qui vont avec?

      A moins que ce ne fût à l’échelle du pays que certaine dynamique joua?

      Gros comme un camion : la figure de Pinto da Costa, évidemment. Mais quelle fut sa recette? Et à part lui?

      1
      0
      1. Avant l’arrivée de PDC Porto c’était 6 titres loin derrière les 2 clubs lisboetes. Au Portugal à part les gens du nord, personne ne supportait le FCP. Tous les clubs étaient soit « Sporting » ou « Benfica » dans les villes de provinces.
        Da Costa arrive comme directeur sportif (un peu l’équivalent) remporté deux titres, se fait éjecter, Porto est en crise institutionnelle, il revient en sauveur et transforme le club. Pour moi il a fait ce qu’il fallait , copié les grands dirigeants de l’époque, arrosé qui il fallait, étendu son influence etc. Tout en donnant au club une mentalité de gagnant, il a aussi profité d’une belle génération (Joao Pinto et Gomes en leader).
        Puis lui il a fait gagner les finales! Depuis 40 ans, Porto c’est 5 finales et 4 victoires. Benfica 5 finales 0titre!!!
        Sans cette malédiction en finale, les lisboetes auraient maintenu l’écart mais il est vrai que le réalisme de Porto a vraiment fait la différence!

        1
        0
    2. Je sais que c’est presque un crime de lèse-majesté mais peut-on considéré que Porto est le plus grand club portugais? Sur ces 40 dernières années, c’est clairement le cas. Benfica est toujours en avance en championnat, a plus de finales européennes mais doit bien sentir le souffle du rival du Nord…

      1
      0
    3. Merci Khiadiatoulin pour ce bel article !
      Énorme retentissement à l’époque, enfin en décalé avec la radio au mieux, ou les journaux donc la vidéo ne rafraîchit pas la mémoire, elle la crée ou presque. Quelques images de cette finale vues mais après.

      Je confirme, Rui Costa. 😉

      0
      0
  4. Merci, Khiadia!

    Il me semble avoir vu ce match à l’époque?? J’ai souvenir des maillots et de la neige. Ca m’étonne toutefois car pas souvenir qu’on voyait beaucoup d’Intercontinentales à la télé??

    Mlynarczyk, meilleur gardien polonais que j’aie vu. Et ils en ont eu des bons.

    Je n’aimais pas ces matchs sur la neige, parce que ce « air-foot » que tu évoques justement, pas toujours facile de s’y retrouver..et maintenant ben je trouve que ça manque, histoire d’apporter un brin de « fantaisie » dans un eurofoot complètement aseptisé.. Ce genre de conditions météorologiques : c’est pour les gardiens que c’était le pire, l’horreur même.

    Oui, le Dynamo de Lobanovski fut présenté comme le foot du XXIème siècle, ça allait tout déchirer..puis pshiiiitt.. L’impression que c’était vraiment beaucoup trop exigent sur le plan physique, équipe parfois comme atteinte de « fringale ».

    0
    0
      1. Mlynarczyk? « que j’aie vu »! 😉

        Me semble toutefois que les Polonais plébiscitent Tomaszewski, très fort mais d’un registre plus délié, moins monolithique, gardien bien plus spectaculaire.. Mlynarczyk, je n’ai surtout pas souvenir de cagades dans son chef, très sûr.

        Le passage de Tomaszewski en Belgique fut très bon mais pas au-dessus de la mêlée, un Birger Jensen me semble avoir été plus impressionnant voire décisif.. ==> Ca joue certainement dans l’idée que je m’en fais.

        Dans son Beerschot, il y avait donc également Sanon, l’excellent Finlandais Tolsa, Lozano…….et le dénommé Beloy, un Congolais……..qui quand il se présenta pour des questions administratives fut dans l’impossibilité de donner un prénom, post-nom, ou.. : RIEN, à sa connaissance, il s’appelait « Beloy » et basta!

        L’administration belge ne pouvant s’en satisfaire : il fut décidé d’y ajouter « Paul », Paul Beloy donc..qui plus tard deviendrait « Beloy Beloy »……… Il parviendrait assez rapidement à obtenir la nationalité belge..quoique sous l’identité de « Paul Beloy ».. J’en suis resté là, si ça se trouve il changea encore entre-temps, après..

        0
        0

Laisser un commentaire