Un siècle de portiers : les années 1970 (première partie)

Après le succès international du top des défenseurs, P2F se lance dans un top des… gardiens de but ! Toutes les deux semaines, vous retrouverez les portraits des plus fameux derniers remparts classés des années 1920 aux années 2010. Une façon de mettre en lumière un poste trop souvent mal-aimé, trop souvent ringardisé dans les cours de récré. Bonne lecture !

Un peu d’ambiance

Les années 1970 marquent une véritable explosion des progrès chez les gardiens de but. Les joueurs eux-mêmes, issus de filières de formation améliorées dès la décennie précédente, sont globalement de meilleur niveau. Les nouvelles exigences physiques imposées par le football total de l’Ajax ont transformé les gardiens en athlètes complets. L’entraînement spécifique au poste, à défaut de coachs spécialisés qui n’apparaîtront que dans les années 1980, s’est amélioré à pas de géant. L’équipement a connu une révolution, en particulier les gants qui n’ont plus rien de commun avec les bricolages du passé.

Voilà pourquoi l’on trouve une impressionnante brochette de monstres dans cette décennie, l’une des meilleures de l’histoire au poste. Dans une progression qui touche nombre de pays, trois sortent du lot pour leur qualité d’ensemble : RFA, Yougoslavie, et surtout Angleterre. Derrière Gordon Banks et trois autres mammouths, dont l’un ne figurera d’ailleurs pas dans ce Top, le niveau moyen des gardiens de la First Division des années 1970 est hallucinant. Phil Parkes, numéro 4 chez les Three Lions, serait titulaire dans (presque) n’importe quelle sélection continentale. Même l’anonyme Paul Cooper d’Ipswich Town, vainqueur de la C3 1980-81 dans la cage d’une équipe magnifique, vaut un Miguel Ángel et rend des points à un Baratelli.

La recette P2F

Une hiérarchie claire chez les gardiens est le fondement du bien-être au poste. Notre rédacteur s’est donc interdit les ex æquo dans ce Top.

Nous évaluons les gardiens avec le recul du temps, certes, mais selon les critères de leur époque plutôt que de la nôtre. Dans les années 1970, sans restriction sur la passe en retrait et quarante ans avant les « onzièmes joueurs de champ », un gardien joue avec les mains et à grands coups de botte (à quelques exceptions près dans les pays de défense en ligne), un point c’est tout. De même, les tirs au but font tout juste leur apparition et ne sont pas encore une qualité spécifique. Nous considérons donc avant tout les fondamentaux du poste : constance, sûreté de mains, qualités sur la ligne, un contre un, balles aériennes, présence dans la surface. Nous nous sommes aussi efforcés de détacher les performances des gardiens de celles de leurs clubs ou de leurs équipes nationales.

Il y a traditionnellement deux styles dans le but : les “nordiques”, sobres, constants, complets, costauds, et les “latins”, souvent plus petits, volcaniques, spectaculaires, moins constants mais capables de parades ou de matchs pour l’éternité. Notre rédaction a ses partisans des deux camps, avec prépondérance des “latins” comme souvent dans la France du foot. Votre serviteur, humble gardien du week-end à ses heures passées et grand amateur de football allemand, a toutefois fait usage de son pouvoir d’auteur en tranchant les comparaisons serrées sur une base plutôt “nordique” : avantage à celui qui a construit sa légende dans la ligue de meilleur niveau.

Les absents et les recalés

Nous avons dû faire des choix pour certains grands noms dont les carrières se sont partagées entre deux décennies. Gordon Banks et Ladislao Mazurkiewicz sont ainsi apparus dans notre Top des années 1960 car c’est là qu’ils ont connu leurs apogées. De même, Peter Shilton fera partie des candidats au Top des années 1980.

Histoire de situer le niveau de cette décade prodigieuse dans la cage, citons trois recalés de premier plan. Hugo Gatti, « El Loco » dans le but de Boca, nous est apparu trop fantasque malgré son immense talent. Ivan Ćurković, le dernier rempart de fer des grands Verts de 1976, a pâti de notre réexamen sans passion qui a rappelé ses trop nombreuses faiblesses sur les ballons aériens. Le cas le plus difficile est sans nul doute le onzième homme de ce Top 10, Yevgueni Rudakov, comme on l’écrivait à l’époque. Le successeur de Yachine dans le but soviétique était une authentique pointure sans vrai point faible, mais il s’est simplement heurté à plus fort que lui… parfois de très, très peu. Le lecteur pourra se consoler avec ce portrait détaillé que P2F lui a consacré en avril 2024.

Foin de tous ces préliminaires… en route !

10ème : Ray Clemence

Le choix face à Rudakov a été cornélien. Entre deux gardiens très complets, constants au meilleur niveau pendant plus d’une décennie, très proches dans les suffrages de notre rédaction, l’auteur a tranché en faveur de l’Anglais car celui-ci a bâti sa renommée dans une ligue plus exigeante – la plus exigeante au monde, en fait – pour les gardiens.

Ce pur enfant des Midlands, où il a vu le jour en 1948, signe son premier contrat pro en D3 à Scunthorpe United, à deux pas de chez lui, à 17 ans seulement. Titularisé à l’intersaison 1966, il sombre lors d’un humiliant 7-1 à la deuxième journée face au rival honni, Grimsby Town, et croit que sa carrière va s’achever là… Mais son entraîneur lui fait confiance et Clemence s’affirme vite, attire l’attention du légendaire Bill Shankly, se retrouve à Liverpool dès l’été suivant, et s’impose dans la cage des Reds en 1970.

Avec son nouveau gardien et le reste d’une magnifique jeune génération (Hughes, Thompson, Heighway, Toshack, et surtout Keegan) venue rajeunir un effectif déjà costaud, Liverpool va monter sur le toit de l’Europe. Clemence n’est pas pour rien dans ces succès, fort d’un jeu de classe mondiale dans tous les domaines et d’une constance absolue. Ni trou noir, ni match d’une vie, et en conséquence une image pour la postérité moins forte que son niveau réel : voilà un paradoxe que nous allons souvent rencontrer dans ce Top.

Not today, my boy.

Clemence aura pourtant su sortir les arrêts qui ont changé l’issue de grands rendez-vous. En finale aller de la Coupe de l’UEFA 1972-73 face à Mönchengladbach, à Anfield, il arrête ainsi un penalty de Jupp Heynckes à 3-0 pour les Reds et préserve ce score final. Les Allemands s’imposeront 2-0 au retour au Bökelberg ; si Heynckes avait marqué le penalty, ce sont eux qui auraient soulevé le trophée… Quatre ans plus tard, à 1-1 en finale de la C1 face au même adversaire, à Rome, Clemence est encore là pour gagner un duel décisif face à Uli Stielike avant que les Anglais ne marquent deux buts et ne remportent leur première Coupe aux grandes oreilles.

Sa carrière internationale va coïncider pour l’essentiel avec la traversée du désert des Three Lions, absents des grands tournois de 1970 à 1980. Il fête sa première cape en novembre 1972 mais est déjà en concurrence avec un autre phénomène, Peter Shilton. C’est ce dernier que préfère le sélectionneur Alf Ramsey avant que son successeur, Don Revie, ne titularise Clemence, puis que Ron Greenwood ne fasse carrément alterner ses deux gardiens à son arrivée sur le banc. Le numéro 1 des Reds est enfin titulaire dans un grand tournoi à l’Euro 80 où il ne démérite pas, mais l’Angleterre s’arrête au premier tour. En 1982, en revanche, il vit tout le Mundial espagnol du banc derrière Shilton. Une blessure au genou l’année suivante l’éloigne pour de bon de l’équipe nationale à 35 ans, après 61 sélections.

Mais déjà, suite au recrutement de Bruce Grobbelaar pour lui succéder, il a quitté Liverpool par la grande porte après 470 matchs dont une belle « dernière », la victoire en finale de la Coupe des Champions 1980-81 face au Real (1-0). Le voilà à Tottenham où il disputera 240 rencontres en sept ans et remportera une FA Cup ainsi qu’une Coupe de l’UEFA dont il manquera d’ailleurs la finale, blessé lors des deux manches. Quand il raccroche les gants à l’été 1988, il y a cinq titres de champion, deux Cups, une Coupe de la Ligue, trois Coupes de l’UEFA, trois Coupes des Champions, et une Super Coupe dans sa vitrine personnelle. Aucun gardien anglais n’a fait mieux à ce jour.

Capitaine des Three Lions une seule fois, en amical contre le Brésil à Wembley en 1981.

On va voir Clemence par la suite sur le banc de diverses équipes réserves des Spurs, jusqu’à une saison comme co-entraîneur de l’équipe première en 1992-93. Il tente ensuite l’aventure en solo à Barnet, en D3, avant de rejoindre le staff des Three Lions dont il entraîne les gardiens de 1996 à 2007 puis en 2012-13. À sa retraite, les éloges pleuvent sur un joueur et un homme apprécié de tous, sur le terrain comme en dehors. Mais un cancer de la prostate diagnostiqué dès 2005 assombrit déjà l’horizon et aura finalement raison de lui en novembre 2020, à 72 ans.

9ème : Jan Tomaszewski

« Un clown avec des gants ». La phrase assassine de Brian Clough sur un plateau de TV, juste avant un Angleterre-Pologne décisif pour la qualification à la Coupe du monde 1974, va marquer à jamais la carrière et même l’identité de Jan Tomaszewski.

Les temps sont durs au début pour l’enfant né en 1948, dans une Breslau fraîchement rebaptisée Wrocław, d’une famille expulsée d’une Wilno devenue Vilnius au déplacement des frontières polonaises vers l’Ouest en 1945. Il attire tout de même vite l’attention du Śląsk, le club numéro 1 de la ville, et débute en équipe première à 19 ans sans toutefois s’imposer. En 1970, le voilà pourtant au Legia Varsovie où il progresse jusqu’à connaître sa première sélection A, face à la RFA en éliminatoires de l’Euro 72. Mais l’affaire se passe mal et écarte Tomaszewski de l’équipe nationale pour 18 mois.

À la faveur d’un transfert bien choisi au ŁKS Łódź, il regagne sa place au printemps 1973, à temps pour une victoire probante sur l’Angleterre à Varsovie (2-0) en éliminatoires de la CM 1974. Le retour à la dernière journée, dans un Wembley en fusion, est une véritable finale : une victoire enverrait les Anglais en RFA, tout autre résultat qualifierait les Polonais. À la deuxième minute, une charge du très physique Allan Clarke lui fracture cinq os du poignet. « Avec l’adrénaline, je ne sentais rien », dira-t-il plus tard. Les Anglais pilonnent sans relâche (36 tirs !), mais quand ce ne sont pas les poteaux ou un défenseur, il y a toujours une main, un genou, un coude, ou une fesse de ce grand escogriffe d’1,93 m pour empêcher le but dans un style peu orthodoxe mais diablement efficace. Et Peter Shilton, en face, se troue sur l’un des deux tirs polonais du match… Seul un penalty du même Clarke vient à bout du démoniaque portier. On en reste à 1-1 et l’Angleterre échoue pour la première fois de l’histoire à se qualifier sur le terrain.

Une légende est née et va trouver confirmation à la Coupe du monde. Cette Pologne que personne ne connaissait va enchanter le public par son jeu léché et éjecter proprement l’Italie au premier tour, puis battre Suède et Yougoslavie au deuxième (en poules de quatre cette année-là) avant d’affronter la RFA pour une place en finale le dernier jour. Moins « clownesque » qu’à Wembley, Tomaszewski s’est déjà affirmé comme l’un des meilleurs gardiens d’un tournoi où figurent tout de même Croy, Hellström, Maier, Marić, Mazurkiewicz, et Zoff.

Face aux champions d’Europe en titre, il va être exceptionnel. Stable comme un gardien de hockey sur la patinoire qu’est la pelouse de Francfort, il bloque les balles-savonnettes sans rien relâcher, détourne une mine de Wolfgang Overath inaccessible au commun des mortels, et arrête un penalty d’Uli Hoeneß. Il faut un exploit de Gerd Müller, l’extra-terrestre, pour percer la muraille (1-0). L’aventure finit toute de même en beauté avec une troisième place acquise aux dépens du Brésil.

Ça change tout quand l’attaquant ne s’appelle pas Guderian.

Tomaszewski va longtemps rester dans le Gotha des gardiens mais ne retrouvera jamais pareils sommets. Contrairement à Ray Clemence et sa régularité sans faille, il est capable de matchs de légende mais aussi de trous noirs abyssaux. En 1973 déjà, face au Stal Mielec de Grzegorz Lato, il avait purement et simplement quitté le terrain après deux énormes toiles dans le premier quart d’heure d’un match perdu 7-0. En 1976, c’est le monde entier qui est témoin d’un nouvel épisode en finale du tournoi olympique. Face à la RDA de Croy et Dörner, Tomaszewski manque littéralement tout ce qu’il entreprend et contraint Kazimierz Górski à le sortir après seulement 20 minutes. La Pologne est déjà menée 2-0 et s’inclinera finalement 3-1.

À la Coupe du monde 1978, il est encore là, solide mais en déclin comme le reste de « ceux de 74 », et c’est la sortie sans gloire au deuxième tour. Il a 30 ans, l’âge minimum fixé par la Fédération polonaise pour un transfert à l’étranger, et tente l’aventure au Beerschot d’Anvers. Il s’y distingue un an plus tard en devenant le premier gardien à faire une passe décisive dans le champ en match professionnel. Le Beerschot est mené chez lui par le RWD Molenbeek quand, sur un corner dans le temps additionnel, Tomaszewski monte et prolonge de la tête pour son attaquant Emmanuel Sanon qui égalise.

FC Bruges – Beerschot en Coupe de Belgique 1979-80 : Bernard Verheecke marque à Tomaszewski le seul but du match.

Cette action et une Coupe de Belgique en 1979 seront ses seuls faits de gloire : les grandes années sont maintenant loin. L’équipe nationale se passe de lui dès 1981. Après trois saisons en demi-teinte au Beerschot, une pige d’un an au Hércules d’Alicante, et un retour à son cher ŁKS Łódź, il quitte les terrains en 1984, à 36 ans. Il est toujours ce contradicteur-né qui a un jour déclaré : « Si dix personnes disent que quelque chose est blanc, je leur dis que c’est noir. C’est le seul moyen de sortir du lot. » Il a aussi une réputation signée Brian Clough à défendre. Plutôt se faire remarquer par n’importe quel moyen que tomber dans l’obscurité.

Ce seront des insultes, des procès, une série de querelles spectaculaires avec une Fédération dirigée par ses anciens coéquipiers de 1974. Les médias d’une Pologne nouvellement libre en font vite leurs choux gras. Un papier à rendre dans cinq minutes et pas d’inspiration ? Ne t’affole pas, appelle Tomaszewski, aime-t-on à plaisanter dans les salles de rédaction… et l’on est en général servi. « Quand un bordel va mal, on ne repeint pas les murs, on change les filles », dit-il ainsi un jour de crise à la Fédération. Ou encore, à propos de l’équipe nationale avant l’Euro 2012 : « Je ne supporterai pas ce tas de merde. Je serai pour l’Allemagne, ils ont des jeunes prometteurs. » Le mot de trop, même pour lui, dans une Pologne qui n’oublie jamais son histoire : son parti le suspend pour un mois.

Il est en effet déjà entré en politique, à droite de la droite, au sein du très xénophobe Droit et Justice (PiS) des frères Kaczyński pour lequel il sera député de Łódź à la Diète de 2011 à 2015. Pendant ces années et au-delà, les saillies continuent, de plus en plus viles, de plus en plus violentes… Noirs, homosexuels, « faux Polonais » binationaux en sélection, personne n’est épargné. Battu en 2015, il ne retrouve un siège ni aux élections de 2019, ni à celles de 2023 qui voient le PiS quitter le pouvoir, et se retire du jeu.

À 77 ans, en proie à des soucis de santé, Jan Tomaszewski n’a plus guère que ses activités de commentateur de football, qu’il n’a cessées que pendant son mandat, pour continuer à exister. Sur un parcours peu ordinaire qui aura mené l’homme de la légende du football aux bas-fonds de la pensée, l’historien du ballon rond, quelles que soient ses opinions personnelles, ne peut au final rendre qu’un seul verdict : gâchis.

8ème : Jan van Beveren

Si le meilleur gardien néerlandais de sa génération (et de quelques autres) ne recueille qu’un profil plus court que les autres dans ce Top, c’est parce que le spécialiste du voetbal dans notre rédaction lui a déjà consacré un superbe portrait. Tout a été dit là sur les machinations puantes – dans tous les sens du terme – de Johan Cruyff et de ses séides pour écarter Jan van Beveren de la cage de l’équipe nationale.

C’est ainsi que les Oranje ont laissé échapper une, voire deux étoiles qui leur étaient largement accessibles. Dans leurs finales de 1974 et 1978, c’est Jan Jongbloed qui a « gardé » le but, si l’on peut vraiment se permettre ce mot : mal placé sur le tir victorieux de Gerd Müller à Munich, pas assez présent dans ses deux duels perdus face à Mario Kempes à Buenos Aires. Les deux fois, les insuffisances du gardien font la différence entre 1-1 et le score final…

Face à l’Ajax et Ruud Geels : je mets les poings où je veux…

À l’étalon du numéro 1 du PSV, ses rivaux de l’époque en prennent tous pour leur grade : Jongbloed, friable en un contre un et souvent dépassé dans les airs ; Doesburg, jamais serein en altitude lui non plus et pas vraiment constant ; Treytel, un ton en dessous dans tous les domaines ; Schrijvers, impressionnant dans les bons jours mais capable de cagades mémorables… Van Beveren, en revanche, c’est un jeu sans aucun point faible et la constance d’un métronome de classe mondiale.

Lui aussi est de la génération 48, comme Clemence et Tomaszewski. À quinze ans, il est déjà titulaire en D4, au VV Emmen, avant de rejoindre le Sparta Rotterdam en 1965 puis un PSV Eindhoven en pleine renaissance en 1970. Il y remportera trois titres nationaux, deux Coupes, et la Coupe de l’UEFA en 1978 face au SEC Bastia de Papi et Krimau. Avant cette finale, le public français le connaît déjà depuis les deux doubles duels du PSV avec les grands Verts en 1976. À l’aller à Furiani, sur un terrain à la limite du praticable, il est sensationnel et préserve quasiment à lui seul un 0-0 que ses coéquipiers sauront faire fructifier (3-0) au retour.

La Corse, ses fromages, ses bains de boue…

Avec l’équipe nationale, il n’y aura « que » 34 sélections, dont une seulement après la sinistre « affaire de Zeist » en 1975. Des miettes pour celui que seul Edwin van der Sar dépasse par le talent au Panthéon des gardiens bataves, sans même parler de ce qui aurait pu être en Coupe du monde ou aux Euros 76 et 80…

Les machinations fétides du microcosme lui feront choisir un exil anticipé, à 32 ans seulement, le plus loin possible des centres de pouvoir du ballon rond. Ce sera aux États-Unis, qui ne sont même pas dans la D2 des ligues nationales comme au XXIe siècle. Trois ans aux Fort Lauderdale Strikers jusqu’à la faillite de la North American Soccer League, deux ans d’un indoor soccer qui ne s’appelle pas encore futsal aux Dallas Sidekicks, une vie de miséreux dans la moiteur du Texas après la retraite sportive, et une crise cardiaque un soir de solitude qui met un terme à ses tourments en 2011, à 63 ans. Si le parcours de Tomaszewski a été un gâchis, que dire de celui de cet autre Jan ?

7ème : Ivo Viktor

Le duel pour la sixième place a été très serré dans les urnes de la rédaction, mais la dure règle de ce Top a imposé qu’il y ait un perdant… Comme avec Clemence face à Rudakov, à réputation égale, l’auteur a tranché en faveur de celui qui jouait dans la ligue la plus exigeante. C’est ainsi que le champion d’Europe 1976, troisième au Ballon d’Or cette même année, apparaît avant son rival le plus proche dans notre liste.

C’est à Křelov, au cœur de la Moravie, qu’Ivo Viktor a vu le jour en 1942, dans le Protektorat Böhmen und Mähren de l’occupant nazi. Il débute dans la cage à 14 ans au Spartak Šternberk, tout près de chez lui, et se retrouve en 1962 au Zbrojovka Brno, le poids lourd des clubs moraves. Mais en République socialiste tchécoslovaque, la politique n’est jamais loin du sport. Le pouvoir a décidé de faire du Dukla Prague, le club de l’armée, le porte-drapeau de ses clubs, à la manière du Dynamo Berlin en RDA. Le très prometteur Viktor se voit ainsi transféré dès 1963 vers la capitale où il passera le reste de sa carrière.

L’Occident découvre Viktor à la faveur de ses premiers pas en Coupe d’Europe et de sa première sélection A en 1966 face au Brésil, au Maracanã, s’il vous plaît. On remarque vite ses formidables réflexes, sa présence dans la surface, son aise sur les ballons aériens, et un jeu au pied peu sollicité, comme d’usage à l’époque, mais inhabituellement bon. Les rares observateurs du championnat tchécoslovaque signalent aussi son aptitude à élever son niveau de jeu dans les matchs importants.

Le gardien du Dukla s’impose en sélection face à Alexander Vencel (père de) et dispute ainsi son premier grand tournoi à la Coupe du monde 1970. En ouverture face au Brésil, il est le protagoniste d’une des Trois Glorieuses du roi Pelé : le célèbre lob depuis le rond central qui ne manque le cadre que de quelques centimètres. Dans le « groupe de la mort » où figurent aussi la Roumanie et l’Angleterre championne du monde en titre, Viktor ne démérite pas mais ne peut éviter à la Tchécoslovaquie de finir dernière avec trois défaites.

C’est O Rei qui fut Viktorieux ce jour-là à Guadalajara.

Les performances en demi-teinte du Dukla et de l’équipe nationale font qu’il faut attendre l’Euro 76 pour voir Viktor retrouver la lumière des projecteurs. Une Reprezentace que personne n’attendait écarte d’abord l’Angleterre et le Portugal en qualifications, puis élimine proprement l’URSS en quart de finale pour atteindre le Final Four en Yougoslavie.

En demi-finale face aux terribles Néerlandais de Cruyff, c’est une nouvelle surprise et une victoire en prolongation (3-1) que les Tchécoslovaques ne doivent pas peu à leur gardien. En finale contre la RFA, celui-ci est encore au top et pousse les champions du monde en titre à la toute nouvelle épreuve des coups de pied au but. On connaît la suite et le légendaire tir décisif d’un illustre moustachu dont notre rezident en Moravie a d’ailleurs su recueillir les souvenirs. Voilà la ČSSR championne d’Europe et Viktor désigné meilleur gardien du tournoi devant Sepp Maier et Ognjen Petrović, en toute modestie.

Ils ne sont pas passés comme en 38.

Mais la marche du temps est impitoyable et, à 34 ans passés, le héros de l’Euro souffre de problèmes musculaires chroniques au dos. La médecine du bloc de l’Est fait ce qu’elle peut, sans succès, et les contingences de la guerre froide interdisent d’aller consulter en France ou en Allemagne. Viktor est donc contraint à la retraite dès 1977, un an seulement après Belgrade. Outre l’Euro, il aura remporté deux titres de champion, trois coupes nationales, et cinq titres de footballeur tchécoslovaque de l’année.

Il va par la suite entraîner les gardiens de l’équipe nationale et du Dukla, dont il prendra même l’équipe première en main en 1990-91, avant d’occuper divers postes à la Fédération tchèque. Il anime aussi pendant longtemps une école de gardiens pour les U14 au Meteor Prague (D4) dans laquelle on le voit passer de temps en temps aujourd’hui encore, à 80 ans bien tassés.

6ème : Pat Jennings

Penché en avant, vêtu du traditionnel maillot vert des gardiens en First Division, concentré mais serein, il guette le danger sans faillir sur une de ces fresques qui font la renommée de Belfast. Rares sont les footballeurs autres que George Best à avoir mérité un tel honneur dans une capitale dont l’art mural reflète en général les éternelles tensions politiques et religieuses. Cela, plus que tous les trophées, suffit à placer l’homme.

C’est à Newry, tout près de la très réelle frontière entre République et terres de la Couronne, que Patrick Anthony Jennings voit le jour en juin 1945. C’est là aussi qu’il tâte du ballon rond à onze ans, puis se tourne vers le football gaélique avant de revenir à l’association à 16 ans à Newry Town, en D3. Deux ans plus tard, repéré par le Watford d’avant les années Elton John, il fait ses débuts dans une D3 d’un autre calibre, de l’autre côté de la mer d’Irlande.

Dès sa première saison, il s’impose dans la cage des Hornets et supplante le légendaire Harry Gregg en équipe nationale. Bill Nicholson, le manager emblématique de Tottenham, ne laisse pas traîner l’affaire et Jennings rejoint les Spurs à l’été 1964. En treize ans, il va y disputer 591 matchs toutes compétitions confondues et devenir une légende.

29 août 1964 : un début difficile avec les Spurs face à Everton à Goodison Park (4-1).

Comme Jan Tomaszewski, il privilégie parfois l’efficacité à l’orthodoxie du style. Comme Ray Clemence, il est au plus haut niveau tout le temps et dans tous les domaines, un tout petit cran au-dessus du portier des Reds et avec une frappe de balle exceptionnelle en prime. Lors du Charity Shield 1967 contre Manchester United, il marque ainsi un but d’un monstrueux dégagement au pied qui rebondit par-dessus un Alex Stepney médusé.

Avec les Spurs, il remporte une FA Cup, deux Coupes de la Ligue, et la Coupe de l’UEFA en 1972, mais ne peut empêcher à lui seul un déclin qui conduit à la relégation à l’été 1977. Keith Burkinshaw, qui a succédé à Nicholson sur le banc, ne voit pas en un gardien de 32 ans l’homme du renouveau et laisse Jennings signer chez l’ennemi juré, Arsenal. Il va regretter cette erreur : Barry Daines, l’héritier, ne convainc pas, et Tottenham devra finalement faire venir à grands frais Ray Clemence de Liverpool en 1981.

Jennings, lui, a immédiatement enchaîné avec les Gunners à son niveau habituel. Il jouera encore 327 matchs jusqu’à sa retraite officielle en 1985, avec à la clé une FA Cup gagnée, trois finales perdues, et une finale de Coupe des vainqueurs de coupe perdue aux tirs au but face au Valence de Mario Kempes en 1980. Le 26 février 1983, il devient le premier dans le football anglais à atteindre le chiffre magique de 1000 matchs professionnels, équipe nationale et tous clubs confondus. Il va réussir le rare exploit d’être aussi apprécié des supporters des Gunners que de ceux des Spurs, sans la réputation de traître que traînent souvent les « transfuges » du nord de Londres.

Avec les Gunners à Highbury face à West Bromwich Albion.

Contrairement à George Best, Jennings répond toujours présent à l’appel en sélection. Il va disputer 119 rencontres avec une Irlande du Nord qui bénéficie de sa meilleure génération de l’histoire, celle des Norman Whiteside ou autres Martin O’Neill. Qualifiée pour la Coupe du monde 1982 après 24 ans d’absence, elle réussit l’exploit de battre l’Espagne chez elle et de passer le premier tour avec la Roja aux dépens de la Yougoslavie, appuyée sur un Jennings solide comme un roc. Au deuxième tour, la marche est trop haute face à l’Autriche et à une équipe de France qui commence à y croire. Jennings ne démérite pas dans la défaite 4-1 face aux Bleus et a la satisfaction de remporter son duel à distance avec Jean-Luc Ettori, fautif sur le but nord-irlandais.

L’Irlande du Nord n’échoue en éliminatoires de l’Euro 84 qu’à la différence de buts face à la RFA, qu’elle a pourtant battue deux fois, mais se qualifie brillamment pour le Mundial 1986 aux dépens de la Roumanie. Jennings a déjà pris sa retraite en club mais est retourné à Tottenham pour s’entraîner avec l’équipe réserve afin de continuer en sélection. Au Mexique, l’ossature de 1982 accuse son âge face au Brésil et à l’Espagne. L’Irlande du Nord ne prend qu’un point contre l’Algérie et son emblématique gardien quitte les terrains pour de bon sur une défaite éliminatoire (0-3) des pieds de la Seleção, le jour de son 41ème anniversaire.

Adeus, Senhor Pat, va bientôt lui dire O Doutor.

Par la suite, Jennings prend en charge en 1993 l’entraînement des gardiens des Spurs auquel il participe encore chez les jeunes aujourd’hui, à 80 ans. Il va aussi longtemps animer de l’événementiel d’entreprise dans un salon de White Hart Lane qui portait son nom jusqu’à la démolition du stade. Marié depuis 1967 à une fille de sa ville natale, père de quatre enfants, il n’a jamais défrayé la chronique hors du terrain. C’est donc tout naturellement que ce vrai gentleman est entré dans le Hall of Fame du football anglais en 2003.

(Deuxième partie disponible ici à partir du 19 novembre)

Une réflexion sur « Un siècle de portiers : les années 1970 (première partie) »

  1. Ah, là je vais avoir des trucs à redire.

    Déjà, gros avis perso : de meilleurs gardiens que van Beveren ou Tomaszewski, ce n’est pas ce qui aura manqué dans cette décennie où le beau monde ne manque pas, c’est vrai.

    Tomaszewski, on l’a vu en Belgique, toujours en pleine bourre à l’époque..et il n’en fut jamais le meilleur gardien du championnat. Un vrai, bon élément, ça oui. Mais toujours en retrait derrière le Danois Jensen du FC Bruges, un certain Jean-Marie Pfaff de Beveren, voire sans doute même, déjà, derrière le pourtant très perfectible encore Michel Preud’Homme. Et vraiment pas l’assurance tous risques, il se trouait quand même assez bien, le Jan.

    Pfaff qui, en dépit de toutes ses qualités, bien réelles, n’arriva quant à lui jamais à la cheville du grand gardien belge des 70’s et probablement même du siècle (seul Nicolay peut le lui disputer) : Christian Piot. Sur l’absence duquel (ça ne fait pas un pli) je crois vraiment qu’il y a ici un fameux couac mais ça m’apprendra à ne pas faire davantage de lobbying.

    Vient le cas van Beveren, gardien que j’adore, son style est juste génial, visuellement c’est de tous mon gardien préféré (alors que le style robuste de Piot, bof..) pour cette période, une élégance dingue, mais………….mais c’est pas compliqué : demandez aux NL qui ont pratiqué et Piot et van Beveren, même à ceux qui vous diront mécaniquement que van Beveren était le meilleur gardien du monde..demandez-leur lequel des deux était le plus fort.. ==> Ce sera sans ambigüité : le Belge!!!

    Van Beveren fut un gardien avant-gardiste, félin et splendide, et un vrai game-winner la plupart du temps, le PSV lui doit énormément.

    Mais il a aussi pas mal de casseroles à son actif, des fameuses même.. Pas toujours aidé par ses défenses, possiblement saboté même en équipe nationale, certes..mais si Piot n’est pas là, alors van Beveren n’a rien à y faire : la gamme des miracles réalisés, l’apport au groupe et la fiabilité était sans rapport aucun entre les deux, avantage incontestable pour Piot..qui de surcroît était l’un des deux véritables hommes-forts d’une équipe……qui à l’époque dominait (et pas d’un peu) les Pays-Bas dans leurs affrontements directs!

    La vraie génération dorée de la Belgique : c’est celle de Piot. Et il en était donc, avec van Moer, le maillon le plus décisif ; d’ailleurs le premier joueur que Goethals couchait sur sa feuille de match..même blessé! Ce gardien a littéralement dégoûté les meilleurs attaquants de son temps, ça vaudrait le coup que je vous retrouve ce que d’illustres contemporains déclarèrent de lui (j’ai souvenir pour sûr d’Eusebio et de Cruyff, pour qui il n’y avait pas meilleur gardien en Europe, Rivera aussi..) – et qui est semble-t-il tombé dans l’oubli.

    Le fait que sa carrière prenne véritablement fin dès 75 pour blessures, et que les équipes dont il était l’argument premier fussent régulièrement victimes de décisions institutionnelles borderline (le cas dans des moments critiques en WC 70,C1 70, Euro 72 et WC 74 – excusez du peu) : ce n’est pas pour sa pomme non plus.

    Dans l’absolu, en focalisant sur les qualités intrinsèques, c’est même le très haut du panier : absolument aucun point faible, autoritaire dans le jeu aérien, du jeu au pied………et surtout, à juger du moins des noms les plus connus de son temps : je crois bien le meilleur d’Europe sur sa ligne, pour les 70’s je n’ai jamais vu personne à ce niveau, qui fût doté de tels réflexes. Le tout en restant cependant un type qui, dans le style et dans l’attitude (l’anti-héros par excellence), appartenait davantage au football des 60’s qu’à celui des 70’s, dont je crois décidément l’appréciation un brin biaisée par la forte marketisation, alors, du poste de gardien de but.

    Entraîneurs spécifiques? Il y en avait : A l’instar pour bonne part aussi de votre Lama (qui affirma lui devoir également beaucoup), Piot fut l’élève de ce Nicolay que vous évoquiez dans l’épisode précédent, et qui lui apprit l’essentiel du métier ; c’était son entraîneur spécifique.

    Et puisque van Beveren a été mis à l’honneur, il doit quant à lui énormément à celui qui l’entraîna au Sparta, le fameux Wiel Coerver, que je me rappelle avoir abordé ici :

    https://www.pinte2foot.com/article/divergents-3-5-melomane-hooligans-premiere-partie

    Avec lui, c’était 3 entraînements..spécifiques par jour! Et ce, donc, entre 1966 et 1969 ; bref y en avait, dans certains clubs des Plats Pays du moins – mais partout, ça je ne l’affirmerais certainement pas.

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