Olivier Margot, L’homme qui n’est jamais mort, JC Lattès, 2020, 20€
« Toutes les histoires, continuées assez loin, se terminent par la mort. »
Ernest Hemingway, Mort dans l’après-midi, 1932
Il ne fait aucun doute que le Prix Nobel de littérature a raison : la mort est inéluctable. Mais l’oubli, qui l’accompagne si souvent, n’est quant à lui pas une fatalité. Il peut être combattu par la persistance des souvenirs et l’entretien d’une mémoire.
C’est à vivifier celle de Matthias Sindelar (1903-1939) que s’emploie ici Olivier Margot. Ancien journaliste au sein du groupe L’Equipe, l’auteur se mue ici en romancier. Au premier abord, c’est un choix qui interroge : pourquoi ne pas avoir privilégié la forme de l’essai ?
Une partie de la réponse se trouve dans le fait qu’il s’agit d’un « roman où presque tout est vrai et le reste est vraisemblable » ; en somme, ce que les Américains ont pris l’habitude d’appeler une non-fiction. Ainsi, pour éclairer les nombreuses zones d’ombre de la vie de Sindelar, Olivier Margot recourt-il à l’imagination. Enfin, plutôt que l’essai, le roman permet de toucher un large public.
Le choix du roman se justifie donc pleinement, bien qu’il présente des dangers : en effet, dans les 270 pages de ce récit, qu’est-ce qui est vrai et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quels personnages sont inventés et les lesquels sont réels ? Quels événements se sont réellement produits ? Où les faits s’arrêtent-ils et l’imagination de l’auteur prend-elle le relai ?
Bref, la forme n’est certainement pas neutre et conditionne – pour une part – le contenu, sa fiabilité et son intérêt. Sur ce dernier point, tranchons immédiatement le débat : le roman d’Olivier Margot, très bien documenté, est tout à fait intéressant. C’est une lecture agréable, distrayante et stimulante dont le lecteur sort enrichi.

Puisqu’il s’agit de la biographie du plus illustre des footballeurs autrichiens, il faut souligner que la description du style de Sindelar semble tout à fait juste. De même, le jeu du Wunderteam – l’équipe d’Autriche qui régna sur le football européen du début des années 1930 – est bien apprécié et les matchs sont dépeints avec réalisme. C’est une indéniable qualité.
De plus, souhaitant inscrire Sindelar dans la grande Histoire de l’Autriche et de la Mitropa des années 1910-1930, Olivier Margot ne cesse de rappeler le contexte général. Ce faisant, il ne se contente pas de livrer la biographie anecdotique d’une vedette de football dans l’entre-deux-guerres, mais il éclaire des années décisives dans la formation de l’Europe contemporaine.
Ainsi, l’auteur insiste sur le poids de l’exil pour le jeune Sindelar né en Moravie et rappelle à cet effet que, dans l’entre-deux-guerres, « plus de la moitié des Viennois sont nés hors de l’Autriche ». Il montre aussi les conditions de vie dans les faubourgs ouvriers marqués par la pauvreté – notamment celui de Favoriten où a grandi Sindelar – et fait la chronique de Vienne la Rouge, de la montée du fascisme et du nazisme. Mais surtout, il met en exergue le rôle culturel majeur de Vienne.
C’est dans cette forge que serait né le joyau Sindelar. Lui et l’équipe merveilleuse – le Wunderteam – serait une perle de plus à mettre au collier artistique de la capitale autrichienne, la « deuxième plus grande ville d’Europe après Paris » en 1913. Sindelar est en fait le plus bel artiste du football viennois : « son langage », écrit Olivier Margot à propos du jeune Matthias, « sera d’abord un langage du corps, d’une nouveauté radicale, se rapprochant de la peinture, sinon de l’abstraction. Cet enfant, surmontant la tristesse de l’exil, sera un inventeur de formes, résolument digne de la grandeur de Vienne. »
On sent poindre là, déjà plus qu’en germe, la principale critique à faire au livre d’Olivier Margot. Mais c’est aussi sa thèse centrale : si Sindelar fut un génie du ballon rond, c’est parce qu’il était un artiste bien sûr, mais surtout un intellectuel conscient des bouleversements de son époque.
Personnage mélancolique dans une époque crépusculaire, Sindelar devient sous la plume d’Olivier Margot un sympathisant social-démocrate, un opposant aux nazis, un ami des juifs. Déroulant le fil d’une implacable tragédie, l’auteur se met alors à broder sur du vent car rien n’indique que Sindelar fut autre chose qu’un joueur de football professionnel ; un exceptionnel joueur de football, doté d’un talent hors de pair, mais c’est tout. Et c’est déjà pas mal !
Note : 3/5

Encore un qui brode sur de l’imaginaire, du fantasme.. Le problème c’est que, à force de répéter (comme tant d’autres avant et après lui) ce qu’il put lire..désormais un peu partout, ce sont désormais des milliers de sources cannibales (dont ce livre, qui deviendra lui aussi une source vérolée) qui prêtent à Sindelar des opinions, des actes voire un destin (?) sans rapports aucuns avec ce qu’on sait vraiment de ces pages-là de sa vie.
Quitte à aborder, once again, ce genre de sujets : pourquoi cet auteur ne l’a-t-il fait au moins à rebours? Je lis que ce livre n’est pas avare d’apports intéressants, encore bien..mais quand bien même : ça revient une fois de plus à rajouter de la confusion là où il n’y avait déjà (quasi..) plus que cela.
Ce qui aimante tant d’auteurs autour de la figure de Sindelar, on sait bien que ce n’est pas le footballeur ou l’homme : c’est le grand-guignol nazi fantasmé derrière lui! C’est plus fort qu’eux..
Mais je suis peut-être injuste, je n’ai lu que ta critique. Et je l’ai peut-être mal lue?? 3/5 quand même……….. Bon.. Je n’oublie pas que tu es exigeant!
Franchement, c’est très sympa à lire. Le contexte est assez bien décrit, c’est documenté. Bon, c’est orienté. Si ça ne l’était pas, je serais allé jusqu’à 4/5.
Ne pas oublier, néanmoins, que j’accorde toujours plus d’importance à la forme qu’au fond, au style qu’au propos.
Je viens de voir que Margot a écrit un bouquin pour les 140 ans du Racing Club de France (c’était en 2023). Pour Fredo, amateur de rugby et du Racing.
Je ne le connaissais pas, mais il écrit plutôt bien ce Margot.
Il était une des plumes de l’Equipe à la rubrique rugby, autrefois. Il n’avait pas le lyrisme et l’humour de Denis Lalanne mais dans mon souvenir, ses papiers se lisaient bien.
J’ai connu une Margot qui dégrafait son corsage pour donner la gougoutte à son chat, mais je ne connais point ce Margot là.
Mais son bouquin sur le Racing devrait valoir le coup. Aïe, je vois qu’il coûte 59 euros.
Miaouw
Bob est dans sa période autrichienne, Hiden, Meisl, Sindelar. Y aura-t-il une suite ?
Meisl, c’est pour le 21 courant. N’anticipons pas !
Ensuite, il y a « La coupe du monde rêvée » en décembre-janvier.
Et puis je me disais que ce serait bien de faire une rétrospective de la Coupe du monde 1954 mais, évidemment, ni par le prisme de la Hongrie ni par celui de la RFA, sur lesquelles tout a été dit. L’angle d’attaque privilégiée serait donc cette formidable équipe d’Autriche qui termine sur la troisième marche du podium (son meilleur résultat en Coupe du monde, mieux qu’en 1934…).
Mais, pour (bien) faire cela, il me faudrait l’aide d’un grand connaisseur du football autrichien. Si Polster-Guybrush passe par là…
Ahahaha
Allez, viens…
J’entends la petite musique -le limonaire- du camion à glaces.
T’as des infos sur ce team ?
Sur l’équipe de 54 ?
Je pense qu’elle est jugée un peu sévèrement, à cause de la défaite contre l’Allemagne notamment. Un problème en particulier tactique, on l’a déjà évoqué. Un peu à l’image de Meisl, Nausch était attaché au système viennois et avec son talent un Ocwirk entretenait l’illusion (on oublie que le bonhomme était une référence mondiale). En 52 et 53, les résultats n’ont pas été forcément mauvais, mais il y a eu pas mal de matchs nuls et si les rencontres contre la Hongrie, l’Allemagne ou l’Angleterre ont été serrées, ces équipes semblaient avoir compris comment limiter l’influence de Ocwirk. En 51 et 52, l’Austria étaient restée invaincue contre les clubs anglais et il leur avait fait une très forte impression.
À la CdM, Nausch (malade me semble t-il) a été entouré par Edi Frühwirth, Hans Pesser et Josef Molzer. On a déjà causé de Frühwirth. Dans le foot autrichien de l’époque, il était un peu l’Antéchrist, considérant depuis longtemps que le système viennois était dépassé. Et il connaissait bien Ocwirk, puisqu’il l’entraînait à ces débuts au Floridsdorfer AC. Le Ossi avait aussi compris la nécessité de changer de tactique. Frühwirth semble avoir eu son influence sur l’évolution du jeu de cette équipe avant la compétition. On ne sait trop le rôle de Pesser. Début 53, il a quitté le Rapid (4 championnats sous le bras) , puis pris le WSC (avec lequel il remportera brillamment deux titres).
Les joueurs du Rapid constituaient l’ossature de cette équipe d’Autriche, mais en regardant les compos, on se doute que la tactique et le jeu proposé devaient être assez différents.
L’une des forces du Rapid était son milieu. Très actif, polyvalent et intelligent. Gernhardt (Giesser) – Golobic – Hanappi. En sélection, Gernhardt a joué à 5 ou 6 positions. Hanappi pouvait aussi jouer un peu partout. À ceux-là s’ajoutait Johann Riegler (le petit frère du Franz de l’Austria de Sindelar), a priori inter droit, mais qui jouait un rôle particulier avec le Rapid. En transition offensive, il évoluait en quelque sorte meneur et alimentait les attaquants. Les frères Körner aux ailes, Probst et Dienst dans l’axe. En transition défensive, il harcelait les milieux. Gernhardt, Golobic et Hanappi étaient surnommés les Machines par leurs équipiers. Riegler, c’était un gabarit de marathonien (176cm pour 52 kg).
Bref, en sélection, les titulaires au milieu, dans ce qui était semble t-il un WM, était Ocwirk et Koller (moins connu mais aussi une référence à son poste). Bien qu’étant aligné sur le papier comme défenseur, Hanappi devait participer au jeu bien davantage que Barschandt ou Happel. Mais on peut raisonnablement penser que l’animation était différente de celle du Rapid.
Et ce d’autant plus, lorsqu’on regarde la ligne d’attaque. Les frères Körner aux ailes, Probst inter gauche, ok. Mais le génial Stojaspal comme avant centre et l’excellent Turl Wagner à la place des Dienst et Riegler. En gros deux profils de dribbleurs, là où Dienst était un joueur de surface et Riegler un relayeur offensif increvable.
Edi Frühwirth, Hans Pesser…………… J’ai relu ton article sur Rio récemment, décidément très bon, je tenais à le dire.
Karl Koller, c’est une figure qui m’intrigue. Je l’ai découvert il y longtemps, en feuilletant la liste des 100 meilleurs européens du XXeme siècle de IFFHS et c’était clairement un de ceux que je connaissais le moins. Karl Decker, un peu plus tôt, était également un sacre joueur, non ?
Le début de compétition est bon, mais la victoire face à la Suisse a probablement laissé pas mal de traces. Et donné quelques idées bizarres au staff.
Il est possible que Happel ait été diminué contre l’Allemagne. Zeman, revenant de blessure, a remplacé le pauvre Schmied. Mais surtout, Hanappi et Schleger ont été aligné avec Happel. Hanappi, rien de bien surprenant, mais Schleger… Happel a toujours dit qu’un joueur devait avoir un cerveau et ce jour là les coachs l’ont trollé. Hanappi est connu pour sa carrière d’architecte. Schleger pour celle de médecin vétérinaire (une pointure dans son domaine). Mieux encore, Hanappi et Schleger, défenseurs face à l’Allemagne, peuvent se vanter d’avoir chacun marqué plus de 100 buts en carrière. C’est que le Schleger, connu pour ces qualités de vitesse notamment, était plutôt un joueur offensif. Une compo YOLO.
Bon, tu l’écris cet article ?
Pesser, dans le palmarès des entraîneurs qui méritent d’être mieux connus, il pourrait figurer sur la première marche.
Champion avec le Rapid en 46,48, 51 et 52. Il quitte le club en mars 53. Cette année là, l’équipe finit 3ème. Son plus mauvais classement sous Pesser.
Il reprend le Wiener SC ensuite, après la remontée du club. Il y reste 7 saisons avec un bilan de deux titres en 58 et 59 (une seule défaite concédée en championnat sur les deux exercices et au moins 100 buts inscrits) et deux fois 2ème.
Il quitte le WSC en 60 et on le retrouve en 61/62 en D1 (peut être en 60/61 en D2 déjà??) avec l’Admira, tout frais promu. Cinq saisons. Un titre en 66, deux 2ème places, une 3ème.
Et après son passage à la tête de la sélection, il revient au WSC et décroche encore une 2ème place.
Assez incroyable comme parcours.
Koller est moins connu parce qu’il a fait le choix de rester au Vienna. Ocwirk a été formé par Smistik et Koller aurait été repéré par Leopold Hofmann. Pas mal comme mentors. C’est aussi Hofmann, qui est entraîneur du Vienna lorsque l’équipe remporte le titre en 55 avec, Ô surprise, une défense de fer (26 buts encaissés seulement).
Oui, Decker a été un très bon joueur. 4ème buteur le plus prolifique du championnat, 1er non Rapidler.
Un intellectuel conscient des bouleversements de son époque.
Ok, l’auteur a l’imagination fertile.
Il le fait fréquenter les grands intellectuels de l’époque, Polgar par exemple. C’est amusant.
Ça me semble un peu ridicule. Peut être pas le bon mot. Et bizarre. Il semble s’enticher d’une figure populaire, parce qu’elle est populaire, mais en même temps ce n’est ps suffisant, pas assez bien, on dirait. Un artiste, c’est mieux.
Polgar et Torberg ont contribué à façonner le mythe.
Oui, et c’est en cela qu’ils sont impliqués dans l’histoire. Mais ils deviennent des proches de Sindelar.
L’auteur cherche effectivement à aller au-delà du « simple » footballeur, pour expliquer le génie. C’est évidemment complètement délirant et, pour tout dire, pas toujours bien amené. Mais l’ensemble est agréable à lire, plutôt bien documenté. Bref, j’ai trouvé ça pas si mal en dépit de nombreux bémols.
Polgar, j’avais lu jadis l’un ou l’autre passages d’un texte semble-t-il assez fameux (Polstergesit??) qu’il écrivit depuis..Paris?? (je vais rechecker le bazar, pas du luxe), et c’était assez manifeste que c’est son propre désespoir post-Anschluss qu’il avait projeté sur la figure de Sindelar.
De toute façon pas l’impression que ledit Polgar (que je connais mal) brillât surtout par la véracité de ses écrits.
Puisqu’il évoque Polgar, dis-tu, ce Margot écrit-il au moins que, pour Polgar et si mes souvenirs sont bons, la mort de Sindelar procédait d’un..suicide??
Je me rappelle avoir (notamment) lu ça il y a bien 6 mois, mais suicide bien sûr que rien ne permettait d’affirmer, simplement, pour Polgar : l’idée était que Sindelar était tant attaché à leur Autriche (..voire à l’Autriche surtout de Polgar, éh?), qu’il ne lui restait loisible que de la rejoindre dans la mort – un delirium de cet acabit..
Faudrait que je retombe sur le texte en question, « Pariser Briefe » ou que sais-je ; GuyBrush?? Sinon j’y regarde en soirée.
Polgar et Torberg, je ne connaissais pas. Quelles sont leurs thématiques ?
Torberg, par exemple, c’est celui qui a écrit un poème sur Sindi.
Voilà, je retombe sur ce truc-là, ça fera un peu de Heimweh (ou pas 😉 ) pour Herrn Guybrush : « Aus Treue zur Heimat », so imaginierte oder wünschte sich Polgar also den Sterbehergang des von ihm so hoch Verehrten, « hat er sich umgebracht; denn in der zertretenen, zerbrochenen, zerquälten Stadt leben und Fußball spielen, das hieß, Wien mit einem Gespenst von Wien zu betrügen. »
https://www.derstandard.at/story/1231152634126/70-todestag-von-matthias-sindelar-wien-sein-geist-und-das-gespenst-davon
Concéder du style à ce Polgar!, même s’il en fait un peu bcp des tonnes quand même, éhéh
..et s’il raconta surtout ses névroses sur ce coup-là!
J’oubliais de traduire!, en gros :
« Par fidélité pour sa patrie, (Sindelar) s’est suicidé. Car vivre ou jouer au football dans sa ville détruite et malmenée, revenait à tromper Vienne avec un fantôme de Vienne ».
Pouillouille……. Ceci dit : on peut comprendre le désarroi voire le trauma de l’exilé Polgar.
Oui, ça a tout l’air d’être le pompon, ça.
La figure de l’intellectuel engagé, gnagnagna……….. Mais qu’est-ce que c’est tarte à la crème de lire encore et toujours ces trucs.
Et s’il n’y avait que sur Sindelar..
Le foot a certes produit l’une ou l’autre de ces figures totémiques………mais son récit s’est souvent fait fort de passer à côté des plus véridiques d’entre elles. On croirait un spectacle narratif, dont il faut répondre au cahier des charges mais mollo.