Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (3/9)

Maintenant que vous connaissez Hugo Meisl, le chef d’orchestre du « Wunderteam », il va s’agir de vous présenter les « musiciens », c’est-à-dire les quelque douze ou treize footballeurs qui firent briller d’un éclat exceptionnel le sport de la balle ronde en Autriche.

Vers 1930-1931, c’est-à-dire au moment où le « Wunderteam » va naître, le professionnalisme était institué en Autriche[1].

Il y avait dix clubs de première série : le Rapid, l’Admira, First Vienna, le F.C. Wien (ex-Nicholson), le Favoritner A.C., le Floridsdorfer A.C. (club où débuta Gusti Jordan, actuellement demi-centre de l’équipe de France et du Racing C.P.), le Wiener A.C., le Wacker, l’Austria et le Sportklub.

Le métier de professionnel était lucratif. On gagnait bien sa vie à être « soccer » professionnel et ceux qui appartenaient au « Wunderteam » pouvaient « mettre » en fin de saison quelques beaux et bons billets de mille schillings « à gauche ».

Parlons finances

Hugo Meisl avait tenu à ce que tous ses « enfants » aient une occupation à côté de leur profession de footballeur.

Le fixe mensuel d’un « pro » ne pouvait être inférieur à 300 schillings, c’est-à-dire inférieur à 1.800 francs. Le maximum n’était pas fixé. Bon an, mal an, un footballeur touchait approximativement – primes comprises – quelque 4.000 francs par mois[2].

Chaque sélection dans le « Wunderteam » rapportait à son bénéficiaire 400 schillings, soit 2.400 fr. Les primes pleuvaient, elles pleuvaient d’autant plus que notre équipe gagnait et que « l’échelle mobile » introduite par Hugo Meisl venait jouer.

Pour le match Suisse-Autriche du 29 novembre 1931, match que nous gagnâmes par 8 à 1, Hugo Meisl dut employer une règle à calcul pour la répartition des bénéfices.

La chose la plus merveilleuse de notre « équipe merveille » était de nous rapporter de magnifiques billets…

Il y avait en outre la question des transferts. On avait chez nous le système anglais qui est de beaucoup préférable aux lois françaises régissant les transferts. Aujourd’hui on était au W.A.C, le lendemain on pouvait jouer sous les couleurs de l’Admira.

Les bases du transfert étaient réglées au moment où l’on entrait dans une équipe. Exemple : sur notre contrat d’engagement il était spécifié qu’en cas de cession à un autre club il nous serait versé par le club cessionnaire 25% sur le montant du « prix de vente ».

Le transfert devenait une excellente affaire pour le footballeur qui était considéré comme un acteur. Le sport de la balle ronde était à Vienne une affaire de spectacle.

Scène de l’Anschlussspiel du 3 avril 1938.

Voici mes onze camarades

Rainer, 27 ans, était l’un de nos meilleurs arrières[3]. Il était marié à une gracieuse jeune fille qui tenait une crèmerie. Lui, de son côté, était représentant en chaussures ; c’était à lui que revenait le soin de « chausser tout le Wunderteam ». Comme la plupart des joueurs étaient riches, ils commandaient leurs escarpins, leurs paires de souliers pour la chasse, pour le football, leurs paires de chaussures de voyage, de sport à Rainer.

Le capitaine de l’équipe était Blum[4], que Sesta remplaça plus tard. Blum appartenait au First Vienna ; il s’occupait avec sa femme des buffets des stades. C’était une excellente concession qui rapportait beaucoup d’argent !

Le troisième arrière est le célèbre Sesta[5] qui vient de connaître tout récemment quelques ennuis avec les autorités sportives allemandes pour un malheureux coup de poing décoché en pleine face à un footballeur du Reich[6]. Sesta était le boute-en-train, l’ «enfant terrible » de l’équipe. On ne pouvait contenir sa juvénile ardeur. Doué d’une voix mélodieuse, ce gavroche de Vienne faisait avec Rainer des duos tyroliens qui furent fort bien accueillis sur la scène d’un théâtre si nos deux gaillards avaient voulu donner des concerts vocaux !

Sesta était plus vif que le vif-argent ! Monté sur sa moto, il était impossible de l’arrêter. Il passait entre les tramways, enfonçait les portes d’entrée des vestiaires…

D’ailleurs Sesta cumulait… il était la grande attraction d’une guinguette des faubourgs de Vienne… là il chantait pour la clientèle qui buvait du vin Grinzing !

Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 8 février 1939.


[1] Il l’était depuis 1924.

[2] Environ quatre fois le salaire d’un ouvrier spécialisé en France dans les années 1930.

[3] Karl Rainer, né en 1901, joua 39 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendait les couleurs du First Vienna.

[4] Josef Blum, né en 1898, joua 51 matches avec l’équipe nationale autrichienne.

[5] Karl Sesta, né en 1906, joua 44 matchs avec l’équipe nationale autrichienne. En club, il défendit les couleurs du Wiener AC et de l’Austria Vienne.

[6] Dans un article non signé consacré à la mort de Sindelar, Ce soir du 25 janvier 1939 mentionne « le magistral coup de poing de Sesta à un joueur du Reich, lors d’un match entre une équipe de Vienne et une formation allemande. »

14 réflexions sur « Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (3/9) »

    1. Cela restait un tabou, oui. Mais certains joueurs s’étaient déjà organisés en syndicat, notamment autour de Jacques Mairesse, et menacèrent de faire grève : https://uneautrehistoiredufoot.wordpress.com/2011/11/18/janvier-1938-vers-la-greve-des-joueurs/

      Ce soir, publication communiste, était un journal du soir, donc assez divertissant. Et puis présenter le football professionnel comme un travailleur, c’est assez communiste comme truc, non ?

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    2. Même impression. C’était déjà sensible dans la partie précédente, mais le gap devient croquignolesque d’entre couleur politique de cette publication, d’une part, et de l’autre l’économie du football non point seulement capitaliste mais pleinement libérale et opportuniste (Cf. ces commissions de 25% à la revente) que dépeint ici la figure de Hiden – auquel est tout carrément prêté que c’était « merveilleux », ahah……….. : AUCUN footballeur contemporain n’oserait être à ce point décomplexé dans son rapport à l’argent, j’adore.

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      1. C’est vrai qu’aujourd’hui il y a une espèce de pudibonderie par rapport aux rémunérations… Grotesque !

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  1. Une douzaine de clubs plutôt que dix.
    Sportclub. Suite à des soucis financiers, la section foot du WSC a pris le nom de WSK au début des 00’s, mais elle a repris le S, il y a quelques années.
    Est-ce que l’on connaît le match au cours duquel Sesta aurait frappé un joueur allemand ? Il est connu pour avoir frappé un supporter de la Lazio (si Je ne m’abuse), mais me souviens pas d’un autre épisode. Il a joué quelques matchs en Allemagne avec une sélection viennoise fin 38,faudrait voir. Doit toujours détenir le record du plus vieux joueur à décrocher une sélection avec l’équipe d’Allemagne.
    Karl Rainer, grand joueur, mais qui côté négatif bénéficia de l’aryanisation de biens juifs, parmi lesquels, à ce qu’il semble, l’appartement de la famille Menasse. Famille Menasse, dont le fils Hans exilé d’abord en Angleterre, deviendra ensuite footballeur international avec le… First Vienna. Et père de l’écrivain Robert et de la journaliste Eva.

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      1. Suis allé jeter un oeil dans les archives pour voir s’il s’était passé un truc lors des matchs de cette sélection viennoise en Allemagne fin 38. Comme il est difficile d’en trouver pour une grande partie de cette année là, j’ai tenté le Völkischer Beobachter. Le journal consacre de gros articles à ces matchs, mais je n’ai pas vu d’infos sur un coup de Sesta.
        Sinon, me suis pas donné de la peine pour rien. J’ai appris que le nazi aussi préfère écrire Wiener Sportklub.

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      2. Oui, oui, y a rien nulle part.
        J’ai pu passer à côté de quelque chose, mais j’en doute…

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    1. Je serais curieux de savoir ce que l’édition du 25 janvier 1939 de « Ce Soir » rapporta précisément de la mort de Sindelar – et du personnage.

      Rayon aryanisation, on lit de plus en plus que l’icône Sindelar avait acquis pour moitié de sa valeur un café dont le proprio juif était contraint à se défaire ; pour faire bref cette affaire florissante dégageait à sa vente un CA de 76.000 Reichsmarks..avait été estimée à 40.000..mais vendue 20.000 (le « vendeur » n’en perçut que 5.000) à un Sindelar qui, de sorte d’aboutir cette bonne affaire et loin la légende de l’opposant/résistant (ne parlons pas de sa judéité : il n’y a plus guère que le soft-power sioniste pour entretenir cette autre fable), semble avoir in fine montré..patte blanche aux fonctionnaires du régime.

      Le coup de poing de Sesta à un Allemand n’a en soi rien d’extravagant, ce football-là n’était pas tendre..mais peut-être est-il du même acabit? Un fantasme? Je lisais jadis qu’on lui prêtait un but des 45 (!) mètres dans le fameux match de 1938 face à l’Allemagne, en existe-t-il des images?

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