Local Legends (épisode 1 – James Coppinger)

On ne les connait pas, pourtant ils sont professionnels. Loin des projecteurs de la Premier League, c’est dans les stades de l’English Football League (EFL) qu’ils ont construit leur légende. Dans un football sans artifices, où les supporters comme les gardiens mangent des pies au bord du terrain, et où la passion est sans filtre. Ces joueurs ont écrit l’histoire des divisions inférieures anglaises et cette série leur rend hommage. Chers lectrices et chers lecteurs, il est recommandé d’accompagner cette pinte de foot, d’une bonne pinte d’English Ale ou d’une Cup of Tea, bienvenue dans Local Legends !

Au commencement

James Coppinger découvre le football au plus jeune âge, comme la plupart des garçons anglais il promène son ballon partout où il va, mais ne rêve pas vraiment d’en faire une carrière pro. Il est même plutôt réaliste à ce sujet comparé aux autres jeunes de son âge. Cependant son talent est indéniable, à 13 ans il rejoint le centre de formation de Middlesbrough où il tente d’adopter le même style de jeu que l’attaquant de Boro, Juninho. Mais l’aventure s’arrête un an plus tard, jugé trop petit il ne peut continuer l’aventure dans son club de cœur. Mais ça ne l’affecte pas trop, car ce que James veut, c’est rouler à vélo, jouer au foot et au tennis avec ses amis, bref être un enfant normal. Il n’abandonne pas le foot pour autant et continue de jouer en Sunday League et c’est là, alors qu’il évolue avec Woodgarth qu’il est repéré par Darlington, club de Third Division (actuelle Ligue Two). Les Quakers lui proposent un essai fructueux et lui offrent dans la foulée un contrat YTS (Youth Training Scheme).

« Je n’avais considéré le football que comme un hobby, pas comme une carrière, donc quand ils m’ont proposé ce contrat, j’étais complètement sidéré. »

Le tournant

Alors qu’il est au Darlington FC depuis quatre mois, James reçoit une lettre de la FA. Il est invité à Lilleshall, dans le Shropshire, au siège de l’académie nationale anglaise, pour trois jours de tests en vue d’intégrer la sélection des moins de 16 ans. Pour ce faire, chacun des 92 clubs professionnels anglais avait été prié d’envoyer ses deux meilleurs jeunes joueurs, le prix étant une place dans l’équipe qui affronterait la Pologne à Varsovie le mois suivant. James qui n’a pas trop confiance en lui, est tout heureux de partager l’aventure avec son ami Paul Pomford, arrivé à Darlington en même temps que lui. De l’école de jeune d’un club de quatrième division, le voilà à s’entrainer aux cotés des meilleurs prospects de Premier League !

« Joe Cole était là — c’était le plus grand talent du pays à l’époque. Je me souviens être arrivé en me disant : ‘Je n’ai vraiment aucune chance. »

En plus de Cole, d’autres futurs grands noms font partie des 184 joueurs présents : Gareth Barry, Peter Crouch, Francis Jeffers et Leon Osman. James et Paul se disent qu’il n’y a vraiment aucune chance que les coachs choisissent deux gamins de Darlington parmi les 16 derniers joueurs. Le deuxième soir, un entraineur cite les noms des joueurs qui ne sont pas retenus parmi un premier noyau de 30 joueurs. Les deux amis passent le cut, à leur plus grand étonnement, mais le plus dur reste à faire, intégrer la sélection finale. Alors ce soir là, James se permet enfin de croire au rêve de tous les gamins, et il se met à prier.

«Je partageais la chambre à Lilleshall avec Paul et Paul Konchesky, qui venait de Charlton. Ce n’était pas un moment décisif pour Konchesky car il savait qu’il était assez bon — il était déjà sur la liste de réserve de l’Angleterre des moins de 18 ans — mais moi, je n’étais absolument pas confiant. Je ne suis pas religieux et je n’avais jamais prié avant, mais cette nuit-là, j’ai prié pour marquer un triplé le lendemain.»

Le lendemain, les 30 derniers jeunes joueurs sont divisés en plusieurs équipes pour affronter certaines des meilleures académies de clubs du pays. Au fur et à mesure que la journée passe, les équipes sont modifiées et certains joueurs sont écartés, ce qui est le cas de James et Paul. Ils se disent alors que tout est fini. Mais alors que Paul reste à quai, James est appelé pour le match final contre une équipe composée des meilleurs joueurs du stage, et … inscrit un triplé face à un Chris Kirkland — qui jouera plus tard pour Liverpool — médusé ! Quelques semaines plus tard, James Coppinger reçoit une nouvelle lettre de la FA lui indiquant qu’il fait partie de la sélection. En plus du match amical en Pologne, James dispute avec sa sélection le tournoi qualificatif pour l’EURO U16, remportant sa première sélection internationale.

Fraichement revenu du tournoi qualificatif ou il disputera deux matchs, sans que l’Angleterre ne parvienne à se qualifier, James est appelé dans le bureau de son entraineur à Darlington. Nous sommes le 24 mars et c’est le jour de clôture du mercato en Angleterre. James se fait du soucis et se demande ce qu’il a bien pu faire de mal. Mais voici les mots de son coach « Fais tes affaires, ton père est en route avec ton costume, tu pars à St Jame’s Park signer un contrat avec Newcastle United ». Quelques heures plus tard, James se retrouve face à Kenny Dalglish (entraineur des magpies à l’époque), il n’a même encore jamais joué avec l’équipe première de Darlington et a du mal à croire ce qui lui arrive. Pas le temps de comprendre ce qui lui arrive et James s’entraine aux cotés d’Alan Shearer, John Barnes, Stuart Pearce et Ian Rush. C’est d’ailleurs Pearce qui sera le premier à venir le voir lors de son premier jour pour lui souhaiter la bienvenue.

La réalité d’un foot professionnel auquel il ne s’identifie toujours pas va rapidement lui sauter aux yeux. C’est la valse des entraineurs à Newcastle qui va connaître trois coachs différents en 18 mois. Sous Ruud Gullit, il intègre le groupe pro lors de la présaison à l’été 1998. Un an plus tard, il n’a pas joué une seule seconde en équipe première et est prêté une saison à Hartlepool United quand Bobby Robson prend les rênes du club. À son retour de prêt, il est intégré au noyau pour la saison 2000-2001. Robson semble lui faire confiance, et il est même présent sur la photo officielle de l’équipe. Quelques semaines plus tard, sans prévenir, James a sa chance lorsque Robson le fait rentrer au jeux. Onze minutes pour accompagner Shearer en attaque contre Tottenham, devant plus de 50 000 supporters dans un St James’ Park plein à craquer.

« Au moment de m’envoyer sur le terrain, Sir Bobby a embrassé sa main, m’a frappé la joue et m’a dit : “Ne me déçois pas.” »

Adieu les étoiles

Alors qu’on pourrait croire la carrière du jeune Coppinger lancée pour de bon, les difficultés se font de plus en plus nombreuses. Assez sûr de lui, James à des opinions tranchées pour son jeune âge et ça ne passe pas avec l’entraineur adjoint, Mick Wadsworth, ils se fâchent et le gamin n’est plus jamais appelé en équipe première. James est renvoyé en prêt à Hartlepool, ou il se sent bien et aide une seconde fois l’équipe à atteindre les play-offs. Il se verrait bien rester chez les Monkey Hangers mais ils ne peuvent lui offrir un contrat, le diffuseur TV (ITV Digital) s’effondre et laisse de nombreux clubs des divisions inférieures privés de cruciales rentrées financières. Il lui reste un an de contrat à Newcastle mais il veut jouer et ne croit pas en ses chances chez les magpies, il quitte le club et prend la direction d’Exeter City. Pour la première fois il va jouer loin de chez lui. Il arrive dans un club à la peine en League Two, et à l’environnement pour le moins … étrange.

Coppinger (Hartlepool) face à son ancien club, Darlington.
Le gardien Andy Collett et le défenseur Steve Tutill

Michael Jackson siège au conseil d’administration du club, et fait souvent venir le magicien David Blaine. Ils sont en fait des amis du co-président d’Exeter City, l’illusionniste Uri Geller, célèbre pour faire plier des cuillères. Il est arrivé à Exeter sur demande de son fils, Daniel, ayant eu la vision qu’ils devaient faire partie du club. En 1997, il prétend aider Exeter à gagner un match crucial en plaçant des cristaux « chargés d’énergie » derrière les buts… mais le club s’incline finalement 5-1. L’excentrique président prétend même pouvoir guérir ses joueurs d’un simple toucher ou frottement (talent normalement uniquement reconnu chez notre ami Goozigooze). L’équipe est à la ramasse et James, pourtant le plus talentueux du groupe, est mal conseillé par ses coéquipiers à l’attitude peu professionnelle. Une mentalité de bas de classement qui contamine le jeune joueur dont on n’exige finalement pas grand chose. James se laisse vivre sans trop d’efforts quand il apprend coup sur coup le décès de son grand père et le divorce de ses parents.

David Blaine, Daniel Geller, Michael Jackson et Uri Geller. Quand Exeter city devenait le Magic d’Exeter

Il se retrouve encore plus isolé et en deuil, alors qu’il évolue pour la première fois de sa carrière à des centaines de kilomètres de chez lui. Il commence à sortir de plus en plus, à boire et à parier de l’argent qu’il n’a pas. Au terme de la saison, Exeter est relégué en National League et James ne veut plus rester. Il veut rentrer chez lui et pense même arrêter le football. Il est cependant convaincu de rester par Geller qui lui propose de faire venir sa petite amie, de lui trouver un job et de les faire vivre chez lui. Le nouveau coach, Eamonn Dolan, le convainc également de rester.  » Eamonn a été le premier entraîneur à me prendre en main et à me pousser à assumer mes responsabilités en tant qu’athlète professionnel. Il attendait plus de moi et me mettait face à mes responsabilités. Jusqu’alors, je voulais réussir mais je ne savais pas comment y arriver par moi-même. Il m’a aidé à mûrir, je suppose, et à réaliser l’opportunité que j’avais encore. J’ai été appelé en équipe d’Angleterre C (sélection nationale des joueurs hors ligue) et j’ai dû me présenter devant le groupe. Tout le monde a été choqué quand j’ai expliqué que j’avais fait mes débuts en Premier League avec Newcastle seulement quelques années plus tôt, et que maintenant je jouais pour Exeter. Je savais que je devais remonter les divisions, et que j’en avais encore le temps. « 

Coppinger avec Exeter

L’alchimie parfaite

Au terme de la saison 2003-2004, Doncaster vient toquer à la porte. L’entraineur, Dave Penney, ainsi que le président, John Ryan, veulent recruter James. Ce dernier accepte avec joie, ravi de se rapprocher de sa famille par la même occasion. L’élément clef dans ce transfert a surtout été la rencontre avec Terry Gormley, psychologue. Ce dernier réussit à convaincre son ami Penney du bien fait du soutien et de l’entrainement mental avec les joueurs. Dave accepta de tenter le coup avec James, conscient qu’il fallait que le jeune joueur retrouve son moral et la confiance pour pouvoir s’épanouir à nouveau.

« Rencontrer Terry Gormley a sans aucun doute changé ma vie, pas seulement ma carrière. C’était un moment clé dans la compréhension de mon esprit. »

L’aspect psychologique et sa compréhension sont devenus extrêmement importants pour James. Il estime depuis ce jour avoir progressé dans tous les domaines, pas seulement dans le football, mais dans sa vie. «Je n’ai pas de mauvais jours. Peut-être que pour les autres j’en ai, mais pour moi, ça arrive — donc si ça arrive, que puis-je faire pour arranger les choses ? Ou pour les améliorer ? C’est ainsi que j’ai évolué. Je ne reviendrai jamais en arrière. » En l’écoutant parler de cet impact, on se demande pourquoi plus de joueurs ne suivent pas le même chemin. « Pas seulement les footballeurs, les gens en général. Beaucoup ont peur, beaucoup n’y croient pas. Les gens ne veulent pas admettre qu’ils ont des défauts. Mais tout le monde sur cette planète, que tu vives dans la rue ou que tu sois milliardaire, va avoir des problèmes. Des choses vont arriver que tu ne peux pas contrôler — c’est la façon dont tu y fais face qui compte. »

Grâce à cette rencontre, James Coppinger va passer 17 ans à Doncaster, ou il disputera 695 matchs. Faisant de lui le joueur le plus capé de l’histoire du club. Il sera présent dans tous les moments d’histoire du club de 2004 à 2021. Comme en 2008, lorsqu’il inscrit un triplé lors de la demi-finale des play-offs 2008 contre Southend United, une victoire 5–1 qui a envoyé Doncaster en finale des play-offs de League One à Wembley contre Leeds United. Finale qu’ils remporteront pour accéder à la Championship. Plutot millieu offensif qu’attaquant, James inscrit en moyenne 5 goals par saison. Ce qui ne l’empêche pas d’ inscrire un autre triplé face à Norwich en 2010.

Pour entrer dans la légende d’un club il ne suffit pas d’y avoir joué, même longtemps. Il faut y avoir été acteur de certains des moments les plus fous, des moments gravés à vie dans la mémoire des fans. Ce fut le cas de James, et le plus notable de ces moments est certainement celui qui s’est passé lors du dernier match de la saison, le 27 avril 2013. Dans un final absolument dantesque à Griffin Park, Marcello Trotta de Brentford vient de fracasser la barre sur un penalty dans les ultimes secondes du temps additionnel. Brentford est hébété mais le jeu se poursuit, une transition, un contre et James Coppinger inscrit le but de la délivrance. Pas seulement un but victorieux — mais un but qui change tout : Les abeilles restent à terre et filent en Play-Off tandis que Doncaster s’envole. Coppinger n’a pas seulement offert la victoire, il a offert la promotion… et le titre, arraché pour un seul point devant Bournemouth. Un moment de légende, gravé dans l’histoire.

Un but pour l’histoire

Parmi toutes ses années chez les Rovers, James a surtout été marqué par un entraineur, l’Irlandais Sean O’Driscoll. « J’ai adhéré à tout ce qu’il faisait, parce que c’était exactement comme ça que je voulais jouer. C’était exactement le football que j’imaginais. Ça m’a pris du temps pour m’habituer à sa philosophie ; nos entraînements étaient totalement différents de tout ce que j’avais connu. Personnellement, je pense que la manière dont nous jouions était la meilleure que j’aie jamais connue : les passes, les joueurs que nous avions… il ne nous manquait qu’un ou deux éléments capables de marquer. Je pense que si nous avions eu Billy Sharp plus tôt, lors de notre deuxième saison en Championship (2009-2010), nous aurions de nouveau obtenu la promotion. Cela aurait pu être énorme pour nous. »

Quand Sean O’Driscoll est relevé de ses fonctions en septembre 2011 suite à un mauvais départ, le club change de philosophie et suit les conseils de l’agent Willie McKay. Qui va balayer d’un revers de la main tout le travail collectif construit par l’Irlandais. De l’esprit d’équipe, la solidarité, l’éthique de travail collective, tout est passé à l’individuel. McKay va placer ses anciens joueurs de prestige dans le club. James en garde toujours un souvenir amer : « C’était difficile pour tous ceux qui faisaient partie de l’ère Sean, parce que cela allait à l’encontre de tout ce que nous avions fait. Peu importe le secteur, que ce soit le football ou le business, si la moitié de ton équipe fait une chose et l’autre moitié une autre, tu ne peux pas réussir. La moitié d’entre nous voulait travailler ensemble, l’autre moitié non, et au final, nous avons payé le prix de ne pas pouvoir performer le samedi et de ne pas pouvoir bien nous entraîner. » Parmi les nouveaux joueurs recrutés, Habib Beye venait de Marseille juste pour les matchs.

« Il venait avec sa valise, il s’entraînait jeudi et vendredi, jouait samedi. Si nous avions un match le mardi, il arrivait ce jour-là. Comment justifier ça ? Tu ne joues pas, et il y a des joueurs qui se donnent à fond chaque jour, pour eux, leurs familles, pour obtenir un contrat. Tu fais tout pour entrer dans l’équipe, et tout à coup certains viennent une ou deux fois par semaine et jouent devant toi. C’est démoralisant pour tout le monde et cela ne pouvait finir que mal. »

Un an plus tard , le club est finalement relégué, et James Coppinger va commettre sa seule infidélité envers Doncaster. Le club réduit la masse salariale et l’entente avec le nouvel entraineur, Dean Saunders, est compliquée, James trouve son travail bien moins cohérent que celui de son prédécesseur. Boudé par Saunders, James à l’occasion de rejoindre Nottingham Forrest dirigé par son mentor Sean O’Driscoll. Il se doute bien qu’à 31 ans il ne jouera pas beaucoup et que son prêt sera de courte durée, mais il veut néanmoins joueur pour le club qu’il supportait enfant. Il retourne à Doncaster dès le mois de Janvier.

Au total, James inscrira 78 buts avec son club de cœur, et s’il a eu l’occasion de rejoindre l’élite à plusieurs moments, il aura finalement refusé. Doncaster correspondait à tout ce dont il avait besoin et à ses ambitions. Ce que James Coppinger à toujours voulu, c’est jouer au foot, tout simplement. Il n’a joué que 11 minutes en Premier League, cela le place à la troisième place des joueurs avec le moins de temps de jeu dans l’histoire de Newcastle. Mais il est tout de même le huitième joueur avec le plus de temps de jeu en Premier League parmi les 16 joueurs sélectionnés pour affronter la Pologne en novembre 1997. Que l’on considère cela comme un succès ou un échec, cela ne l’a pas défini, il a construit son histoire ailleurs.

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