Antonín Panenka : « J’étais sûr de moi, à 1000% »

La légende du football tchécoslovaque nous a accordé une interview. L’occasion de parler du tir au but qui l’a rendu célèbre, mais pas seulement. Partie 1 sur 3.

Vous vous êtes longtemps préparé avant de tirer un pénalty à votre façon. Avant la finale de l’Euro 1976, est-ce que vos coéquipiers savaient que vous alliez tirer de cette manière ?

Bien sûr qu’ils le savaient. J’ai commencé à m’entraîner à tirer de cette façon deux ans plus tôt, et pendant la préparation à l’Euro avec la sélection il y avait des entraînements aux pénaltys. Et là aussi j’ai essayé de tirer ainsi avec les gardiens de la sélection. Donc tout le monde le savait, et moi je ne leur ai jamais caché que, si nous devions arriver aux tirs au but, je tirerais de cette façon, parce que jusqu’à cette époque personne n’avait jamais vu une chose pareille. Cela me donnait un gros avantage.

Est-ce que vos coéquipiers vous soutenaient dans ce choix ?

Personne n’a dit que je ne devais pas le faire ou que c’était trop risqué. Seul le gardien Ivo Viktor, mon compagnon de chambrée, m’a dit que je ne pouvais pas faire une telle chose à un moment pareil et que c’était quelque chose de si important que je devais tirer normalement. C’est le seul qui m’a légèrement découragé.

Et cela n’a pas eu d’influence sur votre concentration au moment de tirer ?

Non, je suis du genre à garder la tête froide. J’étais sûr de moi, pas à 100 % mais à 1000 %. On était en pleine euphorie. On avait commencé l’Euro comme des outsiders, donc le simple fait d’aller en finale, pour nos supporters, faisait de nous des vainqueurs, des héros. En plus on n’avait pas perdu la finale, donc on était tous très optimistes sur le fait qu’on tirerait bien les tirs au but. C’est peut-être aussi au fait qu’on se soit entraînés aux tirs au but sérieusement pendant la préparation. Comme si notre staff savait que ça se passerait. Donc nous, les joueurs qui tiraient habituellement les tirs au but, on était bien préparés. Et je suis certain que les Allemands ne se sont pas préparés aux tirs au but.

Vous avez par la suite expliqué que vous auriez pu avoir des problèmes avec le régime communiste si vous aviez manqué votre tir. Est-ce que vous aviez conscience de cette pression sur le moment ?

Non, pas du tout. À aucun moment il ne m’est venu à l’idée qu’un tir au but pourrait avoir un tel effet, qu’il serait si important dans l’histoire du football et que d’autres l’imiteraient ensuite. Je n’en avais même pas rêvé. Je suis juste quelqu’un qui a toujours aimé imaginer des choses, expérimenter, donc tout ça c’était pour moi un peu comme une blague. Mais il est vrai qu’après coup, quand on est rentrés à la maison après l’Euro, j’ai entendu des échos de certains cadres du Parti communiste, qui disaient qu’avec la façon dont j’ai tiré, j’aurais pu avoir des problèmes si je n’avais pas marqué. Ils l’auraient pris comme une dépréciation du système politique. Et je trouve ça amusant, anormal, d’associer un tir au but avec le régime communiste.

Ce tir au but pendant la finale de l’Euro 76 vous a rendu célèbre. Comment avez-vous tiré les autres penalties dans votre carrière ?

Evidemment, tout le monde attendait que je tire de la même façon, mais je ne suis pas bête et je me doutais bien les gardiens se demanderaient s’ils devraient rester sur place ou plonger, donc j’ai tiré d’autres pénaltys normalement. Mais c’est vrai que sur l’ensemble de ma carrière professionnelle, j’ai tiré comme ça trente fois, en championnat, avec la sélection, dans le championnat autrichien, en coupe d’Europe, pendant des tournées en Amérique du Sud… J’ai tiré une trentaine de panenkas et je n’en ai manqué qu’une, au début, quand je la mettais au point.

La sélection tchécoslovaque a remporté l’Euro 76 mais n’est pas parvenue à se qualifier pour la Coupe du monde 1978. Qu’est-ce qui a manqué à l’époque ?

Il y a eu quelques changements dans l’équipe et on a perdu en qualité. Je ne sais plus contre qui on a joué…

C’était contre l’Ecosse et le Pays de Galles…

Oui, ces équipes des îles britanniques jouaient dur, c’était un combat permanent. C’étaient des adversaires très difficiles pour nous. Ils ont simplement été meilleurs que nous.

Vous avez longtemps joué aux Bohemians Prague (678 matches, 318 buts), de 1968 à 1981. Mais le club a remporté son unique titre de champion deux ans après votre départ. Est-ce que ce n’était pas un peu douloureux pour vous de les voir gagner sans vous ?

Evidemment, j’aurais aimé remporté un titre avec les Bohemians. Mais je dois dire que deux, trois ans plus tôt on était bien partis. Mais malheureusement l’entraîneur d’alors était Tomáš Pospíchal. Une fois nous menions de sept points avant la trêve hivernale. C’était avec le système de victoire à deux points, donc nous avions une belle avance. Mais il nous a tellement épuisés pendant la préparation hivernale que nous n’avions plus d’énergie pour courir ou jouer le reste de la saison. Nous avions une équipe superbe, mais malheureusement le titre nous a échappé à cause de détails de ce genre. Forcément, c’est un regret, mais d’un autre côté j’ai gagné deux fois le championnat d’Autriche avec le Rapid de Vienne, donc ça compense.

C’est peut-être une question bête, mais… est-ce que vous échangeriez votre tir au but victorieux à l’Euro 76 contre un titre avec les Bohemians ?

Non, pas du tout. Une victoire à l’Euro a bien plus de poids qu’un titre en championnat. Un titre en championnat est une réussite, évidemment. C’est une belle chose dans une carrière. Mais vous pouvez être champion en restant sur le banc toute la saison et en ne participant qu’à un seul match. Des joueurs comme ça, il y en a plein. Tandis qu’un titre de champion d’Europe… il n’y a que nous [la sélection de 1976, ndlr] qui l’avons en Tchéquie et ça a une valeur beaucoup plus grande.

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38 réflexions sur « Antonín Panenka : « J’étais sûr de moi, à 1000% » »

  1. Très bon début d’interview ! Le côté cash des réponses est sympa, on sent l’homme qui est plus soucieux de raconter les choses commes elles étaient que de peaufiner son image (celle-ci en a-t-elle vraiment besoin, d’ailleurs ?). On attend effectivement la suite… de suite !

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    1. Il est temps que la Vérité éclate à la face du monde. Dick Fosbury est à l’athlétisme ce que Dick Rivers est au rock. Une pâle copie.

      Le véritable inventeur de cette technique de saut est un Autrichien du nom de Fritz Pingl, qui l’utilisait déjà au milieu des 50’s. Bien qu’ayant glané une quinzaine de titres nationaux dans plusieurs disciplines, Pingl n’a jamais participé à des compétitions internationales. Ce qui explique en partie qu’il soit quasiment inconnu. Une autre raison est que certains de ses camarades ayant cherché à l’imiter ont échoué et renoncé.

      À l’époque, les sauteurs finissaient dans un bac à sable. Pingl était obligé d’effectuer une rotation pour ne pas s’écraser au sol tel un Bobbyschanno.

      Comme Schwarzenegger, Fritz Pingl nous venait de Styrie.

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      1. Comment veux-tu être crédible quand ton patronyme sonne comme une marque de chips?

        Ou imposer légitimement ton nom/geste à la postérité, quand les grandes puissances sont en pleine bourre « soft-power par le sport »? A moins de remporter l’or, c’était foutu pour ce pauvre Pingl..

        De toute façon les tenants de la narrative du sport trouvent toujours un angle pour imposer leur agenda, le Cruyff-turn tiens.. : d’abord il l’a inventé.. puis, euh.. bon, ok : c’était déjà codifié dans les 50’s, la plupart des « grands » l’avaient d’ailleurs fait au moins une fois.. mais c’est pas grave, on va dire qu’il est le premier à l’avoir fait en coupe du monde (pas de bol : un Australien venait juste de le faire 2-3 jours plus tôt).. bon.. alors on va dire qu’il l’a perfectionné (lol)!, et céleri et scélérat…… Trop de gloriole en jeu, ces histoires-là sont généralement viciées dans l’oeuf.

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      2. Eh eh, en gros, il faisait une roulade arrière pour retomber sur ses pieds ?

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      3. Il y a une troisième voie : le saut traditionnel tutsi, sur le flanc.. Depuis les (miraculeuses) photos que j’en vis au musée de Butare : hors-compèt.

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      4. Pourquoi j’essuie une belle perdue, moi ?
        C’est qui le véritable inventeur (et diffuseur) de la technique, entre un Autrichien inconnu et un champion olympique ?
        Sinon, je m’inscris en faux : mon grand-père m’a raconté, sur son lit de mort, que, dans les années 1930 en Moselle, son voisin pratiquait déjà le Fosbury dans son jardin. Y a même une vidéo (‘fin, on appelait pas ça comme ça à l’époque), mais c’est une archive familiale inédite : je ne la révélerais sous aucun prétexte !

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      5. Il existe une vidéo de bonne qualité (lors des championnats d’Autriche 59 au Posltiland) où l’on peut entrevoir le style de Pingl. Intéressante aussi parce que Pingl n’avait pas forcément le profil type d’un sauteur en hauteur, contrairement à son adversaire, Helmut Donner.

        Un athlète complet que le Pingl. Champion aussi en décathlon, pentathlon, triple saut et 4×100. Il a cherché à prendre contact avec Fosbury, mais bizarrement n’a jamais eu de réponse.

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  2. Très belle surprise! Merci Modro.

    Panenka a laissé un excellent souvenir en Autriche où il a longtemps joué. Jusqu’à 45 piges, je crois. Un joueur magnifique et un homme apprécié. Il a planté un paquet de buts avec le Rapid (faudrait jeter un oeil aux stats, mais il doit avoir une belle moyenne), remporté 2 titres, 3 coupes, et joué quelques beaux de CE ( dont un tour contre Bohemians).

    C’est bizarre, lorsqu’on évoque Panenka et les pénos, je pense plutôt à ceux qu’il a loupés en quart et demi de la Coupe des Coupes 84/85. Avec Krankl qui tire le second contre Moscou. Au centre et en force.

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      1. J’espère que tu ne censureras pas ses commentaires dithyrambiques sur le physique avantageux des supporters du Rapid.

        L’évocation de Panenka me fait penser au passage de Savicevic au Rapid. Peu importe l’âge, lorsqu’on a la technique et la vision du jeu.

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      1. Oui, sans titre malheureusement, mais il a laissé un bon souvenir. Deux saisons, 44 matchs et 18 buts en championnat.

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  3. Merci Modro! Le Tomáš Pospíchal dont parle Panenka est finaliste de la coupe du Monde 1962 face au Bresil. Peut-être pas l’élément le plus important du groupe tchécoslovaque mais titulaire. Un passage à Rouen en fin de carrière également. Il est d’ailleurs de l’épopée du club normand en Coupe des Villes de foire 70. Où ils s’inclinent au troisième tour face au futur vainqueur Arsenal. Charlie George, George Graham, Peter Storey…

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  4. Remercions M. Panenka de nous avoir accordé un peu de son temps ! Notre petit site vient de passer dans la Ligue supérieure là ! 😀
    Va falloir que les autres rédacteurs (moi compris) se surpassent pour avoir une « prise de guerre » aussi qualitative ! ^^

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  5. Cette équipe tchécoslovaque finira 3ème en 1980 également. Preuve du niveau de l’époque. Sans le superbe gardien Viktor mais avec une bonne ossature de 76. Panenka, Masny, Ondrus, Nehoda. Manque Dobias…

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    1. Le second but est un missile assez sensationnel du milieu récupérateur Stambachr d’une bonne trentaine de mètres. Après la Panenka, l’autre extrême. À signaler aussi Raymond Domenech sous le numéro 2.

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  6. Je me défie toujours de ces histoires selon lesquelles tel joueur a inventé tel geste.. Madjer, turn xy, coup du scorpion, la « Blanco » même, que sais-je encore.. : tous ces gestes avaient déjà cours a minima dans les 50’s (c’est-à-dire : à mesure que les images de matchs devenaient davantage disponibles, et qu’il subsistait un espace vital pour que la créativité s’épanouisse)..

    Mais la Panenka? Ben pour une fois, je suis tenté de croire son auteur présumé..avec des pincettes tout de même, car je vois deux trucs à en dire : 1) Panenka affirma à une époque n’en avoir jamais raté en match officiel, ce qui était faux mais qui peut humainement procéder de l’oubli voire de la coquetterie (mais le rend « faillible ») et, 2), le plus intéressant : Didi…….

    J’ai souvenir de vieilles interviews de Panenka, où il clamait son amour de jeunesse pour le Brésilien Didi. Or Didi, ce n’est pas que la feuille morte : c’est aussi (et il existe pour cela un terme portugais qui m’échappe) ces « arrêts » que les tireurs observent souvent aujourd’hui encore dans leur course pour tirer un penalty, et de la sorte attendre que le gardien ait plongé d’un côté avant de placer tranquillement le cuir de l’autre.. Voilà deux gestes culturels dont, au Brésil il me semble, beaucoup prêtent précisément la paternité à..Didi..

    Je ne sais trop comment ce Tchécoslovaque aurait pu glaner beaucoup d’images de son idole Didi, quoi qu’il en soit : la Panenka est un aboutissement logique pour tout observateur des frappes arrêtées de Didi naguère (penalties « à l’arrêt », coups-francs en feuille morte..), comme une synthèse qui voit non plus seulement la course être ralentie, cassée dans son élan..mais plutôt cette fois la pulsion donnée au cuir.

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    1. D’ailleurs un copain m’a demandé qui avait été le premier à imiter Panenka. Incapable de lui répondre… J’ai pas souvenir de penaltys tirés de la sorte dans les grandes compétitions internationales des 80′ ou 90′.
      Mais ma mémoire me fait peut-être défaut. Par contre, c’est un geste relativement fréquent depuis une vingtaine d’années.
      Souvenir du Panenka de Canto complètement foiré qui n’arrive même pas à la ligne de but.

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      1. Souvenir de Lozano à Anderlecht, d’ailleurs bien son genre bien que lui ne dût probablement pas le travailler longuement à l’entraînement (pas son genre, un impulsif..), à part ça, ben..??

        J’en parlais l’autre jour, l’international NL Viscaal?? Pas de souvenir concret à l’esprit, mais c’était encore bien le genre de ce salopard : super joueur mais il adorait humilier (Panenka ne me semble pas avoir été dans ce « délire » sadique).

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    1. Le football tchécoslovaque n’était certainement pas des derniers à se doper, certains profils (pas Panenka) étaient surhumains.. Les NL, référent des 70’s en la matière, furent régulièrement traumatisés par l’activité tout bonnement inouïe de Dobias, c’est dire..

      Pour 78, ben : un qualifié par groupe, c’était beaucoup plus dur qu’aujourd’hui. Et leur groupe était loin d’être facile, Pays de Galles et Ecosse (surtout) étaient très costauds à l’époque.

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