Personnages de la Coupe du monde 1986 – Josimar ou Zigomar ? (4/6)

Attention, avec Josimar, on touche au mythe ! Il aurait pu être un des héros éphémères de la Coupe du monde 1986 dont la trace et le nom se sont effacés, l’histoire ne retenant que celui du vainqueur déifié, Maradona bien sûr. Mais non, par la grâce de deux actions imperméables à l’empreinte du temps, deux fulgurances que personne ne devine avant qu’elles ne deviennent des images rémanentes, le nom de Josimar s’inscrit dans une temporalité qui ne peut se conjuguer au passé, en dépit de toute logique tant la suite de sa carrière est déceptive. A la fin des années 2000, marqués à vie par ses exploits face à l’Irlande du Nord et la Pologne, des chroniqueurs sportifs norvégiens choisissent d’intituler Josimar un média spécialisé dans le journalisme d’investigation, sur des thèmes très éloignés de la représentation insouciante que l’on se fait du latéral brésilien[1]. Un mythe, vous dit-on !

Le successeur de Perivaldo

Qu’aurait été le destin de Josimar sans les vents contraires ayant balayé ses concurrents, Leandro, Édson Boaro et même Perivaldo ? La présence de Josimar dans la sélection de Telê Santana pour la Coupe du monde au Mexique est une incongruité, un concours de circonstances, une bénédiction.

A ses débuts avec Botafogo.

Né à Rio de Janeiro, non loin du quai de Valongo où des générations d’esclaves ont débarqué au tournant du XIXe siècle, Josimar grandit au sein de la tentaculaire Cité de Dieu, embrouillamini de favelas brinquebalantes et violentes aux portes de la mégalopole, sur les lieux mêmes où très probablement ses ancêtres récoltaient la canne à sucre. Dès son plus jeune âge, Josimar s’imagine un avenir en noir et blanc, les couleurs de Botafogo. Le rêve se transforme en réalité à l’issue d’un test réalisé en 1979 alors qu’il se destine au métier de mécanicien-soudeur. D’abord ailier ou milieu dans les équipes de jeunes, il est repositionné au poste de latéral droit, le même que Perivaldo, le crack du Fogão.

Perivaldo est surnommé o Feitiço baiano (le Sorcier de Bahia), un arrière aux courses dévastatrices, désigné meilleur latéral droit du pays à deux reprises[2]. Il accède à l’argent en signant à Botafogo en 1977 et succombe aux plaisirs faciles dans une ville où les tentations sont partout. Peri se consume et ne ressemble plus vraiment à un footballeur. Il arrive aux entraînements dans une Ford Puma flashy, sapé comme un mac ou un héros de film de la Blaxploitation. Il se perd peu à peu, personnage vaniteux préoccupé par son image de star friquée. Et puis, sans que l’on sache pourquoi ni comment, il change du tout au tout, troque son bolide pour une Passat d’occasion et cesse ses excentricités. Au début des années 1980, il s’affirme à nouveau comme un joueur de top niveau et est appelé en équipe nationale par Telê Santana dans la perspective de la Coupe du monde en Espagne.

Perivaldo, o Feitiço baiano

Le sélectionneur lui préfère finalement Leandro et Edevaldo, causant un traumatisme dont Perivaldo ne se remet jamais[3]. Episodiquement appelé en équipe première à partir de janvier 1982, Josimar profite de l’effondrement moral de son aîné pour s’imposer au poste de latéral droit du Fogão.

Epigone de Perivaldo à bien des égards, Josimar n’oublie pas de cultiver sa propre fantaisie. A la Ford Puma, il préfère une Escort XR3 dont les mugissements sont couverts par les puissantes enceintes Blaupunkt expulsant les sons tropicalistes de Milton Nascimento ou Gal Costa. Ses bruyantes arrivées au centre de préparation de Botafogo sont auréolées des fragrances de Kouros, le parfum à la mode « pour dieux vivants » selon les pubards d’Yves Saint Laurent. Mais à la différence de Perivaldo, Josimar ne se perd pas dans les nuits cariocas, du moins pas encore.

La révélation de la Coupe du monde 1986

Ce style flamboyant, Josimar le soigne également sur les pelouses où son passé d’attaquant s’exprime librement, au mépris des consignes défensives des coachs qui se succèdent à la tête d’un Botafogo sans saveur. Quand Telê Santana révèle sa liste pour la Coupe du monde 1986, Josimar n’y figure évidemment pas. Pourtant, au moment d’embarquer pour Mexico, il est là, aux côtés de Zico, Sócrates ou Falcão. Entretemps, le flanc droit de la Canarinha s’est sabordé : l’ailier Renato Gaúcho est exclu pour indiscipline et l’incontestable arrière latéral Leandro renonce au dernier moment, par solidarité avec Renato dit-on[4]. Parce qu’il est carioca, donc à même de rejoindre sans délai la Seleção, ou parce qu’il ressemble à un compromis entre Leandro et Renato, Santana appelle Josimar, l’invité que personne n’attendait.

Botafogo 1985. Alemão est reconnaissable, debout et second à partir de la gauche, ainsi que Baltazar accroupi au centre.

Lorsqu’Édson se blesse au genou contre l’Algérie, Santana sacrifie Alemão en le repositionnant au poste d’arrière droit. L’entrée de l’ombre de Falcão au milieu n’apporte rien et le Brésil peine à s’imposer contre les Fennecs (1-0, but de Careca). Les observateurs s’interrogent sur cette Seleção vieillissante, moins généreuse que celle de 1982 et insensible à la magie du stade Jalisco de Guadalajara, là-même où elle avait ébloui le monde en technicolor en 1970.

Pour le dernier match de poule, contre l’Irlande du Nord, Santana remplace Casagrande par Müller, bien plus mobile et apte à combiner avec le nouvel arrière droit, Josimar, première sélection en équipe nationale[5]. Le public scrute avec curiosité ce joueur râblé dont on perçoit la puissance et la vélocité. Les chaussettes blanches, soigneusement remontées, soulignent de longues jambes noires précédant un torse épais et court qui rappelle Djalma Santos, le « père » de tous les latéraux droits brésiliens.

Dans cette rencontre, Jalisco redevient soudain le jardin de la Seleção, tant pis pour les pauvres Britanniques. Menés 1-0 sur une réalisation de Careca, la foudre s’abat sur eux à la 42e minute alors qu’un apito de samba rythme le jeu convulsif du Brésil retrouvé : servi à 25 mètres des filets du vétéran Pat Jennings, Josimar effectue deux touches de balle et expédie un missile dans la lucarne du gardien irlandais. Un but sensationnel, un but à la Nelinho, autre grand numéro 2 brésilien !

Santana reconduit la même formation contre la Pologne en huitième de finale, un adversaire plus coriace que le précédent. Tarasiewicz échoue à deux reprises sur les poteaux de Carlos et le match, âpre, hésite à basculer d’un côté ou de l’autre. Il faut un pénalty généreux pour que Sócrates ouvre le score. Puis à la 55e, Josimar décide du sort de la rencontre. Le numéro 13 brésilien contrôle le ballon sur le côté droit, à l’extérieur de la surface de réparation. Crochet intérieur, crochet extérieur, il élimine deux défenseurs, pénètre dans la zone de vérité, résiste à un tacle et au retour d’un dernier Polonais avant de conclure sa chevauchée d’une frappe surpuissante sans angle que Mlynarczyk ne peut détourner. Josimar se précipite vers les torcidas mais ce n’est pas lui que les supporters acclament. A ce moment-là, tout le monde voit en lui le fantôme de Jairzinho et ses célébrations joyeuses, la résurrection du sublime ailier droit de la Coupe du monde 1970 ayant plané dans ce stade chargé d’histoire.

Josimar, le zigomar

Contre la France, sous le soleil vertical de Jalisco, un tir au but, un malheureux tir au but, décide du sort d’une rencontre inoubliable et bien plus encore : l’élimination sans défaite du Brésil entérine irrémédiablement l’extinction du romantisme sans que Josimar n’y puisse rien, supplanté ce jour-là par le talent rationnel d’un autre grand arrière latéral, Manuel Amoros.

En étant une des révélations de la Coupe du monde avec Julio César ou Müller, Josimar s’installe dans le onze type du nouveau sélectionneur, Carlos Alberto Silva, mais l’illusion ne dure pas tant il met de l’énergie à se noyer consciencieusement, grisé par le pouvoir que lui confère son image de star. Josimar résume cette période d’une phrase : « les blondes sont arrivées et j’ai tout gâché ». Comme Perivaldo par le passé, son immaturité l’entraîne dans des vies parallèles, où l’alcool et la drogue cohabitent avec les blondes. Parfois, les nuits finissent mal et le visage défait de Josimar orne la rubrique des faits divers des journaux, entouré de policiers l’ayant arrêté à l’issue d’une rixe dans une chambre d’hôtel transformée en lupanar.

Botafogo champion carioca 1989 en étant invaincu.

Sa vie part à vau-l’eau – on le surnomme Josibar – et les résultats de Botafogo en 1989 agissent comme un trompe-l’œil : lauréat invaincu du Championnat de Rio, 21 ans après le dernier titre du Glorioso de Jairzinho, il est retenu par Sebastião Lazaroni pour la Copa América à domicile. Son unique apparition a lieu lors du match du titre contre l’Uruguay. En plan serré, on le voit d’abord sautiller au bord du terrain dans l’attente de la sortie de Valdo. Puis on remarque le 13 au dos son maillot, le même que durant la Coupe du monde mexicaine, comme si ce numéro devait éternellement lui porter chance. Sur la foi d’une action, la magie Josimar opère encore : il trottine d’abord de sa foulée féline, récupère un ballon au milieu de terrain, combine avec Mazinho, accélère sur le flanc droit et adresse un centre qu’intercepte Perdomo pour la Celeste. Ces vingt secondes font croire que Josimar est toujours Josimar. Mais la rencontre s’achève déjà, le Brésil est sacré et pour beaucoup, ce sont les dernières images de Josimar avec la Canarinha[6]. De belles images qui entretiennent le souvenir obsédant de l’apparition d’un inconnu touché par la grâce sous le soleil brûlant de juin à Guadalajara[7].


[1] Marius Lien, un des fondateurs, sur les raisons du choix du nom de Josimar : « chaque fois que nous voyons le visage grincheux de Neymar lorsqu’il marque un but, nous devons fermer les yeux et penser aux célébrations de Josimar en 1986. »

[2] Selon le classement du Magazine Placar, Perivaldo est Bola de Prata 1976 et 1981, c’est-à-dire meilleur joueur du pays à son poste.

[3] Après Botafogo, Perivaldo évolue à Palmeiras, Bangu, en Corée du sud… Disparu des radars, des journalistes retrouvent sa trace en 2013 au Portugal où il survit dans le plus grand dénuement. Quelques personnes se mobilisent (dont Júnior) pour le rapatrier au Brésil où il meurt en 2017 à 64 ans.

[4] Il existe des versions selon lesquelles Leandro exigeait un poste dans l’axe de la défense et que le refus de Santana a concouru à son désistement final.

[5] Josimar a déjà porté le maillot national avec les juniors en étant sélectionné pour la Coupe du monde en 1981.

[6] La 16e et dernière sélection de Josimar a lieu en novembre 1989 en amical contre la Yougoslavie.

[7] Les années 1990 sont des années de perdition, sa carrière n’a plus aucun sens et l’après-football est un naufrage. Jorginho, son successeur dans la noble lignée des arrières droits brésiliens, lui tend la main après un match de bienfaisance auquel il est invité avec d’autres anciennes gloires. Il remonte la pente auprès des enfants de l’école de football de Jorginho. A 62 ans, il fait aujourd’hui la promotion d’événements sportifs auxquels il associe son nom.

Le but contre l’Irlande du Nord.
Le but contre la Pologne.

12 réflexions sur « Personnages de la Coupe du monde 1986 – Josimar ou Zigomar ? (4/6) »

  1. C’est une madeleine de Proust pour moi, ce Josimar, merci!

    Manque de recul et d’infos à l’époque, persuadé que ce type ne pouvait qu’avoir continué à tout casser au Brésil. Puis à ronger mon frein jusqu’en 90, espérant le revoir enfin en Italie, mais.. Et donc, Verano : c’est la première fois que j’ai le fin mot de son déclin..et de sa fugace installation en équipe du Brésil (bon.. pour Leandro je savais, ça oui), merci!

    Belanov aussi, pas compris sur le coup. 100kms à peine de ‘Gladbach, là où cela partait donc en couilles. Mais les infos dont on disposait..

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  2. Bon.. Question pour un champion, maintenant : ces climax mis de côté, que valait-il vraiment? Quid par exemple de son jeu défensif?

    Et des buts aussi sensationnels que ceux inscrits au Mexique, il en inscrivit en club aussi ou pas?

    C’est ça que j’aime bien chez lui : non pas une fulgurance mais deux!, ça le rend décidément hors-normes. Et en fait même pas sûr d’avoir envie que quelqu’un réponde :), au fond ça me plaît cette figure du jeu sur la tangente, dont ne savoir trop que penser.

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      1. Avec ces Brésil 1982 et 1986, il y a quelque chose de frustrant à les voir s’arrêter si tôt. Au Mexique, la Seleção donnait l’impression de monter en puissance après des débuts moyens, loin des festivals du 1er tout en 82 à Séville. Il a fallu que la France et le Brésil se rencontrent dès les quarts, dommage…

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    1. @Alex, je ne l’ai pas assez vu jouer mais ce n’est ni Leandro, ni Cafú. Josimar était réputé pour son peu de rigueur tactique. Je pense que c’est l’histoire d’un joueur qui a su profiter des circonstances car objectivement, Perivaldo était plus beau à voir que Josimar et Leandro était bien plus complet.

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    1. Alemao, je ne savais même pas qu’il avait joué en Espagne..alors meilleur joueur de Liga? Eh bé..

      Leandro : live, jamais vu meilleur footballeur évoluer au back droit.

      Contre la Pologne c’est cul bordé de nouilles en début de match, oui. Espagne et ce but de Michel bien sûr, l’Algérie aussi je garde toujours à l’esprit qu’il y avait eu à redire.. Bref évidemment ok pour parler de montée en puissance. Dans mes souvenirs le Brésil est globalement un brin au-dessus de la France en 1/4 mais bon, rien que la faute non-sifflée sur..Bellone?? Et derrière, c’est bien lui qui transforme son tir au but via poteau + gardien? Si oui : justice immanente!

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      1. Alemao n’a joué qu’une saison en Espagne. Plus que meilleur joueur de la Liga, il a été meilleur étranger de la saison. Don Balon faisait un titre pour les nationaux et les étrangers. D’ailleurs, chez les étrangers, c’est Stielike qui a le plus de prix. 4
        Ils ont arrêté le truc en 2010 et l’on commencé dans les années 70.

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  3. C’est fou, je pensais qu’il comptait beaucoup plus de sélections que ça ; ses buts que j’ai vu et revu sur la VHS « 500 buts en avalanche » ont certainement du m’induire en erreur lors de ma jeunesse 😉

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