Personnages de la Coupe du monde 1978 – Nelinho, un frappeur au Portugal (5/6)

Avant de triompher avec Cruzeiro et la Canarinha, Nelinho effectue un court passage au Portugal.

Dans le match pour la troisième place, celui des déçus, des cocus, pensent les Brésiliens frustrés par la démission péruvienne les ayant privé de finale, la séduisante Italie mène face à la Seleção et s’imagine sur le podium de la Coupe du monde 1978. A l’heure de jeu, Roberto Dinamite transmet le ballon à Nelinho sur le flanc droit. Le latéral contrôle et enchaîne par une frappe extraordinaire dont l’effet est accentué par un contact extérieur de son pied droit. L’ogive, comme incontrôlée, explose dans le petit filet opposé de Dino Zoff, surpris par la trajectoire de la balle incendiaire. Déjà bourreau du Polonais Zygmunt Kukla, Nelinho entre dans la légende, bien plus que la troisième place anecdotique du Brésil.

Zoff est battu. Nelinho est absent de la photo.

Parmi « os laterais direitos » qui ont fait l’histoire de la Seleção, Nelinho n’a pas la notoriété de Djalma Santos, le pionnier, ni celle de Cafu ou Dani Alves plus récemment. Il s’agit pourtant d’un joueur majeur des années 1970, un défenseur ultra-offensif, buteur en série (plus de 200 réalisations recensées dont une centaine avec Cruzeiro) et décisif lors de finales du Campeão Minerais ou de la Copa Libertadores. Sans doute lui manque-t-il un titre de champion du monde ou un passage en Europe dans un club prestigieux.

L’arrivée à Barreiro d’un jeune Brésilien inconnu

Sa seule expérience européenne a lieu en 1970 avec Barreirense, petit club de Barreiro sur la rive sud de l’estuaire du Tage. Village de pêcheurs devenu cité industrielle, nœud ferroviaire reliant le cœur du pays aux provinces méridionales, Barreiro est alors en pleine expansion, alimenté par les populations rurales espérant une vie meilleure dans les usines de liège et les complexes chimiques dont le principal est administré par la Companhia União Fabril, la CUF. 

Des années 1950 au milieu des années 1970, le football de Barreiro connaît son âge d’or. Créé pour distraire les ouvriers, le Grupo Desportivo CUF (GD CUF) évolue durant deux décennies en Première division en compagnie du club historique de la ville, le Futebol Clube Barreirense. Le sommet est atteint en 1970 quand le GD CUF se classe huitième du championnat et que Barreirense se hisse à la quatrième place, se qualifiant ainsi pour la Coupe des Villes de foire, dernière édition avant que la compétition ne devienne la Coupe de l’UEFA.

Grand artisan de l’exploit, l’entraineur Manuel Oliveira part entrainer Farense et est remplacé par le Brésilien Edsel Fernandes. En quête de renforts, Fernandes sollicite les conseils de son compatriote Otto Glória, ancien coach de Benfica et de la sélection portugaise lors de la glorieuse Coupe du monde 1966, de retour à Rio à la tête d’América. C’est ainsi qu’arrive Manoel Rezende, un défenseur de 20 ans surnommé Nelinho dont les parents sont des immigrés portugais.

Nelinho ne dispute que huit rencontres dont deux en Coupe d’Europe face au Dinamo Zagreb. Les Portugais sont éliminés au premier tour : la victoire 2-0 à l’aller est effacée par une raclée 6-1 au retour malgré un score de 0-1 à la mi-temps. En championnat, il a l’occasion de jouer contre Eusebio, muet ce jour-là malgré la victoire de Benfica sur des réalisations d’Artur Jorge et Humberto. Ses performances sont discrètes, dans le ton du médiocre début de saison de Barreirense en dépit de la présence de la future légende benfiquiste Bento et de l’attaquant uruguayen venu du Nacional, Henrique Câmpora.

Nelinho, accroupi avec le ballon. Le gardien est Manuel Bento.

Nelinho avait imaginé autre chose, occultant les raisons de l’exil parental, comme s’il ignorait que le Portugal d’alors semble victime d’une hémorragie sans fin et n’est qu’un terminus pour fugitifs, dont le plus célèbre est James Earl Ray, assassin de Martin Luther King venu tourner en rond à Lisbonne deux ans plus tôt.

Gêné par un début de pubalgie et perturbé par le limogeage d’Edsel Fernandes, Nelinho ne joue plus à partir de novembre. Le club doute de la sincérité de sa blessure, impression renforcée lorsque le joueur insiste pour rentrer au Brésil, officiellement pour honorer ses obligations militaires, dans les faits pour participer au carnaval de Rio en février 1971. C’est un départ sans retour et Nelinho pense que sa carrière est terminée. Dans un premier temps, Barreirense ne le libère pas de son contrat (à l’époque, le « passe livre » est encore en vigueur et les joueurs n’ont aucun droit), ce qui le prive de toute perspective d’avenir.

La renaissance

Quand il obtient enfin sa liberté à la suite d’un imbroglio administratif, il part pour le Venezuela avec d’anciens équipiers d’América. Quelques mois au sein d’un championnat très faible le convainquent de revenir au Brésil, à Rio avec Bonsucesso d’abord, puis au sein du Clube do Remo à Belém. C’est là qu’il explose lors du Brasileiro 1972, élu parmi les meilleurs arrières droits de la compétition. Cruzeiro sent la bonne affaire et ne le regrette pas. Les torcidas de la Bestia Negra tombent amoureux d’un latéral comme ils n’en ont jamais vu, capable de renverser un match à lui seul. Puis en 1978, c’est en mondovision qu’il crève l’écran, rare satisfaction d’une Seleção sans saveur

Avec les maillots de l’Atlético Mineiro et de Cruzeiro. Un des rares cracks à être adulé des torcidas des deux géants de Belo Horizonte.

A des milliers de kilomètres de là, la crise économique balaye tout : les deux clubs de Barreiro ne sont plus dans l’élite, la CUF est nationalisée et démantelée après la Révolution des Œillets. Privé des mannes financières de la CUF, le club tombe dans l’anonymat malgré une nouvelle appellation, Grupo Desportivo da Quimiga. Quant au FC Barreirense, malgré quelques talents formés au club comme Chalana, il vit lui aussi dans le passé. En voyant le but de la Seleção face à l’Italie de Zoff, les supporters font-ils alors le lien entre ce Nelinho et le jeune Luso-brésilien nommé Manoel Rezende de Mattos Cabral qu’ils ont furtivement vu jouer en 1970 ?

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51 réflexions sur « Personnages de la Coupe du monde 1978 – Nelinho, un frappeur au Portugal (5/6) »

  1. Ah, les wing-backs droits.. Bon, je ne peux pas être objectif car c’était ma place de prédilection. Et j’avais plus le style Jacky Peeters (même les Belges ont dû l’oublier) que Nelinho. Mais j’ai un faible pour les wing-backs, a fortiori quand ils ont un supplément de technicité.

    Mon préféré reste celui découvert en 82, Leandro.. Nelinho vient sans doute juste après.

    Je ne connais pas les conséquences concrètes du « passe livre ».. Risquait-il une interdiction à vie?

    L’un des plus beaux buts de l’Histoire des coupes du Monde, tout bonnement.. A quoi ça tient parfois..

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      1. Basketteur de talent..et footballeur courageux, on va dire.

        C’est bien ça, un arrière latéral offensif. Par opposition au full-back (lequel pistonne moins voire pas du tout).

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    1. Le principe du « passe livre » est simple : un joueur ne peut quitter son club qu’avec l’accord de ses dirigeants même si le contrat liant les deux parties a pris fin. Bel exemple d’asymétrie en termes de droits. Un joueur peut donc se retrouver otage d’un club qui ne le rémunère même plus. Afonsinho est une des plus célèbres victimes de ce système mais il se rebelle et traîne devant les tribunaux Botafogo, son ex-employeur qui l’empêche de rejoindre Vasco. Les juges donnent raison à Afonsinho, une immense surprise puisqu’il est un opposant déclaré aux militaires encore au pouvoir au début des 70es. A la fin du 20eme siècle, la pratique est tombée en désuétude mais la suppression du « passe livre » par Pelé lors de son passage au ministère des sports porte une dimension symbolique extrêmement forte.

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    2. Leandro est de fait le successeur de Nelinho. Ce dernier est encore sélectionné au début de l’ère Telê puis après avoir tâtonné avec Getulio et Edevaldo (même profil que Nelinho, ultra offensif), Leandro brille avec Fla et s’impose comme une évidence dans les mois précédents la CM 1982. Sans son indiscipline, il aurait également été présent au Mexique.

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      1. Très bon article, mais j’aimerais que l’on parlât (😉) un peu plus de l’Argentine 78/86 et de l’Italie 82.

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  2. « un latéral comme ils n’en ont jamais vu, capable de renverser un match à lui seul »
    Dans tous les sens du terme, capable également de pénaliser son équipe par les trous béants qu’il pouvait laisser derrière son dos. Comparé à Nelinho, défensivement Cafú était Maldini ^^
    A mon sens c’est son manque de rigueur défensive qui lui a été rédhibitoire au niveau international, en club ça passait.

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  3. Si RuiCosta passe par là.. Tu te rappelles nos échanges (mais Discord, peut-être?), dopage dans le foot anglais-vintage?

    En fouillant cette nuit dans mes vieux trucs pour l’article consacré à Rion, je retombe sur un vieux truc..mais c’est vraiment la seule occurrence que j’aie jamais trouvée : le recours aux amphétamines y aurait été complètement généralisé dans les 70’s.

    Source : un ancien de WBA.

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  4. On a un peu parlé de st Étienne aujourd’hui donc j’en profite
    Une fois j ´ai parlé avec un allemand ( je n ai pas abordé le 8 juillet 1982 sinon y aurait eu drame ) mais la discussion est venu sur Bayern st Etienne
    Je lui ai dit que le Bayern avait eu de la chance et que st Étienne méritait de gagner
    Lui m a certifié que non , que le match était serré et qu’il n y eu pas de hold up allemand
    J avais quatre ans en 1976 donc je n’ai connu l’épopée des verts qu’a travers la lecture , les résumes vidéos et la légende
    Comme nous adorons les perdants magnifiques ( Poulidor , France 1982, st Étienne ..) je me demande si on a encore eu tendance à surestimer le match des verts , ce qui est typique français ou vraiment les verts étaient au dessus
    Merci de vos réponses

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  5. non je te confirme que c’est une légende (très française) le récit d’un roman national d’une domination sans partage et un hold up Munichois fort bien entretenu par le génie marketing de Rocher et par l’ineptie de Vandroux!
    il y a effectivement ces deux têtes sur les poteaux (carrés ou rond ça n’aurai rien changé) mais c’est une grosse bataille de milieu de terrain, je pense sincèrement qu’un léger frisson parcours l’échine du panzer Allemand quand Rocheteau est rentré à 10 minutes de la fin
    il me semble que so foot en parle dans un article du site ou au détour d’un article du mag’ mais non il n’y a pas de hold up Allemand!
    d’ailleurs a part les 2 1er tour gérés tranquille les 3 matchs suivants sont serrés à l’image de cette équipe plutôt travailleuse que flamboyante, largement en avance sur la prepa physique pour l’époque

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  6. je l’ai revu y’a quelques années je sais plus où mais effectivement seul l’entrée de Rocheteau à 10mn de la fin donne une petite frayeur au Bayern (saleté de Nimois Firoudiens qui nous blessent 3 joueurs 15 jours avant^^ Tapie avait ça en tête surement à VA avant la finale de Munich)

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      1. @Berti oui et c’est bien notre malheur ça n’a pas fait avancer le club au contraire, les gens ont vécu sur cette légende urbaine trés poulidorienne et totalement nocive!!!! ça concerne aussi l’edf parce que la demie de Séville c’est pareil on se souvient des 2 buts dans la 1er prolongation mais on s’est fait bouger par la RFA tout le match il a fallut un platoche Turinois pour changer les choses

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    1. Les quelques matchs précédant un grand rendez-vous étaient en effet un grand classique des matchs arrangés, où l’on leva le pied.

      Je tiens à saluer ton objectivité, sinon! Et je trouve tout de même que Sainté eût fait un plus beau vainqueur ; ce Bayern était rarement flamboyant..

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      1. Oh que oui!

        Mais j’ai un faible aussi pour le Cologne de la seconde moitié des 70’s, avec Flohe c’était parfois extraordinaire.

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  7. @bota au milieu des 70’s mis à part le Kiev de Lobanovski et peut être Gladbach peu d’équipe étaient flamboyantes le Bayern le PSV l’ASSE c’était physique carré même les reds à partir de 77 c’est pas de grandes arabesques

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    1. Je partage le sentiment et l’analyse du sage sainté le bien-nommé. J’ai vécu 76 et 82 avec un excès de chauvinisme, comme tout le monde, mais après on réfléchit. Le pénalty de France-Argentine 78, lui est une véritable injustice et un scandale d’arbitrage à la maison. Le père Rocher derrière son air bonhomme et sa bouffarde était un escroc comme beaucoup d’autres. Jamais éprouvé de la sympathie pour Garonnaire. C’est à Herbin que j’en veux pour son coaching incompréhensible. Vendroux (quelle raclure !) est le petit-neveu de Yvonne de Gaulle (née Vendroux) et non pas son neveu.

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      1. oui autant pour moi Fred le petit neveu pas le neveu merci d’avoir corrigé mais ça ne change rien! c’est une raclure de bidet, un puits de nullité sans fonds, un imbécile proprement débile qui en plus ne comprend rien au foot un imposteur.
        désolé de la digression^^

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      1. Exceptionnelle!
        Magnifique cette courbe…
        T aurais rêvé de ça au vélodrome hier hein?

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  8. Un des plus beau but de l’histoire de la coupe du monde, avec le coup franc de Teofilo Cubillas, odes à l’extérieur du pied, soyeux et romantiques, loins des patates de forain de Roberto Carlos. C’était beau tout ça

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