Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (2/9)

Le football à Vienne est le passe-temps des actrices, des acteurs ; les « étoiles de cinéma » se montrent sur les terrains de sport, comme s’il s’agissait de grands prix hippiques. Et nos compagnes chics et élégantes ne nuisent pas au succès des rencontres dominicales. Chacun s’y rend pour faire partie du « gratin ».

Le prix des places augmente. Le snobisme – disons-le franchement – s’est emparé du football en Autriche… Le bal musette a eu, en France, à Paris en particulier, son heure de célébrité grâce aux vedettes du théâtre et du cinéma. A Vienne, ce fut le football !

Le père du football autrichien Hugo Meisl

Willi Meisl, actuellement journaliste en Angleterre, fut jadis le gardien des buts de l’équipe d’Autriche. Son frère, Hugo Meisl, est plus que l’animateur du football de l’Europe centrale, il serait en droit d’en revendiquer la paternité. Hugo Meisl qui n’a pas assisté à la fin de l’Autriche[1] n’y aurait point survécu tant il aimait son œuvre, tant il était attaché au team, à son « Wunderteam », son enfant. Il ne vivait que pour lui, il se couchait en y pensant, il se réveillait en y songeant… Il ne vivait que pour lui.

Hugo Meisl, habitant à Marxhof, en face de « son » stade du « Hohewarte »… Le Marxhof c’était le building socialiste qui fut bombardé à un moment critique de l’histoire politique intérieure de l’Autriche[2], époque qui préluda d’ailleurs à l’assassinat du chancelier Dollfuss[3] !

Hugo Meisl, enfant du peuple, habitait l’immeuble construit sous les auspices des organisations ouvrières.

Hugo Meisl parlait douze ou quinze langues étrangères. Lui-même ne l’a jamais su. C’est à lui que revient l’honneur d’avoir organisé la Coupe de l’Europe centrale, entre l’Autriche, la Suisse, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Yougoslavie, l’Italie, la Roumanie… Véritable commis-voyageur international, Hugo connaissait tous les recoins des capitales de Zagreb à Zurich en passant par Prague et Pest !

Aucun palmarès d’une équipe n’avait de secret pour Meisl. Qu’il s’agisse du Rapid de Bucarest ou de Kladno, il pouvait vous dire le classement…

Il conclut des rencontres avec l’Angleterre, avec la Turquie. Il emmena « son » équipe en 1924, faire une tournée aux Etats-Unis[4], exactement comme s’il s’agissait d’une exhibition théâtrale conclue entre directeurs de tournées internationales.

Hugo Meisl était Autrichien, mais en réalité, il n’avait pas de patrie. Partout il était chez lui. Il n’avait qu’à sortir sa carte de visite, il était accueilli partout avec affabilité, avec respect. C’était le « secrétaire général de l’Association autrichienne de football » devant lequel toutes les portes s’ouvraient.

Doué d’une voix tonitruante, Hugo Meisl inspirait le respect aux joueurs, aux entraîneurs, aux masses. Tel un tribun, plein de son sujet, il discutait avec les présidents des fédérations étrangères avec le tact, le doigté et la finesse d’un ambassadeur.

Quelle qu’ait pu être la tension internationale entre deux nations de l’Europe centrale, Hugo Meisl mettait une telle délicatesse dans ses discussions – les plus ardues – qu’il parvenait à aplanir toutes les discussions. Il venait à bout de tous les arguments contraires à ses idées uniquement inspirées par le football. La balle ronde était sa divinité !

Et ce n’est pas sans une certaine émotion que je parle d’Hugo Meisl. On m’excusera de citer son nom tout au long de ces modestes souvenirs, des souvenirs qui font partie de ma vie, de ma joie d’avoir appartenu au « Wunderteam » – l’équipe des contes de fées !

Hugo Meisl.

Vienne à midi et à minuit

Le dimanche, à midi, Vienne était la Vienne du football. Des grappes humaines s’accrochaient aux tramways (il n’y avait pas de métro) qui menaient vers les stades. Pas une place assise. La gaîté, les paris… allaient bon train de la Fleischmarkt au terrain du « Hohewarte ». Femmes, enfants, vieillards avaient leur favori. Le Rapid, le W.A.C., le Florisdorf avaient leurs partisans…

Uridil était opposé à Schaffer[5] (ce fameux Schaffer, les Parisiens l’ont vu sur la touche lorsque la Hongrie jouait des matches pour la IIIe Coupe du Monde, organisée par la France. Au temps de l’amateurisme marron, Schaffer était le grand rival d’Uridil, quant à la célébrité. Schaffer, véritable pachyderme en 1938, était un joueur fluet en 1924…).

Chaque « client » des stades avait son « idole ». Uridil, Schaffer se partageaient les suffrages. Ces « deux gaillards », s’ils se partageaient les faveurs des Viennois ou des Viennoises, gagnaient un « fric fou », alors qu’ils étaient amateurs cent pour cent[6] !

A minuit, Vienne n’avait rien perdu de son engouement pour le football. Il y avait un quotidien sportif, le « Sporttagblatt » qui donnait vers 21 heures (les éditions sportives, si bien faites dans les journaux du soir parisiens, n’existaient pas en Autriche) les résultats sportifs de la journée. Tous ceux qui s’intéressaient au football se donnaient rendez-vous devant le « Sporttagblatt » à la Fleischmarkt… Joueurs, gamins, hommes mûrs, femmes, tous se retrouvaient sur cette place où l’on discutait… Quelquefois à coups de poing… On faisait donner la police pour séparer ceux qui n’étaient pas du même avis…

C’est grâce à cette atmosphère si viennoise que le « Wunderteam » allait naître sous la baguette magique du grand chef d’orchestre Hugo Meisl… Et le « Wunderteam » c’est le sport de la balle ronde pratiqué par la plus féerique des équipes, celle du pays où je suis né, VIENNE.

Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 3 février 1939.


[1] Il est décédé le 17 février 1937.

[2] Inauguré en 1930, le Karl Marx Hof est une très grande barre d’immeuble, symbole de la politique de logement social de la municipalité socialiste de Vienne. Lors des affrontements de février 1934, des ouvriers s’y barricadèrent et l’armée tira contre le bâtiment.

[3] Chancelier fédéral d’Autriche (1932-1934), Engelbert Dollfuss instaura un régime autoritaire mais s’opposa à la politique des nazis qui l’assassinèrent, lors d’une tentative de putsch, le 25 juillet 1934.

[4] Non documenté par ailleurs. Rudi Hiden confond-il avec la célèbre tournée de l’Hakoah Vienne aux Etats-Unis en 1926 ?

[5] Alfréd Schaffer, né en 1893, joua 15 matchs en équipe nationale hongroise. En club, il défendit notamment les couleurs du MTK Budapest et de l’Austria Vienne.

[6] Le professionnalisme fut officialisé en 1924.

7 réflexions sur « Le roman du Wunderteam par Rudi Hiden, gardien de but de l’ex-équipe d’Autriche (2/9) »

  1. Le championnat autrichien était un championnat viennois, avec une douzaine de clubs et pourtant il n’en cite que trois, omettant le First ou l’Admira. Étaient ils moins populaires que le Rapid, le Wiener AC ou le Florisdorf ?

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    1. Le Rapid domine le foot viennois jusqu’à la professionnalisation. À ce tournant, on voit se distinguer des clubs comme l’Austria et l’Hakoah. Deuxième partie des années 20 et jusqu’à la guerre, les 3 grands clubs sont l’Admira, le Rapid et le First. À cette époque, l’Admira pouvait attirer autant de spectateurs que le Rapid.
      Le Floridsdorfer AC n’a jamais vraiment été un club de premier plan. Au passage, son terrain actuel est l’ancien stade de l’Admira.
      Début des années 1900, les principales équipes sont le Wiener AC (une scission aboutira à la création du WAF), le First et le Vienna Cricket and Football Club (dont quelques membres partiront fonder le Wiener Amateur Sportverein, qui deviendra ensuite l’Austria)

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