Le Portugal et la Coupe du monde, une histoire compliquée

Après un premier tour où ses nombreuses individualités ont brillé (par moment), le Portugal joue ce soir un huitième à haut risque contre un adversaire qui a tout d’un trouble-fête. Un scénario identique à celui de 2018 et ce match où Cavani et l’Uruguay ont mis fin au rêve d’une nation qui venait miraculeusement de gagner l’Euro.

Cela peut nous amener à se poser la question, Pourquoi le Portugal a-t-il une histoire si mince en Coupe du monde ? Pourquoi un pays capable d’enchaîner deux quarts, deux demies, une finale et un titre en six Euros n’a que huit participations en Coupe du monde et surtout n’a dépassé que deux fois les huitièmes de finale ?

Dans cet article nous allons essayer de résumer chacune des causes en étudiant les échecs chronologiquement. De nombreux évènements cités dans cet article seront développés plus tard sur ce site car ils méritent que l’on s’y attarde davantage.

Les Coupes du monde d’avant-guerre

Lors des trois premières Coupes du monde, le Football portugais naissant ne se qualifie pas. En 1930 à l’instar de l’Espagne, le Portugal refuse l’invitation et ne participera pas à ce premier tournoi.

En 1934 la qualification se joue en une confrontation aller-retour contre l’Espagne, équipe bien plus expérimentée et qui gagnera 9-0 à Madrid.

En 1938 la qualification se joue en un match sec contre les Suisses en terrain neutre, à Milan, et malgré une équipe bien plus compétitive emmenée par Peyroteo le Portugal s’incline de justesse 2 buts à 1 contre les futurs quart de finalistes.

De 1950 à 1958

Comme en 1934, la participation se jouera sur un match aller-retour face aux rivaux espagnols de Telmo Zarra et comme en 1934 tout se jouera au match aller à Madrid où la Roja va gagner 5 à 1 avec un grand match de l’attaquant basque. Cette équipe est surement la première qui aurait pu tenir un beau rôle dans la plus grande compétition.

En 1954, encore un match aller-retour mais cette fois-ci contre la redoutable équipe d’Autriche, future demi-finaliste. Et malgré le cinglant 9-1 encaissé à Vienne, une victoire par 1-0 aurait offert un match d’appui aux portugais (la différence de buts n’étant pas prise en compte) mais Matateu et ses coéquipiers n’arriveront jamais à tromper la vigilance de Walter Zeman.

En 1958, une équipe de Portugal entre deux générations se retrouve pour la première dans un groupe de qualification face à l’Irlande du Nord et à l’Italie. Finalement, grâce à un nul à Lisbonne, les Irlandais du Nord seront ceux qui iront en Suède où ils sortiront notamment les Tchécoslovaques et Argentins avant de subir les foudres de Just Fontaine notamment.

La période Eusebio

Et si la sélection ne décolle pas, le foot de club portugais devient majeur en Europe, le Benfica gagne deux C1 et le Sporting une C2. Encore une fois les poules seront fatales aux Portugais opposés aux Anglais et Luxembourgeois. Ce sont ces derniers qui scellent le sort des Portugais avec une victoire 4-2 et un triplé du futur Sochalien Ady Schmit. Et malgré une équipe très forte avec des joueurs comme Aguas, Eusebio, Coluna ou Germano le Portugal restera à quai encore une fois. Il faut noter que le grand Eusebio ne jouait pas les premiers matchs et notamment le match nul à domicile contre les Anglais de Charlton, Greaves et Flowers.

En 1966 Eusebio marque presque tous les buts en qualification, triplé contre la Turquie, doublé contre la Roumanie et but de la victoire à Bratislava. Grâce à son idole le peuple Portugais va enfin vivre une Coupe du monde. De nombreux Portugais achètent à cette occasion leur première télévision (comme feu mon grand-père) pour visionner les exploits d’Eusebio et des siens. Des matchs mémorables (les tacles violents contre le Brésil ou l’incroyable quadruplé d’Eusebio contre les Nord-Coréens), une vedette en feu (décisif à chaque match) mais au final un arrière-goût après cette demie contre les Anglais et l’arbitrage « maison » du Français Pierre Schwinte.

Eusebio entame une remontée fantastique en quarts de finale

En 1970 malgré une victoire inaugurale contre les futurs premiers du groupe la Roumanie, le Portugal d’Eusebio et de Jacinto Joao se noie et n’arrive pas à battre une seul fois les Grecs ou les Suisses.

En 1974 le Portugal d’un Eusebio vieillissant et d’un Nené à maturité n’arrive pas à dépasser la Bulgarie de Bonev et Kolev, malgré une belle équipe avec deux futurs sélectionneurs Humberto Coelho et Artur Jorge.

En 1978 le Portugal a une très belle équipe, avec des jeunes pépites comme Chalana, des joueurs en plein pic comme Nené, Manuel Fernandes, Joao Alves, Manuel Bento ou Jordao. Mais il est dans un groupe très relevé, et s’il bat le Danemark du Ballon d’Or Simonsen, il ne peut rien contre l’irrésistible Pologne de Deyna et Lato.

La longue traversée du désert continue

En 1982 les attentes sont très grandes au Portugal. Le pays se reconstruit et cette Coupe du monde se déroule à quelques centaines de kilomètres chez le voisin espagnol. Mais malgré des victoires contres les Ecossais et les Irlandais du Nord, le Portugal va inaugurer ce qui deviendra une tradition nationale, se saborder contre les plus « faibles » du groupe. En perdant deux fois contre la Suède et surtout en Israël, après un improbable triplé de Tabak.

En 1986, le Portugal requinqué par son bel Euro aborde son « groupe de la mort » avec confiance. RFA, Suède et Tchécoslovaquie, les Portugais vont lutter dans ce groupe très dense et obtenir de haute lutte leur qualification avec une historique victoire face aux Allemands à Stuttgart. Le pays est confiant, cette génération menée par sa jeune star Futre, ses joueurs en pleine bourre comme Carlos Manuel ou Fernando Gomes sera inarrêtable. Mais voilà dans une gestion calamiteuse de la fédération que nous évoqueront dans un autre article amènera le « Knysna » Portugais, le funeste « Saltillo » qui va désagréger cette très belle équipe qui malgré une victoire inaugurale contre les Anglais va s’effondrer lors des deux derniers matchs.

La sélection 1986

En 1990, le Portugal encore marqué par cette catastrophe n’arrive pas à se qualifier, ne battant ni la Belgique, ni la Tchécoslovaquie (encore dans le même groupe !).

En 1994 une nouvelle génération pleine de promesses arrive, celle des doubles champions du monde juniors. Mais dans un groupe relevé avec l’Italie de Baggio et la Suisse de Chapuisat le Portugal échoue à un point, la faute à un nul en Ecosse et une dernière défaite contre les Italiens à Milan sur un but de l’autre Baggio, Dino.

Les qualifications pour 1998 seront marquées par cette expulsion de Rui Costa (merci Marc Batta) alors que le Portugal menait sur le terrain de Berlin, éliminant ainsi l’Allemagne de cette Coupe du Monde française. Mais la réalité est que cette magnifique équipe perd surtout sa qualification en faisant des 0-0 en Arménie ou en Irlande du Nord, deux terrains où l’Ukraine et l’Allemagne iront gagner. Cette non-qualification est très douloureuse pour le Portugal et encore plus pour son importante diaspora française qui espérait voir Figo et les siens briller dans l’Hexagone.

Une équipe enfin qualifiée

En 2002 le Portugal brise le signe Indien, dans un groupe difficile avec des Hollandais brillant à l’Euro 2000 mais éliminé par un incroyable Toldo et une Irlande de Roy Keane très difficile à manier. Les Portugais emmenés par un grand Luis Figo ne vont pas vaciller, le Ballon d’Or égalisant sur pénalty à la 91e minute à Porto contre les Pays-Bas puis de nouveau à Dublin quelques semaines plus tard. Le Portugal passe premier à la différence de buts devant les Irlandais et gagnent le droit de jouer une troisième Coupe du monde. La suite est comme 1986, un fiasco.

En 2006 grâce à son Euro réussi et son meilleur classement FIFA, le Portugal du tenant du titre Scolari hérite pour la première fois d’un groupe « abordable » avec la Russie et la Slovaquie et malgré un nul contre le Liechtenstein va se qualifier sans trembler. Cette Coupe du monde allemande va être la plus aboutie avec celle de 1966. Trois victoires en poules, cinq buts marqués et un seul encaissé dans un groupe relativement simple. Deco, Ronaldo, Simao ou Maniche marquent pour leur première coupe du monde.

En huitièmes ils vont aller défier le deuxième du groupe de la mort de cette Coupe du monde, les Pays-Bas dans un match qui aura marqué cette édition. Non pas pour la qualité du jeu mais pour la violence et surtout le nombre de cartons distribués. Et si tout le monde a oublié le beau but de Maniche (déjà buteur face à ces mêmes Hollandais deux ans plus tôt), l’attentat de Boulahrouz et surtout les 12 jaunes et les quatre rouges resteront dans l’Histoire de la compétition. Le Portugal défie en quart de finale les Anglais sans Deco ni Costinha dans un match serré et âpre, qui se finira comme la confrontation deux ans plus tôt par une séance de tirs au but où Ricardo dégoûtera à nouveau les Anglais. On retiendra également l’expulsion de Rooney qui fera couler beaucoup d’encre outre-manche et ternira la réputation du jeune Ronaldo, qui par ses exploits fera vite oublier aux supporters Mancuniens cette « exagération » sur la faute de son coéquipier.

L’histoire s’arrêtera dans une demie contre la « bête noire » française comme en 2000 ou 1984. Mais à la différence de ces deux rencontres, la rencontre est plus fermée et la France plutôt dominée au milieu et gênée par les incursions du jeune feu follet Ronaldo se contente de fermer la boutique après avoir obtenu un pénalty grâce à la malice de Thierry Henry (et la glissade de Carvalho). Zidane l’admettra dans L’Équipe plus tard, cette demie a été le match le plus difficile pour l’Équipe de France lors de cette Coupe du monde. Et il aura fallu un incroyable Thuram et une tête ratée de Figo à bout pourtant suite à un ballon relâché par Barthez pour éviter un but portugais.

Le pénalty plutôt généreux (mais réel) qui donnera le seul but du match.

En 2010, Figo est parti, le nouveau leader est le tout juste Ballon d’Or Cristiano Ronaldo. Pauleta qui marquait énormement en qualifications est également parti, et la sélection a du mal à conclure certains matchs face aux bloc bas. Un nul à domicile contre l’Albanie va lui faire perdre la première place au profit du Danemark. Le Portugal va ainsi débuter ce qui va devenir une tradition, passer par les barrages pour se qualifier. Sous les ordres de Carlos Queiroz le Portugal élimine la Bosnie pour rejoindre l’Afrique du Sud et un groupe très compliqué avec le Brésil et la Côte d’Ivoire de Drogba. Deux 0-0, et un fameux 7-0 contre la Corée du Nord, Ronaldo et le ketchup, la diffusion arrêtée à Pyongyang et un huitième de finale contre le favori espagnol. Match qui se finira sur un but (hors-jeu) de Villa dans une partie où les Portugais ne toucheront que très peu de ballons et quitteront la compétition sans avoir réellement brillé.

Quatre ans plus tard l’histoire se répète, des points perdus bêtement en poules , deux nuls contre Israël ou nul contre l’Irlande du Nord forcent les Portugais a jouer à nouveau un barrage contre la Suède. Dans un duel d’égos surdimensionnés, Ronaldo domine Ibrahimovic avec notamment un triplé au match retour qui offre à son équipe une place dans la compétition reine chez les cousins brésiliens. Dans un groupe difficile (Allemagne, Ghana, USA) et avec un effectif en reconstruction, le Portugal commence de la pire des manières en coulant contre l’Allemagne (4-0) avec une grotesque simulation de Muller qui amènera une des deux expulsions de Pepe en 130 sélections (la deuxième étant contre l’Irlande en qualifications pour le dernier Mondial). Sans son leader défensif le Portugal patine contre les USA et n’arrive pas à marquer suffisamment de buts contre le Ghana pour sortir de son groupe. Une élimination qui coûtera sa place à Paulo Bento et aura son rôle dans la victoire deux ans plus tard à l’Euro.

Muller en pleine performance artistique

Quatre ans plus tard, le Portugal voit une nouvelle génération arriver et dans un mano à mano passionnant avec la Suisse (déjà), les Portugais finissent premier de leur groupe à la différence de buts globale. Une première rencontre spectaculaire contre l’Espagne avec un triplé de Ronaldo puis une victoire étriquée contre le Maroc sur un nouveau but de celui qui évolue encore à Madrid donne confiance aux supporters portugais. Mais ce dernier match contre l’Iran va s’avérer le tournant de la compétition. Alors que le Portugal se dirige tranquillement vers une victoire et même une place de premier du groupe grâce au Maroc qui accroche l’Espagne, Ronaldo rate un pénalty et dans les dernières minutes des arrêts de jeu l’arbitre offre un pénalty généreux pour une main de Cédric. L’Iran ayant même une balle de but pour éliminer les Portugais dans les ultimes secondes. En plus de briser le bon élan de la star portugaise, ce pénalty raté a empêché son équipe de basculer dans la partie « facile » du tableau. Cependant un incroyable Cavani va enlever tout regret aux Portugais en éliminant à lui seul les champions d’Europe en titre.

Nous arrivons donc à la Coupe du monde actuelle, une qualification en barrage suite à deux déconvenues face aux Serbes (dont une incroyable erreur d’arbitrage) qui punie une frilosité très contestée au Portugal. Car l’effectif est brillant avec une qualité digne des meilleures sélections mais entre un Ronaldo vieillissant et un Santos incapable d’insuffler de la qualité de jeu à son équipe, les supporters sont inquiets. Les deux premiers matchs sont rassurants, Bruno Fernandes et Bernardo Silva semblent enfin au niveau mais le collectif manque encore de solidité pour qu’enfin le Portugal assume son statut d’outsider.

Pour conclure le Portugal a eu des grosses difficultés à se qualifier dans un premier temps. Ne participant qu’à une seule des 16 premières Coupe du monde ! Ensuite cela est plus contrasté, avec une seule réussite, 2006. L’équipe actuelle a un effectif fourni mais sera-t-elle capable de créer un collectif solide, marque de toutes les équipes qui gagnent des titres ?

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17 réflexions sur « Le Portugal et la Coupe du monde, une histoire compliquée »

  1. Superbe Rui!
    Ça me fait plaisir de voir le nom de Vitor Damas sur la liste 86. C’est mon gardien portugais préféré.
    Une tres belle compil sur Damas!
    https://youtu.be/qcRB7xMza48

    En 70, ils tombent sur la génération Roumaine, Dumitrache et surtout Dobrin. D’ailleurs Dobrin est l’élément moteur du groupe mais une embrouille avec le sélectionneur le laisse sur la.banc au Mexique.
    On parlait de la gloire du Vitoria Setubal. Petite video pour ceux qui aiment les crochets!
    https://youtu.be/nn5VPXYR6v8
    Sur les mondiaux 2010 ou 18, l’élimination en 8/1 n’est pas si étonnante. Le Portugal n’est au meilleur de sa forme. Meme si le but de Villa est vraisemblablement hors jeux.

    98 etait un véritable coup d’arrêt apres les espoirs suscités par l’Euro précédent. Et 86, un fiasco malgre le but vainqueur de Carlos Manuel face à l’Angleterre. Manuel, un autre que j’aime beaucoup et qui qualifiera le pays face à la RFA.
    https://youtu.be/z8tDW2CfM_s

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    1. Oui en 1970 le pire étant qu’ils tapent 3-0 les Roumains avant de s’effondrer. Eusebio n’est même pas si vieux mais il connait un petit trou dans sa carrière (blessure?) après sa saison 1968 à 50 buts en 38 matchs!
      2010,2014 ils ont un équipe moins performante. 2018 Santos part avec les « anciens » et ne met pas assez en avant Bernardo notamment. Mais l’équipe était déjà bien plus performante, surtout que Ronaldo était en jambe.
      1998 c’est un vrai crève coeur, des nuls débiles et cette expulsion alors qu’ils dominent l’Allemagne. Rui Costa qui pleure sur le banc, ça m’avait ému, je crois que c’est ce jour là où il a pris un statut spécial dans mon « coeur de fan ».
      1986 c’est un incroyable gâchis, cette équipe avait largement de quoi jouer une demie, le seul match qu’ils jouent à peu près ils tapent les Anglais. En qualif ils tapent les futurs finalistes allemands…Manuel était en pleine bourre, Gomes aussi, Futre avait tout du crack qui allait exploser dans une bonne équipe…Je réécrirais un article sur Saltillo plus détaillé, mais je veux lire plus de point de vue, faire des recherches plus avancées car c’est un peu un imbroglio. Tout le monde se rejette la faute (même si pour moi le problème est clairement la fédération).

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  2. Du Portugal, en 66, l’ORTF ne retransmit que la demie contre l’Angleterre et la finale de classement contre l’URSS. A part ça nous vîmes les 3 purges de l’équipe de France, le mortel d’ennui Angleterre-Uruguay en ouverture, un quart (Hongrie-URSS ?), la demie Allemagne-URSS, la finale et c’est tout. Aucun match du Brésil, de l’Italie et de l’Argentine, donc.

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    1. Mon père m’a toujours raconté que mon grand-père avait acheté une TV pour voir les matchs du Portugal. Il n’aurait donc vu que la demie? Je sais qu’à la radio il écoutait les matchs mais j’ai toujours cru qu’ils avaient pu voir plus de matchs.

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      1. Et voilà une belle page écrite ce soir. Une histoire digne de celle que l’on raconte. La grande star, recordman de tout, remplacée par un jeune qui débute et qui marque un triplé pour son premier match dans une soirée de folie. La suite de la compétition donnera du poids, ou non, à ce match mais l’histoire est belle.

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      2. Ah bon, il était en France ? où ça ?
        seule explication, il a en effet suivi les retransmissions à la radio sur les petites ondes.

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