El Pajarito

Larbi Ben Barek, Naybet, Zaki, Bounou, Timoumi… Les Marocains ayant illuminé le sol espagnol de leurs talents ou de leurs hargnes sont nombreux. Et pas les moins fameux. Mais celui qui unit peut-être le plus ces deux peuples à l’histoire tumultueuse est un homonyme du grand Larbi. On le surnomme el Pajarito ou Abdallah Malaga.

Le fils du chauffeur et le Prince

Abdallah Ben Barek est né à Rabat en 1937. Enfant, le premier ballon qu’il touche a pour cadre majestueux le palais royal de Mohamed V. Ce fils d’un des chauffeurs du roi passe ainsi les 10 premières années de sa vie à proximité des fastes de la cour et échange à l’occasion quelques une-deux avec le prince, le futur Hassan II.
Cet ailier gauche funambule fait son trou au Stade Marocain de la capitale, partageant dès 1955 entraînement et conseils avec Ahmed Ach’houd, l’ancien Lensois et Wydadi. Le don est indéniable et il est rapidement courtisé par Saint-Étienne et Nîmes mais son père s’oppose catégoriquement à un départ prématuré. Il faudra un derby face au FUS Rabat pour que son destin bascule. Le FUS, le club où joue le vétéran Larbi Ben Barek. Abdallah éblouit la rencontre de ses prouesses et tape dans l’œil d’émissaires venus de Grenade. Ces derniers ont un allié de poids en la personne de Larbi qui réussit à convaincre le père réticent. « Larbi a expliqué à mon père à quoi ressemblait le football espagnol et lui a dit que je pouvais réussir ici. »

Grenade est un club qui végète en seconde division depuis 11 ans mais un club ambitieux en cette saison 1957. Abdallah partage le front de l’attaque avec le lecteur de Dostoïevski, Pahiño, l’ancienne gloire du Real et le Basque bondissant Igoa qui fut membre de la Roja, quatrième au Mondial 1950. Un arsenal offensif pour cette division.
Abdallah débarque en 1957 dans la perle de l’Emirat Nasride, sous la neige et sans papier. Dès le premier entraînement, la finesse de ce corps, fin comme un pinceau, convainc le coach Alejandro Scopelli. Abdallah obtient un contrat de 3 000 pesetas par mois et sa régularisation.
Les faits d’armes s’enchaînent et Ben Barek devient rapidement l’attraction. Y gagnant un surnom, el Pajarito, le petit oiseau, pour sa maigreur mais surtout car « il semblait aimanter et picorer goulûment tous les ballons qui passaient devant lui sur le terrain. »
Féru d’histoire, Abdallah gravit régulièrement le col menant à l’Alhambra, sur les traces mythiques d’Al Andalus, et apprend l’espagnol en quelques mois. Une réussite totale, Grenade est championne de sa division face à Badajoz.

Champion de D2 1958

La saison suivante, Ben Barek découvre le haut niveau. Pahiño et Igoa se sont retirés et le président du club est démis de ses fonctions pour des faits de corruption. Les hommes de Scopelli souffrent toute la saison mais se maintiennent grâce à une victoire miraculeuse sur Valence. Ben Barek voit désormais planer l’ombre menaçante du gardien portugais Carlos Gomes. Un étranger de trop. Abdallah signe pour les rivaux de Malaga en 1958.

Ben Barek, période bleue

Abdallah découvre une ville et une région en plein boom touristique, pour le meilleur et malheureusement souvent le pire, et un club en déliquescence sportive puisqu’il subit une descente en troisième division. Néanmoins, Ben Barek se sent bien à Malaga, adulé par les fans del barrio de los Martiricos. Il remonte pas à pas, crochet après crochet, dans l’élite en 1962 aux détriments de son ancien club, Grenade ! El Pajarito et Migueli, l’enfant de Malaga, sont les nouveaux héros choyés des Boquerones. Et ses performances sont remarqués par le sélectionneur marocain.

Apres avoir éliminé la Tunisie et la Ghana, le Maroc se voit attribuer sur sa route pour le Chili 1962, l’ogre espagnol. La confrontation semble déséquilibrée. Il n’en sera rien. L’aller à Casablanca donne lieu à une lutte acharnée entre le Maroc et la bande de Di Stefano, Puskas et Gento. Et il faut une tête à bout portant de Del Sol, dans les derniers instants du match, pour voir la victoire de la Roja. Mais les Bettache, Mahjoub ou Abdallah n’ont pas dit leurs derniers mots. Marcelino ouvre le score au Bernabéu mais Riahi égalise à la 40e. Rivilla et Calleja tanguent face aux attaques chérifiennes. Collar semble donner un avantage définitif mais Ben Barek réduit le score à 3 à 2. Il reste 25 minutes. 25 minutes de peur et de tension dans le camp espagnol, réduit à dix, et le premier frisson vain pour cette toute jeune sélection marocaine. Ben Barek connaîtra huit capes.

Le but de Del Sol à Casablanca

Tata Yoyo

Abdallah goûte à nouveau à la Liga en 1962 mais brièvement. Malaga est l’équipe ascenseur par excellence de la décennie. Les montées 1962, 1965 et 1967. Les rétrogradations 1963 et 1966. Ben Barek et Malaga n’arrivent pas à se stabiliser dans l’élite malgré la présence dans leurs rangs de Pepillo, Chuzo l’ancien colchonero ou du peintre Manuel Velasquez. Un itinéraire chaotique qui n’étouffera pourtant jamais la ferveur de la Rosaleda. Abdallah le Marocain devient le gardien du temple malagueño et de sa mémoire collective. Celle d’une victoire de prestige face au Real de Di Stefano au Trofeo Costa del Sol 1963. D’une confrontation face au Santos du Rei Pelé en 1967. Apres dix ans de bons et loyaux services, Abdallah tire sa révérence en 1968, laissant Malaga au sein de l’élite espagnole, le devoir accompli. 1968, année qui le vit décoré par un ancien camarade de jeu, le roi Hassan II.

Malaga entame alors un de ses âges d’or dans les années 1970, sous la conduite du ténébreux argentin Sebastiàn Viberti, certainement la plus grande gloire des Boquerones. Mais Ben Barek ne sera jamais loin. De la formation des jeunes du club à l’assistant du coach principal Kalmar, du dépistage de talents de la région aux rênes de l’équipe une à plusieurs reprises.
Des heures et des heures de furtifs instants glorieux et de multiples souffrances partagées avec sa ville d’adoption, comme lors de la montée ratée en tant que coach, face à Cadix en 1992, qui font de Ben Barek un symbole de ce club à l’histoire bordélique mais diablement attachante. Le jeune homme de Rabat, qui trouva amour et descendance en Andalousie, est honoré en 2018 par son équipe de toujours. La porte numéro 6 de la Rosaleda est rebaptisée Puerta Ben Barek, pour les 60 ans de son arrivée dans la ville. Une évidence…

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26 réflexions sur « El Pajarito »

  1. Pour l’anecdote, pusique tu évoques le cadre majesteux du Palais de Rabat, et Timoumi, c’est aussi le cas de ce dernier : il a échangé des ballons avec l’actuel Roi du Maroc, Mohamed VI
    Ce sont des enfants de la garde noire du Palais
    Allant de domestiques à un peu mieux

    Je ne sais pas d’où vient Abdallah Malaga, mais Timoumi est un Touargui (de Touarga)

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    1. Merci pour l’anecdote sur Timoumi! Avec Abdallah et lui, c’est une bonne base pour aller gagner la coupe du Monde des palais royaux.
      Abdallah a l’air toujours en forme et on trouve facilement des photos récentes de lui. D’ailleurs en 2018, pour l’inauguration de la porte à son nom à Malaga, l’ambassadeur du Maroc etait présent, ainsi que Naybet.
      Il a coaché pas mal de clubs dans les 70′ et 80′, dont le Deportivo Alaves du jeune Valdano.

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  2. Chouette article, superbe iconographie où l’on voit un certain Alfredo.
    A part Larbi Ben Barek, je ne connaissais aucun joueur. L’équipe nationale du Maroc a existé dès 1955 ? quel match, quelle compo ?
    Je vois que l’affreux Bettache est cité. Que de souvenirs !
    Khia, tu es pour l’Espagne ou pour le Maroc ?

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      1. Fred
        Tu veux pas nous faire un truc sur Pahiño? Joueur spectaculaire et homme de convictions.

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    1. Mahjoub etait présent face à l’Espagne. Akesbi etait de l’aller à Casablanca mais absent au retour à Madrid. J’ignore pourquoi.
      Je suis pas un grand fan de cette Roja mais si elle doit perdre face à une équipe, autant que ce soit le Maroc. Le Maroc fait parti de mon histoire footballistique depuis le début. Ma passion de ce sport s’est construite avec un ami marocain, que j’ai toujours, presque 40 ans apres, qui m’a fait aimé cette sélection.
      Et franchement, entre la qualif d’une équipe que j’apprécie moyennement et un exploit historique pour un pays, la deuxième éventualité est quand même plus sympa.
      Mais bon, allez l’Espagne!

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  3. Merci Khia et superbe ton article Khia et très belles photos de l’époque. Bel découverte de Ben Barek homonyme de la Perle Noire. 1962 et les qualifications pour la coupe du monde : où l’on se rend compte de la difficulté et du mérite d’une équipe africaine pour y accéder. Après avoir passé les qualifications en zone Afrique (Tunisie et Ghana) il fallait pour le Maroc encore un barrage avec une équipe européenne première de son groupe ( le fameux groupe Europe/Afrique). Barrage perdu contre l’Espagne.

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  4. Merci Khia. Superbe ton article et très belles photos de l’époque. Belle découverte de Ben Barek homonyme de la Perle Noire. 1962 et les qualifications pour la coupe du monde : où l’on se rend compte de la difficulté et du mérite d’une équipe africaine pour y accéder. Après avoir passé les qualifications en zone Afrique (Tunisie et Ghana) il fallait pour le Maroc encore un barrage avec une équipe européenne première de son groupe ( le fameux groupe Europe/Afrique). Barrage perdu contre l’Espagne.

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    1. Nana
      Oui, d’ailleurs les Africains refusent de jouer les qualifs du mondial 66 puisque la FIFA n’octroyait qu’une place pour l’Asie, l’Océanie et l’Afrique!
      Finalement, ça se jouera uniquement entre la Coree du Nord et l’Australie. Les Coréens débutent leur épopée de 1966.

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  5. Timoumi transféré au Real Murcia après une excellente Coupe du monde au Mexique en 1986, ne s’acclimata jamais à la Liga et son passage se révéla un grand échec (à l’inverse de Zaki à Mallorca).

    Il avouera plus tard: « Malaga m’a déconseillé de jouer en Espagne. Il m’a dit que mon style de jeu plutôt brésilien ne peut s’adapter à un tel championnat. »

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  6. Merci Khia pour cet hommage au moins connu des Ben Barek. Il a joué à Grenade et Malaga en réussissant à se faire aimer dans deux villes et deux clubs dont la rivalité a régulièrement dépassé les limites dans le passé. Parmi ses pérégrinations andalouses, citons également brièvement Almeria, qu’il a entrainé dans les 70es, nous en reparlerons ici-même dans quelques semaines.

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    1. D’ailleurs, Ben Barek racontait que lors de la montée de Grenade en 58, ils perdent le dernier match de la saison face à Malaga. Ce qui déclenche la colère des fans de Grenade qui les insultent à leur retour. Avant de se ressaisir et de feter la promotion.

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  7. Il y eut un autre Marocain nommé Ben Barek. Son nom complet était:
    Mustapha Ben M’Barek, né le 3 mai 1926 à Casablanca

    « Il est sélectionné une fois en équipe de France en 1950 alors qu’il est sociétaire des Girondins de Bordeaux. Cette unique sélection date du 4 juin 1950 face à la Belgique en match amical joué au Stade du Heysel à Bruxelles (défaite 4-1 des Bleus).

    En club, il évolue au Wydad AC au Maroc puis aux Girondins de Bordeaux (1946-1951), à l’AS Troyes (1951-1952), au Racing club de France (1952-1954) et au CA Paris (1954-1955). Il est champion de France en 1950 (33 matchs joués sur 34 lors de la saison 1949-50) avec les Girondins.

    Ce joueur est souvent répertorié par les sources au nom de « Mustapha » et pas de « Ben M’Barek ». Cet usage est mis en place dès la fin des années 1940 afin d’éviter la confusion avec Larbi Benbarek, dont le nom complet était Abdelkader Larbi Ben M’barek. »

    N’ayant trouvé nulle part une date de décès, il aurait donc 96 ans et ça serait lui à la fois le doyen des champions de France et le doyen des Bleus et non Dominique Colonna comme le prétend So Foot.

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    1. C’est le même cas de figure que Mohammed Abderrazack alors. Qui fut le 2eme marocain apres Larbi à jouer en Liga. Au debut des 50′ avec Murcia. Comme Timoumi. Le premier africain à jouer au Mexique et champion de France avec Nice.
      Mohammed Abderrazack a disparu dans la nature vers la fin des années 60 et son retour au Maroc. Personne ne sait ce qu’il s’est passé.

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      1. Oui j’avais vu son nom en postant mes photos d’équipes lors du top 1000. Il aurait 97 ans. Possible mais peu probable.

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  8. Wikipedia:
    « L’équipe du Maroc de football qui venait juste d’être créée participa cette année aux jeux panarabes de 1957 et réussit à atteindre la place de quatrième après un forfait face au Liban pour la troisième place. »

    Premier match de leur histoire: Maroc-Irak, 18 octobre 1957. J’ai pas la compo.

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