(Rappel des faits : Le 14 février 2016, et bien que l’action eût dû aboutir en trois temps via le Brésilien Neymar, l’Uruguayen Suarez court-circuitait victorieusement un pénalty joué indirectement par leur équipier catalan Lionel Messi… Si ce coup médiatique raviverait aussitôt celui fallacieusement réussi par les Ajacides Olsen et Cruyff en 1982, voire celui piteusement raté par deux Gunners en 2005 : ce sont aussi d’autres précédents que, ce-faisant et bien malgré elle, l’incorrigible fabrique des idiots n’allait pas tarder à ressusciter…)

« Le jazz n’est pas mort
c’est juste qu’il a une drôle d’odeur. »
(Frank Zappa)
Relayant des images qu’avait dix ans plus tôt livrées la télévision belge, dans la foulée de la vaine tentative gunner de 2005, l’un ou l’autre internautes rappelleraient en effet bien vite, sur les sites online des susmentionnés médias, que ce geste « inventé en 1982 par (Olsen et) Cruyff », « premier à avoir maîtrisé l’art de cet astucieux penalty », avait bien plutôt été exécuté dès 1957 par les internationaux belges Coppens et Popeye Piters…
Et si, dans le chef du second nommé, il s’était de fait agi d’une frémissante première – Pitters, voire dans une moindre mesure Suarez, semble être le seul des quelque 40 joueurs (!) qui s’y sont frottés à ne l’avoir au préalable répété – : il en allait par contre tout autrement pour le dénommé Coppens, lequel, bien avant la variante refusée un mois plus tôt aux Nord-Irlandais Blanchflower et McIlroy, l‘avait de longue date popularisé avec son acolyte Huysmans, sous les couleurs du Beerschot.

Le plus sensationnel toutefois, et que ne releva hélas aucun de ces estimables passionnés, reste pourtant que, contrairement à ce que pourrait suggérer ce long demi-siècle durant lequel il sembla relégué à d’obscures archives, le geste de Coppens avait bien plutôt été évoqué, déjà et abondamment, par la presse néerlandaise dès 1982, et plus précisément dans la semaine même de sa consciencieuse reproduction par Johan Cruyff et Jesper Olsen…
Toujours aux Pays-Bas, cette même année 1982 avait par ailleurs vu la parution dudit Spel om de bal : version néerlandaise du cultissime Soccer Tribe que l’excentrique éthologue Desmond Morris avait publié un an plus tôt, et que le poète et chroniqueur néerlandais Nico Scheepmaker agrémenta, dans sa très libérale traduction, de passages entiers exclusivement consacrés au football néerlandais – parmi lesquels, à la page 145, le natif d’Amsterdam livrait prophétiquement les clés de cet ancestral pénalty à deux :
« Ce qui est autorisé, et qui d’ailleurs se faisait autrefois bien qu’en pratique ce fût le plus souvent inefficace, consiste pour le tireur du pénalty à botter le ballon quelques mètres en diagonale vers l’avant, après quoi un équipier (qui doit toutefois veiller à ne pas démarrer trop tôt !) renvoie à son tour le cuir hors de portée du gardien, à sept mètres environ du but. De la sorte, on aboutit à une espèce de tir au but impliquant deux hommes, dont le second peut bien sûr décider de conclure lui-même l’action. Avec des gardiens volontiers intraitables aux pénaltys, comme l’est par exemple Piet Schrijvers, il peut être intéressant de s’y risquer. »
Une valse à deux temps

Didactique en diable, ce passage était remarquable pour trois raisons. Tout d’abord, il suggérait qu’aux tout débuts du football, il avait été courant qu’un pénalty soit tiré en deux temps…ou « en trois temps! », ainsi que le Belge Coppens tiendrait fort raisonnablement à qualifier ses plus complexes combinaisons des années 1950. Scheepmaker, quoi qu’il en soit et pour illustrer son propos, évoquait ensuite les Néerlandais Bas Paauwe et Gerard Kuppen, lesquels, lors d’un derby contre le Sparta le 4 mai 1944, avaient eu recours à une technique voisine sur l’ancienne pelouse de Feyenoord : anticipant Blanchflower, et plutôt que de tirer directement au but, Paauwe avait en effet décalé le cuir vers son équipier Kuppen, lequel, tel McIlroy treize ans plus tard, avait alors directement conclu hors de portée du gardien…
Du reste, au plus fort de l’effervescence cruyffiste qui déjà exacerbait « le moment de génie de Johan Cruyff », l’un ou l’autre journalistes avaient-ils eux aussi, et non moins spontanément, tenu à raviver le geste de ces lointains joueurs, tel le très réactif Hans Reismann lequel, le 6 décembre et parmi les pages sportives de ce qui avait été le plus grand quotidien des Pays-Bas, tiendrait en vain à ramener un brin de bon sens dans les affaires footballistiques du pays :
« Du jamais vu? Ne me faites pas rire », se sont de conserve étranglé les Rotterdamois de l’ancienne génération, en découvrant les louanges chantées par les chroniqueurs de Langs de Lijn puis de Studio Sport pour traiter de l’étrange pénalty converti par Cruyff contre Helmond, et que n’atténua pas même celui en tous points identiques que venait pourtant d’inscrire Mark Smeets, lors de la rencontre opposant le Velox au DOS d’Utrecht… »
Puis Reismann précisait : « Un lecteur se souvient : « Monsieur, j’ai vu Jan Lissen profiter d’un penalty comme celui-là avant la guerre! » Ce que confirma aussitôt le principal intéressé, bien qu’il tînt à préciser que ce n’était pas lui, mais son équipier Gerard Kuppen qui avait inscrit ce pénalty : « C’est arrivé lors d’un Feyenoord-Sparta que nous disputâmes sur la Dordtsestraatweg, dans le cadre me semble-t-il de cette compétition d’été, qu’organisaient entre eux les clubs de la région au terme de la saison. Et c’est Bas Paauwe qui avait le premier frappé dans le ballon, avant que Gerard ne l’envoyât enfin au fond des filets. »
Une valse à trois temps

Aux antipodes de tout le vomi hystérique produit 72 ans plus tard, lors de son involontaire reproduction par les Barcelonais Suarez et Messi, ce geste daté de 1944 avait pourtant été traité avec une légèreté telle, parmi les comptes-rendus néerlandais du mitan de ce siècle, que le plus probable reste encore qu’aient alors coexisté d’autres « Paauwe-Kuppen », voire que l’auront ici ou là précédé d’autres versions en deux temps, ainsi que le suggère d’ailleurs une évocation (hélas non documentée) le faisant remonter au moins jusqu’à 1937, soit une pleine génération avant les premières traces attestées de pénaltys à trois temps dans l’Histoire du ballon rond.
Et pourtant, parmi les pages prudemment ajoutées en 1981 pour aguicher ses compatriotes, c’est bel et bien le pénalty en trois temps que Scheepmaker identifiait comme pattern, tandis que celui à deux n’en fût rien plus qu’une variante, qui procédât du court-circuitage parfois de l’action – que celui-ci fût convenu, tel qu’en 1957 dans le chef de McIlroy, ou qu’il fût inopiné comme en 2016, quand l’avait raccourci l’ingénu Suarez.
Loin la spontanéité de l’Uruguayen, et loin même celle du Liégeois Popeye Piters, qui jura toujours ses grands dieux ne s’y être jamais frotté jusqu’au 5 juin 1957, c’est quoi qu’il en soit de manière préméditée et au terme de plusieurs séances d’entraînements (entreprises dès septembre selon Cruyff, mais bien plutôt en novembre selon Olsen), que les Ajacides exécutèrent à l’hiver 1982 leur pénalty en trois temps – soit une poignée de mois, à peine, après la sortie en mars du susmentionné et prophétique Spel om de Bal… Et pour autant, peut-on forcément conclure que c’est à la lecture de ce livre, qu’aura fini par germer l’idée du coup monté au sein du duo?
L’exception
Dans le messianisme cruyffiste naissant, la dialectique à l’oeuvre n’a jamais vraiment varié d’un iota : ses nègres et ses réseaux brodaient, sans la moindre limite posée à l’usurpation ni à l’invraisemblable…tandis que lui, tel un sphinx, laissa toujours dire et croire à compter du mitan des années 1970, sans plus jamais juger bon de devoir y apporter le moindre démenti. Aussi ne pourra-t-on jamais affirmer avec certitude, faute qu’il daignât un jour répondre à ces questions, si le principal intéressé avait été informé ou non de ces nombreux précédents. Mais au moins dispose-t-on de ses impressions, au soir du pénalty combiné avec Olsen : « On a tenté ça pour plaisanter à l’entraînement, et à dire vrai on aurait aimé pouvoir le faire plus tôt. C’est agréable pour le public d’avoir à nouveau un sujet de conversation, surtout maintenant que la trêve hivernale approche. Bien sûr, il faut d’abord que l’occasion se présente. Et pour le reste, la réussite d’un pénalty dépend du match, du score et de la confiance en soi. »

Qu’importassent le score, la dynamique de la rencontre ou son état psychique, la vérité pourtant est que Cruyff fut constamment médiocre dans l’exercice, et qu’il jugea par conséquent toujours plus prudent de s’y refuser. Quoique régulièrement gavé de fortifiants de toutes sortes, et bien que ses pieds eussent été rectifiés dès ses débuts en espérant qu’il y gagnât aussi en puissance, les uniques tentatives qu’on lui connaisse auront ainsi consisté en un pénalty certes transformé au printemps 1977, contre Séville, mais plus encore en un raté fatidique une semaine plus tard à Burgos, en ce qui techniquement fut en 1982 un raté entaché d’une position de hors-jeu à Helmond, et enfin en cet ultime essai piteusement hasardé avec Feyenoord, à l’été 1983, qui sur la pelouse de la Roma vit le ballon se perdre prévisiblement dans les tribunes, comme était hélas de coutume durant ses séances d’entraînement.

Aussi comprend-on mieux que le cruyffisme se fût tant employé à salir un exercice que Cruyff, faute de mieux, disait depuis des années mépriser… Mais c’est alors une nouvelle énigme qui s’impose, car sa nullité dans l’exercice étant de longue date consommée : pourquoi dès lors, dans cette froide après-midi de décembre 1982, avoir soudainement pris le risque de s’y frotter – fût-ce à la conclusion d’une action dont tout le poids reposât sur le jeune Olsen, et qui l’esseulerait aussi prudemment que possible face au but vide?
Au soir même de ce pénalty de toutes les faveurs, et après avoir d’emblée cédé, revanchard, à ses pulsions narcissiques (« Je garde encore deux-trois tours de cet acabit dans mon sac, mais il va sans dire que vous n’en saurez rien »), Cruyff se confessait déjà au micro de son ami et client, le journaliste corrompu et confident alcoolique Jean Nelissen : « Je suis content d’avoir pu lever les doutes que beaucoup de personnes gardaient à mon endroit, depuis mon come-back. Ce match me donne le sentiment du devoir accompli. (…) Dieu merci je retrouve enfin la forme, mais le chemin reste encore long. »
A cette déclaration peu commune dans son chef, et loin le panurgique panégyrique qui désormais prévaut dès qu’est question de son retour au pays, alors à son plus bas historique, l’on comprend qu’il fallait à Cruyff un coup médiatique pour lancer enfin une saison où il ne s’était jusqu’alors que traîné, qu’il ne disputa qu’épisodiquement dans la peau d’un titulaire, et au terme de laquelle il ne finirait que huitième meilleur buteur de son club, statistiquement coincé entre le back droit Ophof et le déjà ventripotent Jan Mœlby…

« J’avais déjà la tête tournée vers mes vacances, alors j’ai pensé que ce serait drôle de tirer un pénalty comme celui-là », s’empresserait-il toutefois de préciser, soudain goguenard et comme s’il fallait encore entretenir de faux airs dilettantes… Puis il partit en effet, tandis que son associé d’un soir devrait attendre plus de trente ans encore avant de pouvoir livrer enfin sa propre version : « L’idée est venue une ou deux semaines avant le match. Nous l’avions essayée plusieurs fois à l’entraînement, et puis nous n’en avons plus du tout parlé. C’est alors que l’arbitre nous accorda ce pénalty contre Helmond, et que Cruyff m’indiqua qu’il voulait l’effectuer sur le champ. »
Un quart de siècle plus tôt à Bruxelles, et quoique dans son chef rien n’avait été prémédité, son prédécesseur flamand n’avait à dire vrai pas procédé autrement : « Ce fut ma décision. Notre avance au score était confortable, et il ne pouvait plus rien nous arriver. Alors je voulus essayer quelque chose de spécial, pour le public. J’étais un showman, et j’adorais me montrer créatif. C’était tout à fait normal pour moi de me livrer à ce genre de facéties. »
Et si de fait le public apprécia, après avoir d’emblée sifflé des Diables trop peu dominants à son goût, il en fut tout autrement pour la Fédération belge qui, fidèle aussi à ses mauvaises habitudes, et échaudée par cette fantaisie de trop, préféra snober la superstar Coppens pour le match suivant.
« Le botté de pénaltys », dira-t-il des années plus tard bien qu’il eût toujours coutume de replacer le cuir quatre à cinq fois avant de tirer, « est un art des plus simples. Mais c’est l’affaire des joueurs techniques. Et pour ma part je n’ai jamais ressenti le besoin de m’y exercer, ils sont si simples… Je ne comprends pas qu’on puisse rater un pénalty. »
Une valse à mille temps

Coppens, il est vrai, n’était pas n’importe qui. Et c’est donc sans surprise si sa combinaison face à l’Islande avait été relayée par la presse internationale, ainsi qu’en atteste parmi d’autres l’archive ci-contre, extraite du fort roide quotidien néerlandais Haarlem‘s Dagblad lequel, quoique altier doyen de la presse européenne et réputé pour son entière aversion des futilités (en 1912, ses éditeurs avaient jugé « indigne d’intérêt » le naufrage du Titanic!), ferait pourtant état de ce septième but inscrit par Coppens sur coup de pied arrêté, au terme d’une astucieuse « combinaison avec Piters »… Dans cette édition du jeudi 6 juin 1957, pourtant marqué la veille d‘un combien plus prestigieux Argentine-Uruguay : c’est d’ailleurs cette peu emballante perspective de Belges affrontant d’aimables sparing-partners islandais qui, étrangement, avait été le seul événement sportif international à avoir trouvé grâce aux yeux du très sérieux et exigeant éditoriat.
C’est que la vérité au fond est des plus triviales, qui en 1957 puis dans une moindre mesure en 1982 excluait tout bonnement que la presse néerlandaise ne mentionnât du tout l’action de Coppens, tant footballs et sociétés belges et néerlandais, quoique extrêmement divers et pour tout dire inconciliables, restaient alors des plus poreux qui aient jamais existé…
Procédant moins d’un banal voisinage, de l’intimité linguistique ou d’une furtive Histoire commune entre 1815 et 1830, que d’une hache de guerre géopolitique fraîchement enterrée au début du siècle : cette absolue omniscience de l’un à l’autre touchait deux fois par an à son paroxysme dans le cadre très passionnel et parfois belliqueux du « derby des plats pays », lequel, pendant plus d’un demi-siècle et implacablement, verrait s’opposer à Rotterdam ou à Anvers les fines fleurs des pelouses belges et néerlandaises…

Sans équivalent planétaire, sinon aux non moins rituels affrontements Uruguay-Argentine, Autriche-Hongrie et Ecosse-Angleterre, l’événement était à ce point majeur, de l’actualité sportive comme politique de ces nations voisines, que la presse spécialisée des deux pays prêtait quotidiennement attention au football adverse, scrutant de semaine en semaine l’état de forme de ses vedettes (Lenstra et Wilkes aux Pays-Bas, et les prétendument incompatibles Mermans et Coppens pour la Belgique) ; finissant toujours, méthodiquement, par rapporter et décrypter dans le moindre détail le moindre match livré par le voisin…et en espionnant quelques-fois même les entraînements (ce qui incidemment, en 1973, donnerait d’ailleurs lieu à une ruse inouïe dans le chef des Néerlandais)!
Ce match de 1957 ayant par ailleurs été disputé dans un groupe qualificatif impliquant la France bientôt glorieuse des Kopa et Fontaine, à l’heure où celle-ci entretenait des liens plus étroits que jamais avec le football belge (rival traditionnel, alors, du français), c’est donc fort probablement que l’on retrouverait aussi, parmi les archives hexagonales, d’articles traitant du malicieux geste du joueur anversois… Et ce à plus forte raison que, depuis plusieurs années : Coppens était alors et tout bonnement tenu pour l’une des figures les plus remarquables du football européen.

Au terme de la Coupe du Monde 1954 où pourtant, amateurisme et faiblesse du noyau belges obligent, il ne disputa que deux rencontres ; et bien qu’il n’avait eu, sur le plan de l’engagement physique et outre son talent, que la pugnacité acquise sur les pavés à opposer dans un tournoi empreint de l’un ou l’autre dopages systémiques : Coppens s’était-il ainsi vu décerner ni plus ni moins, par les influents journalistes de L’Equipe, que le titre honorifique de « meilleur attaquant » de la compétition.
Dans les semaines qui suivraient, et après avoir conforté son aura internationale en humiliant l’Allemand Liebrich, meilleur défenseur officiel de la Coupe du Monde helvète (et tourmenteur attitré de Puskas – titre de la presse anversoise : « Coppens venge Puskas! »), lors d’une victoire 2-0 contre les tout frais Champions du Monde allemands, ce fut alors la presse italienne qui, annonçant prématurément son transfert au Napoli, ferait sa une sportive comme suit : « Le meilleur joueur du Monde débarque dans le Calcio »!
Quelques mois plus tard, et son bon souvenir ayant été rappelé, à l’appétit des grands clubs transalpins, par la grâce d‘un amical où il avait cette fois martyrisé la défense italienne : la presse milanaise annoncerait enfin, quoique toujours prématurément, le transfert imminent dans la Botte du « meilleur médian (sic) au Monde »…
Certes ces dithyrambes pourraient-ils paraître sensationnalistes, si l’admiration que témoignèrent alors ses pairs pour Coppens ne laissait tout au plus, avec le recul, qu’à en déplorer le fort européocentrisme… Et ainsi donc de Stanley Matthews, premier Ballon d’Or de l’Histoire et s’exclamant, au terme de leur légendaire affrontement mondial au Parc Saint-Jacques, en 1954, avoir affronté « un extraterrestre »!

Ou, plus parlant : du « Roi » Pelé en personne qui, le 31 mai 1960, après que Santos eut écrasé le Beerschot par 1 but à 10, et sans avoir le moindre mot pour la pâle prestation de la vieillissante star néerlandaise Faas Wilkes (lequel, ami de Coppens et modèle revendiqué plus tard par Cruyff, était venu renforcer les rangs anversois pour l‘occasion), s’empressa de demander aux journalistes quel était ce « phénomène » qui, des six mètres et après un sombrero au-dessus d’un adversaire, avait sauvé l’honneur des siens d’un somptueux ciseau dans la lucarne de Laercio…
Bien que le résultat – victoire ou défaite – ne l’obsédât jamais (ce qu’il paya d’ailleurs de sa carrière internationale, en 1959), mais pour une fois soucieux de laver l’affront : c’est un Coppens survolté qui, presqu’aussitôt et sublimant une sélection anversoise musclée pour l’occasion, arracherait un spectaculaire match nul à la bande des Pelé et Coutinho.
Loin toutefois d’avoir été le plus beau de ses quelque 300 buts, et si le plus illustre, avec le temps, deviendra sans doute celui inscrit le 5 juin 1957, le chef-d’œuvre de Coppens avait-il plutôt été réalisé en 1952, lors d’un derby au sommet au cours duquel il était parvenu à loger, d’instinct et sur la neige, un invraisemblable coup du scorpion dans la lucarne opposée du gardien de l’Antwerp! Joueur moins élégant qu’insolemment doué et créatif, qui avait gardé de la pratique du hockey sur glace une position arquée rendant à peu près impossible de lui confisquer le cuir, c’est encore en précurseur qu’il inscrirait un jour, de la main, un but que la presse sportive belge désignerait aussitôt comme suit : « la…main de Dieu »!

« Roi du Kiel » (du nom du stade du Beerschot), « Pelé belge » bien avant que la presse française n’en gratifiât Van Himst, « Paganini du rectangle vert » à ses 18 ans, international à 17, et meilleur buteur européen en 1953 puis 1955, puis buteur encore à Amsterdam avec la sélection mondiale 1953 : Coppens toutefois ne fut jamais autorisé par ses dirigeants à donner suite aux cours frénétiques du FC Barcelone, de l’Inter et de l’AC Milan ; lui dont le talent avait contraint le board anversois à ajouter trois rangées de sièges à leur stade de 28.000 places pour satisfaire d’un peu à la demande, et dont certain retour de blessure attira même, un soir, près de 10.000 fidèles à un entraînement…
A la question subséquente de savoir s’il n’était pas né trente ans trop tôt, Coppens répondrait d’ailleurs un jour, non sans philosophie : « Nous naissons tous trente ans trop tôt. (…) Chacun d’entre nous est le produit de son époque. (…) Dans les années 1950, nous étions pieds et poings liés à nos clubs ; la direction seule décidait de notre avenir. Quand le club disait « Non », c’était « Non ». Et basta. J’étais le poulain, l’attraction et l’aimant du public. Le moindre transfert était tout bonnement exclu. (…) »
« La seule solution eût été de déménager en Italie, d’accepter (sic!) la nationalité italienne, de passer une saison sans football, puis d’y effectuer mon service militaire. Mais alors je n’aurais plus jamais pu redevenir belge. Et de cela pour moi il n’était pas question.«

« Qui plus est, je n’avais pas à me plaindre au Beerschot. Je vivais comme un roi, je faisais ce que je voulais. J’ai dû attendre 1960 pour pouvoir quitter le club (NDLA : cela faisait un an que la fédération belge ne voulait plus entendre parler de lui), quand les dirigeants m’autorisèrent à partir à l’Espanyol de Barcelone. Sauf qu’à l’époque je n’en avais plus la moindre envie. »
Inhumé il y a dix ans, après un office qui mobilisa des milliers de fervents et jusqu’à la plus vaste cathédrale des « plats pays » (au sommet de laquelle un anonyme avait d’ailleurs accroché, de nuit et à 120 mètres, un maillot et un drapeau du Beerschot), le nom de Coppens sans doute ne dit-il plus grand-chose à grand-monde aujourd’hui…
La place réservée par les médias à ce qui fut « l’âge d’or du football », il est vrai, deviendrait avec le temps inverse de celle complaisamment prêtée au football, moins ludique et plus athlétique, des fort matérialistes et superficielles années 1970… Mais le fait surtout est que Coppens, à l’instar de tant de ses contemporains tombés aussi dans l‘oubli, appartenait à une race révolue d’hommes et de footballeurs que de profonds bouleversements, culturels comme sociétaux, ont entre-temps rendu à peu près impossible de se représenter…
Là par exemple où, dans le sillon profond de Cruyff, des Neymar ou Messi ne se résument plus guère qu’à de dociles et dépersonnalisés vecteurs d’un branding angéliste et mondialisé, fabriqué de toutes pièces et recyclant sans honte ni égards le passé aux seules fins d’un servile abrutissement de masse : l’anarchiste de droite Coppens au contraire, interrompant le jeu après avoir distingué, en tribune d’honneur, celui qui bientôt deviendrait le plus trouble et le plus populiste des politiciens belges de l’après-guerre, le désignerait avec défi du doigt, avant de décocher vers lui, en plein match et plein visage, un surréel missile depuis le rond central…

Joignant après-match la parole au geste, aujourd’hui inouï, quand il eut à répondre de son coup de sang contre le futur Premier-Ministre Vanden Boeynants (lequel, boucher de son état, s’était enrichi à la Libération grâce au monopole de la distribution de viande aux troupes américaines), Coppens déclarerait goguenard avoir « voulu faire comprendre, à Vanden Boeynants, la différence qu’il y a entre un ballon de football et une boulette de viande hachée »…
La moindre des vertus de Coppens, sans doute, n’est-elle point de nous rappeler que la réalité, si irrévérencieuse soit-elle, est bien souvent supérieure à la fiction… Dont en l’espèce à l’aimable fiction scénarisée en 1982 d’un Cruyff « révolutionnant le penalty », non moins qu’à celle 34 ans plus tard, mais combien piteuse, d’un Messi lui rendant « hommage » après avoir vainement tenté, déjà et par trois fois, de singer Maradona…
Quant à savoir si, en 1982 et puisque né en 1947, Cruyff pouvait vraiment ignorer Coppens, obsession première des médias de son enfance mais qu’au gré de ses milliers d’interviews il ne nomma jamais, et au nom duquel il refusa toujours de réagir, le mot de la fin nous semble pouvoir revenir à « l’Empereur de Herentals » Rik Van Looy – seul coureur de l’Histoire à avoir remporté l’ensemble des classiques, superstar mondiale du cyclisme des années 1950 et 1960, et qui, interrogé sur sa propre popularité alors aux « plats pays », répondrait toutefois avec une très appréciable humilité : « En Belgique et aux Pays-Bas, quand tu étais enfant dans ces années-là, tu ne rêvais que de deux choses : être Moulijn ou bien Coppens »…
(A suivre, dans le prochain épisode : un bateleur venu du froid)














Joueur tombé dans l’oubli..mais des images en reparaissent, de ci de là..
En voici donc quelques-unes, antérieures à sa fatale blessure de..1956, si je me rappelle bien?? Une blessure musculaire après laquelle il ne fut plus jamais vraiment le même.
Le voici donc dans ses oeuvres lors des éliminatoires de la WC54, face à la Suède……. C’était pas n’importe quoi, la Suède à l’époque, leur âge d’or et peut-être bien la nation européenne la plus régulière de son temps (3èmes puis 2èmes des WCs 50 et 58 ; vainqueur des JO48 puis 3èmes en 52)! Ils ne ratèrent que le tournoi de 54..et la faute en revint essentiellement à Coppens, lequel leur marcha littéralement dessus, à l’aller comme au retour :
https://www.youtube.com/watch?v=d9yR0AZhVAE
Face à la RFA, quelques mois après qu’elle fut sacrée en Suisse : Coppens porte le N°9, Lemberechts (dont on a beaucoup parlé) le 7.
https://www.youtube.com/watch?v=1vqJcxI6SyY
Dribble et protection du cuir :
https://youtu.be/v5GwxnbJ5XY?t=42
J’adore cette vidéo parce que, allez quoi.. A 0:56, ceux qui ont réalisé ce reportage se sont trompés de Coppens, lol : c’est celui de Malines qu’on voit être fleuri par sa fille!!!
Faut pas trop demander..
Pour témoigner de sa qualité de frappe à distance, face à l’Italie : https://www.youtube.com/watch?v=fZXQ9X1Am1Y&t=91s
Quelques images extraites du 4-4 face à l’Angleterre, lors de la WC54 : https://youtu.be/hzArC6qQSkc?t=3497
La source de ces images : le documentaire ultime sur Coppens (toujours porteur du 9)…..mais n’existe pas en français.