Littéralement : des gonzesses, des basanés et des pédés… Quand vint le temps de choisir un titre à son autobiographie en 2002, Johnny Warren, membre de la sélection australienne au Mondial 1974, ne fit pas dans la dentelle. Lui qui avait accompagné la laborieuse et anonyme ascension de son sport au sein du pays-continent, se souvenait parfaitement des railleries, voire du profond dédain que suscitaient les rares dépêches sur le soccer 40 ans auparavant. Sport de gringalets efféminés pour les hérauts du rugby à XIII ou de l’Australian Rules Football, passe-temps favori de ces hordes d’envahisseurs frisés venus souiller de leurs pas crasseux l’empreinte civilisatrice que les Anglo-Saxons avaient patiemment fait germer sur cette terre inhospitalière… L’histoire n’étant jamais avare d’ironie, il est néanmoins un épisode méconnu de ces virilistes en tout genre, où les futurs Socceroos furent largués au plus près des flammes. Bien malgré eux… En 1967, dans une cité qui faisait alors la une de tous les quotidiens du Monde et que l’on n’appelait pas encore Hô Chi Minh-Ville…

« Tu vois mon derrière dans la glace ? – Oui. Tu la trouves jolie ma diplomatie ? – Oui, très… »
Isolée depuis ses premiers cris de la grande famille du pied-ballon, l’Australie se voit carrément bannie du cirque de la FIFA de 1960 à 1963 pour avoir débauché des joueurs européens sans avoir réglé de transfert. La sanction enfin levée, le retour aux affaires s’avère douloureux puisqu’elle est laminée par des Nord-Coréens inconnus qui deviendront par la suite les chouchous de la ville de Middlesbrough lors du Mondial 1966. Un an après le sacre de Charlton et alors que le conflit au Vietnam fait rage, le gouvernement d’Harold Holt, un libéral proche de Lyndon B.Jonhson, invite la sélection australienne à s’envoler pour Saïgon afin de participer à la Coupe de l’Indépendance du Sud-Vietnam et ainsi rendre le sourire aux quelques 4 000 militaires aussies présents sur place. Quoi de plus normal pour un Premier ministre ayant un jour déclaré : « All the way with LBJ ! »
Le tournoi existe depuis 1961 mais accueille pour la première fois des participants non-asatiques, en l’occurrence la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Les États-Unis ayant pris soin de rester à l’écart, on retrouve la majorité de ses alliés dans la région : Malaisie, Thaïlande, Corée du Sud, Singapour ou Hong Kong. Notons toutefois l’absence des mastodontes géopolitiques que sont le Japon, l’Indonésie ou Taïwan pour des raisons riches et variées. C’est donc sur fond de la bataille de Dak Tó, ayant coûté la vie à 376 soldats américains, que débute la compétition le 4 novembre 1967. L’équipe australienne est composée d’amateurs, tailleurs, employés municipaux ou bouchers, qui ont pour la plupart l’âge d’être conscrits. Ils sont enthousiastes mais un brin naïfs comme l’admettra Ray Baartz : « Nous ne savions vraiment pas à quoi nous attendre. Nous savions qu’une guerre faisait rage là-bas, mais nous n’avions pas l’impression d’entrer dans une zone de guerre. Une fois sur place, ce fut une véritable révélation. »
Dès leur arrivée à Saïgon, les joueurs sont conviés à une réunion d’information à l’ambassade où on leur expose sans fard les dangers à venir : « Méfiez-vous des cyclistes car ils peuvent être une menace. Ils pourraient vous prendre pour un Américain ou un soldat, vous attaquer et vous tirer dessus. » Conseil avisé mais difficile à tenir quand vous croisez des milliers et milliers de vélos par jour… Des coups de feu déchirent régulièrement le silence de la cité en apnée. Si les oreilles finissent par s’habituer à ces bourdonnements stridents, les muscles et le cœur sont contractés comme jamais…

Fraternité, fraternité chérie…
Le 5 novembre 1967, l’Australie débute sa compétition face à son voisin de la Nouvelle-Zélande. Un voisin qui vit des tensions similaires. Les Aussies gagnent 5-3 mais les deux belligérants sont plus préoccupés à échanger sur leurs conditions d’accueil que sur le résultat final… Hébergés à l’hôtel Caravelle, une des perles d’avant-guerre, qui abritait également l’ambassade et quelques soldats, ils découvrent un lieu délabré, à la nourriture rance et sont bien proches de perdre pour de bon l’infortuné Stan Ackerley, un ancien de Manchester United, qui s’électrocute avec un ventilateur !
La sélection australienne se noue d’amitié avec leurs compatriotes soldats, des jeunes hommes endurcis par le front, qui, bien que néophytes en football, vont devenir leurs premiers supporteurs. Ray Richards se souvient : « Nous sommes allés à la caserne de l’armée australienne, qu’ils appelaient le Canberra. C’était un grand bâtiment en béton avec des tables de ping-pong et de billard et on y mangeait des hamburgers et de la bière. À l’extérieur du Canberra, il y avait des bunkers ensablés avec deux soldats armés de fusils. Ils avaient des sifflets et si quelqu’un s’arrêtait dans la rue, ils sifflaient. Si la personne ne bougeait pas, ils pouvaient tirer un coup de semonce au-dessus de sa tête. S’il persistait, ils pouvaient ouvrir le feu. »
Entre menace d’attentat du Viet Cong à l’intérieur de l’hôtel et impossibilité de s’entraîner à proximité pour cause de terrains minés, la seconde rencontre face au Sud-Vietnam s’annonce tendue. Les Australiens n’ont jamais joué devant une telle affluence et, menant 1-0 à la pause, ont la surprise de recevoir la visite du vice-président sud-vietnamien Nguyen Cao Ky qui leurs offre une prime de six mois de salaire afin de truquer le match ! Ayant refusé ses avances, la sortie du stadium est un traquenard. Les compagnons de Baartz sont piégés une heure durant dans les vestiaires, leur bus est caillassé à de multiples reprises sur le chemin du retour. Un souvenir noyé dans l’inconscient pour Warren qu’il décrira ainsi dans son autobiographie : « Je ne me souviens pas très bien d’avoir marqué le but de la victoire, mais je me souviens du silence de mort qui l’a accueilli. Le stade était plein, mais pas un bruit ! J’ai dû regarder l’arbitre pour vérifier que le but n’avait pas été refusé. »

Un exploit snobé
S’étant défait par la suite de Singapour et de la Malaisie en demi-finale, rencontre occasionnant une bagarre générale arrosée de gaz lacrymogènes, l’Australie affronte la Corée du Sud lors de la finale de la compétition. John Barclay, le coach, tente de remobiliser une troupe épuisée et jure qu’ils pourront repartir avec leurs équipements en cas de victoire ! Pas la moindre des promesses pour ces footeux fauchés… Toutefois, à l’heure de fouler la pelouse, les Australiens sont invisibles. Ils viennent d’apprendre que leurs compatriotes soldats sont bloqués à l’entrée du stade et il faudra des trésors de diplomatie pour que ces derniers soient finalement acceptés dans la cage aux fauves…
A leur grand étonnement, alors qu’ils pensaient être conspués par le public vietnamien à la suite du match de poule, ils sont bien au contraire encouragés chaleureusement par tout le stade. Visiblement, la Corée du Sud ne fait pas l’unanimité du côté de Saïgon… Sur un terrain impraticable et une chaleur de tous les diables, l’Australie s’impose 3-2 et remporte ainsi son premier trophée international sur un but décisif de Johnny Warren. Un trophée et une nuit de liesse qu’ils s’empresseront de partager avec leurs bidasses préférés. La victoire de la pugnacité selon Baartz : « C’était un terrain boueux. Alors, quand on joue dans cette chaleur et cette humidité, sur un terrain aussi lourd, et sans une alimentation équilibrée, ça se ressent forcément. C’était un bon match, un match difficile. »

Les Australiens quittent Saïgon dès le lendemain pour poursuivre leur tournée en Indonésie. Leur succès passe complètement inaperçu au pays. Un pays qui subit de plein fouet le choc de la mort d’Harold Holt par noyade quelques jours après leur retour, tandis qu’au Vietnam, l’offensive du Têt, en janvier 1968, marque une étape décisive vers la victoire des communistes du Nord… Ces journaliers du football, qui galéraient pour obtenir un congé de la part de leurs employeurs, se servirent néanmoins de cet épisode pour se forger une identité forte. Ils surmontèrent le douloureux échec des qualifications pour le Mondial 1970 et participèrent à la grande messe footballistique quatre ans plus tard. En Allemagne, parmi les heureux élus, ils étaient huit à avoir connu l’hôtel Caravelle…
Un sujet encore plus surprenant que le précédent!
Je ne sais pas d’où t’est venu d’aller chercher un sujet pareil, mais c’est très intéressant, bien vu.
Je ne sais pas si il fait parti des joueurs etrangers ayant causé la suspension de l’Australie pendant quelques années mais le Néerlandais Sjel de Bruyckere joua pour eux à la fin des années 50.
Ah, zut : tu as anticipé une question que j’allais te poser, car il y a ce passage :
« l’Australie se voit carrément bannie du cirque de la FIFA de 1960 à 1963 pour son goût immodéré de l’utilisation de joueurs étrangers au sein de ses compositions »
Ce qui m’interpelle, c’est qu’après 63 il y eut encore et encore des joueurs étrangers en sélection Soceroos, non??
Dans la foulée de ma première lecture hier soir, j’étais tombé sur la sélection pour cette tournée de 67, en espérant (mais perdu!) y retrouver un nom que j’allais évoquer bientôt. La voici :
Attila Abonyi
Stan Ackerley
Ray Baartz
Ron Corry
Ted De Lyster
George Keith
Ray Lloyd
Tommy McColl
Frank Micic
Ray Richards
Roger Romanowicz
Manfred Schaefer
Billy Vojtek
Johnny Warren
John Watkiss
Alan Westwater
Gary Wilkins
Déjà, détail amusant : les noms de famille de ne sont pas « australisés », restent dans leur jus exogène. Tu vois ce que je veux dire, Cf. l’un des délires identitaires d’un Zemmour?
Et ça a ceci de pratique qu’on devine facilement qui vient d’ou : le Hongrois Abonyi, le NL De Lyster donc, l’Allemand Schaefer, le Croate Micic…………
Tous ceux-ci naissent hors du territoire australien, y débarquent parfois fort tardivement……….et cependant on les retrouve en équipe nationale australienne après 63, bref : pourquoi la FIFA leva-t-elle son bannissement? Qu’est-ce qui distinguait les deux situations? Pour le peu que j’en vois, il est même douteux qu’ils fussent tous naturalisés en 67, c’est bizarre.
NB : le joueur dont j’espérais retrouver le nom : l’Anglais Adrian Alston.
J’ai certainement déjà lu son nom sur des compositions d’équipes, mais sinon cela ce Sjel de Bruyckere ne me disait rien.
Son nom de famille sonne peu NL et fort belge! De fait : natif du bled où se trouve Efteling, un Brabançon. Je lis qu’il était doué. JE ne saurais répondre à ta question.
Avant lui, il y eut aussi un certain Van Hoboken, encore un nom plus belge que NL (Hoboken est un quartier du grand Anvers).
Tiens, une video qui explique les causes du bannissement. Plus que les joueurs étrangers en sélection, ce que j’avais lu, la video explique que la cause du bannissement serait du au refus des clubs australiens de payer un transfert aux clubs européens sous prétexte que la venue de certains joueurs n’etait sportive mais une simple immigration dans le pays.
https://youtu.be/999CJGjaoRA?feature=shared
Les Australiens ont un hall of fame et Sjel de Bruyckere fait parti de la première cuvée. Donc c’est clairement un type important dans leur histoire.
Et sinon, un bout de texte sur la compo de l’Australie face à la Corée du Nord en 65 lors des qualifications pour le mondial anglais. Qui affirme pas que tous les sélectionnés étaient australiens.
« L’équipe australienne, composée de 20 joueurs, était en grande partie composée d’immigrés : 7 Écossais, 5 Anglais et 5 Australiens, plus un Irlandais, un Allemand et un joueur originaire d’Australie-Méridionale, dont le lieu de naissance était inconnu. Parmi les joueurs figurait Johnny Warren, plus tard connu sous le nom de Captain Socceroo pour son travail passionné de promotion du football dans un pays dominé par d’autres codes sportifs. En 1967, Warren fut capitaine de l’Australie pour la première fois lors d’un match contre la Nouvelle-Zélande, un match disputé à Saïgon, précisément. L’entraîneur était Tiko Jelisavcic, un Yougoslave et ancien joueur du Partizan Belgrade, puis entraîneur-joueur à Sydney. Il entraîna ensuite le Nigeria pendant quatre ans, l’un des premiers entraîneurs étrangers du géant africain, et où il était connu sous le nom de Father Tiko. »
Le texte en entier
https://michaelbatson.com/blog/234-australia-versus-north-korea-phnom-penh-1965-1-july-2020
Et sinon, Attila Abonyi est un autre nom australien important de l’époque. Débarqué là-bas, à 10 ans, après l’insurrection hongroise, il a été longtemps le meilleur buteur historique des Socceroos.
Dans la video, ils disent également que l’Australie paya une amende pour se voir réintégrer à la FIFA. Faut peut-être que je change un peu la tournure de mon texte…
Correction faite ! ni vu ni connu…
Et le bouquin de Warren, selon les commentaires que j’ai lus, a l’air d’être indispensable pour comprendre l’évolution du foot en Australie. A la suite de sa carrière, il était une voix qui compte dans son pays.
https://en.m.wikipedia.org/wiki/Johnny_Warren
Mais en 74, il ne joua qu’un match, il me semble.
Purée, quelle histoire.
Et la citation détournée du Mépris…
On aurait pu faire un article similaire pour la Nouvelle-Zélande, dont c’est le premier tournoi international, mais y avait moins de matière. Ils se font sortir avant et l’épisode vietnamien ne leurs sert pas de tremplin comme pour les Socceroos.
Jean-Luc, si tu nous lis…
GOOOOOOOOOOOOOOOOD MORNING VIETNAM!!!
Et si j’ai bien compris, Wogs est une expression typiquement australienne pour parler péjorativement des personnes originaires du bassin méditerranéen.
Tu m’étonnes que ça te soude un collectif ce type de tournée !!! Merci chef