Le « Wunderteam » volait de succès en succès. Il s’agissait pour nous d’obtenir des résultats de plus en plus brillants. La saison de championnat était close. Les Ecossais vinrent le 16 mai nous donner la réplique, si l’on peut dire, car ils s’en retournèrent avec l’une des plus cuisantes défaites de leur carrière. C’est, en effet, par 5 à 0 qu’ils succombèrent sous les assauts répétés des Sindelar, des Gschweidl, des Vogl, des Zischek.
Gall a certainement fourni en face de l’Ecosse le plus beau match de sa carrière. C’est grâce à lui que je ne fus pas battu. L’inter droit et l’extrême écossais étaient les deux meilleurs visiteurs[1]. Hugo Meisl avait demandé à Gall de se surpasser pour les marquer. Notre coéquipier ne faillit pas à sa tâche. Il annihila l’action de ce duo redoutable. Zischek fut le triomphateur de la rencontre. Après dix minutes de jeu l’Autriche menait par 2 à 0 et les Ecossais perdirent la tête et le match… ils encaissèrent trois nouveaux buts en seconde mi-temps.
Le dernier match de l’été 31
C’était la fin de la saison d’été. Nous devions encore rencontrer l’Allemagne. Les relations entre les deux pays étaient cordiales encore que nous fussions quelque peu traités par les Allemands en parents pauvres.
Les deux équipes nationales, allemande et autrichienne, étaient réunies au même hôtel, à l’hôtel Russischer Hof[2]. On quittait la table à la même minute pour nous rendre les uns et les autres au Grunewalde Stadion[3], mais dans des autocars différents.
Les Allemands précédaient notre car, chantant à tue-tête.
Hugo Meisl nous dit :
– A la fin de la rencontre ce sera peut-être à notre tour de chanter et à eux de déchanter !
Paroles que je qualifierai de prophétiques, car c’est par 6 à 0 devant 70.000 spectateurs que les joueurs du Reich baissèrent pavillon devant la « petite Autriche ».
Il fallut, une fois rentré à l’hôtel, qu’Hugo Meisl promit d’accorder la revanche à l’Allemagne comme match inaugural de la saison 1932.
Entendu pour Vienne et nouvelle confirmation de notre supériorité : le Reich est pulvérisé 5 à 0. Dans l’œil ! Ce match n’avait eu en somme pour but que de nous mettre en appétit… notre adversaire suivant étant la Hongrie.
Dans la vie privée les relations entre l’Autriche et la Hongrie étaient des plus cordiales et des plus amicales. Au football c’était une tout autre histoire. Il y avait une question de prestige.

Des k.o. dans l’air
Il y avait deux Vogl, l’un arrière dans le « onze » hongrois et l’autre extrême dans le « Wunderteam ». Le Vogl hongrois eût fait un boxeur mi-lourd de classe. Il « bagarrait » ferme avec nos avants et le petit Matthias « Sindi » fut proprement mis k.o. lors d’une rencontre internationale entre nos deux nations (rencontre que nous enlevâmes par 8 à 2 le 24 avril 1932)[4].
Le football austro-hongrois ressemblait plus à une partie de rugby américain qu’à un match de football. Le 4 octobre 1931 nous ne pûmes nous départager (2 à 2) à Budapest…
…Mais au retour, changement de décor. Sindelar fut mis k.o. Ceci ne l’empêcha point de marquer deux buts en crâne après son accident[5], fallait-il qu’il fût « démonté » pour réussir deux buts de la tête, il n’en avait jamais marqué auparavant, il n’en marqua plus jamais de cette façon par la suite !
Je rappellerai même qu’il fallut à Budapest faire appel aux pompiers pour dégager le terrain lors d’un match de Coupe d’Europe centrale entre nos deux pays.
Si les Hongrois nous battaient c’était la fête dans la capitale magyare, si l’inverse venait à se produire Budapest était désert, sans liesse comme sans joie.
D’ailleurs je dois avouer qu’il en était de même à Vienne. Les chocs austro-hongrois c’était un peu la bataille des Horaces et des Curiaces !
Toujours la Coupe internationale entre les nations du « Mitropa ». La Suisse nous reçut à Bâle le 29 novembre 1931. Elle fut écrasée 8 à 1.
Les relations entre les deux pays étaient cordiales. Minelli[6], les trois Abegglen[7], Huber[8] étaient pour nous des amis. D’ailleurs, après avoir éliminé les Allemands lors de la IIIe Coupe du Monde, en juin dernier, à Paris, je ne fus pas le dernier à aller complimenter Severino Minelli, l’une des plus belles figures sportives, avec Planicka, du football de l’Europe Centrale de cette période 1931-1932 !
Au mois de mai 1932 eut lieu le départ de Blum avant le match retour Autriche-Tchécoslovaquie. Blum fut remplacé définitivement par Sesta. Blum restait avec nous et comme je l’ai expliqué au début, il est demeuré l’un des membres inamovibles du « Wunderteam » : il était le « factotum », l’homme qui mettait la main à la pâte pour venir en aide à Hugo Meisl.
L’Italie succombe
Le premier match qui eut lieu au Prater de Vienne opposa l’Autriche à l’Italie[9]. Il fut peut-être le plus émouvant de tous ceux que disputa le « Wunderteam ». Pour la première fois, à Vienne, 85.000 spectateurs garnissaient les gradins. Des « praticables », c’est-à-dire des banquettes de piste avaient été aménagées sur la piste.
A la mi-temps, 0 à 0, Schall marque le premier but sous un tonnerre d’applaudissements inimaginable… L’Italie domine et égalise, 1 à 1…
Sindelar, à la quarantième minute, s’envole du milieu du terrain, le masque crispé. Tel un automate que rien ne pourrait déranger, il fonce, il avance.
Les 85.000 spectateurs se sont tus.
Sindelar arrive aux dix-huit mètres, crochète l’arrière italien Rosetta, dribble Allemandi et shoote de toute sa force. Sclavi est battu. L’Autriche a gagné la Coupe de l’Europe Centrale. Je quitte mes buts, je vais embrasser « Sindi »… Les Italiens engagent… Je n’avais pas eu le temps de retourner dans mes filets que Meazza shoote de… quelques centimètres trop haut au-dessus d’une cage vide.
Nous avons tenu les cinq dernières minutes. L’Italie était battue.

Le chant du cygne !
Et le « Wunderteam » va disparaître. Voici Angleterre-Autriche à Stamford Bridge[10]… Les Anglais n’avaient pu « digérer », comme l’on dit, leur match nul du Hohewarte. A Vienne, ils n’avaient pu vaincre ; mais à Londres, les étrangers n’ont jamais fait la loi.
En Espagne, le « onze » britannique avait subi un échec retentissant par 4 à 3[11], le premier que les professionnels anglais aient connu en territoire étranger.
La F.A. anglaise invita l’Espagne et vous savez que l’Angleterre gagna par… 7 à 1[12] ! – une paille.
Le matin de la rencontre, Hugo Meisl avait perdu de sa sérénité. Il me dit : « Attention, le grand Zamora a encaissé sept buts… Qu’allez-vous faire, vous ? »
– Heu !… Heu !… Patron, je tâcherai de faire mieux que Zamo.
Dans les vestiaires, on craignait l’issue de la rencontre ; nous étions blancs. Rien n’allait : les souliers nous gênaient, les maillots étaient trop petits.
L’arbitre Langenus[13] vint nous appeler pour pénétrer sur le ground.
– Allons, à l’abattoir, nous murmura Sesta. Du courage.
C’était un peu une atmosphère de peur qui régnait parmi nous.
Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 16 février 1939.
[1] Difficile de les identifier. L’équipe d’Ecosse qui se déplaça alors à Vienne était formée de joueurs peu expérimentés, qui ne venaient pas des grands clubs de Glasgow. Peut-être s’agit-il d’Andy Love et de Jimmy Easson.
[2] Luxueux hôtel du centre de Berlin, aujourd’hui disparu.
[3] Deutsches Stadion, où eut lieu Allemagne-Autriche du 24 mai 1931.
[4] Károly Fogl, né en 1895, joua 51 matchs avec l’équipe nationale hongroise. Mais en 1932, il ne jouait plus ! Hiden confond certainement avec un autre match : Sindelar et Fogl eurent maintes fois l’occasion de se croiser…
[5] Au total, Sindelar marqua trois buts au cours de cette partie.
[6] Severino Minelli, né en 1909, joua 80 matchs avec l’équipe nationale suisse.
[7] Les frères Abegglen, Jean (né en 1899), Max (né en 1902) et André (né en 1909), jouèrent respectivement 3, 68 et 52 matchs avec l’équipe nationale suisse.
[8] Willy Huber, né en 1913, joua 16 matchs avec l’équipe nationale suisse.
[9] Le 20 mars 1932.
[10] Le 7 décembre 1932.
[11] Le 15 mai 1929.
[12] Le 9 décembre 1931.
[13] Le Belge John Langenus fut probablement le plus fameux arbitre des années de l’entre-deux-guerres. Il officia notamment en finale de la Coupe du monde en Uruguay. Une fois sa carrière terminée, il livra ses souvenirs dans un ouvrage truculent : En sifflant par le monde.

Photo qui rend justice au caractère canonique du Prater, et je ne vois spontanément pas des masses de stades qui puissent le lui disputer en Europe : Hampden, Kuip.. Monument!
Ce qui est sympa, au fil du temps, c’est de retrouver des liens avec des articles passés : on lit des noms et on se dit, ah oui, il était dans le top des défenseurs, Hiden confirme qu’il était excellent (Minelli par exemple). On fait le lien avec Padrón lors de la victoire espagnole contre les Anglais, on devine la présence de Gardel assistant au naufrage de Zamora et son ami Samitier à Highbury, on repense aux papiers sur la Mitropa. À force d’articles, pour ceux qui lisent tout évidemment, il s’est créé un univers désormais presque familier.
T’as vu ? Je savais que ça allait vous accrocher.
Faut s’imprégner des années 30 !
Et une fois qu’on est bien dedans, c’est tout douillet.
D’ailleurs, faudra faire une revue la plus exhaustive possible de ces matches entre l’équipe d’Angleterre et une équipe originaire du Continent en fin de saison pendant toutes les années 1930.
Jusqu’à la toute fin des années 1920, les Anglais restent dans leur isolement. Ils ne jouent que contre les Belges, les Néerlandais et les Français, souvent chez eux, parfois sur le continent. Et ils se contentent de leur opposer les amateurs.
Mais ils finissent par prendre conscience du déclin de leur football amateur et du développement du football sur le Continent. Dès 1913, les Néerlandais battent les amateurs anglais, puis c’est au tour des Français en 1921. Aux Jeux d’Anvers, une sélection certes faite de bric et de broc semble-t-il, subit la loi des… Norvégiens !
Réaction des Anglais dans les années 1920 : bouderie (retrait de la FIFA, non-participation au tournoi de football des Jeux de Paris et Amsterdam, etc.).
Puis ils cherchent à se réaffirmer, à s’ouvrir aussi pour découvrir de nouveaux footballs et s’en imprégner. Ils voyagent alors, vont jouer en Espagne, en Allemagne, en Autriche, etc. Par la suite, même jusqu’en Yougoslavie ! Et, sur leur sol, ils accueillent les meilleurs teams européens dans des matches dantesques : Autriche en 1932, Italie en 1934, Tchécoslovaquie en 1937, etc.
Mais toujours refus de jouer la Coupe du monde !
Est-on bien sûr qu’il ne parle pas de Lisa Minelli ? Il parle d’un Vogl Hongrois, mais il ne semble pas y en avoir. Doit confondre avec Mandl.
Quand t’es dans ce coin d’Europe, tu peux facilement faire une boucle des capitales. Budapest et Vienne, c’est 2h en train. Bratislava-Vienne, c’est encore plus proche. Une préférence pour Budapest où j’ai passé le plus de temps.
Y avait une troisième Abegglen ?
Jean l’aîné, et le moins célèbre des trois. Certainement le moins talentueux aussi.
Disons qu’André et Xam, tu peux certainement les mettre dans un top 10 suisse. Difficile de faire mieux.
C’est bataille des Horaces et des Curiaces ? Je viens de voir un tableau de David que je connaissais mais l’histoire…
https://fr.wikipedia.org/wiki/Combat_des_Horaces_et_des_Curiaces
Yep merci. C’est Roméo et Juliette avant l’heure quoi !
La première fois que je suis allé au Louvre (pas tout seul comme au Parc des Princes !) ce devait être en 56/57.
J’ai évidemment vu ce tableau.
Horace 62 est un polar de et avec André Versini et Charles Aznavour, qui met en scène deux familles corses qui s’entretuent dans Paris. A part la longue scène finale, c’est assez mauvais.
En parlant du Louvre, y’en a qui se sont servis ce matin…
Vous n’avez jamais lu Corneille en classe ?
La photo de la fin de rencontre entre l’Allemagne et la Suisse en 38, un de mes premiers souvenirs de lecture. Je vois très bien les Suisses se congratuler tandis que le salut nazi n’a plus la vigueur du début de rencontre.
Minelli avait-il de bonnes chaussures ?
La dernière fois, je m’étonnais un peu des choix de Meisl au milieu de terrain en constatant que les joueurs de l’Admira, du Rapid et du Vienna étaient peu représentés.
Mais en regardant d’un peu plus près, il semble qu’autour de 31-32, ces clubs connaissent pas mal de changements à ces postes. Au Rapid, Franz Wagner et Stefan Skoumal débutent en 1ère division (les deux ont réussi la performance d’avoir chacun marqué un seul but en carrière avec le Rapid). À l’Admira, le central Karl Humenberger fait un petit tour en Suisse, Urbanek débarque mais n’a que 21 ans, le Josef Mirschitzka est encore plus jeune, et le taulier est Johann Klima reconverti en latéral. Et au Vienna, Otto Kaller (8 sélections entre 26 et… 45) ou Leonhart Machu (1 sél. en 30) ne semblent pas emballer Meisl malgré les titres du de 31 et 33.