Australie – Iran 1997 : éternelles larmes des Socceroos

Lors du mondial 2022 au Qatar, l’Australie, qualifiée pour la cinquième fois consécutive, a surpris son monde en se qualifiant pour les huitièmes de finale avant de s’incliner avec les honneurs 2-1 face à l’Argentine. Nous sommes dorénavant habitués à voir les Socceroos disputer la Coupe du monde, d’autant plus depuis leur bascule dans la zone Asie (AFC) en 2006. La raison ? Bénéficier de places qualificatives directes au lieu des traditionnels barrages obligatoires auquel doit faire face le vainqueur de la zone Océanie (OFC).

Or, c’est entre autre à cause de l’un de ces barrages que les Australiens, éliminés sur le fil, verront l’une de leur plus grande génération manquer la Coupe du monde 1998.

L’Océanie, parent pauvre du football international

Avant 2006, l’OFC (Oceania Football Confederation), fondée en 1966, était composée en grande majorité de petites îles disséminées dans l’immensité de l’océan Pacifique (Fidji, Tonga, Vanuatu…) ainsi que de deux mastodontes à l’échelle locale, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Toutefois, encore à ce jour, la confédération manque d’un réel poids à l’échelle internationale, à défaut de joueurs de qualité. Deux raisons majeures à ce constat : la première, indubitablement, provient d’une faible population générale, comparée aux autres continents ; la seconde tient à la culture de l’Océanie, plus portée sur le rugby au détriment du football.

Par conséquent, il s’agit de la seule zone affiliée à la FIFA ne disposant d’aucune place directe d’accès à la Coupe du monde. En effet, le vainqueur des qualifications de l’OFC, très souvent l’Australie, doit affronter en barrages un pays repêché provenant d’une autre zone (CONCACAF, CONMEBOL ou AFC en règle générale). Dans l’immense majorité des cas, les barrages sonnent comme un couperet : élimination !

À l’heure où j’écris ces lignes, l’Océanie n’a participé qu’à quatre Coupes du monde sur 22 : deux fois via l’Australie (1978 et 2006) et deux fois via la Nouvelle-Zélande (1982 et 2010). Les Aussies ont ainsi été éliminés en barrages pour les Coupes du monde 1986, 1994, 1998 et 2002. A chaque fois, à l’élimination s’ajoute une grande consternation tant le ticket semblait si proche.

Après le mondial 2006, l’Australie quittera définitivement l’OFC au profit de l’AFC, affaiblissant encore davantage le football océanien et laissant la Nouvelle-Zélande prendre le relais dans les échecs en play-offs (2014, 2018 et 2022).

Des Îles Salomon à l’Iran

Le parcours australien en phase de qualification s’apparente à une promenade de santé ; dispensés du premier tour, les Australiens écrasent sans surprise la concurrence lors du second tour, dans un groupe à trois avec les Îles Salomon et Tahiti. Quatre matchs, 26 buts marqués, deux encaissés et c’est plié. Au tour final, c’est évidemment le voisin néo-zélandais qui se dresse devant. Là encore, facilité : un score de 5-0 en cumulé et direction le barrage intercontinental face à la République islamique d’Iran, défaite par le Japon lors du play-off de la zone Asie, en terrain neutre à l’issue d’un but en or d’Okano à la 118ᵉ minute.

Le match aller, à Téhéran, joué le 22 novembre 1997, se déroule dans un contexte quelque peu tendu en raison des propos du sélectionneur australien, Terry Venables. Lui-même et certains membres du staff australien ont exprimé leurs craintes concernant leur sécurité lors de leur déplacement à Téhéran, allant jusqu’à apporter leurs propres bouteilles d’eau en provenance d’Australie.

Le stade Azadi est alors chauffé à blanc : devant 128 000 personnes (alors que la capacité maximale est de 100 000 !), sur une pelouse bosselée, asséchée par endroits et dans une ambiance extrêmement hostile, les Australiens ouvrent le score à la 19ᵉ minute grâce au jeune prodige Harry Kewell, 19 ans. Toutefois, 20 minutes plus tard, les Iraniens égalisent grâce à Khodadad Azizi.

L’atmosphère est électrique : le stade n’est que vacarme assourdissant tout au long du match, la Team Melli met la pression sur les buts de Mark Bosnich, mais échoue à marquer un second but. Après plus de 90 minutes de combat, le score reste à 1-1. Il semble à ce moment là que les Socceroos ont réalisé une bonne opération en vue du match retour.

Match aller IR vs AUS

2-0 puis Peter Hore

Le match retour a lieu une semaine plus tard, le 29 novembre 1997, au Melbourne Cricket Ground, devant une foule de plus de 85 000 personnes. L’arbitre est le Hongrois Sandor Puhl, habitué des grands matchs internationaux.

L’Australie évolue dans son 4-4-2 habituel : Bosnich – Horvat, Moore, Tobin, Lazaridis – Slater, Zelic, Foster, Vidmar – Kewell, Viduka

L’Iran joue en 3-5-2 : Abedzadeh – Khakpour, Peyrovani, Pashazadeh – Saadavi, Mahdavikia, Bagheri, Shahroudi, Reza Estili – Azizi, Daei

Dès l’entame, les Australiens pressent le but iranien et gardent la mainmise sur le ballon. Avec leur but inscrit à l’extérieur, ils sont qualifiés au coup d’envoi. Dès lors, ils pourraient se contenter d’un 0-0 mais ils veulent s’assurer une victoire en jouant haut afin d’étouffer les relances iraniennes.

À la 32ᵉ minute, Aurelio Vidmar, sur le côté gauche, centre en direction du but adverse. Ni la défense iranienne, ni l’attaque australienne ne touchent le ballon qui arrive au second poteau sur Kewell, qui, complètement seul, ajuste le gardien d’un plat du pied.

L’Australie est sereine, bien que la qualité de jeu de l’Iran soit présente. Les deux équipes jouent de manière assez physique, l’engagement sur les tacles et le jeu aérien témoignent d’un désir de s’imposer par la force, quitte à marcher physiquement sur l’adversaire. Il n’y a pas de simulation ou de roulade grotesque, indiquant que ce n’est pas cette mentalité qui anime les protagonistes.

Deux minutes après la mi-temps, Stan Lazaridis déborde côté gauche et son centre au second poteau trouve Kewell (encore lui !) qui remet de la tête à Craig Foster. Ce dernier reprend d’une tête lobée qui heurte la transversale du but iranien puis Vidmar reprend en force à bout portant : 2-0.

But Vidmar

Cependant, un évènement inattendu va venir entraver le déroulement du match : l’intrusion sur le terrain de Peter Hore, un Australien spécialisé dans la perturbation de tournois sportifs comme son intrusion sur la piste de course lors de la Melbourne Cup de 1997 ou encore l’interruption d’un match de tennis à l’Open d’Australie.

Alors que le public célèbre le but de Vidmar, il rentre sur le terrain et se jette de tout son poids dans le but iranien afin d’en déchirer une partie. Pendant plus de six minutes, plusieurs personnes tentent de raccrocher les filets au but. Ce moment parait interminable aux yeux des Socceroos. Pendant ce temps, le capitaine Ahmadreza Abedzadeh harangue ses coéquipiers, les place en cercle au milieu du terrain afin de resserrer la cohésion de groupe : il les galvanise et leur permet de réorganiser leur tactique.

Cette longue interruption de jeu coupe l’herbe sous le pied des Australiens ; plus tard, elle sera analysée comme un élément majeur de l’incroyable remontée de l’Iran.

Peter Hore

Le trou noir des Australiens

À la reprise, les Jaune et Noir commencent à baisser d’intensité, laissant la possession à la Team Melli. Est-ce la peur due aux précédents échecs lors des barrages qui rejaillit ? Perçoivent-ils que l’adversaire reprend confiance au fur et à mesure des minutes ? Les changements apportés par le sélectionneur brésilien Valdeir Vieira semblent porter leurs fruits dans le camp iranien, même si les occasions tardent à venir.

Le premier avertissement arrive à la 73ᵉ minute, lorsque Mehdi Mahdavikia transperce le côté gauche de la défense australienne puis frappe en force, Bosnich bloque bien le ballon. Toutefois, le stress gagne les rangs de l’Australie, qui se débarrasse de la balle en allongeant le jeu.

Deux minutes plus tard, l’improbable se produit : Azizi rentre dans la surface côté gauche et centre à ras de terre. Vidmar et Moore taclent en même temps pour contrer le centre mais à la surprise générale, ils perdent le ballon de vue tous les deux ! Moore, en voulant dégager au dernier moment, renvoie la balle sur Daei qui redonne à Azizi qui venait tout juste de se relever ; lui même transmet la balle entre Bosnich et Slater et Bagheri conclut dans le but vide. Tout est relancé !

Terry Venables sent que ses joueurs perdent pied et procède à deux changements. Trop tard, le ver est dans fruit.

80ᵉ minute de jeu : sortie de but pour Bosnich, qui allonge dans le camp iranien. À la retombée, le milieu perse remporte le duel aérien ; Daei récupère le ballon avant de lancer immédiatement Azizi, parti dans le dos d’une défense australienne désorganisée et trompe le portier océanien.

Sur le ralenti, image terrible où l’on voit Vidmar les mains sur les cuisses et Kewell se tenir la tête de désespoir au moment où Azizi se dirige seul face à Bosnich, comme s’ils avaient anticipé le but avant que celui-ci ne soit inscrit.

But Azizi

Des millions de cœurs brisés

Grâce à cette égalisation, l’Iran est qualifiée pour la Coupe du monde 1998 à la faveur des buts marqués à l’extérieur. L’Australie se rue alors sur le but d’Abedzadeh mais elle est mentalement six pieds sous terre, ses attaques sont anarchiques et la défense iranienne semble plus sereine que jamais ; elle ne parvient qu’à se créer des demi-occasions.

Après huit longues minutes d’arrêts de jeu, M. Puhl siffle la fin du match : l’Australie est éliminée. Les Iraniens, ivres de joie, courent dans tous les sens pendant que les Australiens, KO debout, sont atterrés.

Joie iranienne

Le Melbourne Cricket Ground est alors quasi silencieux, seuls résonnent les cris de joie des supporteurs iraniens ayant fait le déplacement. Leur pays retrouve la Coupe du monde 20 ans après. À l’antenne de la SBS, lors de l’après-match, commenté par Les Murray et Johnny Warren (ancien international australien), ce dernier pleure ouvertement à l’antenne. Les Aussies ont la gueule de bois et le cœur en mille morceaux, ils devront attendre. Encore.

Ce match reste à l’heure actuelle un traumatisme national dans le sport australien. Quatre ans plus tard, les Australiens subiront encore une défaite en barrages, face à l’Uruguay cette fois-ci, s’imposant 1-0 au match aller avant de s’incliner 3-0 au retour. De grands noms du soccer australien ne joueront jamais de mondial, à l’image de Mark Bosnich, Alex Tobin, Robbie Slater, des frères Vidmar et Graham Arnold. Venables, qui quittera son poste après cet échec, avouera en 2000 que ce résultat fut l’un des moments les plus tristes de sa carrière d’entraîneur.

Pig Bénis pour Pinte de Foot

19 réflexions sur « Australie – Iran 1997 : éternelles larmes des Socceroos »

  1. Pas mal, cet article. Idéal pour la pause chocolat vers 15 h. La première CM de l’Australie fut en 1974 et non 1978. 0-2 face à la RDA en ouverture, puis 0-3 contre la RFA, et pour finir un bon 0-0 contre le Chili avant de rentrer à la maison.

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  2. Merci pour ce chouette texte. L’Australie sort face à une bonne équipe iranienne. Daei, Azizi, Bagheri ou Madavikhia. D’ailleurs, si quelqu’un peut m’éclairer sur les liens entre l’Iran et l’Allemagne culturellement et footballistiquement. Ils sont tous passés en Allemagne.

    En 94, l’Australie avait fait galérer l’Argentine du revenant Maradona en barrages.

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    1. Yes, une Argentine encore traumatisée par le 5-0 encaissé à domicile face à la Colombie. Lors du match aller en Australie, les Argentins étaient bouffés physiquement par les Australiens, c’était incroyable la ferveur locale ; l’Argentine avait tenu le choc en ramenant un 1-1, marquant profitant de la naïveté défensive des Jaune et Noir.

      Y a plein d’anciens matchs que je découvre grâce à Footballia.net

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      1. Et dans l’équipe d’Argentine figurait « Colorado »(pour ses cheveux roux) Carlos Mac allister joueur de Boca à l’époque et père de l’actuel joueur de Brighton champion de monde .
        Après sa carrière il deviendra député .
        De mémoire il compte 3 sélections dont 2 durant ce barrage aller-retour.

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      2. Hincha
        Il est pas mauvais le fiston Mac allister. Aussi teigneux que le paternel mais une belle activité. Je l’ai découvert à la Coupe du Monde, un guerrier. Mais je crois que mon Argentin préféré sur ce mondial a été De Paul. Il a tout donné en finale.

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      3. MacAllister fils, bien meilleur que le père en tant que footballeur tu veux dire 🙂
        De Paul, belle activité oui, mais très brouillon. Sans doute le prix à payer à vouloir être constamment partout sur 90 mn.

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      4. Assez d’accord sur Mac Allister et De Paul. À les regarder pendant la Coupe du Monde, l’avais j’impression de voir des Allemands – et pour moi, vous me connaissez, c’est un compliment !

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      5. Ah le 5 à 0 pour la Colombie, je me souviens très bien l’avoir vu avec mon frangin. C’était rare les matchs sud-américains sur une télé française. La claque et une belle.

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  3. Bien le merci !
    Je ne connaissais pas les circonstances précises de ce match, notamment l’irruption décisive du streaker australien.
    En Iran, grand pays de football, cette qualification fut très fêtée et constitua un moment d’ouverture de la société. A ce propos, je me rappelle d’un beau chapitre de Christian Bromberger dans « Football, la bagatelle la plus sérieuse du monde » (un grand petit livre !).

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  4. Dans la compo australienne, des noms qui sonnent bon la Ligue 1. Le rouquin Slater que j’aimais beaucoup à Lens. Et Zelic qui devait prendre la succession de Verlaat à Auxerre mais qui n’a pas reussi.

    On voit bien l’influence balkanique sur cette sélection. Bosnich, Viduka, Zelic, Vidmar…

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  5. Dans la petite histoire du foot australien, un Autrichien a joué un rôle important. Comme joueur, entraîneur et formateur. Il s’agit de Leo Baumgartner. Surnommé « the little professor », il a contribué à diffuser en Australie le jeu de passes courtes. Il a fait partie d’un contingent de joueurs de l’Austria (avec Walter Tamandl, Karl Jarosch, Peter Hrncir*. ..) à avoir tenté leur chance aux antipodes après une tournée en 57.

    D’autres joueurs autrichiens ont suivi leur exemple. Le plus connu est Herbert Ninaus, qui a porté les couleurs de l’Autriche (il était aussi dans le groupe de la CdM 58) et de l’Australie. Son frère Erwin l’a accompagné.

    *le Peter Hrncir a aussi fait, semble t-il, un petit détour par le Venezuela et le Deportivo Danubio, un club à la brève existence (58-59), avec pas mal de joueurs hongrois, et lié à la communauté magyare locale.

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