Lectures 2 foot (épisode 6)

Maurice Carême, Le martyre d’un supporter, Espace Nord, 2019 (édition originale 1928), 8,50€

En septembre 2019, les éditions Espace Nord ont eu la bonne idée de publier à nouveau le premier roman d’un auteur surtout connu pour ses poésies : Maurice Carême. Publié originellement en 1928, Le martyre d’un supporter est un texte qui ne manque pas d’intérêt.

En 1928, Maurice Carême a 29 ans et, comme l’indique la dédicace du roman, son père est supporter de football. Il s’agit donc d’un texte écrit par un homme encore jeune sur un sujet qui lui tient sans doute particulièrement à cœur.

Peinture des mœurs de la petite-bourgeoisie bruxelloise autant que témoignage sur les représentations du football au temps des pionniers, Le martyre d’un supporter raconte la passion dévorante qui s’empare d’un honnête clerc de notaire lorsqu’il découvre – du haut des tribunes – le jeu de football. Prosper Goffineau est alors possédé d’une véritable « peste émotionnelle » (Jean-Marie Brohm et Marc Perelman) qui lui apporte certes de l’exaltation, mais ruine aussi sa vie. Pour Maurice Carême, le football est une drogue à laquelle le supporter sacrifie son mariage – son épouse et sa fille le quittent – et sa santé – il attrape une pneumonie à l’occasion d’un match et meurt de convulsions en apprenant la relégation en division inférieure du Sporting d’Anderlecht.

Le style de Maurice Carême ne manque pas d’ironie et de pittoresque au moment de décrire les activités des supporters ou les habitudes de la vie bourgeoise. Ainsi Prosper Goffineau est une caricature de père de famille, bedonnant, courtaud, calvitié, modeste gratte-papier dominé par son épouse tyrannique. Leur jeune fille est une jouvencelle qui se pâme pour le premier Casanova venu. Les travers des supporters sont aussi passés par le menu, notamment leur coutumière mauvaise foi – surtout vis-à-vis de l’arbitre – ou leur propension à l’exagération : « l’héroïsme de ces milliers de supporters qui, par les temps les plus exécrables, s’immobilisent volontairement pour encourager onze joueurs et forcer la victoire dont s’honorent non seulement le club, mais la commune, mais la province, mais le pays, mais l’Europe, mais le monde entier. » Et encore sourira-t-on en lisant que Prosper Goffineau trouve du réconfort dans sa carte de supporter qu’il caresse « comme on caresse le portrait d’une femme aimée. » Et bien sûr, on ne s’étonnera pas lorsque – déjà – la rivalité entre les supporters d’équipes adverses dérape et se transforme en échauffourée.

Mais on notera aussi avec délice cette description presque naturaliste de l’arrivée des supporters au stade : « De plus en plus dense, la foule coulait en rigoles noires vers la plaine des ports. Furieuses, les autos klaxonnaient. Les trams vomissaient des flots d’hommes. Les agents s’énervaient, chiffonnaient des mines sombres sous leur casque blanc. Rythmiquement, une même passion mouvait toutes les jambes et un magnétisme contagieux émettait de larges ondes qui faisaient frissonner, aux balcons, les drapeaux mauves. Une ivresse vaporeuse embaumait l’air et malgré lui, Prosper Goffineau dilatait les narines. Fétu bureaucratique, il dérivait au gré du fleuve humain. »

Note : 3/5

Kevin Veyssière, Football club geopolitics, Max Milo, 2021, 18€

A l’aube de l’Euro joué en 2021, les éditions Max Milo ont flairé la bonne affaire en publiant le premier livre d’une vedette d’internet : Kevin Veyssière.

Blogueur célèbre, Kevin Veyssière compile sur sa page web de nombreux textes consacrés à la géopolitique du football. Pour les besoins de ce volume, il a donc rassemblé quelques-unes de ces histoires.

Avec l’onction de Pascal Boniface – qui signe la préface, il propose donc 22 récits qui font à chaque fois entre six et huit pages, et se lisent très vite et très facilement. Assurément, il s’agit là d’un livre pour les néophytes, tant l’auteur se contente de compiler des sources secondaires et d’aligner les platitudes wikipédiesques. Pour ne rien arranger, l’ensemble est parsemé de coquilles. Celles-ci, néanmoins, nous valent tout de même un sublime cadavre exquis que les surréalistes n’auraient sans doute pas renié : ainsi, page 127, le lecteur apprend-il qu’en 1985 la Chine et Hong Kong furent en plein « confit diplomatique ». Délicieux !

Centré sur l’Europe – Euro oblige, le livre reprend de nombreux marronniers, qu’il a le mérite de bien traiter : Espagne-URSS 1960, la Yougoslavie et l’Euro 1992, la prétendue « guerre du football » entre le Honduras et le Salvador, l’équipe du FLN, les rivalités entre le Kosovo et la Serbie, l’Espagne et Gibraltar, l’Argentine et l’Angleterre, etc.

C’est en fait lorsqu’il traite des îles que l’auteur se montre un peu original et intéressant : le football au Groenland, sur l’île de Pâques, aux Tuvalu.

Note : 3/5

Kevin Veyssière, Football club geopolitics tome 2, Max Milo, 2022, 21,90€

L’opération ayant sans doute été profitable, les éditions Max Milo ont donc mis à profit la Coupe du monde au Qatar pour offrir une nouvelle tribune à Kevin Veyssière.

Voici donc « 22 histoires insolites sur la Coupe du monde de football », à l’occasion de la XXIIe Coupe du monde. Malheureusement, en fait d’insolite, c’est en réalité tout ce qu’il y a de convenu : l’auteur se contente de reprendre des histoires très connues, qu’il a parfois déjà lui-même racontées dans son premier livre ! Bref, voici donc bien une (lamentable) publication opportuniste…

Ainsi, on relira (pour la centième fois peut-être) les péripéties de l’Italie dans la Coupe du monde 1934, celles de la RFA en 1954, de la Corée du Nord en 1966, du barrage intercontinental Chili-URSS 1974, du match RDA-RFA 1974, du Zaïre 1974, de l’Argentine 1978, de l’Algérie du FLN et à la Coupe du monde 1982, de la Yougoslavie 1990, du match Iran-Etats-Unis 1998, du Kosovo, du NF-Board et de la CONIFA, etc.

A ce dernier sujet, d’ailleurs, Kévin Veyssière fait une nouvelle fois preuve – un an après son premier livre – d’un surprenant angélisme. En effet, il ne voit dans ces « Coupes du monde des pays qui n’existent pas » que de « belles initiatives, autour de peuples ou de minorités ignorés » : les équipes « nationales » de Chypre du Nord, de Kabylie, de Padanie, d’Abkhazie, du Somaliland, du Kurdistan, d’Ossétie du Sud, du Tibet ou du Haut-Karabagh sont en réalité porteuses de revendications politiques pas nécessairement très saines. Au contraire de ce que pense l’auteur, toutes les revendications nationales ne sont pas légitimes. Ainsi, évoquant l’équipe de Padanie, il oublie (volontairement ?) de mentionner les liens forts qui existaient entre cette formation et la Lega Nord. De la même façon, il passe sous silence le fait que le concept de Padanie n’est pas seulement géographique, mais aussi politique et idéologique. En somme, avec la Padanie, on est loin des « belles initiatives, autour de peuples ou de minorités ignorés » !

Mais le pire n’est peut-être pas dans le contenu, qui certes n’apporte rien de neuf sur des sujets éculés. Le pire est sans doute dans le style : fade, plat, banal. Sans oublier, bien entendu, les (pourtant évitables) coquilles qui parsèment le texte… Cela se lit vite, et facilement, et cela s’oublie tout aussi vite et facilement ! Et même la redondance quasi-systématique du mot « favori/favorite » finit par lasser le lecteur, qui s’étonne simplement du peu de vocabulaire déployé par l’auteur.

Note : 2/5

9 réflexions sur « Lectures 2 foot (épisode 6) »

  1. Je n’avais jamais entendu parler de ce Maurice Carême-là, pourtant obligatoire dans l’enseignement fondamental belge de ma jeunesse (sa poésie il est vrai, non ses textes sur le football), bravo.

    Pascal Boniface, je le crois honnête homme mais il y a longtemps que j’en suis revenu, je le trouve très plat et consensuel – ce qui fut pour lui encore de trop, type éreinté certain temps par la doxa, mis au pilori pour pas grand-chose à dire vrai.

    Kevin Veyssière?? Le nom me dit quelque chose, mais..??

    « toutes les revendications nationales ne sont pas légitimes »? +1!

    Ce genre de titres pompeux n’augurent plupart du temps de rien de bon.. Truc le plus con que j’aie lu : « Football & philosophy »…………….. Je ne l’avais pas acheté par pédantisme (ce titre..) mais parce que l’un ou l’autre de ses contributeurs avaient écrit des choses utiles voire remarquables, sauf que là……… D’une vacuité hors-normes.

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    1. Bon.. Je vais éviter, maintenant que ça me revient, de préciser ce pourquoi Boniface devint soudain et à bien des égards un paria ; ça vaut sans doute mieux!

      De l’équation football et géopolitique, l’une de ses marottes : toujours les mêmes marronniers qu’il y a un demi-siècle, c’est poussiéreux, toujours les mêmes angles d' »attaque ».. Une constante sur la question : l’Occident démocratique a été avare en la matière, il y semble en tout cas toujours absent (dont chez Boniface), alors que, bien au contraire..

      De manière générale, tous ces ouvrages structurés comme des compilations des 50, 10, 22 (warum 22?) ou que sais-je encore événements tchic-tchac-tchouc pèchent toujours par superficialité, déficit de contextualisation, manque consternant du moindre sens…………. J’ai fini par les fuir – et apparemment je fais bien, lol.

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  2. Maurice Carême et René-Guy Cadou, les enfants de ma génération s’en souviennent forcément. Je ne me souviens plus de leurs vers mais il me semble qu’ils étaient doux et nostalgiques. Dans mon école de petite ville communiste, où les enseignants avaient la carte du parti pour la plupart, c’était Eluard, Desnos, Aragon et de temps en temps les bluettes de Carême et Cadou.

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  3. Dans ce fameux Salvador Honduras était présent José Cardona, certainement la première réussite hondureña en Europe. Passé par Elche et surtout champion d’Espagne avec l’Atletico des Aragones ou Ufarte. Un vieux copain m’avait dit que son père, que j’ai vu tres peu de fois, était au Salvador au moment de la guerre. Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’en parler avec lui.

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  4. Je crois n’avoir lu qu’une fiction ayant comme sujet le football. Football factory de John King. Et j’avais beaucoup aimé. Surtout qu’à l’époque où je l’ai lu, on était deja bien éloigné du Chelsea décrit dans le bouquin.

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      1. Pareil, (enfin!) lu il n y a pas longtemps. Beaucoup aimé après un démarrage difficile.

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  5. La rubrique où Bobby se fait de nouveaix amis !
    En meme temps, si c est pour toujours relater sans cesse ces memes histoires inlassablement.. je comprends pas qu on vend encore des bouquins de ce type: c’est toujours 20 fois les memes recits repetes sans rien de neuf.

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  6. En fait, il semblerait bien que Maurice Carême aussi était supporter d’Anderlecht, en des années où ce club était en Belgique qualifié de « club-ascenseur » (il fit constamment l’aller-retour D1-D2 entre les deux guerres). Et probable admirateur de la première vedette du Sporting, donc : le dénommé Ferdinand « Cassis » Adams (lequel entraîna Goethals).

    Je lis aussi, de ci de là, que ce serait le premier roman consacré au football??? J’ai beaucoup de mal à le croire, ça me paraît fort belgicain comme acception, mais, qui sait..??

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