Jour de Brennus

Quand on aime le sport et que l’on a grandi à Toulouse, la finale du Championnat de France de Rugby est une date à ne pas manquer. Surgit aussitôt la foulée irrésistible de Denis Charvet en 1989, parti quasiment de son en-but et transperçant la vieille garde toulonnaise de Daniel Herrero et Eric Champ, tel un éclair électrisant le Parc… Je n’étais pas au Capitole pour célébrer le retour des héros mais je me souviens parfaitement du défilé de maillots rouge et noir le lendemain dans la cour de récréation. L’identité sportive de la ville m’était ainsi révélée, je ne me doutais pas que ces moments de communion seraient aussi fréquents.

Si mon adolescence est indissociable de la finesse d’un Castaignède, de la rudesse d’un Claude Portolan ou de la précision d’un Deylaud, comment oublier l’irrévérence du Racing des Cabanes et Lafond, la fougue du RCT de Delaigue, la tortue beglaise et le vol caractérisé du Grenoble de Fouroux ? Dans ce sport presque uniquement dédié aux cités de taille moyenne, le Stade Toulousain était l’homme à abattre, modèle de jeu et arrogance fournie jusqu’à l’apparition d’un drakkar aux couleurs arc en ciel…

La débâcle face au Stade Français en 1998, après quatre ans de règne sans partage, c’était la modernité qui crachait à la tronche de la tradition. Plus rien ne serait comme avant. Les arrières devenaient mutans, les premières lignes se changeaient en brise, Paris et ses paillettes brisait l’omerta de la sueur et de la boue d’un grand coup de pied dans la fourmilière… Et n’ayons pas peur de le dire, quand Dominici déboulait sur son aile ou que Dominguez s’apprêtait à réaliser une pénalité, le fan respectueux ne pouvait que se lever pour applaudir.

Comme c’est souvent le cas, c’est en s’extrayant de ce duel des Stades, qui vampirisait alors les médias, que l’on rencontre la plus belle perle. Cette troisième force basque des Yachvili et Harinordoquy qui laissèrent les Toulousains groggys comme jamais en 2006. Viendront le temps de la reconquête de Byron Kelleher, après sept de disette, du folklore de l’USAP, de la libération des Jaunards à la suite de 10 cruelles déconvenues. Un bouclier tenu à bout de larmes par Aurélien Rougerie, mise à mort d’une malédiction célébrée par tout passionné de ce jeu.

Les quinze dernières années n’ont pas la même saveur. J’ai beau avoir apprécié les sacres frondeurs de Castres, dernier refuge des gueux toisant les nantis, et admiré la classe d’un Wilkinson ou le tour de passe-passe de Rokocoko au Camp Nou, je n’ai jamais vraiment chaviré. Paroles de vieux con, pour qui le titre de Montpellier manquait de légitimité historique… Pour être sincère, c’est plus de l’Atlantique que de la tonicité d’un Dupont que viendra cette sensation de fraicheur qui me manquait tant, sous les aspérités maritimes de La Rochelle ou de l’UBB. Des clubs snobés par un bouclier qui ne se laisse pas attendrir si facilement… Ce soir, mon cœur sera un peu partagé, dans ce remake de la finale précédente qui fut une véritable torture pour les pauvres Bordelais. Ayant posé mon séant sur les gradins de Lescure tant de fois et devant à sa ville ma plus jolie révolution, je préfère botter en touche et joue donc la carte de la diplomatie : que la fête soit belle et que le moins bon des deux ne gagne pas !

6 réflexions sur « Jour de Brennus »

  1. Le début des grandes heures « modernes » du Stade, c’est la superbe finale de 1985 remportée 36-22 a.p. face à Toulon, premier titre depuis 1947. Je me souviens avoir pesté devant le gâchis à la finition de cette superbe ligne de trois-quarts (Novès, Charvet, Bonneval, Rancoule, avec Gabernet derrière eux) qui aurait dû marquer deux ou trois essais de plus.

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    1. Les titres 85 et 86, bien trop jeune pour m’y intéresser. En 89, Codorniou jouait au Stade. Cigagna était déjà là. Karl Janik… Itinéraire intéressant cette famille Janik.

      « Polonais par son père et Tchèque par sa mère, le petit Reinhard Janik est élevé à la dure à Berlin où il naît en 1928. Les bruits de bottes nazies commencent à se faire entendre dans la capitale allemande. Son père veut faire de lui un coureur de demi-fond. A 10 ans, il le suit à vélo et en cas de coup de pompe, Janik junior se fait botter les fesses ! Mais la guerre éclate. Reinhard va la vivre au milieu de prisonniers anglais et français qui lui font découvrir le rugby au grand dam de monsieur Janik père. Il va taquiner le ballon ovale à Berlin jusqu’en 1947, mais l’Allemagne n’est pas un pays de rugby. Janik s’engage à Strasbourg dans la légion étrangère.

      Sportif complet, il pratique le pentathlon et se classe même cinquième du Championnat de France 1950 sous le maillot de la légion. Direction ensuite le Maroc. Devenu désormais prof de gym au lycée d’Oujda, il apprend le rugby et l’athlétisme aux gamins. Parmi eux, un certain Abdelatif Benazzi. L’ex-capitaine des Bleus parle souvent du « père » Janik qui lui a tout appris. L’autre fierté de Reinhard, c’est son fils Karl, quadruple champion de France avec Toulouse et actuellement entraîneur de Rouen (3 e Division). Présent à Lille en 1982 afin de participer aux Gymnasiades avec la sélection marocaine, Reinhard Janik rencontre les dirigeants du PUC qui souhaitent l’enrôler. Naturalisé français, il accepte aussitôt. Au PUC, il fait tout : entraîneur et gardien du stade ! Avec lui, Alice Meyer devient championne de France du disque et du marteau. Ses records tiennent d’ailleurs toujours. Janik fait ensuite la connaissance de François Monteilhet, entraîneur à l’ES Viry. Le « transfert » dans l’Essonne est conclu en 1990. Véritables baroudeurs, les deux compères écument les écoles primaires viroises à la recherche de talents. Doucouré, Gouacide, Tessier, Guérini, Gérance, Mendy, Grondein, Grégoire, Marcault, Rose et Gaubier, Mezrahi et Chanfreau : la liste s’étoffe au fil des années. Des graines de champions dont le chef de file est aujourd’hui Ladji Doucouré, un des meilleurs spécialistes français du 110 m haies. Mais les rapports n’ont pas été toujours faciles avec Ladji, fou de foot. « Tu parles beaucoup trop de foot, lui lance Janik un jour. Tu ne seras jamais Zidane. En revanche, je suis persuadé que tu peux devenir un grand athlète. » Paroles d’expert En désaccord avec les dirigeants virois, Janik claque la porte du club en 1999 et monte sa propre équipe : Viry Décatlhon. Jalousé par les uns, méprisé par les autres, Reinhard s’en moque et continue de tracer sa route avec « ses » jeunes qui le considèrent comme un deuxième père. Sa dernière trouvaille s’appelle Sarah Baron qui vient de totaliser 103 points au récent triathlon Lifa. Du jamais vu. Elle sera la grande favorite des prochaines Pointes d’or. « Quand je serai mort, j’aimerai que l’on se souvienne de moi comme quelqu’un qui a servi à quelque chose », confie Reinhard, fidèle serviteur du sport. Mais qu’on se rassure, l’épitaphe n’est pas près d’être gravée.

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  2. Ce qui est admirable avec le Stade, c’est sa capacité à rester au top. La fin de l’ère Novès – Bouscatel aurait pu signifier un retour au second plan de Toulouse mais non, Mola et Lacroix ont su perpétuer la domination. Même si les méthodes sont manifestement olé olé en ne respectant pas le salary cap…

    Le Top14 est une compétition formidable et j’espère qu’il demeurera durablement accessible à des équipes plus modestes du sud ouest. On prédisait il y a quelques années l’arrivée des grandes villes de toutes les régions dans l’élite, ce n’est pas le cas et je m’en réjouis. Aller à Castres, à Brive, à Perpignan, c’est perpétuer l’histoire. Et evidemment, suis ravi de la montée de Montauban !

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    1. Mola fait un travail admirable. Les deux premières saisons ont été délicates mais par la suite… Et dans ce sport de filiation, voir les rejetons des Ntamac, Brennan ou Roumat sonne comme une évidence.

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  3. Venant d’un pays dénué de la moindre culture rugbystique, j’ai chopé le virus de l’ovalie de manière totalement inattendue grâce à la surmédiatisation du duel Stade Toulousain-Stade Français et je ne sais pourquoi mon cœur a penché instinctivement du coté des rouges et noirs. Plus le temps passait, plus je découvrais les tenants et aboutissants de ce sport formidable et la particularité de cette immense institution qu’est le ST. J’ai toujours vibré face aux chevauchées fantastiques de Vincent clerc, aux coups de pied chirurgicaux de JP Elissalde, aux tacles ravageurs de Fabien Pelous et Thierry Dusautoir, à la puissance de Byron Kelleher et aux éclairs de génie d’Antoine Dupond, et ce malgré l’admiration et le respect suscités tantôt par le BO, Clérment, Toulon ou l’UBB.

    La finale de ce soir s’annonce des plus relevées et plus équilibrées de ce début du siècle, elle ne sera pas à sens unique tel que fut le cas l’année dernière car tant de choses ont changé en une petite année. L’UBB a emmagasiné beaucoup d’expérience et a fait le plein de confiance en remportant la Coupe d’Europe avec brio, il a aussi un léger avantage psychologique en ayant remporté ses trois rencontres face aux toulousains cette saison. De plus, il récupère sa pépite et meilleur marqueur du Top 14 Louis Bielle-Biarrey au meilleurs des moments, qui forme la meilleure paire d’ailiers au monde en association avec le non moins redoutable Damien Penaud. De l’autre côté le ST souffrira peut-être de l’absence de son maitre à joueur et meilleur demi de mêlée (voir meilleur joueur tout court) au monde, mais compensera cet handicap avec un banc de remplaçants de meilleure qualité qui pourra faire la différence compte tenu des conditions environnementales difficiles.

    L’une des clés du match sera la bataille tactique du jeu de pied d’occupation car les deux équipes disposent de bases arrières avec des joueurs excellents au jeu au pied offensifs, avec Ramos et Ntamack d’un coté et Lucu, Jalibert, LBB, et Penaud coté bordelais. Que le meilleur l’emporte, et vive le Stade Toulousain.

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