Cœur de Lionceau quelque part, hier et demain

Sauvé sur le fil ! La DNCG a rendu un avis favorable au plan de reprise concocté in extremis par Jean-Claude Plessis, le comité exécutif de la FFF a suivi, et le FC Sochaux est maintenu en National 1. Si le dépôt de bilan est évité, le risque de voir le club abandonner le professionnalisme n’est toutefois pas entièrement écarté : il suffirait sans doute que le FCSM ne remonte pas rapidement en Ligue 2… Après Sedan, après Lens, après Lille, après Strasbourg, après bien d’autres partis, eux, pour ne jamais revenir, c’est un nouveau grand nom de notre football qui se retrouve à la croisée des chemins, entre la rédemption et l’enfer. Quel gâchis…

On n’est pas obligé d’être supporter des Lionceaux pour se réjouir de la survie du club. L’auteur de ces lignes ne l’a jamais été, pas plus qu’il ne les a détestés – qui le pourrait vraiment, d’ailleurs, sauf à nourrir une haine viscérale pour la famille Peugeot, l’entreprise que celle-ci a créée, ou à la rigueur le paternalisme industriel d’avant-guerre que celle-ci incarne, un club de football étant d’ailleurs loin d’en être la pire manifestation ? Ce qu’est le FC Sochaux, la lecture objective de ses états de service nous l’apprend : champion en 1935 et 1938, vice-champion en 1937, 1953, et 1980, vainqueur de la Coupe de France en 1937 et 2007, finaliste en 1959, 1967, et 1988, présent en Division 1 ou 2 depuis le début du professionnalisme en 1932 sans autre interruption que pour cause de guerre. Un monument.

Au-delà de ces quelques dates sur un papier de plus en plus jauni, il y a les émotions et les souvenirs. Très rares sont maintenant ceux sur cette terre qui peuvent témoigner de l’âge d’or du club, il y a plus de 80 ans, à une époque où on ne pouvait vivre pleinement le moment qu’au stade. Plus nombreux sont ceux qui ont partagé, souvent par télévision interposée mais toujours dans la communion du direct, l’autre page de gloire qui allume encore une lueur dans les regards quarante ans après : l’épopée des Lionceaux en Coupe de l’UEFA 1980-1981.

C’était une époque que les moins de 40 ans ont peine à imaginer. C’était une France qui n’avait jamais rien gagné dans quelque sport collectif majeur que ce soit – le rugby, peu répandu à l’échelle mondiale, faisant office de consolation. On vivait sur le souvenir de la « grande équipe de France » troisième en 1958, sur les campagnes européennes de Saint-Étienne ou de Bastia, perdants magnifiques en 1976 et 1978, ou sur le renouveau des Bleus tempéré par la déception du Mundial 1978 et l’échec en éliminatoires de l’Euro 80. C’était l’ère des désillusions incessantes en Coupe d’Europe, entre un Nantes qui n’y arrivait (presque) jamais, un Monaco qui explosait face à n’importe quel adversaire un peu physique, des Verts qui ne retrouvaient pas le cap, sans parler des autres… Alors Sochaux est arrivé, tout nouveau tout beau sur la scène européenne (enfin, presque, après deux premiers tours pour voir en 1972-1973 et 1976-1977) après sa surprenante deuxième place en 1979-1980.

Le lycéen que j’étais ne savait pas trop à quoi s’attendre au premier tour face au Servette de Genève. Après un convaincant 2-0 télévisé à l’aller et un 1-2 (non retransmis) sans trop trembler au retour, il avait tout de même pris note que les Lionceaux étaient passés, comme Saint-Étienne en C3 et Nantes en C1 aussi d’ailleurs, là où Monaco avait chuté en C2 face à Valence. Au deuxième tour, les caméras étaient braquées sur Nantes (éliminé par l’Inter) et Saint-Étienne (facile face aux Écossais de St. Mirren). Personne n’avait vu Sochaux signer son premier exploit, une victoire 1-0 à Porto sur le Boavista après le 2-2 de l’aller à Bonal, et les cœurs n’étaient pas encore conquis. Ce serait pour le tour suivant.

À l’aller contre Boavista. Debout, de g. à d. : Bezaz, Djaadaoui, Stopyra, Ruty, Rust, Ivezic. Au premier plan, de g. à d. : Durkalic, Anziani, Genghini, P. Revelli, Posca.

En huitièmes de C3, les Verts avaient monopolisé l’attention en signant un exploit majuscule : une victoire 5-0 à Hambourg, finaliste de la C1 la saison précédente. Ce match n’était pourtant retransmis qu’en différé car les chaînes du monopole d’État avaient préféré Sochaux pour le direct, face à un autre ogre : l’Eintracht Francfort, tenant de cette même C3. Au Waldstadion, ce soir-là, les Lionceaux n’avaient d’abord pas vu le jour, menés 4-0 au bout d’une heure de jeu. Mais ils s’étaient attiré l’estime des téléspectateurs en ne baissant pas les bras et en marquant deux buts en fin de match qui rendaient tout à coup le miracle possible.

Et puis il y a eu ce retour légendaire, quinze jours plus tard, sur la neige de Bonal. On voulait y croire au coup d’envoi, on vibrait devant nos TV en suivant des yeux ce bizarre ballon jaune fluo, on s’est mis à espérer quand Patrick Revelli, « le Gaulois » à la moustache astérixienne, a ouvert la marque après 17 minutes. Le temps passait, l’épouvantail allemand n’arrivait pas à se montrer dangereux, c’était même Sochaux qui continuait à dominer… et à marquer, deux minutes avant la mi-temps, encore par le Gaulois ! Le chrono tournait trop lentement, Albert Rust dans la cage sochalienne n’avait toujours rien à faire, Revelli, perclus de crampes, serrait les dents sans remplacement possible… Plus que dix minutes, plus que cinq, plus que deux, ça commençait à balancer n’importe comment sous la pression… OUI, ils l’avaient fait, ils avaient éliminé le sortant !!! Quelle belle surprise, en plus de la qualification annoncée des Verts !

En quarts de finale contre le Grasshopper Zürich, tout le monde connaissait maintenant les Djaadaoui, Ruty, Durkalic, Ivezic, Genghini, Anziani, ou Stopyra, et on attendait des merveilles. À la place, on a eu un thriller qu’on ne voulait pas vraiment, en direct de bout en bout : un 0-0 un peu décevant à l’aller en Suisse, un pion pris d’entrée au retour à Bonal, trois quarts d’heure de cravache avec un seul but à la clé face à un Roger Berbig en état de grâce dans le but zurichois, et ce coup franc d’anthologie de Genghini à la 84ème qui avait libéré toute la France. Comme dans le même temps Saint-Étienne avait pris un bouillon mémorable face à Ipswich Town (1-4, 1-3), les Lionceaux devenaient les derniers Français en course, sur les traces de Bastia trois ans plus tôt ! Hélas, en demi-finale face à l’AZ 67, la marche était un peu trop haute. On l’a vu dès l’aller avec un 1-1 bien maîtrisé par les Néerlandais avant un 3-2 au retour à Alkmaar sans discussion lui aussi.

Sur le terrain, ces Lionceaux ne faisaient rien de spécial, mais ils le faisaient simplement et bien. Simplicité, c’était vraiment le mot qui les caractérisait. On pensait en les regardant au Saint-Étienne de 1974, à cette classe biberon des Verts qui était elle aussi partie à l’assaut de l’Europe avec son insouciance et sa cohésion. Jean Fauvergue, sur le banc, n’avait pas l’aura d’un Robert Herbin mais respirait comme lui la compétence tranquille. René Hauss, le directeur sportif, prospectait et bâtissait avec l’œil et la patience d’un Pierre Garonnaire. Jacques Thouzery, dans le fauteuil présidentiel, n’avait pas la truculence d’un Roger Rocher mais travaillait comme lui, dans la loyauté et sur le long terme. Malgré les projecteurs tout à coup braqués sur ce coin discret aux limites de la Suisse, personne au club ne s’était mis à se la jouer ou à bâtir des projets de croissance irréalistes pour une ville de 30 000 habitants. Prendre le succès comme il vient, garder les pieds sur terre, rester fidèle à ses valeurs :  un cocktail de vertus qui avait rendu Sochaux sympathique au pays tout entier.

Il n’y a jamais rien eu de pareil à cette saison 1980-1981 dans l’histoire du club, ni avant, ni après. Lui aussi a pourtant pris place dans les rangs des beaux perdants dont nous faisions notre bonheur, à défaut de titres qui allaient finalement commencer à venir avec l’Euro 84. Mais pendant ces quelques semaines, il a porté seul nos couleurs en Europe et a offert à la France des moments dont toute une génération garde le souvenir quarante ans après. Cela, aucun micmac financier, aucune rétrogradation administrative ne pourra l’enlever ou l’effacer. Le FC Sochaux retrouvera peut-être vite la lumière de la Ligue 1, il tombera peut-être dans l’abîme pour toujours comme le Racing en son temps, mais il a déjà laissé dans l’histoire de notre football une empreinte profonde, une identité attachante et authentique, une parcelle de gloire qui ne mourra jamais.

La grande équipe des années 30. Debout, de g. à d. : Ross (entr.), Szabo, Mattler, Hug, Di Lorto, Lehmann, Cazenave. Au premier plan, de g. à d. : Keller, Faczinek, Courtois, Hoffmann, Korb.

20 réflexions sur « Cœur de Lionceau quelque part, hier et demain »

  1. Très beau papier, thanks.
    J’étais devant la télé pour le match contre Francfort. Éliminer un club allemand, c’était rarissime pour les Français. Il y avait Cha Bum Kun, ce pionnier coréen puissant et rapide, et l’élégantissime Bruno Pezzey en libero. Revelli avait fait un match de mammouth.

    Et puis Sochaux, pour moi, c’est le stade Bonal. Sa tribune latérale basse adossée aux usines, sa pelouse magnifique ceinte d’une cendrée d’un autre âge, une maison que l’on apercevait derrière un but dépourvu de gradins, des résumés sur Téléfoot sur lesquels on ne voyait rien à cause du brouillard… le foot à l’ancienne, celui de mon enfance !

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  2. sympa ce petit rappel d’une saison particulière, nous tirions nos derniers feu même le « gaulois » avait quitté la maison mère
    j’ai pas de souvenirs de cette saison, trop petit mes 1er vrais souvenirs seront l’été suivant, une « épopée » à la Bastia 78 avec la neige à la place de la boue^^
    mon 1er souvenir vrai des lionceaux c’est leur saison démente de 87/88 en d2 où la France découvre Faruk et Mecha, un Stéphane Paille grandiose (regardez les équipes en D2 à l’époque^^) 29 victoires 2 défaites (mais qui a osé?!!) et quasi 100 buts dans la saison en…34 matchs!! j’étais allé les voir au Puy une orgie (oui la cité ponnote 20000 âmes existait encore sur la carte du foot)
    ils fileront en finale de la coupe contre la grosse équipe de Metz de l’époque et perdent aux penos il me semble
    quand on recevait Sochaux à GG on avait notre tête de turc Isabey qu’est ce qu’il prenait sur les corners!! sacré centre de formation quand même il a du être le meilleur de France ou pas loin à un moment

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      1. effectivement Khiadia il me semble que tu avais raconté cette histoire ici ou sur so foot (ou le forum de so foot)^^
        je sais plus lequel des 2 a la double nationalité tellement il a aimé la france

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      2. Faruk venait du Betis, avant de tenter l’aventure sochalienne. Et j’aime bien cette amitié qui symbolisait Sarajevo. Mecha du Željezničar, Faruk du FK. J’ai de toute façon, une tendresse pour ces clubs de Bosnie, avec malgré tout une préférence pour le Velez.

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    1. Je me souviens d’eux vers, quoi, 2003-2004?? Plein de belles promesses encadrées par des vieux « beaux » genre Verano, de tête Monsoreau, Pagis, Oruma, Frau, Santos, Jeremy Mathieu..Pedretti??? J’en oublie sans doute, et pas des moindres..

      1-2 ans de plus ensemble, et j’avais la conviction qu’ils auraient pu finir champions ; avant l’arrêt Bosman ça l’aurait fait!

      Après cela : perdu de vue.

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      1. Finalement, c’est Jeremy Mathieu qui a eu la plus belle carrière. Et pourtant son départ pour Toulouse, après son éclosion sochalienne, était étonnant. Et risqué.

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    1. J’ai la sensation inverse : de belles saisons avec un milieu sympa, Puel en 6, Bijotat en 8 et Genghini en 10. Il me semble qu’il marquait beaucoup à l’époque. En revanche, pas de titre de champion.

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      1. Merci Verano. N’ayant pas connu cette période, l’absence de titre me laissait penser que l’expérience était mitigée. Peut-être plus pour Bravo que pour Genghini.

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      2. Oui, Bravo a mis un temps fou à confirmer et c’est avec le PSG au milieu qu’il a vraiment été régulier.

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  3. Content que le club soit sauvé in-extremis, mais c’est quand même malheureux d’attendre la quasi-disparition pour empêcher le désastre.
    Dans mon imaginaire, Sochaux est indissociable de son ancien entraîneur moustachu.

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