Le crépuscule de nos idoles

 J’ai toujours voulu savoir pourquoi la carrière de mon joueur préféré, Alessandro Del Piero, ne s’était pas terminée à la Juventus de Turin, son amour de toujours (il était supporter du club depuis son enfance).

 Le jour de son dernier match au Juventus Stadium, le 13 mai 2012, j’étais devant ma télévision, et je crois n’avoir réalisé qu’il allait vraiment partir qu’en le voyant faire le tour du terrain, à sa sortie pour remplacement, durant plus de 10 minutes, devant des tifosi en larmes, tout comme moi. Et sans doute comme nombre d’amoureux du football, supporters ou non de cette Juventus avec qui il avait tout gagné.
 Pourtant j’y avais cru, durant cette dernière année où il jouait un rôle de joker qui lui seyait comme un gant, du haut de ses 37 ans (et toujours 174 cm). Mais malgré cette dernière saison où il avait accepté un contrat à nulle autre pareille (contrat en blanc, sans salaire), pour pouvoir continuer à servir fidèlement sa Vieille Dame, la loi du business est impitoyable, et Agnelli voulait du renouveau, malgré les beaux restes de son attaquant fétiche de la décennie passée (et un peu plus).

Malgré tout, j’ai mis beaucoup de temps à accepter cette explication, surtout pour un joueur comme Del Piero, fidèle entre les fidèles, prêt à descendre avec son club en seconde division à la suite du calciopoli, au moment où toute l’Europe lui faisait les yeux doux et où il trônait sur le toit du monde avec la Squadra Azzura… J’étais certain qu’il aurait volontiers accepté un rôle de super-sub pour encore une ou deux années avant de raccrocher, et pourquoi pas intégrer l’encadrement du club, comme son pote Pavel Nedvěd. Malheureusement, quelle que fut la volonté à l’époque de mon joueur fétiche, ce n’était pas le seul paramètre. Peut-être que celle de son ancien coéquipier devenu son coach, Antonio Conte, a pu compter, difficile de savoir sans interroger au moins l’un des principaux intéressés…

 Il existe de nombreux autres exemples de fins de carrière de joueurs emblématiques de leur club : au hasard, Raùl, Casillas, Totti, Maldini pour citer des exemples qui concernent de grands clubs européens, mais il y en a eu également en Ligue 1, bien que ces dernières années ce furent plutôt des gardiens, poste qui connaît un renouvellement moins important que les joueurs de champ. Mais un seul autre départ déchirant me vient en tête quand je réfléchis pour trouver des joueurs d’un seul club, plus ou moins virés comme des malpropres… et c’est évidemment Steven Gerrard, la dernière véritable légende de mon club de toujours, le Liverpool FC. Titulaire incontestable et incontesté à tout juste 20 ans, il a tout gagné avec son club sauf ce damné championnat qui se refusait à lui, inlassablement, et qu’il a raté à une mauvaise passe et une fameuse glissade près en cette fin de saison 2014…

Mais alors qu’il était sur une pente descendante depuis déjà quelques années, et pas uniquement physiquement, le club et lui n’ont pas réussi à s’entendre lors de cet été 2015, et son départ fut acté. Pour toujours pensais-je à l’époque sombrement… Il a traversé l’Atlantique pour aller jouer sous les couleurs du Los Angeles Galaxy. Il n’y est finalement resté qu’une saison, pour revenir dans l’encadrement de SON club dès l’année suivante, aiguiser ses talents de coach auprès de l’équipe des moins de 18 ans. Mais pourquoi cette saison par-delà les mers ? Encore une fois, on ne peut que supposer, que l’avis de son coach, Brendan Rodgers à l’époque, y aura joué un rôle par exemple, ou que les dirigeants du club refusaient d’accéder à une requête concernant les termes de son contrat…

En tant que passionné de foot, on est le plus souvent supporter d’un club. Mais on se retrouve aussi fatalement supporter de certains joueurs, surtout les plus emblématiques de nos clubs. La majeure partie le sont devenus au travers du temps passé à les admirer, à les critiquer parfois, mais surtout à les pousser envers et contre tout, dans la défaite comme dans la victoire… (ou le match nul mais bon ils ont régulièrement la saveur de l’un ou de l’autre malgré tout).

Et il est donc d’autant plus difficile de les voir se rapprocher d’une forme d’obsolescence face à ce pourquoi ils ont été programmés, depuis leur plus jeune âge. Mais le plus dur à accepter c’est sans doute que n’importe lequel de ces joueurs reste plus fort et doué que nous, derrière nos écrans ou au stade, et qu’ils sont malgré tout poussés vers la sortie sans autre forme de procès. Il arrive d’ailleurs régulièrement que lors de la saison suivant leur départ, les supporters les réclament en cas de mauvais résultats. Dans le cas contraire, en revanche, ils sont évoqués avec nostalgie déjà, mais sans regrets concernant la fin de l’histoire entre le club et le joueur, surtout si le dit joueur avait annoncé publiquement vouloir continuer à jouer coûte que coûte. Mais je ne peux m’empêcher de penser que les clubs qui les emploient auraient sans doute à y gagner, à mieux négocier les dernières années de ce type de joueurs, quasi disparus. Car ils ont fait l’image de leur club, durant des années, et que leurs supporters s’identifient souvent à ces joueurs plus qu’à d’autres, ce qui les arrangent bien à tous les niveaux, notamment financier (le nerf de la guerre).

 Et cela permettrait à nous autres pauvres supporters, impuissants à commander quoi que ce soit au destin de nos clubs adorés, de pouvoir croire à une forme de grande famille… Où les glorieux anciens seraient célébrés et accompagnés vers la fin de leur magnifique carrière, magnifique évidemment au vu des titres accumulés mais surtout au vu de leur longévité dans leur seul club, à nos côtés.

Nous, leurs petits frères plein d’étoiles dans les yeux…

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27 réflexions sur « Le crépuscule de nos idoles »

      1. Oui Caen, il y a joué plus de 100 matchs, et ça doit être le seul de ses clubs où il est une idole des supporters.

        Pour Abreu, je dirais Botafogo. Il a laissé de très bons souvenirs là-bas, ils avaient tout gagné au niveau des compétitions d’état avec lui, et ça doit être son plus long passage dans un club. D’ailleurs il y a son portait sur le mur des idoles, qui plus est, il doit être le joueur le plus récent représenté dessus.

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    1. Ben je crois que ça l’a été pendant très longtemps mais qu’avec le temps c’était devenu juste un geste routinier, ce pourquoi Klopp a interdit à ses joueurs de le toucher à son arrivée tant qu’ils n’avaient pas gagné au moins un trophée avec le club !

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  1. A lecture de cet article, pensée pour le formidable capitaine du Standard Liège des 80’s-90’s Guy Hellers.

    Intronisé capitaine tout jeune, quand son club fut au bord de la disparition pure et simple.. Relativement sous-payé, se vit refuser par sa direction ce qui eût été le transfert-record du foot belge (un passage à Anderlecht, qui en avait fait sa priorité.. et restait alors un très bon payeur à l’échelle européenne).. et au final jeté comme un malpropre au seul tort d’avoir relayé, en sa qualité de capitaine, les reproches de ses équipiers à l’encontre de la nouvelle direction en place (D’Onofrio-Ivic).. alors qu’il ne partageait pas même ces reproches!!! (en substance : cette nouvelle direction s’employait à professionnaliser un club resté largement artisanal dans ses structures et modes de fonctionnement)

    Sa carrière pro prit abruptement fin de la sorte, comme un paria et de tête à 36 ans. Une des fins de parcours les plus lamentables que je connaisse.

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  2. Sinon et toujours en Bezlgique il y a le cas Van Himst.

    Enfant de la maison (repéré dans l’enseignement fondamental, pas 10 ans quand il rejoignit Anderlecht), refus de son club de le laisser partir au Real (notamment)……….. mais dès qu’il rentrât dans le dur physiquement : merci et au revoir, jeté comme une vieille chaussette..

    Mais le pompon! : il signe alors chez les ambitieux voisins du RWDM, club alors déterminé à « faire construire un parking à la place du Stade Astrid (antre du Sporting Anderlecht) », peu dire que les dirigeants respectifs de ces deux clubs ne pouvaient pas se blairer.. et y fut bien vite suspendu pour doping!

    Ca, il faut dire que ça ne manque pas de sel.. vu que le seul club belge dont est établi qu’il connaissait alors un système de doping institutionnel était alors le.. Sporting Anderlecht! (où bien sûr aucun joueur ne fut toutefois jamais épinglé)

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    1. Quand Van Himst revint comme entraîneur, bombardé dans la foulée d’Ivic à la tête d’une des meilleures équipes d’Europe quoique dénué de la moindre expérience : rien d’autre qu’un coup mercantilo-« politique » (sens large).

      Ivic avait bâti un Anderlecht quasi-invincible mais, aux antipodes stylistiques de la culture-club-maison : clinique et frigide!.. d’où son licenciement, décision « la plus dure » jamais prise par le Président VandenStock (c’est texto dans ses mémoires) ; le public mauve n’en pouvait plus du jeu ultra-défensif du Croate, une insupportable hérésie.

      Pour se réconcilier avec son public, VDS rappela donc un enfant de la maison, l’idole des jeunes Van Himst..qui parvint à surfer sur le travail accompli par Ivic quoique en en libérant les chevaux, en fait on peut affirmer qu’il ne fit pas grand-chose..et fut bien vite dépassé par les événements..

      Les deux finales de C3 qu’il atteignit? Le sacre de 83, c’est merci Lozano.. et quant à la finale de 84 : parcours de A à Z vicié par la corruption.

      Van Himst à la tête des DR 94, certes volés face à l’Allemagne : un fiasco! ; trop mou, Van Himst laissa prospérer certain bordel voire malaise au sein de son groupe de joueurs, alors du très haut niveau (un groupe en or, même!).

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      1. Ivic était hyper défensif à Anderlecht? J’ai souvenir que c’est une critique qu’il recevait du temps du PSG. Son Hajduk avait plutôt une réputation offensive si je me trompe pas.

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      2. Une horreur!

        Ce qui conduisit au match le plus négatif de notre Histoire, la Supercoupe 81 entre Anderlecht (champion haut la main sous Ivic) et le Standard (vainqueur de la Coupe sous Happel, une finale d’ailleurs ultra-offensive face au Lokeren des Lubanski, Elkjaer-Larsen, Donias, Lato & Co).

        Le logiciel de Ivic était à ce point défensif, frigide..que Goethals, successeur de Happel au Standard, décida de lui donner une petite leçon de choses pour ce Trophée des Champions « à la belge »..en interdisant tout bonnement à ses joueurs de dépasser la ligne médiane!

        Il avait annoncé la couleur avant-match : il entendait montrer à Ivic, fût-ce par l’absurde, l’inanité de ses vues footballistiques………….et donc, de tête : pas la moindre frappe durant les 120 minutes de jeu!, « match » archi-verrouillé des deux côtés et séance de tirs au but finalement remportée par le Standard..sur la pelouse d’Anderlecht, temple du football technique et offensif.. ==> Ce fut l’un des clous dans le cercueil d’Ivic.

        A part ça ils étaient bons copains, animés d’un profond respect mutuel.. et, ce que j’adore : tandem connu pour refaire régulièrement le monde tactique, l’Histoire du foot même!, sur des cartons de bière jusqu’au bout de la nuit, au fond de cafés sans cachet aucun………….. Faut s’imaginer Klopp, Guardiola ou Mourinho en faire autant aujourd’hui après-match, des heures durant..

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      3. Je crois qu’Ivic n’a pas une très bonne presse en France, souvenir en rien impérissable m’a-t-il semblé..

        Mais je me rappelle aussi que la presse spécialisée italienne lui décerna le titre honorifique d’entraîneur le plus efficace de l’Histoire!

        Moi, je respecte ce type : pas de passe-droit, un roturier et tout au mérite.. un parcours qui témoigne de prises de risques constantes et d’une curiosité absolue!.. et donc des résutats..absolument partout, qu’importassent les moyens, difficultés………. Son football était sans doute certes négatif, comment ne pas avoir respect voire admiration pour un tel bonhomme?

        Surtout : il a apporté énormément à la culture-jeu, moult passerelles avec le basket dans la pratique du pressing, la mise au point de phases véritablement tactiques aussi.. On ne le cite jamais parmi les tops à la con pondus par la presse-marchande et cependant, tant en termes d’apport que de mérite que de résultats glanés : il met à l’amende 90% des types panurgiquement cités en boucle!

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      4. Je ne me rappelais plus du nombre d’années durant lesquelles il coacha, ai vérifié..et 37 ans donc!

        Eh bien, en 37 ans, il me semble avoir toujours fini, quelque saison que ce fût, a minima sur le podium et/ou atteint une finale de coupe. Ce en composant, à la grosse louche, avec une vingtaine de clubs, une douzaine de cultures-foot distinctes (rien à voir avec le football générique contemporain)……..et, pour ce que j’en ai vu/suivi : bonne moitié de ces contrats étaient des traquenards (clubs en crise sportive, en transition, au bord de la faillite..)!, chapeau bas..

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      5. Si Sindelar repasse par là, il aura peut-être souvenir que je lui affirmai (idée d’article parmi..tant/trop d’autres, question de temps) que le « Danish Dynamite » sous Piontek procédait de l’Anderlecht du tout début des 80’s, avec Morten Olsen dans le rôle du type qui apporta la lumière tactique, fut le passeur de témoin culturel (Piontek – qui d’ailleurs eut la classe de reconnaître, spontanément, que Morten Olsen était un bien plus grand entraîneur que lui! -, ce n’était « que » discipline, encadrement..), bref..

        Morten Olsen, déjà : c’est Ivic qui le transforma en libéro, à la base c’était un médian.. C’est typique de Ivic (et lui attira d’ailleurs pas mal de soucis/malentendus auprès du grand-public et, en amont, dans le chef de la presse dite spécialisée, qui y trouva souvent un angle d’attaque pour l’éreinter – faute d’avoir les moyens de l’attaquer sur des aspects purement tactiques) : « reformater » ses joueurs, les repositionner.. Médian ==> Libéro est une chose……….mais Attaquant ==> Libéro, Demi-def ==> Avant-centre……… : ça, c’était du Ivic tout craché, c’était plus fort que lui : il fallait qu’il essaie, expérimente.. 9 fois sur 10, le temps finissait par lui donner raison, il avait l’oeil, bref..

        Tu m’avais demandé qui jouait le rôle de Elkjaer-Larsen dans cet Anderlecht post-Rensenbrink, et je t’avais répondu en citant le bien moins doué (et cependant efficace) puncheur belge Willy Geurts..que voici à l’oeuvre lors de la qualif face à la grande Juventus, C1 81-82 :

        https://www.youtube.com/watch?v=bNfJk4_vE_c

        Rétrospectivement, ça me fait bizarre de me dire que, ce Geurts : je le vis jouer très régulièrement ensuite, il devait avoir 34 ans (pas si vieux, donc) et évoluait alors pour une équipe de village de l’arrière-pays liégeois……alors que 6 ans plus tôt il avait été le cauchemar de Zoff 🙂

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    1. En toute franchise, pas réellement, faut dire que l’époque s’y prête vraiment de moins en moins… Mais je pensais que ce serait ptet le cas avec Sadio Mane, mon joueur préféré actuellement, raison pur laquelle j’étais dévasté (tout est relatif, c’est du foot) en fin de saison dernière malgré les trophées et les finales… Je m’étais promis de plus suivre le foot cette année pour faire une coupure, si Mane partait.
      Bon au final si tu veux tout savoir, je ne regarde quasi plus Liverpool (seulement le match contre West Ham pour l’instant) mais la saison de l’OM, que je suis très régulièrement, m’a enthousiasmée (notamment l’arrivée de Sanchez) et je regarde tous leurs matchs !
      Parallèlement je pensais boycotter cette Cdm mais au final j’ai dû mater 5-6 matchs, dont 2 de ces épiques quarts de finale (PB et la France). Comme quoi les résolutions et le foot…

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