Stamford Bridge a marqué la fin morale et presque matérielle du « Wunderteam »… Dès le début du match, l’Angleterre partit en trombe et marqua coup sur coup deux buts : 2 à 0 ! Après vingt minutes de jeu, le coup de l’Espagne va-t-il se reproduire ? Sindelar réduit la marge : 2 à 1… Puis ce fut un nouveau départ foudroyant des Britanniques. La mi-temps survint sur la marque de 3 à 1.
Le drame va se jouer : 3 à 2… 4 à 2 et 4 à 3, le « Wunderteam » est brisé. Il a cessé d’exister sur le plan moral. La « grande armée » a trouvé son Waterloo !
Hugo Meisl ne nous dit pas un mot dans les vestiaires. Il est anéanti, il a compris que le onze d’Autriche n’était pas le maître de l’Europe.
Cependant, Meisl nous répétait souvent : « Il n’y a pas de « Wunderteam », il n’y a que des équipes de football qui doivent savoir perdre et qui peuvent gagner… »
Tout cela m’apparaissait comme de la phraséologie au soir de notre défaite, si je tenais compte de la prostration et de l’abattement de notre manager-directeur.
Vienne = Wunderteam
L’équipe d’Autriche était constituée uniquement d’éléments de la capitale de notre pays. C’est pour cette raison que lorsque Vienne jouait à l’étranger, en réalité, c’était bel et bien l’équipe nationale autrichienne.
Pour la première fois de notre existence nous jouâmes à Bruxelles sous le nom de Vienne, un match en nocturne. Nous gagnâmes 1 à 0.
Newcastle United, Paris, Berlin, Varsovie, Bucarest, Cracovie, Riga, figurent à notre tableau de chasse. Nous étions comme les soldats de l’An II… battre l’adversaire chez lui.
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Mais comment expliquer l’effondrement de notre « Wunderteam » ?
Gschweidl au retour de Londres, se fit opérer d’une hernie ; Vogl fut opéré du ménisque, et Zischek de l’appendicite. Ils avaient joué à Stamford Bridge sans conviction ; c’étaient, le jour de ce match, des footballers diminués ; ils redoutaient l’intervention chirurgicale. Braves et courageux devant une balle ronde, ils n’étaient plus que des « loques » devant les tables d’opération. Ces garçons n’avaient qu’un moyen de gagner leur vie : le football. S’ils n’étaient plus capables de jouer, ils redoutaient d’être réduits au chômage et d’être des épaves qui se promèneraient lamentablement de café en café.
Ils avaient mis, certes, un peu d’argent de côté, mais leur tempérament bohême de cigale l’avait maintes fois emporté sur le rigide bon sens de la fourmi…

Le « Wunderteam » réapparaît
Le 11 décembre 1932, c’est-à-dire quatre jours après notre match à Londres, nous devions, en retournant en Autriche, passer par la Belgique où l’équipe nationale devait nous être opposée.
Sans difficulté nous l’emportâmes à Bruxelles, par 6 à 1…
Une vive sympathie unissait à Hugo Meisl les onze membres du « Wunderteam ».
Un matin, il nous réunit et nous dit : « La France nous invite. J’estime infiniment cette nation… Voulez-vous que feu le « Wunderteam » aille rejouer à Paris ? Vous sentez-vous capables d’un nouvel effort ? Faites-le pour moi et pour les Parisiens ! Ce sera notre dernière représentation ».
A l’unanimité, nous avons accepté… Nous connaissions tous la capitale française. Chacun était heureux de se retremper dans l’ambiance de Paris et, tels de vieux camarades de promotion ou de régiment se retrouvant en un banquet, nous nous sommes fait nos adieux au Parc des Princes.
Ce ne furent pas des adieux de Fontainebleau[1], car nous repartions victorieux. Notre 4 à 0 sur la France marque très exactement (et historiquement, si vous me permettez ce mot) la FIN du WUNDERTEAM.
D’ailleurs, nous avons frisé la défaite au Parc des Princes, le 12 février 1933. A la mi-temps, nous étions 0 à 0… vingt minutes avant la fin, toujours 0 à 0, quand tout à coup le « onze » national français lâcha pied et encaissa quatre buts dans le dernier quart d’heure.
Le « Wunderteam » disparaissait en beauté…
Il n’y avait plus cette foi, l’union entre tous les membres n’était plus la même. Il y avait des étrangers qui guettaient la place d’anciens, d’ailleurs bons à mettre aux Invalides chacun de nous le comprenait. Pas de fausse coquetterie… Place aux jeunes, aux Hannemahn[2], aux Raftl[3], aux Platzer[4]…
Propos recueillis par Louis-L. Monvoisin, Ce soir, 17 février 1939.
[1] Adieux de Napoléon à la Vieille Garde, après la première abdication en avril 1814.
[2] Willy Hahnemann, né en 1914, joua 23 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
[3] Rudi Raftl, né en 1911, joua 6 matches avec l’équipe nationale autrichienne.
[4] Peter Platzer, né en 1910, joua 31 matchs avec l’équipe nationale autrichienne.
