The Golden Boy

Au mitan de la décennie précédente, ressurgit au Ghana, un vieux débat rappelant les plus belles heures de la rivalité Rivera-Mazzola. Qui était la véritable étoile des années 1970, entre l’artiste des Hearts of Oak, Mohammed Polo et le métronome de l’Asante Kotoko, Karim Abdul Razak ? Polo, dit le Magnificient, fut le premier à dégainer. Selon lui, le Ballon d’or africain 1978 aurait dû lui échoir. Et ses partisans à Accra d’affirmer que sa maîtrise était sans égale, que ses passes, son influence sur le jeu étaient craintes sur tout le continent. Le génial Nigérian, Segun Mathematical Odegbami, n’avait-il pas déclaré que face au Ghana, « l’objectif était principalement de neutraliser Polo. » De son fief de Kumasi, Karim Abdul Razak, the Golden Boy, ne tarda pas à contre-attaquer. Ses opposants avaient-ils oublié sa prestation époustouflante face à la Tunisie d’Attouga en demi-finale de la CAN ? Connaissaient-ils les noms des Carlos Alberto ou Franz Beckenbauer qui furent ses coéquipiers à New York ? Et si le sieur Polo tenait tant à récupérer le trophée, il n’avait qu’à venir directement le chercher chez lui… Si je suis bien incapable de donner un avis tranché sur la question, le texte du jour portera sur la carrière du second. Car les archives sont plus nombreuses et Razak, plus volubile dans les entretiens. Parce que sa carrière couvre trois continents. Parce que le Ghanéen blanc que je suis préfère l’Asante Kotoko…

Mohammed Polo

Congo ashanti

« Hey, youth-man! Don’t let them take your rights from you. » The Congos, Youth Man, 1979

Que ce soit en compétition de sélections ou de clubs, le Ghana est l’un des géants africains des années 1960 et 1970. Déjà deux fois titrée à la CAN, la patrie de Kwame Nkrumah assiste au triomphe de l’Asante Kotoko en Coupe des Clubs Champions 1970, face au TP Englebert, comme aux temps légendaires de l’empire Ashanti qui domina cette partie du globe pendant deux siècles. Symbole de la résistance de cette civilisation face à Accra la capitale des colons britanniques, Kumasi, la cité-jardin, retrouve soudainement son prestige, les moindres recoins de la ville servent de théâtre à des parties de football acharnées. Car l’orgueil, le courage, la discipline presque martiale ne sont pas des vains mots chez les Ashanti. Kotoko signifie porc-épic, animal totem de ce peuple et la devise du club n’est autre que kum apem a, apem beba, si vous en tuez mille, mille autres viendront…  

Tous les gamins de Kumasi rêvent de devenir les prochains héros de l’Asante. Les Osei Kofi, le maître à jouer des CAN victorieuses, Baba Yara, le roi des ailiers, Wilberforce Mfum, parti tenter sa chance aux États-Unis ou Robert Mensah, le Yachine caractériel à la casquette noire. Le jeune Razak a pour modèle Ibrahim Sunday, futur furtif joueur du Werder, dont il copie la gestuelle et qu’il rejoindra bientôt chez Black Stars et au palmarès du Ballon d’or… Ayant débuté à 16 ans chez les Colts, Karim se fait une réputation au sein des Kumasi Cornerstones, avant de céder aux avances du mastodonte local en 1975. Dès les premières joutes, il se distingue par sa maîtrise technique, son contrôle absolu du tempo et ce don rare de sublimer ses coéquipiers. Razak croise désormais le fer avec l’ASEC Abidjan, connait ses premières capes internationales et troque son surnom originel Ojukwu, en référence au leader biafrais, connu pour sa barbe fournie et son air sévère, contre un Golden Boy plus smart, à la suite d’une brillante rencontre face au Mali.

1977 est une année charnière pour le pays. Le général Ignatius Kutu Acheampong, maître à bord depuis le coup d’état de 1972, réprime durement les mouvements syndicaux et étudiants mais se voit contraint de proposer un gouvernement d’union dans lequel le pouvoir serait partagé entre civils, politiciens et militaires. Ne respectant pas l’issue du référendum adoubant l’union, les affrontements dans la rue s’intensifient, à quelques mois d’une CAN organisée à domicile. La troupe de Karim Abdul Razak, Mohammed Polo et consorts est donc doublement attendue au tournant. Par un peuple en quête d’échappatoire, par une junte aux abois qui tente par tous les moyens de camoufler le désastre ambiant. Grand fan de football, Ignatius Kutu Acheampong est également commissaire aux sports et il diligente d’une main de fer, par le biais du colonel Simpe-Asante, l’organisation de la vie des Black Stars. Les entraînements sont féroces, les stages d’études de l’autre côté de l’Atlantique se multiplient et Razak tape dans l’œil des observateurs brésiliens. Mais quel homme sensé peut croire en un groupe infichu de soumettre l’ancienne équipe de l’armée SS74 ?

Ignatius Kutu Acheampong

J’ai lobé Attouga

Ayant raté les trois éditions précédentes, le Ghana se fait surprendre dès la 8ème minute par la Zambie, lors du match d’inauguration. Et si le buteur Opoku Afriyie égalise, c’est bien Razak qui offre un succès flatteur. Le Nigéria muselé et la Haute-Volta aisément dispersée, les Black Stars s’avancent en demi-finale face une Tunisie qui représentera fièrement le continent dans quelques mois, lors du Mondial 1978. Les compagnons de Tarak Dhiab et Témime Lahzami jouent crânement leur chance, Accra retient son souffle, voici venir le temps des braves, « l’instant où les individualités font la différence » selon Razak : « Sur l’action qui a mené au but, Isaac Acquaye m’a adressé une longue passe. J’ai contrôlé le ballon en l’air, dribblé mes adversaires, avant de lober Attouga venu à ma rencontre… » Un but signature pour le Golden Boy, un pas de plus vers le sacre face aux étonnantes Grues ougandaises.

En finale, le prolifique Philipp Omondi ne trouve pas la faille et le Ghana se défait sans difficulté de l’Ouganda, sur un doublé d’Opoku Afriyie. Les Black Stars sont champions pour la troisième fois, le pays est en liesse et Karim Abdul Razak obtient un trophée de meilleur joueur que personne ne remet en cause à l’époque. Pas même son double maléfique Mohammed Polo qui admettra plus tard avoir évolué sur une jambe pendant tout le tournoi. Le général Ignatius Kutu Acheampong est extatique et les Ghanéens sont héliportés jusqu’au palais présidentiel où on leurs promet fortune et belles baraques. Des promesses qui resteront lettres mortes, Ignatius Kutu Acheampong se faisant renverser par le général Fred Akuffo deux mois plus tard.

Couronné par France Football en 1978, avec une confortable avance sur ses poursuivants Ali Bencheikh et Thomas N’Kono, Karim Abdul Razak entame l’année suivante tambour battant et se fait repérer, selon la légende, par le Cosmos de New York, lors d’une confrontation face au Hafia Conakry. Un saut dans l’inconnu du professionnalisme mais les réussites récentes des Sud-africains Ace Ntsoelengoe, Kaizer Motaung ou Jomo Sono en NASL invitent à l’optimisme. Il n’en sera rien… Deconsidéré et rarement utilisé par le coach Eddie Firmani, Razak partage le quotidien des Beckenbauer, Carlos Alberto ou Chinaglia, s’inspire de leurs prouesses mais disparaît progressivement des radars. Trois minuscules rencontres la première saison, aucune la suivante, l’histoire ne dit pas si il a vu ses coéquipiers Cabañas et Romerito survoler le Soccer Bowl ’80.

L’appat du gain

Karim Abdul Razak ne le cache pas, son objectif est d’enfin s’extraire de la pauvreté. Son expérience américaine décevante en tout point, même pécuniairement, il accepte avec joie les petrodollars venus d’Émirats arabes unis en 1981. Sans rival à son poste, il se ballade sous la tunique d’Al Ain, s’offre le titre de pichichi et prend goût au coaching, lui qui dirige quasiment tous les exercices d’entraînement. En 1983, un autre nouveau riche frappe à sa porte, le club égyptien Arab Contractors, fondé 10 ans auparavant par l’ingénieur et homme politique Osman Ahmed Osman. Arab Contractors est certainement l’entreprise de construction la plus puissante de la région et, bien que dépourvue de soutien populaire, sa vitrine sportive offre de bons salaires, de quoi damer le pion aux ténors habituels que sont Zamalek et Al Ahly. Détenteur de la Coupe des vainqueurs de coupe 1982, Arab Contractors associe donc à un groupe déjà solide, les perles Razak et Joseph-Antoine Bell, les résultats sont immédiats… 1983 est un grand millésime, les Égyptiens conservent la deuxième compétition continentale et s’adjugent le titre national, une première qu’Osman Ahmed Osman récompense généreusement.

Consacré meilleur milieu du championnat égyptien et ses arrières enfin assurés, Karim rentre chez lui, à Kumasi, en 1985. Ses partenaires se nomment désormais Prince Opoku Polley et Thomas Hammond mais la soif de victoire du porc-épic ashanti n’a pas disparu pour autant. Ayant sorti le Wydad de la plus prestigieuse compétition, le capitaine Razak retrouve en quart de finale 1987 un adversaire qu’il connaît par cœur, le Zamalek, champion en titre continental. Cette confrontation va déchaîner les passions et entrer au Panthéon sous le nom de Super Miracle. Défait 2-0 au Caire et mené rapidement au score à domicile, l’Asante Kotoko a besoin de quatre buts pour rejoindre le dernier carré et lance toutes ses forces vives dans la bataille… Le Zamalek encaisse les coups mais finit par plier, le score final est de 5-1, pour le plus grand plaisir d’un Golden Boy épuisé. Il vient de vivre son dernier grand fait d’armes.

Ayant arrêté sa carrière en 1990, à l’Africa Sports, aux côtés des Pascal Miézan et Rashidi Yekini, Karim Abdul Razak aura porté 70 fois le maillot des Black Stars, aura scoré plus de 150 fois pour l’étendard de Kumasi et sera élu parmi les 30 plus grands joueurs africains lors du cinquantenaire de la CAF en 2007. Une place devant Samuel Kuffour et certainement quelques-unes supplémentaires vis à vis de Mohammed Polo… Ayant raté le dernier sacre ghanéen à la CAN, en 1982, pour cause de départ à l’étranger, Razak n’aura de cesse de souligner la qualité de sa génération, qui bien qu’absente des Mondiaux, n’aurait rien à envier aux parcours des Essien, Muntari ou autre Asamoah. J’avoue humblement ignorer ce qu’il pense de la période Abedi Pelé-Yeboah. Question de goût mais on ne peut nier qu’il a quelques arguments… En conclusion, j’espère que ce texte vous aura plu, ou tout du moins intéressé, car si dans le cœur de Kwame Nkrumah battait l’idéal du panafricanisme, c’est bien dans le terroir ghanéen que le foot subsaharien prit son envol…

Une réflexion sur « The Golden Boy »

  1. Ashanti Kotoko
    Arab Contractors (المقاولون العرب)
    Zamalek
    Wydad
    ASEC Abidjan
    Africa Sports

    Merci Khiadia pour ce tour d’Afrique aux petits oignons 😉

    Aussi, la Tunisie 1978 sera en effet la 1ère équipe africaine à remporter une victoire en Coupe du Monde (face au Mexique)

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