Drehu, le chant de la coutume

Résister au-delà des souffrances, des humiliations… Le peuple kanak, dont on n’écoute malheureusement les complaintes que lorsqu’elles se font violentes, a depuis quelques temps disparu des pelouses françaises, du moins en son élite. On cherche en vain les successeurs des Christian Karembeu, Antoine Kombouaré ou du funambule Jacques Zimako qui marquèrent, chacun à leur manière, des générations de fans hexagonaux. Terres lointaines, captives de leur passé dont le combat pour l’émancipation d’une partie de sa population me paraît légitime mais dont je suis bien incapable d’en donner l’issue… Le personnage qui nous intéresse aujourd’hui n’était pas indépendantiste. Bien au contraire, il milita pendant des années au sein du Rassemblement pour la Calédonie dans la République créé par Jacques Lafleur en 1977. Un Lafleur qui domina la scène politique caldoche de la fin du siècle dernier. Son nom est Marc Kanyan Case, un amoureux transi de son île natale, Lifou, un exemple de réussite pour les siens.

Îles Loyauté

L’île de Lifou est restée en marge de la colonisation européenne, cette dernière ne représentant que 3 % de sa population, et la vie quotidienne demeure régie par la coutume ancestrale. Entre instants de communion et de partage des deuils, de paroles offertes et de cœurs qui s’ouvrent, où les valeurs d’hospitalité, de respect, d’humilité dictent les conduites à tenir. Marc Kanyan Case est né en 1942, année du débarquement en masse des militaires américains en Nouvelle-Calédonie, faisant de Nouméa le Quartier Général du Pacifique, base arrière de défense et de contre-attaque des Alliés. Si la présence américaine sur Lifou se borne à des postes de guet, sa jeunesse est mise à contribution en tant que réserve de main d’œuvre pour la Grande-Terre et n’est pas insensible aux discours d’Henri Naisseline exigeant la reconnaissance pleine de la citoyenneté française pour les Kanaks et l’abrogation du code de l’indigénat à la fin du conflit. Les yeux rivés vers l’océan, Kanyan Case touche ses premiers ballons au sein de la tribu de Drueulu, dans le grand district de Gaïca, encouragé par des parents pour qui l’esprit et le corps ne font qu’un.

Kanyan Case fait rapidement l’étalage d’un don à nul autre pareil sur l’île et rejoint dès ses 13 ans l’Olympique Nouméa où il obtient ses premiers titres, deux Coupes du territoire en 1962 et 1963, pas un mince exploit pour une formation relativement modeste. 1963 est un grand millésime pour cet attaquant vif et inventif. Membre de l’équipe calédonienne aux premiers Jeux du Pacifique Sud organisés aux Fidji, Kanyan Case réalise un doublé face à Tahiti en demi-finale, avant de coller un quadruplé aux Fidji pour la médaille d’or. Adulé par ses contemporains, il est incontestablement le meilleur joueur de cette partie du globe…

Kanyan Case avec le ballon, sous les couleurs de l’Olympique Nouméa

Un ancien international, présent en tournée en Nouvelle-Calédonie avec son club n’en perd pas une miette. Il s’agit de Pierre Cahuzac. L’ancien rugueux milieu de Toulouse, à la tête du Gazélec d’Ajaccio et d’une horde de gaziers et électriciens, vient d’être sacré champion de France amateur. Épaté par les prouesses de Kanyan Case, il lui propose de le rejoindre en Corse : « Si tu es d’accord pour venir faire carrière en France, envoie-nous un télégramme. Nous viendrons te chercher à l’avion. » Le Calédonien saute sur l’occasion et débarque quelques semaines plus tard à l’aéroport du Bourget, avant de prendre une correspondance pour Nice. Au Bourget et non à Orly car le club d’Ajaccio craint plus que tout de se faire dérober sa perle par des concurrents malintentionnés…

Un cador chez les amateurs

Le choix de Kanyan Case va se révéler payant. Le Gazélec remporte trois nouveaux titres amateurs dans la décennie 1960, Marco est un ovni pour ce niveau… Attaquant trapu mais agile, il collectionne les faits d’armes. Débloquant son compteur dès sa première rencontre face à Annecy, récidivant une semaine plus tard face à Nice en Coupe, avant de se faire définitivement adopter par le public ajaccien un soir de décembre 1964. L’OM est malmené 3-0 à domicile en Coupe de France quand Kanyan Case, déjà auteur d’un but, décroche une frappe que le gardien marseillais, Jean-Paul Escale, a le plus grand mal à contrôler. Les deux adversaires se disputent la gonfle qui se dirige lentement vers la ligne de but lorsque le malin Kanak exécute une splendide talonnade en se tournant vers ses coéquipiers ! Resultat ? Un affront pour les Marseillais que Mario Zatelli ne digerera jamais, une remontrance de la part de son coach Cahuzac pour cette facétie. Message reçu par Marc qui se tiendra par la suite à carreau mais qui avouera néanmoins qu’il faisait toujours cela à Nouméa et que tout le monde trouvait ces improvisations géniales…

D’une insularité à une autre, Kanyan Case se sent comme un poisson dans l’eau en Corse et a le plaisir de partager le front de l’attaque dès 1966 avec un compatriote, Charles Tamboueon, de l’archipel des Bélep. Omniprésent lors de victoires de prestige en Coupe face à Monaco ou le rival de l’ACA en 1968, Kanyan Case défraie la chronique et provoque la perplexité chez les spécialistes des catégories inférieures, conscients qu’il n’a rien à faire à cet étage, ce qui fit dire à Jacques Ferran que « c’est tout à l’honneur des dirigeants du Gazélec d’avoir déniché ce footballeur de pure race. Mais qu’ils soient parvenus pendant cinq ans à le conserver, illustre la faillite de notre système. Comment un des attaquants français les plus doués a-t-il pu échapper aussi longtemps à l’élite ? Kanyan demeurant au GFCA, c’est comme si Eusebio avait fait carrière dans un club de troisième division au Portugal au lieu de jouer à Benfica.« 

Si les pontes du championnat font la sourde oreille, ce n’est nullement le cas de la Fédération et Kanyan Case est convoqué pour les Jeux Méditerranéens de 1967 en Tunisie. Aux côtés des Gérard Hausser ou Daniel Horlaville, autre amateur fameux, Marc se fraie un chemin jusqu’à la finale où l’attend la puissante Italie d’Anastasi, Savoldi et Luciano Chiarugi. A l’issue d’une finale sans but, Kanyan Case est bien heureux de partager la médaille d’or avec les Transalpins, grâce à une décision du comité d’organisation invalidant le succès initial italien au tirage au sort. Forte de ce résultat positif, l’équipe de France Olympique conserve la même ossature pour les Jeux de Mexico, à l’exception des jeunes Larqué et Triantafilos et du compère de Kanyan au Gazélec, Tamboueon. Nos deux Kanaks vont vivre en terres aztèques des moments inoubliables. Errant dans le village olympique auprès des nageuses calédoniennes Suzanne Hanner et Marie-José Kersaudy, savourant le poing levé de John Carlos et rendant fous de rage les 100 000 spectateurs présents lors d’une brillante victoire face à l’anfitrión des Jeux. Cinq buts à eux deux dans la compétition et quelques regrets vis-à-vis de la défaite en quart de finale face au Japon du mythe Kamamoto, Kanyan Case et Tamboueon rentrent à Ajaccio couverts de fleurs et permettent à leur club de cœur d’atteindre enfin le deuxième échelon un an plus tard…

Bastia s’éveille…

En 1969, à 27 ans, Kanyan Case touche enfin au graal en signant chez le voisin de Bastia qui n’a qu’une minuscule saison en première division. Marc n’est pas le premier Calédonien dans l’élite, cet honneur échoit à Georges Merignac, métisse ayant été titré avec les Girondins dans les années 1950, mais il lance incontestablement une mode dans laquelle l’Île de Beauté va puiser goulûment. Accompagnant les premiers pas de Claude Papi et Charles Orlanducci et les derniers de Rachid Mekhloufi, Kanyan Case s’impose au sein de l’attaque bastiaise et permet à son club de se maintenir. L’arrivée en 1971 de son ancien mentor, Pierre Cahuzac, sonne comme une révolution, le Sporting a rendez-vous en finale de la Coupe de France 1972 avec l’OM. En route vers le doublé, l’escadron de Mario Zatelli est une véritable armada (Carnus, Gress, Bonnel, Magnusson ou Skoblar) mais le Bastia de Kanyan et Fanfan Felix joue crânement sa chance. Marc se permet une magnifique roulette qui fait frissonner de plaisir l’imposant contingent corse présent au Parc mais le gardien Ilija Pantelić ne peut rien devant la roublardise de l’Aigle dalmate.

Kanyan Case jouera quatre saisons avec le Sporting avant d’être échangé contre Jacky Vergnes du Nimes Olympique en 1973. Buteur régulier, titulaire lors du premier match européen face à l’Atletico et apprécié de tous, il est l’instigateur de l’arrivée à Bastia de son cousin, un certain Jacques Zimako. Rôle de conseiller et de grand frère qu’il endossera toujours avec plaisir lors des recrutements successifs de ses compatriotes, les Aussu, Ihily et Wamai. Corse et Nouvelle-Caledonie, destins liés…

Enfant du Gaz, comme il aimait à le souligner, Marc termine son parcours professionnel au Gazélec en 1977, fort de 72 réalisations dans l’élite et d’un nombre incalculable de prouesses dans le monde amateur. Il est une figure majeure du football ajaccien… Rentré chez lui, au bras de son épouse corse, Kanyan Case s’offre un baroud d’honneur magnifique en obtenant le bronze aux Jeux du Pacifique Sud 1983, à 41 ans bien tassés. Conservant son prestige en métropole, il recommande Karembeu, originaire de Lifou comme lui, à son ami Robert Budzynski et accompagne le jeune et indomptable Christian lors de ses essais à Nantes. Transmission toujours… Tour à tour éducateur sportif, conseiller municipal de la ville de Nouméa et vice-président du Congrès, Marc Kanyan Case s’est éteint le 6 janvier 2023. S’en suivit alors son cortège de louanges que les blessures et divergences de son île laissèrent en paix…

12 réflexions sur « Drehu, le chant de la coutume »

      1. Pour ceux qui veulent voir Kanyan et Tamboueon en action, un résumé du match face au Japon en 68.
        https://youtu.be/FTjfD1iN2Vk?feature=shared

        Kanyan, 72 buts en d1 en 5 saisons, ça prouve qu’il était un buteur régulier qui aurait certainement dépassé la centaine si il n’avait pas débuté dans l’élite à 27 ans.

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  1. Bel hommage, Jefe !

    Depuis son admission à la FIFA (et à l’OFC) il y a une vingtaine d’années, la Nouvelle-Calédonie a réalisé quelques belles performances dans sa confédération. Elle est d’ailleurs parvenue en finale des éliminatoires pour la Coupe du monde 2026, battue par… la Nouvelle-Zélande, évidemment ! A ce tire, elle jouera encore les barrages intercontinentaux. Très honnêtement, elle n’a à peu près aucune chance de se qualifier.

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    1. Yep, merci. Je connaissais son parcours aux J.O 1968 mais j’ai découvert ses exploits aux Jeux Méditerranéens et du Pacifique. Elle avait de la gueule l’Italie d’Anastasie. Et oui, ça paraît compliqué face à la Nouvelle-Zélande…

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      1. Idem, j’ai découvert le Merignac champion avec les Girondins de de Harder et Kargu. Kargu, souvent oublié dans l’histoire de ce club.

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  2. J’ai une grande tendresse pour Jacques Zimako. Gamin, je regardais certains matchs pour lui, pour ses dribbles ou ses corners directs. Son jeu était électrique, tu ne savais jamais à quoi t’attendre. Un football joyeux.

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