Portugal 1986, sombrent héros de la mer (1/2)

1966 la bande à Eusebio brille en Angleterre, 1996 et 2006 celle de Figo brille à l’Euro anglais puis au mondial allemand et pour couronner le tout c’est en 2016 que Eder offre enfin un titre au Portugal. Les années qui finissent par un six ont souvent marqué positivement l’histoire de la sélection portugaise. Pourtant c’est en 1986 que celle-ci va vivre son plus grand traumatisme lors du Mondial mexicain, avec une histoire rocambolesque qui changera à jamais la sélection, le « cas Saltillo ». Dans un premier temps nous raconterons les faits tels qu’ils sont connus par une majorité des portugais puis dans un second temps, demain, nous verrons que derrière cette préparation catastrophique et la grève, des enjeux bien plus complexes se jouaient en coulisses.

Des espoirs et un miracle

Au mitan des années 80, Benfica se déleste du passé et retrouve le devant de la scène, Porto monte en puissance, au final sur la décennie les clubs portugais joueront cinq finales européennes pour un titre. Le vivier est dense avec des talents bruts comme Chalana puis Futre, des solides leaders comme Manuel Bento ou Joao Pinto et une grande densité de joueurs de haut niveau, Rui Jordao, Fernando Gomes, Antonio Veloso, Carlos Manuel, Manuel Fernandes, Rui Aguas, Nené, Antonio Sousa, Diamantino…

Un album pas tout à fait précis, Veloso (dopage), Jordao (non retenu) et Venancio (blessé) n’ont pas été du voyage. Contrairement à Bandeirinha, Jorge Martins, Rui Aguas, José Ribeiro, Jaime Magalhães, Luis Sobrinho, Alvaro, Oliveira et José Antonio.

Tous les voyants sont au vert, le Portugal doit enfin occuper sa place dans le foot de sélection. Et s’ils ratent le Mondial 1982 après une lourde défaite en Israël, ils se qualifient enfin pour une grande compétition, l’Euro 1984. Enfin la sélection portugaise brille dans un grand rendez-vous, éliminant l’Allemagne et perdant un match de légende contre les Bleus de Platini.

Pourtant en coulisse des tensions grandissent entre joueurs et fédération[2]. C’est dans ce contexte que commence la campagne de qualification pour la Coupe du monde 1986. Et celle-ci s’annonce difficile, il faudra s’extirper d’un groupe très relevé et composé des ogres allemands, des expérimentés Suédois et des toujours redoutables Tchécoslovaques.

Cette campagne est pour le moins chaotique. Chalana n’est plus là, et le jeune Futre arrive en sélection. En Septembre, sur leur bonne dynamique de l’Euro, la Seleção das Quinas va gagner en Suède avant de battre les Tchécoslovaques à Porto. Mais rapidement tout se dérègle, deux défaites à domicile contre la Suède et l’Allemagne puis une défaite à Prague place le Portugal à la troisième place à deux journées de la fin. Après une victoire étriquée à domicile contre Malte sur le score de 3-2[3], les Portugais jouent tout sur leur dernier match.

Ce 16 Octobre 1985, il leur faut aller gagner à Stuttgart contre un adversaire qui n’a jamais perdu en qualifications chez elle. Il faut également espérer que les Tchécoslovaques battent la Suède. En résumé il faut croire au miracle. Face aux critiques de la presse et au pessimisme général avant cette rencontre, le sélectionneur José Torres sort cette phrase rentrée dans la légende du foot portugais : « Laissez-nous rêver ! » Le « Bon géant » rêve de ramener le Portugal en Coupe du monde, lui qui était un titulaire indiscutable en 1966.

Stuttgart, un missile, un mec moustachu qui court bras levé avec des yeux de fous, mais il est Portugais. Le monde à l’envers !

Il met en place une stratégie défensive, un bloc bas et solide, à l’opposé du jeu traditionnel de l’équipe. La sélection tient et à la 52e minute Carlos Manuel récupère un ballon à 30 mètres de ses buts, traverse tout le terrain avant d’envoyer une mine dans la lucarne de Schumacher. Un but d’anthologie ! De l’autre côté les hommes de Masopust ont rattrapé leur retard et mènent contre les Suédois.  Le « Miracle de Stuttgart » permet à Torres et ses hommes de réaliser leur rêve, amener pour la deuxième fois le Portugal en Coupe du monde.

Il fallait bien un tel but pour faire tomber invincibilité allemande

Une route compliquée pour le Mexique

La qualification en poche, les complications commencent pour les joueurs qui ont hérité du nom d’« Infantes ». Lors de la parution de la liste, deux noms manquent, Rui Jordao, héros de 1984, et Manuel Fernandes meilleur buteur de la première division avec le Sporting. Quelques jours avant le départ, Antonio Veloso, un des piliers de la défense, est contrôlé positif aux stéroïdes et reste au Portugal. Son remplaçant naturel Pedro Venancio se blesse au même moment. Mais ces absences ne sont rien face à la suite des évènements.

Un Bento en boite.

Tout dans la préparation mise en place par la fédération relève de l’ubuesque. Le voyage pour commencer, une pérégrination interminable de plus de 24 heures : Lisbonne – Francfort – Dallas- Mexico -Monterrey -Saltillo… Déjà épuisés par leur long voyage, ils découvrent un hôtel dans une zone désertique, digne des westerns de leur jeunesse. Aucun terrain d’entraînement n’est réservé, aucun match de préparation n’est prévu… Le président et les dirigeants de la fédération sont à près de 1000 km dans le confort de Mexico. La pantalonnade est telle que, faute d’adversaire pour se préparer, la sélection va jouer contre une équipe composée des membres du staff de l’hôtel, le tout sur un terrain bosselé et en pente !

Et une semaine avant le premier match, la situation va encore gagner un niveau d’absurdité. Les joueurs vont en effet menacer de grève la fédération s’ils ne reçoivent pas de meilleures primes de matchs et surtout un pourcentage sur les publicités où ils apparaissent. Le président Silva Resende (toujours à Mexico) refuse et laisse aux représentants sur place le soin de se dépêtrer de cette affaire. Le peuple portugais assiste médusé aux conférences de presse où les joueurs avancent leurs exigences, le staff sur place est sans solution tandis que la fédération reste inflexible. L’image du capitaine Manuel Bento entouré de ses coéquipiers reste aujourd’hui encore comme une des images les plus marquantes du foot portugais.

Une époque où moustaches et revendications faisaient bon ménage.

Du miracle au drame

Les joueurs se mettent alors en grève, organisent des fêtes tous les soirs et profitent de la gent féminine locale. Le scandale grandit au Portugal et fait la une de tous les journaux. Le premier match arrive face à des Anglais médusés de voir les fêtes de leurs adversaires logeant dans la même ville. Pourtant ce sont bien les Portugais qui dominent les débats et sur un but du héros de Stuttgart, Carlos Manuel ils vont même s’imposer 1-0. Va-t-on revivre le scénario de 1984 ?

Les Mexicaines ont aimé le Futre

Mais le miracle s’arrête là. Un évènement tragique va finir d’achever le moral des joueurs. Le capitaine de l’équipe nationale, l’un des principaux protagonistes de la campagne victorieuse du Portugal lors du précédent Championnat d’Europe en France et un joueur clé lors du match de qualification en Allemagne (son coéquipier Carlos Manuel se souvient que « les ballons touchaient les poteaux et Bento« ), Manuel Bento se blesse gravement.

La description du geste par Vítor Serpa, dans le journal A Bola, est impressionnante : « Un centre, José António saute, Bento surgit par derrière, touche son partenaire, se déséquilibre, tombe mal. Ses cris résonnent dans les tribunes. Ses coéquipiers courent vers lui et lui posent les mains sur la tête. […] C’est le joueur lui-même qui, malgré la douleur, et voyant son pied tourné sur le côté, dans une position terrifiante, a encore eu le courage de le remettre en place. Lorsque le docteur Camacho Vieira arrive, il se rend compte que la blessure est grave. Le stade ressemble à un tombeau. Le silence pèse sur tout le monde. »[4]

Rui Águas[5], qui, des années plus tard à Kiev, vivra une blessure similaire, se souvient de l’impact qu’a eu sur lui l’accident de son collègue : « Je suis même tombé malade, j’ai demandé à partir. » Le professeur Monge da Silva, membre de l’équipe technique, n’a pas pu l’oublier non plus : « C’était une chose incroyable. On entendait le craquement, un bruit impressionnant. »

Diamantino raconte que « lorsque Bento est tombé, son pied était à l’envers et assis, il l’a remis en place. Entre-temps, le docteur Camacho Vieira et le masseur sont arrivés en courant et, lorsqu’ils sont arrivés, Bento avait déjà le pied en place et ils ont commencé à plaisanter parce qu’ils ne l’avaient pas vu à l’envers. Il était encore chaud et ne ressentait aucune douleur. Ils ont fait les tests d’entorse et ont constaté que tous les ligaments étaient déchirés. Quelqu’un à l’hôpital a dit que s’il n’avait pas eu le sang froid de remettre son pied en place, cela aurait été beaucoup plus grave. Ce qui est sûr, c’est que cela a quand même mis fin à sa carrière. »

Un capitaine blessé et une équipe fracturée.

Pour Jaime Pacheco, Bento « était le meilleur gardien de l’histoire du Portugal » et estime que l’absence forcée du numéro un portugais « a été notre malheur. Avec lui, nous aurions eu d’autres résultats. Il était notre pilier, notre soutien à tous les niveaux. Nous ressentions beaucoup sa blessure. » Diamantino reconnaît que « l’équipe a été très secouée, Bento était un élément clé et nous avions une énorme confiance en ses capacités. » Fernando Gomes, dans la même veine, rappelle que Bento « était une figure aimée de l’équipe. L’équipe a été émotionnellement affectée par sa blessure », tandis que pour Rui Águas cette blessure « a surtout été traumatisante. C’est arrivé juste à côté de nous, à la veille d’un match décisif. »

Cette déstabilisation finale leur sera fatale. Le Portugal perd contre deux adversaires largement à leur portée la Pologne (0-1) et le Maroc (1-3), et à part les « chicas » de Saltillo qui soutiennent l’équipe des quinas, les « Infantes » rentrent chez eux, sans couronne et sans gloire, accusés par tout et par tous. Les Portugais sont atterrés, l’affaire est si retentissante qu’elle fait l’objet de plusieurs discussions à l’assemblée. Seules restent les images des joueurs s’affichant avec des sombreros ou des jeunes mexicaines. Ceux-ci seront sanctionnés et marqués du sceau de la honte pour plusieurs années.

« Portugal! Les filles de Saltillo te soutiennent » Un message bien vécu par les femmes des joueurs restées au pays!

Mais derrière cette histoire rocambolesque, les enjeux ont été occultés. Les joueurs souvent considérés comme les principaux responsables étaient surtout des victimes. C’est cela que nous verrons dans le texte de demain.


[1] Hérois do mar, les Héros de la mer sont les premiers mots de la Portuguesa, hymne national portugais.

[2] Tensions que nous développerons dans le texte qui parait demain

[3] Malte égalise à la 79ème minute mais Fernando Gomes marque 3 minutes plus tard, laissant le miracle possible.

[4] Tous les témoignages de cet article proviennent du livre « Deixem-nos Sonhar » de João Tomaz e Pedro Adão e Silva

[5] Le fils de la légende José Aguas, vivra une fracture tibia-péroné avec rupture des ligaments en 1991 sur le terrain du Dynamo Kiev lors d’un match de C1

20 réflexions sur « Portugal 1986, sombrent héros de la mer (1/2) »

    1. Cette formule définitive sous la photo de Paulo Futre, sans nuance, témoigne d’une véritable expertise de notre auteur quant aux mœurs mexicaines. Et oui, c’est ça aussi P2F, des histoires de foot et des informations précieuses pour le voyageur en quête d’aventures.

      0
      0
      1. La potacherie de cette formule, en effet…….. M’enfin, ç’aurait pu être bien pire, l’honneur est sauf.

        Jusqu’ici, je connaissais dans les grandes lignes..sauf pour Bento, je n’imaginais absolument pas que ce fut aussi horrible……..

        J’ai ma petite idée mais très curieux de lire la suite!

        0
        0
      2. Eheh il faut la prononcer à la portugaise, ça enlève ce côté là!
        Et puis si je ne la faisais pas, Modro aurait été déçu 🙂

        0
        0
  1. Le Portugal Maroc 86 est certainement le match d’un Mondial que j’ai le plus vu. Mon plus vieux pote, un franco-marocain, l’avait en VHS et on l’a maté de nombreuses fois! Doublé de Khairi, but de Krimau. D’ailleurs, mon pote a le même nom de famille que Krimau et il m’a longtemps fait croire que c’était son oncle!

    1
    0
    1. Du coup de ton point de vue objectif, le Portugal joue-t-il réellement ce match? Te semblent-ils empruntés? Pas aussi tranchant qu’ils auraient du l’être?
      Le Maroc nous tape deux fois en coupe du Monde dans des matchs où l’on a une équipe largement meilleure. On les tape en 2018 en étant nul en plus.

      0
      0
      1. Je ne pourrais pas te faire une analyse fine. J’ai surtout vu ce match quand j’étais gosse! Et on etait concentré sur les Marocains. Mais le Portugal semblait jouer au ralenti dans mes souvenirs.

        0
        0
  2. Je ne pourrais pas te faire une analyse fine. J’ai surtout vu ce match quand j’étais gosse! Et on etait concentré sur les Marocains. Mais le Portugal semblait jouer au ralenti dans mes souvenirs.

    0
    0
    1. c’est cette année là qu’une équipe africaine passe le 1er tour et c’est le Maroc, ils avaient une sacré équipe un 1/8eme légendaire face à ses satanés Allemands et ce but trés Allemand du meilleur pote de Lizarazu en toute fin de match décidément ces mecs étaient des tueurs de rêve professionnels^^
      j’avais complétement zappé cette histoire des Portugais (surement trop obnubilé par Diego ha ha) en fait on a rien inventé en 2010 en Afrique du Sud

      0
      0
      1. pas encore lu la suite mais 86 est une année de gros changements au Portugal (en mal ou en bien là n’est pas la question ici^^) avec il me semble l’entrée dans l’UE des cousins de la péninsule une dizaine d’années après la fin des dictatures

        0
        0
  3. Intéressant de se replonger l’année de ma naissance 😉

    C’est bien aussi de connaître la sélection portugaise à une époque où elle ne se qualifiait que rarement pour une coupe du monde, voire même un Euro. Pour ma génération, la présence du Portugal à un tournoi international est quelque chose de banal en soi. Mais il est utile de rappeler (ou de faire savoir), que ça n’a pas toujours été le cas.

    0
    0
  4. Merci pour l’article Rui Costa. Beau sens de la forme avec Futre et consorts. 😉

    Juste pour taquiner, Benfica qui se déleste du passé en perdant des finales dans les années 80, en fait non. C’est la malédiction de Guttman, toujours. 😉

    0
    0

Laisser un commentaire