Se délester du passé… Partie 1

Se promener sur les berges du Tage, du côté de Lisbonne, invite à la rêverie, aux souvenirs. On quitte quelques instants le brouhaha du monde contemporain, éloge à la lenteur d’une ville dont chaque pavé semble nous dissimuler quelque chose… Des écrivains, poètes ou colporteurs en parleront mieux que je ne pourrais le faire. De ces navigateurs défiant les océans et les croyances pour enrichir le Vieux Continent et pour le malheur des contrées « découvertes », leurs offrir la pire des révolutions. D’un horizon que l’on aimerait infini comme pour enfuir profondément une nostalgie pesante. Cité de feu, de collines… D’odeur de bouffe, de fêtes arrosées et de mots que l’on tait. Eusebio n’est plus mais son fantôme est partout. Sur les murs, les rides des vieux, en moi à chacun de mes pas. J’aime cette ville, elle est ma belle inconnue…

Gimme, gimme, gimme…

40 ans en arrière, O Glorioso s’ennuie ferme sur sa chaise arrimée au trottoir et ne cesse de feuilleter les journaux jaunis par le temps. Nous etions si jeunes, si fringants… Benfica n’est pas devenu un nain, non… Mais dans ce futebol scientifique et sans trêve, ses artistes se sont statufiés. Figés dans un monde en noir ou blanc où les rêves d’une meilleure vie ne tenaient souvent qu’au mot départ… En Europe, la dernière envolée lyrique s’est crachée lamentablement sur les collines de Iena. N’est pas Corse qui veut… La mode est désormais aux blonds, scandinaves de préférence, Sven-Goran Eriksson débarque à l’Alfama.

Eriksson, modeste joueur que l’on découvrira par la suite séducteur patenté, est un coach jeune, 34 ans. A peine plus vieux que les tauliers du vestiaire que sont Néné, Humberto Coelho ou le gardien moustachu Manuel Bento. Dans une ambiance un brin sceptique, il prend le relais de Lajos Baróti, auréolé d’une victoire surprenante en Coupe de l’UEFA où le piège tendu par l’IFK Göteborg mît, une fois n’est pas coutume, Ernst Happel échec et mat. Le mercato est sans folie, seul le retour au bercail de Diamantino est notable, et notre Suédois s’attache à réduire un effectif pléthorique. Sven a une profonde intuition, le football lusitanien, aussi esthétique et technique soit-il, est inadapté et terriblement lent. Adepte du jeu britannique, Benfica jouera désormais dans un 4-4-2 vif et sans transition, le recrutement tardif de son ancien joueur, le photogénique Glen Stromberg devant assurer l’assise athlétique nécessaire à son projet de jeu.

D’un fleuve à un autre

Tage contre Guadalquivir, Torre de Belém contre Torre del Oro, Lisbonne et Séville ont en commun d’avoir forgé leur beauté sur le dos du Nouveau Monde. En 1982, le Betis ne court pas sur le continent après un passé prestigieux, comme peut le faire Benfica. L’Europe l’a toujours sèchement snobé et il demeure de nos jours l’unique classique du foot espagnol à ne pas avoir ne serait-ce qu’un dernier carré dans son escarcelle. Néanmoins, avant d’affronter Benfica, Heliópolis et son coach Antal Dunai se veulent rassurants, « à base de lutte et courage, nous pourrons égaler le superbe jeu portugais. » A Lisbonne, Dunai revêt un splendide costume blanc qui ne passe pas inaperçu mais les Lisboètes ne respectent pas le pacte de non-agression et mènent logiquement 2 à 0. C’en est trop pour Rafa Gordillo. Honduras, Gerry Armstrong, Hans-Peter Briegel, le natif d’Almendralejo accumule récemment les désillusions. L’hyperactif gaucher, au corps nourri de tapas, se démène, cherche à combiner avec la recrue phare, Peter Barnes, mais celui-ci boite bas. Pas faute d’avoir été prévenu du fiasco à venir par le service médical du club, l’international anglais est cramé. Rafa n’abdique pas, harangue ses troupes et à l’issue d’une cavalcade dont il a le secret, centre pour la tête du Lobo Diarte pour la réduction du score. Enfin un îlot d’espoir dans un océan de déception…

Noche triste à Madrid

Après une victoire sur le terrain de l’Espanyol, qui vit les débuts verdiblancos de Canito, la direction betica promet une prime de 250 000 pesetas en cas de qualification. Sven-Goran Eriksson est prudent, déclarant que le passage au tour suivant n’est pas encore acquis, Eusebio et 5000 fans font le déplacement jusqu’à la capitale andalouse. Villamarín fait salle comble et une passe millimétrée du capitaine Cardeñosa offre à Rincón l’ouverture du score ! A ce moment précis, le Betis est qualifié… Un des héros méconnus du Portugal ne le voit pas ainsi. Carlos Manuel récupère le ballon après un magnifique effort collectif et envoie une mine en direction du pauvre Esnaola ! Michel Vautrot apprécie le spectacle en connaisseur, les Beticos baissent la tête, avant que le vieux buteur Néné ne fusille un Esnaola décidément impuissant. Fin de partie pour Gordillo, Benfica est au dessus. La frustration à nouveau. C’est à la table d’un vautour qu’il aura sa consécration continentale…

Nous nous reverrons Sven-Goran

Eriksson est un pragmatique et ne fait aucun cadeau, pas même à un compatriote. La triplette Stromberg- João Alves-Diamantino lui cause des soucis. Il s’était rendu compte qu’il manquait de puissance au milieu pour libérer la créativité de Carlos Manuel, Chalana, mais surtout celle du ganté Alves. C’était la raison du transfert de Stromberg. Néanmoins, il lui est impossible de sortir du onze la remarquable capacité tactique de Shéu. Par conséquent, Stromberg et son arrivée en fanfare seront majoritairement cantonnés sur le banc. Nous disions qu’Eriksson ne se laissait pas attendrir par la nationalité. Cela tombe bien, son prochain adversaire n’est autre que Nils Liedholm. Existe-t-il mariage plus charnel entre la Suède et l’Italie que celui du Barone avec la Botte ? Si on met de côté celui d’Anita Ekberg avec la fontaine de Trevi évidemment! Liedholm et sa Roma vivent une saison haletante, en lutte permanente avec la Juventus de Platini pour obtenir ce titre attendu depuis 1942. Il a repositionné Di Bartolomei en libero avancé, Vierchowood est impitoyable tandis que les Conti, Pruzzo ou Falcão inventent, permutent et sprintent, bras tendus vers le ciel, vers les curvas opposées. L’Europe dans tout ça ? Un entracte, aussi séduisant soit-il, un intermezzo…

Le gang des moustachus du Benfica, ils sont cinq dans le onze, débarque au stadio Olimpico le couteau entre les dents. Il fait beau, les fumigènes promettent l’enfer et Falcão, peut-être le meilleur joueur du moment, débute le match par quelques arabesques. Benfica opte pour une zone qui perturbe considérablement les Romains. João Alves, dans sa partie de terrain, entrevoit l’ouverture pour le monténégrin Filipovic. La défense adverse s’emmêle les pinceaux, le ballon lobe Tancredi… Situation identique en seconde période, Ancelotti et Filipovic sont à la lutte. Qui a touché le dernier la gonfle ? Peu importe, le score est de 2 à 0 pour Benfica. Une défaite au goût amer malgré la réduction du score de Di Bartolomei. A Lisbonne, Filipovic, l’homme de la confrontation, bat Tancredi à bout portant, Conti touche le poteau, avant qu’une invention de Prohaska et Falcão ne permette enfin de se jouer du splendide Bento.

Le jeune Viking a vaincu le vieux, Liedholm retourne à son pain quotidien, en route vers sa plus belle conquête : « J’avais gagné jusqu’alors quatre Scudetti comme joueur, et un autre comme entraîneur. Je pensais que ce seraient là les plus beaux souvenirs de ma longue carrière sportive. Je dois aujourd’hui rectifier cette impression. Le titre de champion que je viens de conquérir avec la Roma est, à l’évidence, le plus important. Parce qu’il aura été le plus stressant pour ses lauréats et, parallèlement, le plus attendu par tout un peuple. » Un an plus tard, Eriksson prendra sa succession à Rome…

Bruno Conti sur le poteau

A suivre…

14 réflexions sur « Se délester du passé… Partie 1 »

  1. J’entrevois la suite, quel teasing! 😉

    Peter Barnes??? J’avais complètement zappé qu’il eût joué au Betis………… C’est assez étonnant!

    Certes il y eut comme une mode, logique, des footballeurs anglais en Espagne dans les 80’s…..mais lui??

    Attention que ç’avait été l’une des grandes promesses (mais jamais vraiment tenues) du foot anglais, de tête Leeds s’endetta pour des années dans son transfert, du très beau monde se l’était arraché.. Mais de là à le retrouver en Liga : je ne l’aurais jamais soupçonné!

    0
    0
    1. Ce Benfica 83 est, après celui des années 60 evidemment, mon préféré. La vieille garde des années 70, comme Alves, Coehlo ou Nene, qui arrive enfin à revenir sur le devant de la scène. Sheu, la figure de Chalana. Et Carlos Manuel qui est vraiment un talent portugais mésestimé de nos jours. Un super joueur…

      0
      0
    2. Barnes n’est pas une réussite au Betis mais le gros regret est Antonio Oliveira quelques saisons auparavant. Oliveira était peut-être le meilleur joueur portugais de la fin des années 70. Brillantissime avec Porto. Le Betis a cassé sa tirelire pour lui, il est resté 6 mois… Il retrouvera son niveau au Sporting aux côtés de Manuel Fernandes et Jordão.

      0
      0
      1. Il est aussi le coach du Portugal en 1996 et 2000 (et 2002). Et j’en parlerai dans le prochain article mais il est surtout le frère du grand manitou des droits publicitaires/TV dans le foot au Portugal (pour beaucoup la raison de sa nomination en tant que sélectionneur)

        1
        0
      2. @Rui Costa : je me rappelle encore de ses images en 2002, où on voit Oliveira boitant, en béquilles et la tête basse, rentrer au vestiaire après la piteuse défaite 1-0 face à la Corée du Sud, éliminant un favori dès le premier tour.

        0
        0
  2. Ce Benfica était très fort en effet, Chalana a son top, peut-être le joueur le plus doué de cette époque. Quand je lis les commentaires de ses coéquipiers ils le placent tout en haut, c’est assez impressionnant. Carlos Manuel un super joueur, on en reparlera dans le prochain texte mais il met le but mythique à Stuttgart en 1985, celui contre l’Angleterre, c’était vraiment un joueur décisif dans les grands matchs. Puis Bento le grand capitaine (considéré par les portugais (benfiquiste) comme le meilleur gardien portugais de tous les temps), avec Veloso le pitbull, Coelho le libéro à l’ancienne, Minervino le et son look, Sheu, Alves qui ne s’est jamais remis de sa recontre avec Genghini…
    Benfica avait tapé Lokeren, Anderlecht Porto c’était la belle entre Belges et Portugais, mais la malédiction était trop forte pour le Benfica 🙂 Ce n’était que la quatrième finale perdue (sur les 8) mais la première en C3 !

    0
    0
    1. Lokeren : ce n’était plus que l’ombre du phénomène de foire que ç’avait été, un oiseau pour le chat.

      Anderlecht : très équilibré, les mauves avaient souffert. Pourtant ils étaient très forts encore – moins qu’en 82 (Van Himst à la barre, hum..) mais fallait se les farcir.

      Y avait eu du Standard-Porto aussi, mais jamais vu.

      0
      0
    2. Et un FC Bruges – Boavista!

      Jamais vu non plus, me rappelle juste qu’ils sont passés mais je doute que ce fut fameux : Bruges essayait de remonter la pente, se reconstruisait.

      Assurément l’une des nations que les clubs belges ont le plus affronté à l’époque, quoique sans doute après les clubs allemands.

      0
      0
      1. D’un registre moins « Wolverine », mais également moustachu : il y eut son homonyme et équipier (Videoton) Laszlo, passé par le FC Bruges.

        Ce fut peut-être très connoté période communiste, ces bacchantes hongroises?? Vers l’an 2000, ce n’était absolument plus si commun – quoique, des barbus..

        0
        0

Laisser un commentaire