« L’affaire Saltillo », une blessure nécessaire (2/2)

Hier nous avons évoqué les aventures de l’équipe nationale à la Coupe du monde 1986 au Mexique. Celles-ci alternant entre tragique et caricatural, remplies d’incidents rocambolesques, certains vrais, d’autres inventés, ont nourri l’imaginaire du football portugais des années 80.

En France on compare souvent cet incident à celui de Knysna[1], complètement à tort. En effet, 37 ans plus tard, si l’on se penche sur ce qui s’est réellement passé au cours de ces longues semaines à Saltillo, on constate qu’il s’agit d’un moment décisif dans la transition du football au Portugal. C’est après la rébellion de Saltillo qu’un processus de modernisation et de professionnalisation des équipes nationales a commencé. On est loin de la simple embrouille entre égos de joueur et de staff comme les Français en 2010.

Tout comme la politique et le pays n’ont plus été les mêmes après 1974, le football de l’équipe nationale a également changé radicalement après l’expérience de Mexico 86. La rébellion de Saltillo a été le 25 avril du football portugais. Comme la révolution des œillets, elle a été (trop) longue à arriver et s’est déroulée de manière chaotique. Mais elle aura été une transformation modernisatrice et décisive pour le foot portugais.

Un Portugal en transition

Peu de phrases reflètent aussi bien l’état d’esprit de l’époque que celle lancée par le sélectionneur national José Torres à la veille du match décisif contre la RFA. En lançant «laissez-moi rêver», le «bon géant» exprimait son désir d’atteindre un objectif improbable, mais sans le savoir, sa phrase résonnait avec l’ensemble de la population portugaise.

Alors que lui et son équipe rêvaient d’une improbable qualification, le pays rêvait également. En effet les Portugais se libèrent d’un passé de pauvreté et de fermeture pour vivre à nouveau avec optimisme. La société se démocratise et se modernise, et les espoirs de développement social promis par la révolution commencent à se concrétiser. Le Portugal rentre dans l’Union européenne[2] et voit l’économie de marché et la consommation de masse se développer. Alors qu’une partie de la population commence à vivre de plus en plus à « l’occidentale », d’un autre côté de nombreuses poches de grande pauvreté persistent. Les traces du passé sont encore présentes, que ce soit dans la vie quotidienne ou dans les institutions. Le vieux Portugal de Salazar côtoie le nouveau Portugal à la sauce Reagan. 

Ce dualisme se retrouve dans le football, où Benfica revient au premier plan, où Porto monte en puissance, et où l’équipe nationale s’est qualifiée successivement pour la phase finale du championnat d’Europe en 1984 et pour la Coupe du monde en 86, tandis que les structures dirigeantes sont restées figées dans une organisation corporatiste, amateure et obsolète. Et c’est cet antagonisme entre joueurs et fédération qui aura raison du rêve d’une équipe et d’un peuple.  Car si les hommes de Torres ont réalisé leur rêve, le pays assistera une fois de plus, incrédule, à la désorganisation, aux divisions, aux conflits et à un fatalisme qui sied bien à l’esprit portugais. Battu par la Pologne et le Maroc, après sa victoire surprise du premier jour sur l’Angleterre de Bobby Robson, le Portugal quittera la Coupe du monde dès la phase de groupes.

Mais cette histoire nous l’avons déjà vue. Plus que la performance sportive qui restera dans l’histoire du foot portugais comme l’une de ces pages les plus sombres, les enjeux en coulisses étaient énormes et primordiaux pour la sélection et son avenir. En effet il existe des raisons plus profondes pour expliquer ce qui s’est passé lors de ce séjour mexicain. Le professeur Monge da Silva[3], membre de l’équipe technique dirigée par Torres, résume bien ce qui s’est passé : «Une série de nouveaux développements se produisaient dans le sport mondial. Il pouvait y avoir une lecture syndicale, le conflit entre les joueurs et l’employeur. Une lecture organisationnelle, que la Fédération n’avait pas du tout. Une lecture sociopolitique, la situation politique du pays et la place que y occupait le foot à cette époque. Il y a donc plusieurs lectures possibles. Chaque individu peut avoir une lecture différente. Mais la grande majorité ne connait que les épisodes scandaleux.»

Le monde du football également en transition

La grève des portugais était loin d’être un acte isolé, limité au football portugais. Pendant la Coupe du monde, des signes de mécontentement à l’égard de la FIFA sont venus du monde entier, exprimant une nouvelle ère. La Coupe du monde 1986 s’est déroulée en plein milieu du long mandat de João Havelange (1974-1998) et a marqué un tournant dans le football moderne. Dans des années 80 en plein tournant libéral, où l’économie se mondialise à grande vitesse, où les marchés financiers sont de plus en plus dérégulés, le football, sport planétaire, devient un outil de profit comme un autre.

Celui-ci devient de plus en plus médiatisé, les retransmissions télévisées ont acquis un rôle impensable quelques années auparavant, la Coupe du monde est devenue un business sans équivalent dans l’univers sportif. Les grandes compétitions internationales se dotent de sponsors officiels et les billets ont atteint des prix exorbitants. D’un sport populaire, le football tend à devenir une expérience réservée à une élite. C’est précisément au Mexique que le football a fait un grand pas vers la mondialisation, vers la médiatisation, et qu’il est devenu irréversiblement un business tout en éloignent les catégories populaires des stades. Les propos du directeur du tournoi Guillermo Cañedo[4]le peuple a la télévision» sont éloquents, le foot change de dimension.

Le peuple avait la télévision, les joueurs une part encore minime du gâteau, tandis que l’organisation et les sponsors établissaient des relations privilégiées profitant comme jamais auparavant du business du football. Celui-ci évolue rapidement, mais tous les joueurs ne bénéficient pas des mêmes ressources, les salaires des joueurs n’ont pas grand-chose à voir avec ceux d’aujourd’hui ; pendant ce temps Havelange est le roi et le maître du football mondial. Les joueurs comprennent vite qu’ils ne reçoivent pas la part qui leur revient de droit, ils restent les principaux acteurs de ce spectacle qui rapporte tant. La déclaration de l’argentin Jorge Valdano en plein Mexique 86 l’illustre parfaitement : « plus que jamais, lors de cette Coupe du monde, les dirigeants de la FIFA ont été confrontés à une nouvelle situation. Les joueurs ont commencé à se rendre compte qu’ils n’étaient pas seulement des muscles, mais des êtres pensants et agissants. »

Mais comment les signes de ce changement se sont-ils fait sentir dans le football portugais ? Le journaliste David Borges, envoyé par Record au Mexique, se souvient qu’en 1986 « les joueurs se sont rendu compte qu’il y avait beaucoup de gens qui gagnaient de l’argent autour d’eux et qu’ils n’en retiraient pas grand-chose. » L’entraîneur et ancien joueur Jaime Pacheco[5] confirme cette idée, rappelant que parmi les joueurs, il y avait « l’idée que la Fédération recevait déjà de l’argent de l’UEFA et de la FIFA. »

L’une des raisons de ces changements est également l’émergence d’un nouveau protagoniste : Joaquim Oliveira, frère de l’ancien joueur António Oliveira. Celui-ci commence à construire son empire, qui sera au cœur de la transformation du football portugais par la suite. Olivedesportos son entreprise qui s’occupe déjà du courtage des droits de télévision, fait ses premiers pas dans le domaine de la publicité et des droits d’image de l’équipe nationale portugaise. Aujourd’hui encore, parmi ceux qui étaient à Saltillo, personne n’oublie l’image de Joaquim Oliveira, pratiquement seul et soutenu par quelques Mexicains qu’il avait embauchés sur place, installant les panneaux publicitaires lors des entraînements de l’équipe.

Joaquim en 2019

Alors que la fédération avait déjà bénéficié de la vente des droits d’image lors du championnat d’Europe 1984 au Mexique, Joaquim Oliveira étend son influence. Il s’empare des droits des matchs et en concurrence avec l’agence de publicité McCann, qui représente les intérêts de Sagres, finit par obtenir également les droits d’image des maillots d’entraînement des joueurs, qu’il cède à son tour à un autre brasseur, Cristal. Oliveira, qui était déjà agent de la FIFA et connaissait donc les tenants et les aboutissants du football international, a vu qu’il y avait là un marché de niche et une affaire d’avenir. La fédération a profité de cette intermédiation. Le fait est que, pour les joueurs, cela n’a pas changé grand-chose dans un premier temps.

Une Fédération bloquée dans le passé

Jaime Pacheco se souvient que les joueurs « étaient là avec Cristal et Mundial Confiança[6]», ajoutant : «Nous nous sommes rendus compte qu’ils payaient beaucoup d’argent et nous avons eu l’idée que, même si c’était peu, nous devrions être rémunérés. Nous étions là en train de porter la publicité sur notre dos et nous avons pensé que nous devions recevoir une part du gâteau. » L’avocat Jaime Dória Cortesão, nommé plus tard par la fédération pour enquêter sur les événements de la Coupe du monde, se souvient d’une métaphore utilisée par les joueurs : «nous étions les mannequins de la vitrine et si la fédération vendait de la publicité grâce aux mannequins de la vitrine, alors nous devions recevoir une part des revenus

Pour citer Monge da Silva, «c’est à ce moment-là que nous avons réalisé l’énorme écart entre la capacité d’organisation de nos dirigeants et ce que le football exigeait.» Le football change mais la structure de la fédération est proche de celle de la dernière coupe du monde en 1966. De nombreux responsables de la fédération l’admettront par la suite, personne au sein de la fédération n’était préparé à gérer ces changements.

L’absence d’une structure professionnelle et peu organisée explique peut-être l’essentiel de ce qui s’est passé, mais même parmi les joueurs, le doute subsiste. En effet le buteur de Stuttgart Carlos Manuel reconnaît que «les choses n’étaient pas en place pour la saison et c’est l’une des raisons pour lesquelles cela s’est produit», mais il ajoute : «Mais il y avait beaucoup de zone d’ombre. La fédération a reçu de l’argent de la FIFA, d’Adidas, de sponsors […] Qu’est-il advenu de l’argent ? Je n’en sais rien. Je ne l’ai pas vu, nous ne l’avons pas vu. C’était une honte. Les comptes de la Fédération étaient des comptes d‘apothicaire.» Rui Águas admet que «les choses étaient si peu claires que selon moi, dans les couloirs d’autres personnes en ont profité au lieu des joueurs.» Il est bien sûr impossible aujourd’hui de savoir à quoi a servi l’argent.

Mais une chose est sûre : la désorganisation de la fédération et le manque de dialogue avec les joueurs, ajoutés aux tensions qui s’accumulaient depuis des années, ont créé un contexte propice à toutes sortes d’explications.

L’équipe nationale est arrivée au Mexique avec un poids excessif sur les épaules, résultat de tensions qui se sont accumulées au fil du temps. Depuis au moins l’Euro 84, il y avait un certain nombre de problèmes non résolus qui ne cessaient de s’aggraver. Des revendications vieilles de deux ans comme le montant du salaire journalier, les primes, le droit à l’image, la négociation des assurances ou encore l’attribution de la carte à vie de la FPF, qui permet d’entrer gratuitement dans les stades, sont partiellement discutées ou, dans certains cas, ignorées. Ces revendications, qui paraissent aujourd’hui mineures tant par les montants que par les enjeux étaient pourtant cruciales à l’époque à la vue des revenus en club des joueurs.

Entre les promesses non tenues et l’incapacité de dialoguer et de se comprendre, l’atmosphère entre les dirigeants et les joueurs s’est alourdie. Un mélange de condescendance et de manque de leadership de la part des dirigeants du football portugais, et des athlètes de moins en moins tolérants à l’égard de la Fédération, ont contribué à dégrader le climat jusqu’à un point de non-retour. Jaime Pacheco se souvient qu’après la qualification, «une série de promesses ont été faites, selon lesquelles nous saurions combien nous gagnerions comme taux journalier et comme prime pour la qualification. Nous savions que les autres pays avaient tout organisé et ce que nous voulions, c’était aller au Mexique sans nous soucier de ce que nous allions gagner. En 1984, nous avions brillé, tout le monde était de notre côté, mais même là, les choses ne se sont pas concrétisées. Lors de la préparation de la Coupe du monde, nous avons de nouveau eu les mêmes problèmes, même à la veille de notre départ pour Saltillo

Les joueurs ne comprenaient pas la détérioration du dialogue et pourquoi rien n’était résolu. Fernando Gomes souligne qu’à leur arrivée au Mexique, «tout n’était pas résolu, avec le facteur aggravant que tout traînait depuis deux ans.» Le capitaine du FC Porto de l’époque se souvient : « Nous avons passé près d’un an à tenir des réunions mensuelles pour résoudre les problèmes et la Fédération n’a jamais voulu finaliser quoi que ce soit. Il n’y a jamais eu de volonté de la part des responsables de clore le processus. Ils ont toujours remis les choses à plus tard. »

Jaime Pacheco ajoute : «Nous avons eu mille et une réunions, dont beaucoup sur le terrain d’entraînement lui-même. Nous avons également parlé à Torres, et nous avons tout fait pour que son leadership ne soit pas mis en péril. Il transmettait le message au conseil d’administration mais il revenait souvent sans réponse. C’était pour demain, c’était pour la semaine prochaine, c’était pour après-demain. Il était si simple de régler le problème, les demandes étaient claires et faciles à satisfaire. Je me demande pourquoi ils n’ont jamais voulu nous parler.» Gomes partage le même sentiment : «Chaque fois qu’un mois passait, chaque fois qu’une réunion était reportée, les joueurs étaient de plus en plus blessés. A chaque fois nous croyions à la résolution, mais à force nous avons compris que nous étions trompés

Comment expliquer ce report d’un résultat qui, d’une manière ou d’une autre, devait se produire ? Le plus probable est que la Fédération était convaincue qu’elle n’avait pas besoin de s’entendre avec les footballeurs. Après tout, une fois arrivés au Mexique, l’équipe serait en vase clos et les joueurs n’auraient pas le choix de se taire et de jouer. Selon toute vraisemblance, la fédération ne croyait pas non plus à l’unité des joueurs et à leur capacité de revendiquer. L’expérience de l’Euro 84 avait montré que les joueurs n’étaient pas très unis et qu’une fois qu’ils auraient rejoint l’équipe nationale, la loyauté envers leur club continuerait à prévaloir. De plus, au sein des dirigeants de la fédération, et notamment du président Silva Resende, il existait un sentiment de mépris à l’égard des joueurs, qui coexistait avec une culture autoritaire.

Pour le président de la fédération, les joueurs sont là pour jouer et représenter les couleurs nationales et c’est à la fédération de décider ce qui est le plus approprié, au nom de l’intérêt supérieur de la nation. Douze ans après le 25 avril, le football portugais est toujours dominé par la culture de l’ancien régime et ne suit pas le rythme de la modernisation et de la démocratisation que connaît le pays. Rui Águas l’affirme sans détour : «Il y a eu beaucoup de réunions, beaucoup de choses ont été définies, mais elles se sont enlisées. La Fédération s’est moquée de ce qui avait été dit et convenu. Ils sont arrivés le premier jour du rassemblement et ont dit : maintenant que l’on est ici, vous mangez et vous vous taisez. C’est ce mépris qui a créé le mouvement. Toute cette histoire a eu pour effet d’unir les joueurs contre la Fédération».

José Carlos Freitas, envoyé du journal «O Jogo[7]«, confirme à la fois l’ajournement successif de toute solution aux problèmes qui s’éternisaient et les préjugés de la Fédération à l’égard des joueurs : «Pour les dirigeants les joueurs n’y comprenaient rien. Tout ce qu’ils avaient à faire, c’était de jouer le jeu et d’aller chercher le trophée qu’ils voulaient. Mais certains joueurs avaient des contacts dans les autres équipes et ils savaient ce qui se passait pour elles. Tout cela était une question de mentalité, de préjugés de classe». Les dirigeants de la Fédération, voient encore les footballeurs pour ce qu’ils sont dans les années 60, des ouvriers de luxe avec peu de moyens de s’organiser et encore moins de réclamer la part qui leur est due.

Réaliste, Jaime Cortesão met le doigt sur le problème : «Si nous avions atteint les huitièmes de finale, les quarts de finale ou les demi-finales, il n’y aurait pas eu d’affaire Saltillo. Même si le comportement des joueurs s’étaient dégradés, il n’y en aurait pas eu. Une fois de plus, c’est le penalty manqué, le ballon qui n’est pas rentré et le résultat qui ont compté. Finalement, c’est une façon de blanchir les responsabilités de la Fédération.» En France, deux ans plus tôt, le climat plus défavorable n’avait pas été un problème car l’équipe avait bien fonctionné. Au Mexique, l’élimination précoce a mis en lumière une rébellion qui aurait été oubliée, tout en exonérant les responsables de la fédération de toute responsabilité. Le regretté Fernando Gomes conclut : «Le pays était la victime et nous, les joueurs, le bouc émissaire. Cela n’arriverait plus guère aujourd’hui

Les anecdotes concernant la présence du Portugal à Mexico 86 révèlent le manque de préparation de la Fédération portugaise de football et son incapacité à faire face aux exigences d’une participation à une Coupe du monde. L’épisode de la blessure de Bento, joueur symbole de la revendication, en est un bon exemple. L’équipe s’entraînait sur un terrain éloigné de tout (presque aucun journaliste n’a assisté à la blessure car il ne savait pas où était la sélection), le staff médical était resté à Saltillo à plusieurs kilomètres du terrain. Un aperçu de l’amateurisme de la préparation est qu’aucune béquille n’est alors prévue. Le journaliste Ribeiro Cristóvão, qui se remettait d’une fracture du pied lors du voyage au Mexique, voit Manuel Bento lui demander : «Hé, patron, tu t’es débarrassé de tes béquilles ?» Selon lui, il a «géré la situation.» Encore plus grave, le capitaine de la sélection va devoir mener un long combat judiciaire pour recevoir une prime d’assurance, celle-ci n’ayant été contracté qu’après la compétition et sa blessure.

Les joueurs reviennent au pays comme des pestiférés, ils seront « indisponibles » les premiers matchs de qualification. Ils sont accompagnés par d’autres joueurs solidaires de leurs coéquipiers de club. José Torres démissionne et la Fédération choisit de remettre en place la formule de 1966[8]. Un avocat, Rui Seabra devient sélectionneur pendant que Juca et Antonio Oliveira[9] gère le terrain. Avec une équipe B et un management à l’ancienne, la sélection coule dans les qualifications allant même jusqu’à faire un match nul à domicile contre Malte. Alors que Porto gagne la C1 et que Benfica en atteint deux fois la finale, cette génération ne rejouera plus une seule compétition, Futre au sommet de son art n’aura joué qu’une seule Coupe du Monde. Il faudra attendre 2006 pour revoir le Portugal serein et au niveau dans un Mondial. En effet 2002, sa préparation chaotique, la suspension de Kenedy, les blessures et l’élimination piteuse avait fait ressortir les démons de 1986.

Le temps a passé et Jaime Pacheco ne peut cacher ses regrets : «Nous aurions pu avoir plus de stabilité, ce qui n’a pas été le cas, que ce soit au Championnat d’Europe ou à la Coupe du monde. Nous aurions peut-être pu aller plus loin et éviter ce calvaire qu’a connu le football portugais dans les années qui ont suivi. La pire chose qui me soit arrivée, c’est d’être puni en équipe nationale et d’en sortir comme un malfaiteur, comme si nous avions commis un crime grave. Honnêtement, je me rends compte que je n’ai rien fait pour être puni ou pour obtenir la réputation que nous avons contribué à donner au nom du Portugal. Je suis également conscient et certain que ces événements ont conduit à une plus grande organisation et ont fini par être un atout pour le football portugais. J’en suis sûr. Aujourd’hui, si la Fédération a les résultats qu’elle a, c’est parce qu’un nouveau cycle a commencé après Saltillo. »

Comme un symbole, 10 ans plus tard le Portugal retrouvera une compétition internationale, 20 ans plus tard une demi-finale de Coupe du Monde et 30 ans plus tard un premier titre international.

30 ans plus tard, c’est l’improbable Eder qui apporte enfin un titre au Portugal!

[1] https://www.lequipe.fr/Football/Article/Saltillo-le-knysna-portugais-lors-de-la-coupe-du-monde-1986/913382

https://www.sofoot.com/articles/saltillo-le-knysna-portugais-de-86-coupe-du-monde-2014-groupe-g-etats-unis-portugal

[2] Le 1er Janvier 1986

[3] Tous les témoignages de cet article proviennent du livre « Deixem-nos Sonhar » de João Tomaz e Pedro Adão e Silva

[4] Le Mexicain Guillermo Cañedo, vice-président de la FIFA, entrepreneur de télévision et partenaire favori de Havelange et intermédiaire dans les transactions médiatiques de la FIFA. Cette citation est en réponse aux critiques selon lesquelles les billets d’entrée aux matches étaient trop chers pour les Mexicains.

[5] Le champion d’Europe 1987 avec Porto (où il était remplaçant) est surtout rentré dans l’histoire en étant sacré avec Boavista en 2001 (premier titre échappant aux trois gros depuis 1946)

[6] Assurance portugaise

[7] Un des trois grands quotidiens sportifs portugais, plutôt orienté FC Porto (Record pour le Sporting et A Bola pour le Benfica)

[8] En 1966 le sélectionneur est le colonel Manuel da Luz Afonso, dirigeant du Benfica qui gagne 2 C1 et l’entraineur est le Brésilien Otto Gloria

[9] Grand joueur du FC Porto, du Betis Séville ou du Sporting, il deviendra le sélectionneur du Portugal en 1996 puis en 2000. Malgré des bons résultats, pour beaucoup il ne doit sa place qu’au fait d’être le frère de Joaquim, très influent à la Fédération.

26 réflexions sur « « L’affaire Saltillo », une blessure nécessaire (2/2) »

  1. Merci, Rui.

    Par analogie avec d’autres crises dans d’autres footballs, je voyais cela comme une espèce de crise de croissance.. Bon, en gros c’est donc ça?, ce Portugal paya certain gap entre inertie profonde (structures fédérales, statut des joueurs, « professionnalisme » du cadre, partage du gâteau..) et modernité (explosion des revenus-foot – télé, merchandising.. – , pour faire bref?).

    Certaines extrémités en moins, ça me fait penser à la WC belge de 1970 par exemple. A ce détail près que le cocktail était assurément plus détonnant pour ce Portugal de mid-80’s : pays longtemps tenu dans une cocotte-minute conservatrice, puis plongé sans transition dans le bain bouillant de la libéralisation du gros fric et des moeurs.

    Oserais-je avouer un truc alors que l’auteur est d’originie portugaise? Vous voyez la photo un peu WTF des Capucho, Rui Costa, Abel Xavier.., celle-ci : https://www.civfanatics.net/uploads6/Boys_Band.jpg

    Le Portugal n’a pas le monopole du mauvais goût! (les Belges et leurs permanentes en 82, au secours..), d’ailleurs toujours discutable.. mais des photos de cet acabit on en trouve un paquet concernant les joueurs de la sélection ‘Tos à compter des 90’s, un style propre……….qui est quand même un peu beaucoup kékéoïde, on dirait à chaque fois des mecs de 15-16 ans à qui on vient +/- de lâcher la bride, et qui en profitent maladroitement pour affirmer une façon d’être pas vraiment finie.. Tu vois l’idée, Rui?

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    1. Ladite Movida, en Espagne, m’inspire peu ou prou la même chose dans ses thématiques, ses tonalités, son langage.. De sages provinciaux qui découvrent les joies de l’Occident libéral, des codes neufs.. Y a là-dedans quelque chose qui relève d’une forme de puberté.

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      1. Y en eut-il un équivalent au Portugal??

        Jamais trop aimé cet esprit Movida – ou du moins le peu que je peux en comprendre en n’étant hispanophone : c’est du ressenti pur, mais je trouve ça plutôt vulgaire, « vainement » bavard (le bavardage remplit une fonction, trop-pleins à évacuer), vaguement outrancier, Cf. ces grosses ficelles drogue-homosexualité-sexe.. un fort caractère de déballage hormonal, revanche très expressive mais décousue de corps et d’esprits en cours de « libération » (se libérer..pour se retrouver lié à autre chose?? ==> question que je me pose)……

        Passage obligé certainement (vu la fin de certain ordre moral), l’adolescence aussi en est un..et ce n’est pas forcément ce qu’il y a de plus glorieux.

        Je note que Futre & Co prirent du bon temps à Saltillo, ce n’étaient pas que des histoires de reconnaissance, d’avoir sa part légitime du gâteau, de professionnalisation etc……. Il y avait probablement autre chose aussi en jeu, d’un registre plus jouisseur.

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      2. Quant à Knysna, lol.. : non, décidément pas grand-chose à voir pour moi non plus, parmi ces Che Guevara dont l’un ou l’autre meneurs s’enfileraient des côtelettes pailletées d’or, solidaires quand et pour ce qui les arrange depuis leur resort d’un luxe inouï (j’y suis passé, une dinguerie)………. ==> cas-socialerie aggravée par le trop plein de fric, vraiment peu de choses (rien?) à en sauver.

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      3. Looks douteux un peu partout et à toutes les époques, ok, bien sûr. Mais ce style, Capucho et Figo, mon dieu.. On dirait vraiment deux « terrone » qui viennent de découvrir la grande-ville, les couleurs flashy, qu’il n’y a pas que la flanelle et la sobriété dans la vie……. Au-delà des modes douteuses à temps T, tous deux ont quand même un gros côté Monsieur Ouille qui vient de découvrir l’existence du rayon fripes dans une grande surface. Ceci dit (et sans moquerie aucune!), c’était peut-être l’air du temps dans le Portugal de ces années-là (auquel cas, j’ai envie de dire : ben précisément!).

        (NB : je vois que tu évoques Vitor Baptista…….. ==> Moi, tout cela me rappelle à certains égards Kinshasa, la sapologie..bref!)

        Même les cheveux, on trouve de ces trucs particuliers.. Certaines coupes de Figo début 90’s, c’est violent vu du Nord (..dont il y avait bien sûr eu énormément à dire à l’heure précisément, mais 10-15 ans plus tôt, où les moeurs changeaient, se « libéraient »).

        Mais je ne vais pas m’inventer une expertise à la Cristina Cordula (« Magnifaïk », tu vois le phénomène de kermesse?), hein : du ressenti.

        Par contre pour Futre (et d’autres? il me semblait que tu le suggérais en 1ère partie), ça ce n’est absolument pas commun du tout comme comportement!

        En phases finales de WC et de décennie en décennie, la règle c’est soit pas de femmes du tout..soit seulement les épouses, et à doses généralement très homéopathiques…………….et là tu te retrouves avec des Mexicain..es (c’est explicite) qui affichent des banderoles de soutien en plein match, posent le sourire en coin.. C’est quoi, ce truc?? 🙂

        Quand je vois tout le tagadatsouintsouin fait autour des NL en 74, ce prétendu pompon du libertarisme européen, cette histoire d’orgie alors qu’il y eut au fond trois fois rien, au pire une histoire de demi-molles………. Non vraiment, les joueurs portugais, les Mexicaines et Saltillo, du moins tel qu’il m’a semblé que tu le présentais (je vais relire) : c’est pas commun du tout comme truc.

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    2. Eheh, j’avais partagé cette photo (Où Rui Costa n’apparait pas, c’est Couto le 4ème!) sur le Discord cet été.
      Mais des joueurs aux look douteux il y a en de tout temps, dans tous les pays! Vitor Baptista, à qui j’ai consacré un article sur le site, était un précurseur au Portugal, une partie de sa légende repose notamment sur cela. Un des premiers à oser un look débridé dans un pays bloqué dans le passé.

      Je suis très loin d’être un expert du sujet mais selon moi il n’y a jamais eu d’équivalent à la Movida. Localement (Lisbonne) il y a peut-être eu quelques mouvements culturels proches mais dans l’ensemble c’est la principale différence entre culture (au sens sociologique) portugaise et espagnole.
      Les Espagnols sont davantage dans la démonstration mais aussi davantage dans la « radicalité », et globalement il ne passe 15 ans à s’atermoyer! Par certains côtés cela les rend insupportable (le côté excessif) mais par d’autres ils ont pris des années d’avance car ils ont davantage osé. Que cela soit économiquement où ils ont su exister en dehors des carcans européens, où ils ont su développer des grands groupes et une économie « autonome » alors que les Portugais fermaient bien leurs bouches pendant que l’Allemagne ou l’Angleterre imposaient leur règles.
      Culturellement l’Espagne a une capacité à évoluer très supérieure aux Portugais (et encore plus la France, roi de l’immobilisme), ils font du bruit (comme les Français) mais les choses changent (il suffit de voir comment ils ont su endiguer les féminicides par exemple).

      Bref les Portugais se sont soumis au capitalisme qu’on leur dictait mais sans en tirer les plaisirs que celui-ci peut offrir. Il y a vraiment une culture du fatalisme et de la souffrance très liée au Portugal que l’on ne retrouve pas du tout en Espagne.

      Pour conclure, dans la grosse enquête que j’ai lu pour écrire l’article ils disent que de tout temps et dans toutes les sélections il y avait des joueurs qui prenaient le même bon temps. Finalement l’histoire n’a retenu que Futre et les prostitués car ça allait dans le story telling écrit par la fédé (les joueurs sont les responsables de ce fiasco) mais dans le fond pour tous les acteurs de l’époque, il n’y avait rien d’exceptionnel de ce côté là. Les joueurs « jouissaient » déjà en club, et je pense qu’ils auraient pu gagner sur le terrain en le faisant en sélection. Non je pense vraiment que le fossé qui se creusait depuis une décennie entre le fédé portugaise et les joueurs qui évoluaient dans des clubs déjà tournés vers le foot de « demain » a vraiment créer cette situation inextricable.

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      1. C’est pas facile de répondre exactement où l’on veut!

        Pour les fêtes et les filles je pense plutôt comme toi mais en lisant les témoignages j’ai plus compris que « cela arrivait » mais que là plus la situation se dégradait avec la fédé, plus les mecs ont franchi les limites. Futre, tout juste 20 ans, aurait même vécu une relation avec la cheffe de la police locale…Un autre joueur s’est tapé la femme du patron.
        Au début il cachait juste les sponsors et à la fin ils étaient en roue libre. La banderole d’ailleurs c’est l’image qui a permis à la fédé de gagner « moralement » après la compétition.

        Pour les looks ridicules, dans le Nord ils avaient des sacrés dégaines aussi, les nuques longues moustaches des Voller et cie c’était spectaculaire. Je ne parle même pas des Anglais. Tes compatriotes avaient choisi Mike Werner:
        https://www.7sur7.be/hors-jeu/est-ce-le-pire-look-de-l-histoire-d-un-joueur-de-foot~a73b5f19/?referrer=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F Et ça c’est le début des 90’s.
        Non je crois que le joueur de foot est souvent le parangon du mauvais goût, encore aujourd’hui (fringues plus coupe de cheveux, on pourrait en citer une centaine). Les coupes de Griezmann, le look de Neymar ou Pogba, la liste est longue aujourd’hui.

        Puis après qu’il se soit mis avec sa femme suédoise (pour le coup très bon gout) Figo il a changé de style et est rentré dans le rang!
        Un Portugais qui a toujours la classe, même jeune, c’est Paulo Sousa (j’ai pas encore trouvé de photo embarrassante).

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      2. La chef de la police locale, lol.. ah ouais, quand même 🙂

        Oui, Mike Werner. Mais c’est un Ossie, ce genre de looks n’était pas si rare parmi les Européens de l’Est après la chute du Mur..quoique, en y réfléchissant, en RFA pré-89 on pouvait peu ou prou trouver les mêmes.. J’abandonne mes charges sur Capucho & Co, qu’ils me pardonnent!

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  2. super article vraiment merci de ces éclairages! décidément le Mexique est au tournant de l’évolution du sport et du foot en particulier…70 et la tv couleur et la diffusion de tous les matchs il me semble 86 et l’ouverture vers le business et la modernisation (mais aussi vers la route de l’ultra libéralisme), en tirant par les cheveux les JO de 68 à…Mexico font entrer médiatiquement la politique dans le sport
    la phrase de Valdano fait froid dans le dos à posteriori un beau penseur lui aussi

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      1. Je crois me rappeler qu’il avait une moustache – tu parles d’un indice pour un Mexicain, certes..

        A l’époque c’était écrit noir sur blanc que ce type était, rayon parties-prenantes mexicaines du moins, aux manettes véritables du barnum.

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      2. J’en parle dans les notes de bas de page c’est Canedo. Vrai boss de ce mondial et très important dans ce tournant audiovisuel. Le fameux magnat qui a sorti « Le peuple à la TV » quand on lui a demandé si à ce tarif le peuple mexicain pourrait aller au stade.

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  3. Je n’en parle pas dans les articles mais je suis convaincu que cette équipe avait assez de qualité pour briller en 1986, ils battent bien les Allemands chez eux. Puis il y avait vraiment de la qualité à tous les postes, un beau gâchis.

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    1. Ah, du talent : ça c’est clair et net qu’ils en regorgeaient.

      Quel(s) joueurs furent particulièrement harassés au retour au pays?

      Si Futre en fut : il aura alors sacrément rebondi, sa saison qui suit est xxl……

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      1. Finalement cela n’a pas eu d’impact sur leurs carrières en club, les Portugais enchainent 3 finales de C1 en 4 éditions(de 1987 à 1990) . Mais en sélection par contre c’est la cata, tu as deux clubs qui brillent en Europe (avec que 95% de stars portugaises) et tu ne vas ni à l’Euro ni à la Coupe du Monde…Futre était incroyable sur cette période, un des tous meilleurs au monde et finalement ces non présences de sa sélection lui ont pas mal porté préjudice en termes de notoriété.

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    1. Des montagnes de l’intérieur, Castelo Branco, le coin de mon père. C’est dans cette région qu’habite mes parents et ma famille paternelle. Ma mère est de Sao Joao da Madeira (vers Aveiro). Je suis né en France 😉

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    1. Merci pour l’article! Oui la rivalité entre joueurs des clubs adverses étaient dignes de celles que l’on retrouve en Espagne. Même si à cette époque c’était surtout entre Sporting et Benfica, Porto commençait à pointer le bout de son nez depuis quelques années.

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  4. Eder avec le trophée Henry Delaunay… T’étais pas obligé @Rui Costa ! :'(

    Mais super article deux en un ! J’avais effectivement entendu parlé de loin de cette histoire de 86 et tendance à la considérer comme le Knysna des Portugais.
    J’en ai appris beaucoup, à l’image de ce que qu’est notre site qui souffle sa première bougie aujourd’hui !

    Bon anniversaire Pinte 2 Foot !

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  5. Bonne idée d’avoir tiré fait un deux-en-un sur Saltillo (ça change des zèderies ninja de Godfrey Ho pour les cinéphiles déviants).

    Saltillo, crise nécessaire ou plutôt inévitable ? En 2002, c’était effectivement revenu sur le tapis, ou même à un degré moindre en 2014 avec les blessures en série (que fait l’équipe médicale ?).

    Merci encore pour l’article et l’analyse.

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