Pelé, résolument moderne

L’émergence de Pelé coïncide avec l’élection du président Juscelino Kubitschek, celui qui entend « faire progresser le Brésil de 50 ans en cinq ans ».

Pelé incarne un Brésil fantasmé, celui des années 1950 et du début des années 1960, entre deux crises politiques, quand le pays semble définitivement basculer dans la lumière et la modernité à coups de chantiers pharaoniques dont l’édification à marche forcée de Brasilia est le témoignage vertigineux.

Avec le président Kubitschek.

Edson Arantes do Nascimento arrive en 1956 à Santos, excroissance portuaire de São Paulo, cité tentaculaire que le gamin dévore de ses yeux émerveillés, accompagné par son père et Waldemar de Brito, l’ancien crack de la Seleção qui découvre la merveille. Santos vit alors dans le souvenir des années 1920 éclaboussées par le talent d’Araken et Feitiço, le diable travesti en footballeur. A ce moment-là, Brasilia n’est qu’une chimère, un rêve de politiciens. Hasard des conjonctions, la venue de Pelé correspond au retour de Santos au sommet, porté par une génération d’étoiles, Formiga, Alvaro, Zito, Vasconcelos et Del Vecchio, celui qui va bientôt être sacrifié, offrande aux dieux ayant mis Pelé sur le chemin du club alvinegro.

Enceinte rococo d’un autre temps où le grand Joe Louis s’égare naguère pour une parodie de combat en contrepartie de quelques dollars, le Vila Belmiro accélère sa transformation pour accueillir le prodige, troquant ses ancestrales tribunes en bois pour des gradins en dur à l’époque du béton triomphant. L’enthousiasme du vieux stade de Santos se propage dans le pays entier, le Brésil se presse pour voir le jeune Pelé, artiste à la peau noire tout de blanc vêtu se jouant d’adversaires prématurément vieillis à son contact incandescent. Puis la Suède et le monde découvrent ce visage juvénile, figure irrésistible dont la véritable identité demeure incertaine. 

De 1958 à 1964, Pelé atteint des sommets inégalés. Associé à Pepe et Coutinho, il fait de Santos o esquadrão imortal. Avec l’estropié Garrincha, il débarrasse la Seleção de son costume d’éternelle victime. Ce jeune Noir incarne la fierté d’une nation en mutation, effaçant les peines de 1950, réhabilitant par la preuve les faux coupables, Barbosa en premier lieu. 

Il entre au patrimoine et dans l’histoire de son pays en même temps que naissent la bossa nova de João Gilberto, le cinemanovo de Nelson Pereira dos Santos et les projets gigantesques des idéalistes Oscar Niemeyer et Lúcio Costa, ses contemporains. Ils sont les emblèmes d’un Brésil conquérant et résolument moderne que la France scrute émerveillée grâce à la fantaisie de Philippe de Broca dans « L’homme de Rio », quand Jean-Paul Belmondo escalade les buildings en travaux de Brasilia, ville futuriste proclamée à la hâte cité démocratique modèle et promue capitale fédérale.

Avec Niemeyer, 104 ans au moment de la photo.

A partir de 1964, tout change. La fragile démocratie est balayée par les militaires de Castelo Branco soutenus par les Etats-Unis et le symbole éclatant du miracle économique et social brésilien se mue en sourire de la dictature exhibé au cours d’interminables tournées à travers les continents. Santos n’est plus invincible, le Brésil perd son titre en 1966 et Pelé s’enferme dans le rôle d’un personnage affable à la sincérité douteuse que rien ne semble vraiment concerner. La fièvre créatrice du pays s’éteint et Brasilia, œuvre saisissante, folie plastique surgie de la savane, demeure inachevée.

Pelé redevient lui-même en 1970, le temps d’un tournoi luminescent au cours duquel les dieux aztèques décident de l’extraire de la grisaille dans laquelle est plongé le Brésil. Cette Coupe du monde aux images enfin polychromes le consacre en mondovision, manière de figer à jamais le témoignage de ce qu’il est définitivement : Rei.

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27 réflexions sur « Pelé, résolument moderne »

    1. Oui
      Ça a l’air très sympa
      Merci aux généreux et passionnés fondateurs du site, sacré boulot !
      Je suis bienheureux de trouver ici passion du foot et respect de son prochain.

      Allez, je vais lire les articles, maintenant !
      Je suis tout excité.

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      1. @kiadiatoulin
        Oui Mushuc Runa ; un club coopératif d’Ambato, dans les Andes équatoriennes. Très sympa, familial ; mon beau-frère y a joué 2 ans en D1, le plus souvent remplaçant. Président adorable, repas et baptêmes au club, avec musique andine et danses tradi, discours en quechua.

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      2. Ambato?
        C’est marrant, c’est le nom d’un bled dans le nord de Madagascar (ça s’écrit exactement pareil ^^)

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      3. Salut Pig B, et tous les autres
        Ça a l’air vraiment chouette ici, tant le fond que la forme.
        Ravi de retrouver certains, et de rencontrer de nouveaux amateurs de foot éclairés

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      4. De mémoire, un cyclone à l’Équateur serait instable : la force de Coriolis tendrait à le couper en deux, une moitié nord et une moitié sud, chacune tournant dans son sens préférentiel.

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      5. d’équateur, tu as de quoi lire concernant les articles 😉 et ce qui est bien ici, c’est qu’on te laisse rédiger des articles de ton choix et de les proposer à la publication, ça permet d’avoir des sujets et des styles de rédaction très variés !

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    2. Salut tous le monde.
      j’en profite aussi tiens pour vous psser le bonjour a ceux deja croisés ailleurs. invité par khiadiatoulin a venir ici, je vois qu’il y a pas mal de noms connus.
      une bien belle initiative ce site, au plaisir d’echanger a nouveau dans les commentaires .

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  1. Technique, inventif, physique, deux pieds, passeur, bon de la tête malgré sa taille, dribble… Ce gars aurait réussi dans les années 80 tant il était en avance sur son temps.
    Tu parles d’un nouveau souffle pour le Bresil qui correspond aux 2 premiers titres mondiaux. On peut faire un parallèle avec leur équipe de basket.
    Le Bresil est champion du monde de Basket en 59 et 63. 3eme en 67 et dauphin en 70.
    La génération Amaury Pasos, Wlamir Marques ou Ubiratan Pereira.
    Alors, il faut évidemment relativiser puisque les américains n’envoyaient pas leurs stars mais le Bresil etait bien une des meilleures équipes du Monde.
    Ce pays etait un pays de virtuoses.

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  2. Je crois me souvenir que la création d’une capitale fédérale dans l’intérieur du Brésil a été inscrite très tôt dans la Constitution (vérification faite, celle de la Ière République en 1889). Le parallèle entre Pelé et Kubitschek s’étend aussi à la sphère politique, quand on pense au silence du Rei sous la dictature et le début de la carrière de JK dans l’Estado Novo crypto-fasciste de Getúlio Vargas…

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  3. Je dis peut être une connerie, mais il me semble que peu croyait en Pelé, au Brésil, avant le mondial 70

    Désigné comme pantin du régime, en froid avec un sélectionneur qui voulait instaurer un jeu rigoureux à l’européenne (pas Mario Zagallo, mais un autre)

    Ce pour dire que c’était un petit miracle, non ?

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    1. Finalement quand on regarde cette vidéo comparative, on peut se dire que le football a beaucoup évolué physiquement et tactiquement depuis les années 60-70, que techniquement non.
      Je ne dirais pas que Pelé a tout inventé car on jouait quand même au foot avant lui et certains gestes devaient déjà exister par ailleurs, mais le mec aura quand même révolutionné le jeu en terme de technique balle au pied.
      Il n’est pas le Roi pour rien.

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