Magyar connection

Il y a un mois, nous évoquions la vie trépidante de Béla Guttmann, ainsi que son apport au football mondial et surtout portugais, notamment à travers son passage marquant au Benfica.
Aujourd’hui nous explorons une autre facette du personnage : celle d’un homme qui avait dans son entourage des individus fort peu recommandables. Nous nous intéressons à ses liens avec trois figures emblématiques, révélatrices d’un certain visage du football hongrois. En effet derrière la vitrine dorée des Puskás, Kocsis et des grands entraîneurs magyars, existait un réseau opaque, une véritable mafia du football, prête à tout pour s’enrichir. Cet article s’appuie en grande partie sur le site hongrois guttmannbela.blog.hu, une source particulièrement riche et bien documentée. Comme souvent lorsqu’il est question de pratiques obscures, les sources sont rares — surtout en ligne. L’histoire préfère souvent oublier les noms de ceux qui ont contourné les règles.

La connexion de la grande Hongrie au Portugal.

Solti, de Mengele à Moratti

Dezső Solti est le plus connu des trois. Son rôle dans la victoire de l’Inter Milan en Coupe des clubs champions européens (C1) en 1965 est relativement bien connu, notamment chez les supporters de Liverpool. Son parcours personnel, en revanche, l’est beaucoup moins. Comme de nombreux Juifs hongrois, il fut déporté dans un camp de concentration : pour lui, ce fut Auschwitz. Tandis que sa famille périt rapidement, celui qui s’appelait encore Dezső Steinberger parvient à survivre — et même à se faire remarquer. Au point qu’il en vient à travailler pour Josef Mengele, comme homme à tout faire et coursier. Une preuve certaine de son sens de l’adaptation, mais qui ne l’empêchera pas, dans les derniers jours du régime nazi, d’être lui aussi envoyé à la mort.

Sa vie- et celles de milliers d’autres prisonniers- sera miraculeusement sauvée par un officier de la Wehrmacht, qui ralentira le train transportant les prisonniers, permettant ainsi aux Alliés de les libérer. Plus tard, Solti confiera :« La guerre a effacé toute la faiblesse de mon âme. » À son retour en Hongrie, il est approché par la police secrète, l’AVH. Il se trouve que Péter Veres — figure de proue du Parti national des paysans et principal opposant à la collectivisation communiste — était originaire de la même ville que lui, Balmazújváros. On ignore quels moyens Solti a employé, mais le fait est qu’il parvint à obtenir la démission de Veres, rendant ainsi un service de taille au régime.

En guise de récompense, Steinberger demanda à quitter le pays. L’AVH lui répondit que cela serait possible s’il remplissait les critères pour obtenir un visa d’artiste. Selon les archives Arolsen — consacrées aux persécutés du nazisme —, Solti s’inscrivit à la fin de l’année 1948 à l’école de cirque et de danse Borosh, à Budapest. Ce subterfuge lui permit d’obtenir un passeport, délivré sous le nom de Dezső Solti. Il partit ensuite pour l’Italie, accompagné de six danseuses qu’il affirma être indispensables à son numéro. Mais les documents de l’AVH laissent peu de doute : ces femmes étaient en réalité des prostituées liées à un réseau de traite.

Milan ville accueil

Arrivé en Italie, Solti se produisit avec ses danseuses à Trieste sous le nom de Desiderio Solti, dans un cabaret appelé Colorado. Il enchaîna rapidement les engagements à Milan, Rome, Turin, Saint-Vincent et Naples. En décembre 1949, Solti quitte l’Italie pour se rendre à Vienne, où il cherche à former une nouvelle troupe de ballet — l’ancienne s’étant « dispersée ». C’est probablement à cette occasion qu’il rencontre Ármin Szóbel, déjà actif entre l’Autriche et l’Italie. Il retourne ensuite en Italie début 1950, à Padoue, où il passe plusieurs mois à entraîner ses nouvelles recrues — des danseuses qu’il aurait très probablement forcées à se prostituer. Padoue revêt d’autant plus d’intérêt que Béla Guttmann y entraînait justement à cette époque, il est un des nombreux entraineurs hongrois à avoir travaillé dans le club vénitien. En octobre 1950, Solti se produit de nouveau à Trieste avec ses danseuses, cette fois dans un cabaret nommé Notturno.

Fiche arolsen de Solti/Steinberger

C’est dans ce contexte que Solti croise la route de Guttmann, lui aussi Juif hongrois. On ignore les circonstances exactes de leur rencontre, mais un événement va les lier durablement. C’est au volant de la voiture de Solti, importée des États-Unis, que Guttmann — qui n’avait pas de permis — renverse et tue un étudiant de 17 ans. Solti assumera la responsabilité de l’accident assez longtemps pour permettre à Guttmann de fuir le pays et d’échapper à la justice. Ces liens permettront à Solti d’entrer en contact avec le foot professionnel italien.

C’est aussi à cette période que Guttmann fait la connaissance d’Ármin Szóbel, probablement par l’intermédiaire de Solti. Ármin et son frère István sont nés dans le Budapest de l’entre-deux-guerres. Tous deux pratiquent à la fois le football et la danse — comme le jeune Guttmann deux décennies plus tôt. István deviendra joueur au MTK Budapest, avant de partir en Italie avec son frère. Il jouera notamment pour Palerme, Biellese, Lecce et Rimini, tandis qu’Ármin dirige une compagnie de danse. Milan joue un rôle central dans leur parcours respectif : la ville accueille successivement Szóbel, Guttmann (entraîneur du Milan AC entre 1953 et 1954), Czeizler (entraîneur du club entre 1949 et 1952), et Solti, qui finira par s’y établir durablement et rejoindre l’encadrement de l’Inter Milan. Nous reviendrons plus loin sur son rôle dans le développement du club.

Les frères Szobel, un réseau international

Dès 1946, Ármin se serait en effet installé à Milan, rejoint par István un an plus tard. Ils étaient donc probablement bien intégrés dans le milieu artistique et sportif italien lorsque Solti s’y établit en avril 1949. C’est à ce moment que leurs activités convergent. En novembre 1950, la presse autrichienne rapporte qu’Ármin Szóbel, arrêté à Salzbourg, était attendu à Trieste avec sa troupe. En son absence, Solti reprend son groupe, qu’il baptise Szóbel’s Show Girls. En décembre, la troupe se produit à Milan, puis en janvier 1951 à Rome. Solti et les frères Szóbel entretiennent une relation ambivalente, à la fois alliés et concurrents. Ils semblent s’être rendu plusieurs services, tout en demeurant dans une logique de rivalité. De nombreux éléments laissent penser que leurs troupes de danse servaient de façade à des réseaux de prostitution, tandis qu’ils tentaient tous les deux d’étendre leur influence dans le monde du football.

Le plus jeune Szobel

À la fin des années 1950 les frères se séparent et István Szóbel, le cadet, raccroche les crampons et fonde en Belgique une agence de production d’événements et de représentation artistique. En 1960, il organise un concert pour la célèbre cantatrice Maria Callas (une photo de la diva ornait encore son bureau à Budapest dans les années 1990). Son agence comptait également parmi ses références la troupe de ballet de Milan et le célèbre ténor Mario Del Monaco. Mais en parallèle de cette vitrine culturelle prestigieuse, István s’investit de plus en plus dans une entreprise clandestine fondée avec son frère Ármin : un réseau de traite de femmes baptisé « Szóbel Balett ». Dans ce milieu, István était considéré comme un expert. Une photographie de l’été 1968, visible sur Shutterstock, le montre à l’Abbaye Club d’Anvers, aux côtés d’une figure notoire du monde interlope : Paul Raymond, le « roi du Soho » londonien, propriétaire de clubs de strip-tease et éditeur de magazines pornographiques. Raymond était alors en Belgique pour recruter de nouvelles danseuses pour ses établissements à Londres — et il semble qu’István Szóbel lui servait de guide.

Fiche arolsen d’Itsvan

Concernant Ármin Szóbel, on ignore précisément comment — ni par quels contacts — il parvint à s’implanter au Portugal, puis à graviter dans l’orbite du Benfica. Il avait déjà croisé la route de Béla Guttmann à Budapest, Vienne ou en Italie. Il n’est pas exclu que ce dernier ait facilité son arrivée. En 1960, alors que Guttmann est déjà entraîneur du Benfica, la troupe du Szóbel Ballet se produit à Lisbonne pendant le carnaval, au cabaret Maxime (aujourd’hui reconverti en hôtel-restaurant). Le spectacle remporte un franc succès, au point qu’en mars 1961, la troupe — composée de danseuses venues d’Europe et du Moyen-Orient — revient pour un engagement de deux mois. Le spectacle, intitulé Folies Wien 1961, met en scène une vingtaine de magnifiques danseuses et mannequins, parmi lesquelles Miss Vienne et Miss Budapest. Une photographie documente leur arrivée à la gare de Santa Apolónia, avec Szóbel bien visible dans le rôle d’imprésario. L’été suivant, la troupe quitte le Portugal pour une tournée en Espagne.

Le prix de Szobel

Avant l’arrivée de Guttmann, aucun club portugais n’avait jamais dépassé le premier tour de la Coupe d’Europe. En quelques années, le Benfica passe de l’anonymat à l’élite du football européen, devenant un habitué des grandes compétitions internationales. En mars 1968, György Szepesi écrit dans l’Esti Hírlap que « la grande époque du club commença lorsque le duo Guttmann–Szóbel prit les commandes sportives. Guttmann fit du Benfica un double champion d’Europe, et Szóbel en fit un club millionnaire ». Szóbel joue en effet un rôle majeur dans l’expansion des tournées internationales du club, qui deviennent alors une source de revenus cruciale. À cette époque, les matchs amicaux génèrent souvent la majorité des recettes des clubs. Et sur ce point, Szóbel va transformer les pratiques portugaises.

Ambitieux, il rêvait de faire du Benfica un club aussi actif à l’international que l’Inter Milan, Manchester United ou, surtout, le Real Madrid : une équipe disputant 25 à 30 matchs internationaux par an, pour des cachets allant jusqu’à 25 000 dollars américains par rencontre. À Lisbonne, il citait souvent l’exemple de la Turquie, où le Benfica, selon lui, pouvait exiger le même cachet qu’une sélection nationale comme le Brésil. Dès 1964, il alerte sur l’impact financier des résultats sportifs : une simple défaite pouvait, selon lui, faire chuter la « valeur marchande » du club de 5 000 dollars. Il en donne un exemple concret après la débâcle de Dortmund, le 4 décembre 1963, lorsque le Benfica, privé d’Eusébio et de Costa Pereira, s’incline 5-0 face au Borussia. Avant ce match, le club demandait jusqu’à 25 000 dollars par rencontre ; après, ses prétentions tombent à 20 000. Il aime déclarer : « Quand j’ai commencé à entraîner Benfica en 1959, le club touchait 2 500 dollars par match. Grâce à mes résultats, on atteignait ensuite 30 000. »

Parmi les nombreux matchs organisés durant cette période, deux rencontres amicales ont lieu à San Siro en 1962 — probablement à l’initiative de Guttmann, Szóbel ou même Solti. Le 14 mars, Benfica affronte une sélection italienne officieuse et s’incline 4–1. Le 6 septembre, au retour d’une tournée en Scandinavie, le club portugais revient à Milan pour un autre match amical, cette fois perdu 3–2. Le Benfica avait réclamé 25 000 dollars pour sa participation : une opération rentable pour toutes les parties. À cette occasion, à l’aéroport de Milan, un journaliste du journal Avanti! — organe du Parti socialiste italien — obtient une brève interview d’Ármin Szóbel. Bien que disponible en version numérique, le texte est aujourd’hui à peine lisible. On y apprend toutefois que Szóbel était perçu en Italie comme le « directeur général » du Benfica, et qu’il entretenait des liens étroits avec Guttmann.

Szóbel, l’homme de l’ombre du Benfica

Dans le milieu du football européen, Ármin Szóbel atteignit rapidement les sommets. Il devint l’une des figures discrètes mais influentes du Benfica, double vainqueur de la Coupe des clubs champions européens et triple finaliste. Parfois sous le nom de scène d’Hermann Szobel, il n’hésitait pas à s’adresser à la presse étrangère, notamment hongroise, pour commenter l’actualité du club. Il y était perçu comme un entrepreneur influent, un des plus grands négociateurs de matchs amicaux sur le continent. Grâce à Szóbel, la fameuse « ligne hongroise » du Benfica perdura, même après le départ de Béla Guttmann, Lajos Czeizler et Elek Schwartz, remplacés plus tard par le Portugais Fernando Cabrita. Comme le rapportait la presse : « Le manager Szóbel bénéficie toujours de la confiance des dirigeants du Benfica. » Non sans audace, Szóbel affirmait être à l’origine de la venue des trois entraîneurs de l’âge d’or du club — Guttmann, Czeizler, Schwartz — qui totalisaient sept trophées remportés avec le Benfica. Il disait même avoir recommandé par la suite Rudolf Illovszky, qui ne rejoindra finalement jamais Lisbonne. Si cette affirmation pouvait sembler fantaisiste, elle fut pourtant confirmée noir sur blanc par le quotidien A Bola, dans son édition du 24 août 1963 : le « merveilleux » Szóbel avait bien recommandé Czeizler au club lisboète et l’avait même accompagné lors de son arrivée au Portugal.

Szóbel se rendait presque chaque mois à Milan, où il menait des négociations régulières avec Italo Allodi, alors secrétaire général de l’Inter et proche de Solti. Ami de longue date de Guttmann, Szóbel — probablement aussi mandataire officieux — laissa entendre que Guttmann pourrait envisager de rejoindre l’Inter si Helenio Herrera quittait son poste. Toutefois, cette hypothèse ne se concrétisa jamais, en partie à cause de l’accident de voiture meurtrier dans lequel Guttmann était impliqué. Szóbel entretenait également des contacts avec certains joueurs du Benfica. Dans A Bola du 16 septembre 1965, on apprend que Ângelo Martins, défenseur emblématique sur le point de prendre sa retraite, s’était adressé à lui pour organiser un match d’adieu face au Budapest Honvéd. Plusieurs années plus tard, les services de sécurité hongrois observèrent Szóbel en compagnie de Costa Pereira, ancien gardien du Benfica devenu dirigeant du club.

Mais le rôle de Szóbel ne se limite pas à celui d’agent ou d’organisateur. En mai 1965, il est chargé d’une mission de diplomatie sportive délicate, qui le place en opposition directe avec les intérêts de l’Inter — soutenus en coulisses par Dezső Solti. À cette époque, le Benfica, dirigé par Elek Schwartz, venait de se qualifier pour la finale de la Coupe des clubs champions, après avoir éliminé Vasas Budapest. Leur adversaire en finale n’était autre que l’Inter Milan, qualifiée après un match controversé face à Liverpool, marqué par des décisions arbitrales discutées. Le match est programmé au stade San Siro, désigné par l’UEFA. Un choix problématique, puisqu’il s’agit du stade… de l’Inter. En tant que représentant du Benfica, Szóbel milite alors pour un changement de lieu, ou, à défaut, une finale en deux manches aller-retour : l’une à Milan, l’autre à Lisbonne. Le club portugais valide sa proposition dans une lettre officielle. Le 1er mai 1965, dans A Bola, Szóbel se veut rassurant : il affirme avoir évoqué la question au téléphone avec Sándor Barcs, vice-président de l’UEFA, et assure que l’Inter se montre « ouverte ». Mais l’instance européenne reste inflexible. La finale se joue bien à San Siro, où l’Inter s’impose 1-0, grâce à un but de Jair, conservant son titre.

Comme le résume A Bola, Szóbel restait « toujours en orbite autour du Benfica ». Tout au long des années 1960, il multiplie les allers-retours entre Lisbonne et Budapest, sous prétexte de missions sportives ou de négociations pour des matchs amicaux. Selon les recherches d’Orbán-Schwarzkopf Balázs et Vörös Csaba, il justifie ses fréquentes visites en Hongrie par des invitations officielles du club Újpesti Dózsa, structure affiliée au ministère de l’Intérieur hongrois. Dès 1963, il propose à ce club des tournées internationales, tout en entretenant aussi des relations avec la direction du Vasas SC. En effet hasard de la compétition, les clubs portugais affrontent à trois reprises ce club hongrois à Budapest durant cette décennie. Chaque fois, Szóbel est présent au Népstadion. En 1965, il assiste à la demi-finale de C1 entre le Benfica et le Vasas, remportée 1–0 par les Portugais. Le lendemain, A Bola le décrit comme une figure bien connue du football européen, toujours présente lors des grands rendez-vous internationaux. Après la demi-finale de 1965, il confie : « C’est une situation paradoxale : je suis hongrois, mais aussi un grand ami du Benfica. » Il se disait heureux d’avoir offert au public hongrois une prestation de qualité d’un club portugais qu’il aimait sincèrement.

Le 5 octobre 1966, il était de nouveau au Népstadion, cette fois pour assister à la victoire éclatante du Vasas face au Sporting CP, 5-0, lors du premier tour de la Coupe des clubs champions. À ce moment-là, ses liens avec le club hongrois étaient déjà très solides. Considéré comme l’un des meilleurs « négociateurs de matchs internationaux » d’Europe occidentale, il se réjouissait de voir le Vasas s’imposer comme une révélation du tournoi. En mars 1968, le Vasas retrouva Benfica en quart de finale de la Coupe des champions. Avant le match aller à Budapest (0-0), Solti proposa aux joueurs hongrois des substances dopantes, refusées par ces derniers. Szóbel assista probablement à ce match, mais c’est surtout lors du retour à Lisbonne qu’il fut particulièrement actif. Accompagnant l’équipe, il multiplia les interviews dans la presse portugaise et hongroise, déployant tout son talent pour promouvoir ses idées.

Après la rencontre, Szóbel fut naturellement sollicité par les journalistes des deux pays. Homme d’affaires avisé, il se réjouissait de la victoire du Benfica, qui renforçait la réputation internationale du club. Il rappelait que Vasas n’était pas un adversaire ordinaire : un mois plus tôt, l’équipe hongroise avait remporté un prestigieux tournoi en Argentine, battant River Plate et Racing — un événement qu’il affirmait lui-même avoir organisé.

Ainsi Szóbel n’occupait aucun poste officiel au Benfica, mais grâce à son vaste réseau, beaucoup le considéraient comme un agent ou un représentant crédible du club. Entrepreneur aux multiples facettes, il profitait aussi de ses séjours en Hongrie pour recruter danseuses, musiciens et artistes pour son cabaret viennois, le Casanova, ou pour ses tournées internationales. Dans une interview parue en mars 1968 dans A Bola, il se présentait comme un homme d’affaires à l’échelle internationale, vivant également de ses activités d’organisateur en dehors du football. Mais comme nous le voyons plusieurs fois lors de cet article, de nombreux éléments permettent de penser que ces affaires n’étaient pas toutes légales. Si son réseau dans le foot était important, celui avec les mafias russe, du moyen orient ou italienne l’était tout autant.

Un de ses grands projets était d’organiser de grands tournois internationaux afin de générer des revenus importants. Le Diário de Lisboa publia un article illustré de sa photo, relatant son ambition d’organiser un tournoi majeur à Lisbonne, réunissant les deux géants portugais (Benfica et Sporting), le vainqueur de la Coupe des clubs champions et celui de la Coupe des vainqueur de coupe. Il cherchait à obtenir l’aval des clubs, leur promettant des tournées lucratives à l’étranger.

Les éditions du 14 et 16 mars 1968 d’A Bola détaillèrent ses démarches. Si Benfica se montra d’abord peu enthousiaste, il ouvrit finalement la porte au projet. Le Sporting, en revanche, resta sceptique. Szóbel argumentait que le tournoi pourrait rapporter plusieurs millions d’escudos, notamment grâce à un éventuel intérêt télévisé. Il alla même jusqu’à menacer d’organiser la compétition à Milan, avec la participation de l’Inter et du Milan AC, si Lisbonne refusait. Dans le même numéro du 16 mars, on apprit aussi qu’il nourrissait un rêve encore plus ambitieux : s’implanter dans le football autrichien. Il se voyait déjà président d’un grand club professionnel d’Autriche, convaincu qu’en deux ans son équipe dominerait l’Europe. Son plan était simple : entourer ses joueurs autrichiens de trois stars internationales — un Brésilien, un Anglais et un Allemand. « J’achèterai, peu importe le prix », affirmait-il sans détour. Aucun de ces projets ne vit le jour.

Prostitution, influence, corruption le trio d’or hongrois

Pendant ces années de succès lisboètes pour Szóbel, Solti aussi connut une période active et brillante. Les deux titres de Coupe des champions de l’Inter Milan portent sa marque. Celui qui se présente aussi comme un « homme d’affaires » est au cœur d’une des plus grandes affaires de matchs truqués jamais découverte dans l’histoire du football. Sa méthode favorite consistait à inviter l’arbitre désigné dans une chambre d’hôtel somptueuse, à lui remettre des liasses de billets, voire les clés de voitures de luxe, ou à lui proposer les services de ses danseuses. Il faisait aussi des propositions plus subtiles, notamment sur l’avenir de l’arbitre dans le football.

Carte de …. presse pour Solti à la WC 66

Grâce aux dénonciations d’arbitres tels que Gyorgy Vadas et Francisco Marques Lobo, ainsi qu’au travail d’enquête de Brian Glanville et du Sunday Times, l’ampleur des matchs truqués par l’Inter et la Juventus dans les années 1960 et 1970 fut dévoilée. Au-delà des dénonciations, la simple observation des matchs révélait rapidement des faits suspects. Lors de la demi-finale de la Coupe d’Europe 1963-64, l’arbitre yougoslave Branko Tesanic ne sanctionna pas un coup de pied dans l’estomac porté par Luis Suárez, meneur de l’Inter, à un joueur du Borussia Dortmund. L’année suivante, lors du même stade de la compétition, Joaquin Peiro marqua un but décisif en bottant le ballon des mains du gardien Tommy Lawrence — et ce après que les joueurs de Liverpool eurent été informés qu’ils ne pourraient pas gagner à San Siro, alors qu’ils menaient 3-1 à l’aller.

Solti à gauche de Puskas et devant Kocsis

La saison suivante, alors que l’Inter tentait d’enchaîner trois victoires consécutives, la chance tourna contre eux en demi-finale face au Real Madrid. L’arbitre – hongrois lui aussi- Vadas refusa l’une des fameuses offres de Solti. « La somme était suffisante pour acheter cinq, peut-être six voitures Mercedes », déclara-t-il à Glanville. Le Real remporta la rencontre, et Vadas ne fut plus jamais désigné pour arbitrer en Coupe d’Europe, bloqué par Gyurgy Honti, secrétaire général de l’Association hongroise de football. Dès son arrivée, le président Angelo Moratti chercha à bâtir cette dynastie par tous les moyens nécessaires, et Solti fut souvent chargé des opérations finales. Ils n’étaient pas seuls : le légendaire entraîneur Helenio Herrera adopta une approche pragmatique similaire, soupçonnant le Real Madrid de truquer des matches lorsqu’il était à Barcelone. C’est finalement Italo Allodi, secrétaire du club, qui géra la logistique. Très recherché dans le football italien, Allodi passa à la Juventus, où il dirigea Solti de la même manière. Ils furent impliqués dans une demi-finale tristement célèbre contre Derby County en 1973, que Brian Clough ne digéra jamais.

Même si son implication dans le football fut la moins visible, le jeune frère d’Ármin, István, développa aussi un empire. Il revenait régulièrement en Hongrie avec son frère. Un journaliste de l’Esti Hírlap le croisa en hiver 1965 au Grand Hôtel de l’Île Marguerite à Budapest : « Il dirige une agence en Syrie, il est venu chercher des musiciens hongrois à engager pour la Syrie. » De retour de Belgique, István passa le réveillon de 1989 en Hongrie, et au début des années 1990, il refit parler de lui. En 1991, il projetait de fonder une SARL en partenariat avec une agence hongroise. Dans une interview au journal Népszava, il évoqua ses deux passions : le football et le sexe. Et même si son implication dans le football est moins marquante que son frère, il ne manque aucune Coupe du Monde d’après-guerre. Il affirmait entretenir une relation amicale avec Enzo Bearzot, ancien sélectionneur italien. Il suivait de près le football hongrois, plaçait de grands espoirs dans la sélection dirigée par Mezey, avant d’être profondément déçu par l’échec de 1986 au Mexique. Sur la sexualité, il estimait que « beaucoup de vulgarité qu’on trouve en Hongrie serait impensable en Europe de l’Ouest », ajoutant que chez nous, « c’est le style qui fait défaut ».

En juin 1993, The New York Times publia en une un article sur le recrutement massif de jeunes femmes originaires des anciens pays socialistes, attirées par la promesse d’un emploi bien rémunéré en Belgique, aux Pays-Bas ou en Allemagne, mais finissant dans des maisons closes (Amerikai Magyar Szó publia un résumé de l’article). Une jeune femme de Budapest partie à Gand dans l’espoir de devenir serveuse fut retenue trois mois dans un bordel. Elle parvint à s’enfuir et témoigna contre István Szóbel, décrit comme un proxénète hongrois « fournissant régulièrement des filles venues d’Europe de l’Est à plusieurs bordels anversois ». La même année, un journal français affirmait que « Stephan Szobel », dans la soixantaine, toujours vêtu de cuir, était le véritable « roi de la nuit à Budapest ». Théoricien, pionnier, maître dans son domaine, vers lequel tous les grands maquereaux d’Europe venaient chercher conseil. À Rotterdam, Szóbel avait bâti une organisation spécialisée dans la traite de femmes et le trafic de drogue. Dès les années 1960, il inventa un système : en tant qu’imprésario et « protecteur d’une troupe de ballet », il faisait passer pour des « artistes très spéciales » des danseuses contraintes à se prostituer — ce qui lui rapportait des sommes considérables.

Ainsi, les réseaux hongrois étaient profondément implantés dans l’Europe du football. La grande majorité des grands entraîneurs hongrois de l’époque y étaient liés. Guttmann ne faisait pas exception ; au contraire, il était très proche de Solti mais aussi d’Ármin Szóbel, qui affirmait volontiers être un vieil ami de Béla Guttmann et se montrait toujours prêt à fournir des nouvelles fraîches sur le célèbre entraîneur. Une collaboration semblait exister entre eux à Benfica, voire peut-être au sein du club uruguayen C.A. Peñarol (que Guttmann rejoignit en 1962 après avoir quitté Benfica ; par la suite, Szóbel se présenta à Budapest comme représentant officiel de ce club).

Selon les recherches de Balázs Orbán-Schwarzkopf, Guttmann aurait été impliqué dans des activités de contrebande à Vienne. Un rapport de septembre 1967 récemment publié par les Archives historiques des services de sécurité d’État précise que Guttmann « finance une contrebande à grande échelle. Plusieurs sportifs hongrois sont impliqués dans ces opérations. » À Vienne, le représentant présumé de Guttmann et Szobel était un certain Fried, qui se livrait au trafic d’or, de devises et de tableaux, et qui dirigeait le bar Olympia à Budapest, situé à l’entrée du pont Élisabeth côté Buda. L’Olympia était un lieu de rencontre nocturne très prisé par les sportifs, comédiens et musiciens — mais aussi un centre d’échange pour les marchandises de contrebande. En 1968, le bar déménagea à Vienne, où Guttmann devint un client fidèle.

Détour intéressant, Ármin Szóbel a eu un fils avec Sonja Gradonca (sœur du célèbre promoteur de rock Bill Graham et ancienne Szobel’s showgirl). Hermann Szobel — prénom parfois utilisé par Ármin dans ses interviews — fut un pianiste prodige. Il enchaîna les concerts à la fin des années 1970, avant de finir par vivre, encore aujourd’hui, dans les rues de Jérusalem. Il semble qu’Ármin a vite quitté la vie de son fils

Hermann de nos jours
Hermann a 17 ans en plein succès

Ce réseau hongrois eut donc un impact direct sur deux des clubs dominants des années 60 : Benfica, qui put s’enrichir et soutenir la comparaison avec les grands clubs européens, et l’Inter, qui remporta deux Coupes des clubs champions dans des conditions douteuses. Ils ne furent pas les seuls clubs concernés — on pourrait même se demander quels clubs n’ont pas bénéficié d’un tel appui mafieux. Cela révèle une autre facette du football hongrois, souvent réduit à l’image légitime du football-spectacle de l’époque, avec ses entraîneurs et joueurs géniaux. Mais derrière eux existait un réseau façonné par des hommes ayant vécu le nazisme (voire les camps pour beaucoup), puis le régime communiste post 1956. Et si autant d’entraîneurs hongrois — Guttmann, Biri, Hidegkuti, Czeizler, Schwartz (roumain mais né à une époque où c’était encore l’Autriche-Hongrie)— passèrent par l’Italie ou le Portugal, les pays de Szóbel et Solti, ce ne fut sûrement pas un hasard.

30 réflexions sur « Magyar connection »

  1. Merci Rui. Le rôle de Solti à l’Inter et à la la Juve en homme de main d’Allodi est connu mais celui de Szóbel auprès du Benfica l’est moins.

    À la lecture de l’article, il ressemble à un grand ordonnanceur au service de la promotion du Benfica. Un bienfaiteur, quoi ! Je m’étonne qu’il n’y ait rien de plus obscur en lien avec la domination continentale des Aigles. Aucune affaire ou ne serait-ce un doute sur des matchs arrangés ? Ces duels contre des clubs hongrois ne sont entachés d’aucun soupçon ?

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    1. C’est le premier truc qui m’est passé par la tête en lisant tout cela (que je relirai, car touffu) : quid du Benfica en CE? Vu le lascar..

      Szobel, bien connu en Belgique : c’etait un salopard de tres haut-vol. De hauts niveaux de dégueulasserie.

      Juste avant d’embarquer pour les USA, Guttman était à Anvers. Et Szobel, qui avec Rotterdam avait fait du grand port belge un tres fructueux second chez soi, n’y était pas pour rien.

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  2. Les années 60 sont l’âge d’or de Vasas. 4 titres de champion, avec des figures très importantes. Celle de Kálmán Mészöly qui est le défenseur de la période. Et de Janos Farkas, son buteur, qui fit un grand Mondial 66. Farkas mettra un jour un quadruple aux Bleus. Le dernier en date.
    Vasas aura une dernière belle génération, celle du titre 77. L’idole Béla Várady et son gardien bûcheron Ferenc Mészáros qui laissa un bon souvenir au Sporting.

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    1. L’entraîneur légendaire du Vasas c’est Rudolf Illovszky ( le stade est à son nom aujourd’hui ) qui rêvait de rejoindre le Benfica mais qui fut un des rares « grands » coachs hongrois à ne pas quitter le pays (Il part deux saisons en Grèce et Autriche seulement)

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    2. Meszaros c’est comme Schmeichel, 2 saisons mais il a marqué l’esprit des supporters du Sporting qui le cite toujours quand il faut parler des meilleurs gardiens du club.
      Il a joué à Farense et Setubal après.

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  3. Pour Itsvan, le frère en Belgique, on trouve quelques sources qui en parlent, Solti pareil, en Italie et surtout chez les anglais (Qui n’ont pas digéré le Liverpool-Inter) mais sur Armin il n’y a que le blog hongrois qui a fait des recherches « de terrain » en fouillant dans des revues d’époque.
    Sur le net rien. Aucun site portugais n’en parle alors qu’il était une figure incontournable du Benfica. Après pour pouvoir battre le Real de l’époque il fallait forcément un peu d’influence !
    Même si aucun élément ne peut nous orienter vers la corruption, à ma connaissance pas d’erreurs arbitrales flagrantes dans les parcours européen du Benfica. Mais je ne maîtrise pas non plus.
    Par contre le parcours de Guttmann épouse pas mal celui de ces 3 escrocs. Mon avis est que ce n’est pas qu’une coïncidence. Surtout que les dates concordent. Pareil pour Czeizler d’ailleurs même si c’est moins lié.
    Je pense que pour en savoir plus il faudrait avoir accès aux archives des services secrets hongrois qui devaient suivre leurs compatriotes les plus « remplis de ressources ».

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    1. Je ne sais trop comment entendre ce que tu écris à propos du Real de ces années-là. Club alors moins influent que certaine légende noire a voulu faire accroire. A nouveau, je ne sais pas trop où tu voulais en venir, mais pour ma part je n’y verrais pas le genre de club dont l’entregent réclama (à l’époque!) d’être « neutralisé », contre-balancé par des jeux d’influence ; il n’avait pas (encore) tout ce pouvoir (ni tout l’argent) qu’on finirait par lui prêter.

      Istvan Szobel, vieux souvenirs de lecture mais tu l’évoques : vraiment une pourriture de la pire espèce, sorte de grand gourou européen de la traite et mise en prostitution/conditionnement (par la violence physique et psychologique) des femmes, je viens de retomber sur ceci en français, qui sera explicite

      https://referentiel.nouvelobs.com/archives_pdf/OBS1516_19931125/OBS1516_19931125_021.pdf

      C’est donc lui que je connaissais, celui qui était très solidement implanté dans les deux grands ports de la mer du Nord. Et que Guttman fréquenta avant de partir aux USA.

      Pour le reste, il m’est compliqué d’exclure que son frère Armin (celui de Benfica donc – ce que tu m’apprends, merci!), associé du susmentionné Istvan dans ses business « artistiques », eut le cul propre…………….et certainement pas en fricotant si régulièrement avec des Solti et Allodi!, c’est la fine fleur, ça..

      « Ils ne furent pas les seuls clubs concernés — on pourrait même se demander quels clubs n’ont pas bénéficié d’un tel appui mafieux. », déjà à l’époque les clubs étaient très inégaux en termes d’influence, d’argent………… Il y a un gouffre entre les pratiques stimulées/lubrifiées par un Solti (lequel, non-content d’impliquer des arbitres internationaux, mobilisait aussi voire surtout des officiels de très haut rang), d’une part..et de l’autre l’artisanat à quoi tenait l’écrasante majorité des arrangements à l’oeuvre dans le football européen.

      Ce qui est certain : le Benfica était des rares clubs auxquels je restais disposé à prêter encore que ses succès en CE pussent être plutôt propres………………..et je n’en serais plus si sûr désormais que j’ai lu le nom de l’un des Szobel.

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      1. Pour le Real je reprends juste les propos d’Herrera disant s’être fait enflé souvent lorsqu’il était au Barça .
        Pour le Benfica l’influence de Szobel aura surtout été dans les revenus liés aux matchs. Il devient influent surtout après les 2 C1.
        Son but c’est vraiment de gratter un max de blé sur ces rencontres. Ça paraît un peu désuet mais à l’époque plus que les titres, sponsors et cie, les amicaux c’étaient le meilleur moyen de faire du fric.

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      2. HH a raconté un nombre énorme de conneries dès lors que cela peut justifier un échec ou glorifier une victoire.
        Son Atlético avec lequel il gagne 2 Ligas n’a pas eu à souffrir du Real qui était encore en retrait.
        Son Barça : idem. 2 Ligas en 2 ans. Il a sans doute en travers de la gorge la demi finale de C1 perdue en 1960 mais de mémoire, il n’y a pas photo. Il est viré juste après, les dirigeants du Barça pensant qu’il négocie son départ au Real !

        Je partage l’avis d’Alex : ce Real n’a pas de gamelle connue au cul. J’insiste sur « connue ».

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      3. Ni, du moins autant que je sache, digne de ce nom en match de CE.

        Cocufiés par contre : ça oui!

        Jamais rien vu de bien méchant non plus du Benfica, ceci dit : qu’en ai-je vu??..

        Les Szobel, depuis leurs dispositions à faire du fric sur de la viande humaine : je suis enclin à les croire avoir été capables de beaucoup, beaucoup de choses pour maximiser les gains aussi d’un club de football.

        Mais voilà qui réclame évidemment plus que de l’intime conviction.

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    1. Szobel c’est une pourriture, un proxénète comme son frère. D’ailleurs lui il s’est même fait arrêter!
      Mais oui sur le net on ne trouve rien. Ce blog hongrois est un peu bordélique, mais le travail de recherche est remarquable. Les gars ont été lire les archives des journaux de plusieurs pays. Chose qui n’est possible (du moins au Portugal) qu’en se déplaçant.
      D’habitude j’aime bien croiser les sources mais là j’ai du m’appuyer sur leurs recherches et essayer de voir si tout paraissait crédible.

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  4. A titre complémentaire :

    « J’ai récemment écouté le podcast de décembre de Sportrádió, « Under the Press » – Guttmann Béla, le pote mafieux, ou l’histoire d’Ármin Szóbel . Dans l’émission, Csaba Vörös expliquait que le beau-frère du footballeur et danseur mafieux hongrois Ármin Szóbel n’était autre que Bill Graham. Le portrait s’est alors concrétisé, car le nom de Szobel apparaît également dans le testament de Graham.

    En juin 1968, une brève nouvelle parut dans les journaux hongrois : Ármin Szóbel, citoyen autrichien résidant à Vienne, fut expulsé du pays par les services du ministère de l’Intérieur en raison de ses activités portant atteinte aux intérêts de la République populaire hongroise. C’est tout.

    Balázs Orbán-Schwarzkopf a longuement écrit dans Betekintő (2019/4) qu’Ármin Szóbel était en réalité impliqué dans le trafic de drogue et le trafic de filles. De plus, Gábor Gellért écrit également dans ÉS ( Becsi Körhinta , 1959/35., 28 août.) sur le trafic de filles des frères Szóbel, et même le New York Times y fait référence.

    Betekintő est la revue scientifique des Archives historiques des services de sécurité de l’État. Orbán-Schwarzkopf écrit également dans son article que « [l]’épouse de Szóbel était originaire d’Union soviétique ; elle a quitté la Hongrie avec l’autorisation des Soviétiques ; elle s’est installée à Vienne avec l’autorisation des Soviétiques ; elle a ouvert une boîte de nuit avec l’autorisation des Soviétiques ; elle y a fait venir des filles qu’elle a recrutées dans la vie nocturne de Pest, contrôlée par les services secrets. (…) L’opération antiterroriste a fait naître des soupçons selon lesquels Szóbel pourrait être employé par des camarades soviétiques. »

    Trafic de drogue, danseuses, prostitution, services secrets soviétiques… l’histoire semblait improbable. D’autant plus que Sonja n’était pas soviétique, mais allemande. Survivante de l’Holocauste et sœur de Bill Graham.

    Ármin Szóbel est né à Budapest en 1921. Il avait deux frères, István et Aurél. Ils pratiquaient tous le football avec sérieux, mais cela leur devint impossible en raison de leurs origines juives. Ármin et Aurél furent envoyés au camp de travail forcé de Bór et survécurent. István s’échappa également.

    La famille Grajonca, composée de six personnes (cinq filles et un garçon), vivait à Berlin dans les années 1920. Les parents avaient fui les pogroms russes pour l’Allemagne « sûre », et les enfants y avaient grandi. Le plus jeune, Wolfgang, était né à Berlin en 1931, mais après le décès inattendu de son père, la famille, démunie, avait confié le petit garçon à un orphelinat. Séparé de sa famille, il n’eut plus de nouvelles pendant les 15 années suivantes.

    Personne n’adoptait d’enfants juifs à cette époque, mais Wolfgang eut de la chance. L’orphelinat fut évacué vers la France, puis vers New York via le Portugal. Wolfgang Grajonca devint bientôt William (Bill) Graham et, après la Seconde Guerre mondiale, il retrouva les membres survivants de sa famille.

    L’une de ses sœurs, Evelyn Grajonca, vivait à Budapest avec son petit ami hongrois. À l’époque, elle se produisait comme chanteuse et danseuse sous le nom de scène d’Evelyn Barnett. Une autre sœur, Szonja, vivait à Vienne. J’ignore comment Ármin Szóbel a rencontré Sonja Grajonca, mais le numéro de juin 1946 de Színház présentait déjà leurs photos. Selon le texte, « En quelques mois, un jeune couple de danseurs hongrois, Szonja et Szóbél, a fait une carrière remarquable à Vienne. Ils dansent des danses de caractère espagnoles, le tango, la tarentelle, le paso doble entraînant, la rumba, et connaissent un succès particulier avec leur célèbre danse tzigane russe. »

    Szonja et Ármin se marièrent plus tard et leur enfant, Hermann, naquit à Vienne en 1958. Ils conclurent également des contrats et des contrats avec de nombreux danseurs, artistes et musiciens de revues hongroises par l’intermédiaire de leur compagnie viennoise. Ils tentèrent même d’organiser des événements footballistiques internationaux. Les détails de l’histoire familiale ne furent connus aux États-Unis qu’après la mort de Graham, après des années de négociations concernant les biens de l’impresario. Le testament de Graham fit de ses frères et sœurs, peu connus, et de leurs familles des millionnaires.

    Evelyn, qui vivait autrefois à Budapest, s’installa plus tard en Suisse et mourut à Genève sous le nom d’Evelyn Udry. Szonja Szobel, qui vivait à Vienne, était veuve et s’installa ensuite sur l’île de Majorque. Elle est également décédée. On ne soupçonnait pas que les Szóbel aient pu être des agents soviétiques, et je n’ai trouvé aucune trace de leur condamnation. »

    (https://www.es.hu/cikk/2024-01-19/lazar-gyorgy/szobel.html)

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  5. Tu as probablement dû voir passer le nom dudit Balázs Orbán-Schwarzkopf? C’est très riche ce qu’il a écrit, ce Monsieur embrasse large (grande Histoire, évolution tactique, pègre..) et bien.

    Quoi qu’il en soit et de ce que je viens d’en lire, il ne s’embarrasse guère de précautions : il parle ouvertement de « truqueur » pour qualifier les pratiques d’Armin Szobel dans le football.

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    1. Oui il est largement cité dans le blog et je le cite même dans l’article.
      Les frères sont des ordures c’est assez certain. Après je pense qu’Armin n’a jamais eu l’autorisation pour corrompre au Benfica. Il n’y avait pas d’Allodi ni de Moratti prêt à tout à la direction. Le dopage sûrement, apparemment il en aurait proposé aux joueurs du Vasas. Mais Armin à l’air d’être vite sorti de leur vie.

      Sinon Bill Graham c’est assez fou. Je suis tombé sur lui en tombant sur Hermann Szobel et j’ai pu ainsi reconstituer la famille Grajonca.

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      1. Par contre la famille ne m’a pas du tout l’air soviet.
        Bref je savais que ce serait un sujet que tu aimerais!

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      2. Yep : tu l’avais cité! (je viens de relire pour la troisième fois 😉 )

        D’après ce que j’ai lu : pogroms en Russie (déjà soviétique) ==> les Grajonca s’établissent en Allemagne dans les années 20, de Charybde en Scylla.. ==> Au gré des pérégrinations de son orphelinat, Wolfgang « Bill » Grajonca « Graham » aboutit à New York via France puis Portugal.

        On dirait que ce sont les activités de l’épouse Szobel, la soeur de Bill Graham Grajonca donc, qui finirent par faire peser sur Armin Szobel des soupçons (commodes?) de collusions avec les services secrets soviets (lesquelles collusions étaient pour le moins probables, vu qu’il s’agissait de faire passer des filles de l’Est vers l’Ouest – je présume que le roi des maquereaux Istvan Szobel, frère de, avait d’ailleurs recours à ce réseau pour alimenter en chair fraîche ses business à l’Ouest).

        Un couple infernal, qui ne va pas sans me faire penser à des Epstein-Maxwell, les vieilles recettes..

        L’accord des dirigeants d’un club était-il vraiment requis? Je garde toujours à l’esprit l’une des rares confidences de Goethals (qui pour sûr en vit de belles à Saint-Trond puis Anderlecht) sur la question de la corruption : « Si vous saviez le nombre de matchs arrangés dont même les joueurs ou les dirigeants ne sont pas au courant ».

        Si je comprends bien le rôle d’Armin Szobel au Benfica : probablement amené par Guttman (un ami de la famille) pour optimiser les gains du club..lesquels gains étaient corrélés au statut du club (+ le club gagnait, était prestigieux..et mieux il était rétribué pour ses tournées). Or il n’y a pas 36 manières de faire prospérer sportivement un club quand on est un « imprésario ». Ce qui m’est acquis : Guttmann ne pouvait pas être dupe des méthodes de la fratrie Szobel.

        ‘fin bref : je ne connaissais pas ce type il y 2 jours (son frère Istvan, oui), tout est neuf pour moi……………. ==> Vais encore relire ton article mais, une question déjà : Armin fut-il actif aussi dans d’autres clubs?

        J’avais idée de l’influence délétère exercée dans le Calcio par l’une ou l’autre figures du football juif/hongrois, ce microcosme peu reluisant, ce laboratoire de la combine et de la magouille footballistiques..mais qu’elle trouvât à s’exercer jusqu’au Portugal?? Evidemment que ça m’intéresse! 🙂

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      3. Et, oui, derrière le slogan « entraîneurs juifs (de la Mitteleuropa) » : il y a souvent beaucoup de ça……….. C’est un peu comme la prétendue expertise culturelle NL, qui au fond reposait surtout sur la pharmacopée……….puis la réécriture de l’Histoire fait le reste, de sorte que l’emballage rende la chose présentable au moins..

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      4. Je te conseille d’explorer le blog hongrois que je cite. Ils ont pas mal de trucs à ce sujet. J’ai essayé de faire au mieux entre le bordel de leur site et le hongrois, langue pas toujours traduit correctement.

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      5. Et tu as (très) bien fait, c’est vraiment de la belle ouvrage que tu nous as livrée là.

        D’autant que ce blog hongrois : interminable……………………………………………mais où diable a-t-il trouvé tout cela sur des sujets si peu couverts???

        Tu parlais d' »avoir accès aux archives des services secrets hongrois » ; ce fut sa source première?

        Perso, cet article m’enrichit car il secoue le bananier de l’une ou l’autre de mes certitudes : ma grille de lecture « atlantiste » est et reste valable pour expliquer les développements voire corruptions dont bénéficièrent certains clubs, Bayern et Anderlecht ça se passe de commentaires………mais ici on dirait autre chose, plutôt des margoulins bien glauques qui infiltrent des clubs à fins d’enrichissement personnel. Une mécanique plus binaire.

        Et donc plein de questions. La moindre n’étant pas pour moi qu’on ait si peu évoqué la présence de tels salopards dans les affaires du football, a fortiori alors que couraient manifestement sur eux des dossiers.

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      6. L’arabe, avec Google trad ou des trucs similaires, ça n’a généralement ni queue ni tête…

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      7. Dans le genre non-maitrise d’une langue, me souviens m’etre fait arnaquer en beauté au Maroc. Un des mes colocs était libanais, un mec qui adorait l’histoire, donc je me dis que j’allais lui offrir un livre sur l’histoire du Maroc en arabe. Vais voir un bouquiniste qui me file un ouvrage, en me disant qu’il allait se régaler. Complet et bien écrit. Bref…
        Je file le bouquin à mon pote, en lui expliquant la thématique, et là mon pote explose de rire. L’enfoiré de bouquiniste m’avait vendu un livre de cuisine… Bon, mon pote aimait bien cuisiner mais vla l’entube pour quelques dirahm… haha

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    1. Mais même Footballski ne traite jamais de ce côté mafieux du foot hongrois. Aucune référence, on reste sur le côté merveilleux de ces coachs, à la limite on va les appeler « filou » comme Guttmann.

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