Moscou – Vienne, les premiers légionnaires

L’histoire footballistique se souvient de l’année 1988 comme celle où les Soviétiques furent enfin autorisés à quitter la Mère Patrie afin de démontrer leurs talents au reste du monde. Jusque-là, et comme tous les footballeurs du bloc de l’Est à l’exception des Yougoslaves et des Polonais passé 28 ans, les joueurs soviétiques étaient interdits de sortie.

Si le premier grand nom a faire ce voyage fut Oleksandr Zavarov, qui quitta le Dynamo Kiev pour tenter sa chance dans une Juventus orpheline de Michel Platini, ce fut trois semaines plus tôt que le premier transfert se fit : Vaghiz Khidiatouline s’en alla du Spartak Moscou afin de rejoindre la Haute-Garonne et le Téfécé.

Ancien moscovite, Khidiatouline est un néo-toulousain

Mais cet exil dans la Ville Rose après une finale de championnat d’Europe perdue fut-il réellement le premier transfert en dehors de l’Union Soviétique ?

Les plus connaisseurs penseront à Vassilis Hatzipanagis qui partit de l’URSS où il naquit pour revenir dans le pays de ses parents, mais son cas est particulier.

L’histoire méconnue que je m’en vais vous conter se passera huit ans plus tôt, au début de la décennie 1980. Ou comment un ex-international soviétique s’est retrouvé à jouer aux côtés de Hans Krankl et Antonín Panenka…

Lorsque commence l’année 1980, le maître du Kremlin se nomme Léonid Brejnev. Plus à l’ouest, le chancelier d’Autriche est le socialiste Bruno Kreisky.

L’Autriche est, depuis 1955, un pays neutre dans la guerre froide. Même si les relations entre Vienne et Moscou ne sont pas au beau fixe, l’État autrichien reste l’un des pays d’Europe de l’Ouest avec lequel l’URSS s’entend le mieux.

Andrei Gromyko, Ministre des Affaires Étrangères aux côtés de son homologue autrichien Rudolf Kirchschläger et Bruno Kreisky

C’est dans ce contexte général que le vice-président du Rapid Vienne, Heinz Holzbach, demande à un ami journaliste nommé Kurt Castka s’il serait possible de faire venir un joueur soviétique dans le club de la capitale.

La proposition peut sembler saugrenue au vu du rideau de fer qui interdit la sortie des footballeurs. Mais Holzbach connaît les liens de son ami avec Moscou, ce dernier travaillant alors pour l’Österreichische Volksstimme, organe officiel du parti communiste d’Autriche.

Holzbach fait parler ses contacts pour permettre ce coup historique. La proposition est jugée acceptable par Sergei Pavlov, président du Comité national des sports de l’URSS, le Rapid étant vu depuis Moscou comme un club populaire, partageant donc des valeurs proches de celles de l’URSS.

Néanmoins, le choix du joueur est difficile, le Comité mettant des conditions : ce ne doit être ni un joueur appartenant à un club moscovite ni une star.

Le premier choix de Castka et Holzbach est Oleg Blokhine mais l’interdiction est nette, le joyau du Dynamo ne partira pas en Autriche. C’est finalement Anatoli Zincheko, honnête attaquant ayant accumulé trois capes pour la Sbornaïa entre 1969 et 1973 qui, le premier, quitte l’URSS.

Anatoli, sa femme et son fils Anton

Le joueur, qui évolue alors au Zénit Leningrad, est âgé de 30 ans et s’approche doucement de la retraite. Lorsqu’en mai 1980, Yuri Morozov, son coach au Zénit, lui parle d’un potentiel départ en Autriche, Zinchenko se demande si tout cela était bien sérieux. Il fait néanmoins la demande à l’hôtel de ville de Leningrad. Le 26 octobre, un télégramme lui confirme qu’il va quitter le pays. Le lendemain, il part pour Vienne.

Cependant, un souci majeur se crée : les joueurs soviétiques étant considérés comme amateurs, Zinchenko ne peut pas être embauché par le Rapid, demande de Moscou. Le tour de passe-passe est de le faire embaucher par l’ambassade soviétique en Autriche, où son rôle est celui d’un « technicien spécialisé en équipement électronique ». Il récupérait ainsi son salaire à l’embrassade alors que le Rapid payait directement l’État soviétique.

Célébration de la victoire en Coupe, Zinchenko est au second plan, une flûte à la main

Après l’arrivée de Zinchenko, le parti communiste d’Autriche tente un autre coup, toujours avec le soutien du grand frère soviétique. Dès 1985, Yuri Gavrilov est prêt à quitter le Spartak Moscou pour le Rapid Vienne. Néanmoins, le Comité national refuse de faire partir un joueur n’étant pas membre du Parti. Le génial milieu ne quittera l’URSS que trois ans plus tard pour le PPT Pori, en Finlande.

C’est finalement Sergueï Chavlo qui est choisi pour être le deuxième joueur représentant de son pays à l’étranger en 1987. Brejnev n’est plus et les premières politiques liées à la perestroïka et la glasnost de Gorbatchev commencent à faire doucement évoluer l’Union. L’ex-international ne jouera que deux saisons avec le Rapid, de 1988 à 1989, mais continuera dans les divisions inférieures autrichiennes jusqu’à sa retraite en 1997.

Sergueï Chavlo à côté d’Antonín Panenka, avec qui il n’a pourtant jamais joué, et le gardien Herbert Feurer

En cinq saisons avec le Rapid, Zinchenko et Chavlo vont remporter une Coupe d’Autriche et trois Bundesliga autrichiennes aux côtés de Panenka et Krankl pour le premier mais aussi d’Andi Herzog et Heribert Weber pour le second. C’est ainsi une petite page de l’histoire du football que les deux hommes écriront à cette occasion.

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13 réflexions sur « Moscou – Vienne, les premiers légionnaires »

    1. Premier Hongrois de façon légale, Balint à Bruges. Pour les Roumains, y a eu une période où il était, légèrement, plus facile pour eux de partir. Periode où le régime de Ceaucescu semblait se détacher un peu de l’influence de Moscou. Disons années 60-moitié des années 70. Je vois que le capitaine du Dinamo, Ion Nunweiller, « le chien rouge », a ete transféré en Turquie. Et d’autres l’ont suivi là-bas.

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      1. On en a déjà causé! Ou peut-être moi surtout, sais plus trop. Mais je garde des réserves concernant Balint.

        Je ne peux pas (..encore?) le prouver mais, y avait un nom (pas le plus connu loin s’en faut, un peu comme ce Zincheko)……… Bon, évidemment et sur le coup son nom ne me revient pas, c’est ballot :), mais 2-3 détails chronologiques me suggérèrent jadis que ce type avait légalement dû précéder Balint, et pas d’un peu.. ==> Je vais essayer de retrouver ce nom et ces contingences.

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      2. Oui, mais lui venait des States si je me rappelle bien. Fin des fins, c’est encore à un autre que je pensais. Vais y réfléchir, je ne sais vraiment plus.

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      3. Yep, je retombe dessus, Verano : le dénommé Szepessy!

        Ce que je ne pige pas avec lui : il joue en Belgique en 71-72, a priori pour le Racing White vu la photo que j’en ai sous les yeux…………puis on retrouve sa trace en Hongrie, c’est ça que je comprends pas : soit il ne fut pas un transfuge (auquel cas Balint ne fut pas le premier Hongrois)…….soit il fut un drôle de transfuge, car un transfuge qui retourne dans son pays???

        Je garde toutefois à l’esprit que la fédé et la diplomatie hongroises avaient tenté la méthode douce avec l’extraordinaire Istvan Sztani, certaine finale de Coupe d’Allemagne???, pour le faire revenir au pays? Allez savoir.. Destin quoi qu’il en soit étonnant.

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    1. Blokhin a Vienne en 80, ça pose la question de la compétitivité du Rapid dans les années qui suivent mais aussi du Dynamo qui perdait un sacré élément, peut-être pas de titre en C2 en 1986 (et donc pas de retour de Loba a la tête de la Sbornaïa à la place de Malofeev)

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      1. Dans un système américain, les clubs de foot auraient tenté d’obtenir les droits de joueurs soviétiques en amont. Comme ils l’ont fait avec Sabonis père en le draftant en 86 ou le défenseur hockeyeur de genie Fetisov dès 1978! En sachant qu’ils n’obtiendraient peut-être jamais gain de cause…

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  1. Pour l’arrivée de Vaghiz, me demande si le fait que Toulouse soit un haut lieu de l’aéronautique et de l’industrie spatiale n’a pas joué en sa faveur. Mais peut-être que j’extrapole…

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  2. On parle de la Bundesliga mais en Autriche, quelle cata..
    Rapid 2008, Sturm Graz 2011, Austria 2013… Sinon que des titres pour Red Bull…
    Après ils travaillent bien et ont su rendre un club autrichien un peu compétitif en Europe.

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