Renzo Ulivieri, l’homme qui n’aimait pas les stars

22 juillet 1944, San Miniato, dans la province de Pise. Harcelés par les partisans, poussés vers le Nord par l’avancée des troupes américaines, les Allemands sont fébriles. A 8 heures du matin, ils rassemblent la population encore présente sur la piazza dell’Impero, au cœur de la petite cité toscane. En anticipation des combats à venir, ils évacuent les civils hors de la ville à l’exception des impotents, des vieillards et des femmes avec leurs plus jeunes enfants. Ces derniers constituent un groupe d’environ mille personnes que les soldats du Reich dirigent vers la cathédrale avant de les y enfermer. Parmi eux, Renzo Ulivieri, trois ans et demi.

Vers 10 heures, venu du Sud, un déluge d’artillerie s’abat sur San Miniato. Un obus perfore d’abord le toit de la sacristie. Quelques instants plus tard, les prières ne peuvent rien contre l’explosion exterminatrice d’un projectile ayant pénétré par une fenêtre de la Chapelle du Saint-Sacrement. A l’heure du bilan, 55 victimes sont recensées, dont la grand-mère de Renzo Ulivieri.

La flèche indique l’endroit par où aurait pénétré la grenade.

Ce drame, les frères Taviani, nés à San Miniato comme Ulivieri, l’évoquent dans La Notte di San Lorenzo[1]. Les cinéastes font de la petite Cecilia, devenue adulte, la narratrice de cet événement lointain. Ulivieri aurait pu être ce témoin, se souvenant de la fumée ayant envahi la cathédrale, des cris de peur et de douleur, racontant à qui veut l’écouter que « ce moment est resté en moi, je le ressens aujourd’hui encore. » Quand le film est présenté à Cannes en 1982, la tragédie est attribuée aux Allemands, accusés d’avoir gratuitement lancé une grenade par un des vitraux. En 2008, une enquête démontre qu’il s’agit d’un tir accidentel du 337e régiment d’artillerie de campagne américain.

Le communiste

Pour Ulivieri, l’absolution a posteriori des nazis relève de l’inacceptable. Membre du Parti communiste italien[2] aux grandes heures d’Enrico Berlinguer[3], sympathisant des résurgences contemporaines et écologisantes du défunt PCI, il fait du fascisme l’ennemi d’une vie.

Depuis toujours, Renzo Ulivieri affiche une obstination en adéquation avec son militantisme, un mélange de valeurs profondes et de préjugés étroits. Apprenti footballeur avec la Fiorentina, il ne perce jamais et se lance à 24 ans seulement dans le coaching. Son parcours emprunte les chemins les plus sinueux, depuis les catégories régionales, dans des rôles principaux ou secondaires. Durant cette longue initiation, il se rend à chaque fois qu’il le peut à la Maison du peuple ou à l’Associazione ricreativa e culturale italiana[4] de San Miniato pour y visionner des matchs de l’URSS avec les camarades du parti. Pour parfaire sa formation, il visite la Roumanie en 1978 et y rencontre Ștefan Kovács, sélectionneur national des Tricolori. En accord avec la politique d’uniformisation rêvée par le Conducător, Kovács s’efforce de standardiser les méthodes d’entraînement et de jeu de l’ensemble du football roumain via l’exaltation du collectif au détriment de l’individu, une approche qui marque profondément Ulivieri « le communiste » sur le bureau duquel trône un buste de Lénine.

Il lui faut 15 saisons pour goûter enfin à la Serie A avec ce qu’il reste du Perugia dei Miracoli[5]. Ce qui aurait dû consacrer une patiente ascension se révèle être un cadeau empoisonné : décapitée par le scandale du Totonero (Mauro Della Martira, Luciano Zecchini et surtout Paolo Rossi suspendus), amputée de cinq points en début de championnat, son Pérouse s’enlise et Ulivieri démissionne à mi-parcours.

L’ennemi des stars

Président d’une Sampdoria qu’il prédestine déjà aux plus grands triomphes, Paolo Mantovani lui confie la tâche de ramener les Blucerchiati en Serie A. Avec d’anciens internationaux comme Paolo Conti et Patrizio Sala, Ulivieri s’exécute, frôlant même la qualification en finale de Coppa Italia 1982. Mis en appétit, Mantovani passe à la vitesse supérieure durant l’été : il recrute Liam Brady, Trevor Francis et surtout, le tout jeune Roberto Mancini, acheté une fortune à Bologne au nez et à la barbe de la Juventus.

Avec Trevor Francis à la Sampdoria.

Les premiers tête-à-tête entre Ulivieri et Mancini préfigurent leurs relations futures : Il Mancio souhaite bénéficier de la liberté d’un trequartista, le coach l’imagine en avant-centre. De leurs deux saisons en commun, il reste une somme d’incompréhensions, la mauvaise grâce de Mancini se heurtant à l’absolutisme de son entraîneur. Talent incompris aux allures bohèmes, sous-produit de Mancini, Alviero Chiorri mène le jeu de la Samp parce qu’Ulivieri en a décidé ainsi alors qu’Il Mancio sillonne à contrecœur le front de l’attaque aux côtés de Francis, quand l’Anglais n’est pas blessé.

A l’époque, la presse n’accable pas le technicien, Mancini agaçant déjà certains observateurs avec ses airs de prima donna qui le mènent par la suite au conflit avec Eugenio Bersellini, le successeur d’Ulivieri, et à l’excommunication par Enzo Bearzot, le sélectionneur national[6].

Le temps s’écoule, les cheveux d’Ulivieri se clairsement avec les épreuves, nous y reviendrons, mais son intransigeance demeure. A la tête d’un groupe d’anonymes, il ressuscite le Bologna FC au milieu des années 1990, le menant de la Serie C à la Serie A en deux exercices. Renforcés par les anciens Soviétiques, Igor Shalimov et Igor Kolyvanov, et un avant-centre allant au charbon, Kennet Andersson, ces Rossoblù lui ressemblent et grâce à une solidarité sans faille, ils obtiennent une remarquable septième place pour leur retour dans l’élite. Cette belle harmonie est mise à mal en juillet 1997 : dévoré d’ambition, le président Gazzoni saisit l’opportunité d’une vie en recrutant Roberto Baggio, répudié par le Milan et Capello.

Ulivieri doit composer avec Il Divin Codino, un soliste qui ne correspond pas à ses conceptions, difficile à intégrer dans un collectif « de prolétaires, où chacun se sacrifie pour son partenaire ». De cette unique saison en commun, il reste les buts de Baggio (22 en championnat, son record) et un mélodrame, exagérément médiatisé, lors de la réception de la Juventus. Ce jour de janvier 1998, Ulivieri relègue Baggio au rang de remplaçant au profit de Davide Fontolan. Roby refuse de s’installer sur le banc et demande à être transféré à l’Inter durant le mercato d’hiver. L’affaire ne dure pas mais elle vaut à Ulivieri le désamour des tifosi et un sermon maternel : le soir du match (défaite 1-3 de Bologne), sa mère refuse de l’accueillir chez elle, à San Miniato, « celui qui ne fait pas jouer Roberto Baggio n’entre pas chez moi. »

La part d’ombre

Ses prises de bec avec Mancini et Baggio font beaucoup pour la réputation d’Ulivieri mais ses sempiternelles protestations auprès des arbitres, ces injustices auxquelles seraient soumises ses formations, servent également l’image de l’entraîneur en lutte contre le système. Ecorché vif ? Peut-être. Pénible, à coup sûr. 

Si le curriculum vitae de Renzo Ulivieri témoigne d’une remarquable longévité[7], un examen un peu plus poussé révèle une étrange période d’inactivité dans les années 1980. La disette débute en février 1986, quand il est démis de ses fonctions par Cagliari pour mauvais résultats. Puis vient le scandale du second calcioscommesse (ou Totonero 2), une nouvelle affaire de paris clandestins et de matchs truqués impliquant le club sarde (entre autres) et son ex-technicien. Ulivieri est condamné à trois ans de suspension, une peine confirmée en appel, une des plus cinglantes parmi celles prononcées. Quand on lui rappelle cette souillure, il se contente de préciser qu’en 1988, lors d’un réexamen du dossier, la Cour d’appel fédérale l’avait largement dédouané des fautes qui lui avaient valu cette sévère pénitence.

A 83 ans, Ulivieri n’exerce plus. Mais il ne désarme pas. Président du syndicat des entraîneurs italiens depuis 2006, il poursuit inlassablement la défense des droits de sa corporation[8] en saturant l’espace médiatique et n’hésitant pas à se mettre en scène. Dans une posture de « grand sage » savamment construite, il lui arrive même de se ranger du côté des arbitres, lui qui avait été suspendu quatre matchs en 2022 pour insultes alors qu’il coachait encore Pontedera, une équipe féminine de Serie B. Pas à une contradiction près, il affirme qu’à travers son syndicat, il veut « former des citoyens, des citoyens du monde, construire des ponts en réponse à ceux qui veulent élever des murs. » Ces valeurs, il les promeut au-delà du seul calcio en soutenant les partis de gauche lors des échéances électorales contre les idées d’extrême-droite. Et comme s’il ne pouvait s’imaginer qu’en rescapé de la barbarie nazie, il refuse aujourd’hui encore de se ranger aux conclusions des historiens exonérant les Allemands du massacre de San Minato.

La lutte continue même lors d’une opération de promotion des vignettes Panini. À côté d’Ulivieri, pour ceux qui s’en souviennent, Damiano Tommasi, ancien milieu de devoir de la Roma !

[1] Grand prix du Festival, le jury étant présidé par Giorgio Strehler.

[2] Il fut conseiller municipal PCI de San Miniato.

[3] Secrétaire général du PCI de 1972 à sa mort en 1984.

[4] Les ARCI sont des associations antifascistes créées dans les années 1950.

[5] Second de Serie A en 1979 sans aucune défaite.

[6] Enzo Bearzot ne sélectionne plus Mancini après un acte d’indiscipline lors d’une tournée en Amérique du Nord. Il est l’unique joueur sanctionné bien qu’il n’ait pas été le seul à avoir défié l’autorité de Bearzot.

[7] 43 ans de carrière. Il stoppe sa carrière d’entraineur de foot masculin en 2008 après une ultime expérience avec la Reggina et reprend du service au milieu des années 2010 avec les femmes.

[8] En 2010, en guise de protestation contre une réforme assouplissant les exigences pour entraîner dans les séries inférieures, il s’enchaîne au portail de la Fédération durant quelques heures.

17 réflexions sur « Renzo Ulivieri, l’homme qui n’aimait pas les stars »

    1. Pas si mal, non ? À la Juve notamment où il n’est « viré » que pour laisser la place à Platini. Même à la Samp, la 1ere saison est bonne. La suite l’est moins, au sein de l’Inter en plein bordel.

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      1. Brady, perso, j’adore. Belle technique de gaucher, très difficile de lui piquer le ballon. Top joueur.

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      2. Un Irlandais au jeu brin brésilien. Super joueur!, mais j’y préfère décidément ce merdeux de Johnny Giles, au jeu beaucoup plus frontal, limite belliqueux.

        Puis il s’est assagi, ses analyses valent souvent le détour.

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    2. Brady en 1985 avait été brillant avec l’Inter, où Rummenigge était claudiquant, et il aurait mérité la coupe UEFA qu’un traquenard madrilène leur a fait perdre. Et à la Juventus il avait assumé ses responsabilités jusqu’au bout. Mais il y a un goût de trop peu quad même…

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    1. Me demande quand même si Ulivieri ne s’est pas trouvé prisonnier de son personnage, « collectiviste » contre vents et marées. À la fin de la saison, Baggio part à l’Inter et Ulivieri est remplacé…

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  1. Kenneth Andersson, pas un souvenir impérissable à Malines. Ce qu’il ferait en WC94 était insoupçonnable à l’époque, et pourtant le casting n’était pas mauvais du tout, joueur taillé pour le foot belge, plus encore l’anglais probablement……..mais le timing fut dégueulasse, le Malinwa puait la banqueroute..

    En profiter pour saluer, une fois encore, l’extraordinaire savoir-faire de Paul Courant…………… ==> Un sans faute à la tête de Malines!, des recrutements d’un rapport qualité/prix parfaits. A la rigueur lui reprocher, peut-être (avait-il la main?), de n’avoir vendu Ohana à la Juve, mais à part ça……….. Transféré par Anderlecht, à l’instar des internationaux Albert Emmers Versavel Rutjes (cette curée..), ça s’y passa moins bien : la folie des grandeurs locale (culture du prestige, des noms..) devenait intenable dans l’Eurofoot post-dérégulation, il se bouffa Bosman en pleine figure de surcroît…… ==> Son seul licenciement.

    Pendant toutes ces années, je me rappelle avoir vu la bobine de ce Ulivieri. Son parcours évidemment : autre chanson, merci signor Verano. Et il appelle des commentaires plus fouillés que ceci, à ce soir si tout va bien.

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  2. Je ne sais pas si le texte le traduit correctement mais quelque chose cloche chez Ulivieri et je ne parle même pas de sa suspension ou de son rapport aux arbitres. J’ai du mal à comprendre comment il concilie ses idéaux et ce qui ressemble à du narcissisme. Son goût pour les médias et la mise en scène, la recherche du bon mot, l’image soignée de sa personne qu’il offre complaisamment – même sur son lit d’hôpital il y a peu – interrogent sur la sincérité de celui qui a cherché toute sa carrière à effacer l’individu derrière un catenaccio collectif. Sauf à ce qu’il se considère comme un guide suprême, un lider maximo, un despote éclairé !

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    1. A priori oui, vu que la question m’est venue à l’esprit tantôt, avant que tu ne la formalises ici.

      Article d’actualité, lol..car c’est quoi, cette histoire de Scurati aujourd’hui??

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      1. Toujours cette difficulté des extrêmes à affronter leur passé honteux…

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  3. Ce « mélodrame (…) exagérément médiatisé », face à la Juve..

    ==> Exagéré parce qu’il y eût trois fois rien? (je ne connais rien de ce versant prêté ici à Baggio.. ==> Il pouvait être diva?)

    ..et/ou parce que la saillie de la mama?

    Du grand écart discours Vs faits, comportement.. Il y en a plein, des Ulivieri! 🙂

    Et l’on en trouve indistinctement parmi des rentiers prônant le labeur (..pour les autres), ou parmi des types de gauche en prônant les valeurs (..pour les autres).

    Dans certains cas ça n’est qu’un business-plan………pour d’autres c’est existentiel (avis perso : bbrrrrr..).. ==> A priori, il pourrait rentrer dans cette case, non? Je ne me moque pas et propose cela avec compassion!

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    1. Le cas Baggio retombe comme un soufflet : le joueur et le coach s’expliquent et Baggio joue les matchs suivants.
      Et je pense comme toi qu’Ulivieri a besoin de lumière pour exister sinon comment expliquer son obstination à rester à la tête du syndicat des entraîneurs et traîner dans les manifestations médiatisées quand il pourrait profiter de la quiétude d’une retraite méritée à plus de 80 ans.

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