De l’Irlande, on admire la beauté des paysages, la chaleur humaine des habitants, la richesse des traditions, la beauté des mélodies, et la magie des légendes. On est curieux devant ces sports centenaires que sont le foot gaélique et le hurling. On connaît même sa fête nationale, la Saint Patrick, que le monde entier aime célébrer. Mais que sait-on vraiment de son histoire ? L’Irlande porte en elle les traces d’un passé tourmenté, marqué par les batailles, les invasions, et les soulèvements. Mais l’histoire ne s’efface jamais vraiment. Elle survit dans les noms des villes, dans la ferveur de ses habitants et… dans les symboles des clubs de football.
Dans cette série, chaque club du championnat irlandais nous plongera au cœur d’un épisode de ce récit mouvementé. Et parce qu’en Irlande, la mémoire se transmet en musique, chaque étape sera accompagnée d’une mélodie, un écho aux joies et aux blessures d’un peuple qui n’a jamais cessé de chanter ni de se battre.
Théobald Wolfe Tone et la rébellion de 1798
À l’aube du XIXe siècle, l’Irlande traverse à nouveau une page fiévreuse de son histoire. Après l’échec des tentatives catholiques de reconquête du pouvoir et des terres, un nouveau régime de lois pénales étouffe toute velléité d’émancipation. Les catholiques, mais aussi les presbytériens, se trouvent exclus de la vie publique, écartés des professions influentes telles que celles d’avocat ou de notaire, relégués aux marges d’un royaume sous étroite domination britannique. C’est dans cette atmosphère d’oppression que naissent les hedge schools, écoles clandestines où l’on enseigne en secret aux enfants catholiques les rudiments de l’éducation et du gaélique. De même, les Mass Rocks, autels de fortune dissimulés dans les forêts, permettent de célébrer la messe à l’abri des regards. (Un symbole fort de cette persécution religieuse a été ravivé en 2020, lorsque la pandémie interdit temporairement les offices : des messes en plein air furent alors autorisées, réveillant la mémoire des cultes proscrits d’antan.)

C’est dans ce climat d’injustice que germe la Society of United Irishmen, fondée à Belfast en 1791. Son chef de file, Theobald Wolfe Tone, anglican de naissance, s’allie à des presbytériens éclairés. Ensemble, ils prônent une union inédite entre catholiques, protestants et presbytériens, rêvant d’une Irlande indépendante et démocratique, libérée du joug sectaire et colonial. D’abord pacifique, le mouvement gagne du terrain. À Dublin, une section est créée. Brochures, ballades, journaux — dont le Northern Star —, émissaires itinérants : les idées républicaines se diffusent. Mais en 1793, tout bascule. La guerre éclate entre la France révolutionnaire et l’Angleterre. Le gouvernement britannique voit dans les Irlandais unis une menace directe : l’organisation est interdite, poussée dans la clandestinité.
En 1794, la découverte d’un lien entre la société et des agents français oblige Wolfe Tone à l’exil : d’abord aux États-Unis en 1795, puis en France l’année suivante. Réfugiés dans l’ombre des caves et dans l’humidité des sous-sols, les Irlandais unis abandonnent l’idéal réformateur au profit d’un projet révolutionnaire. L’objectif est désormais clair : rompre tous liens avec la Couronne et instaurer une république. Une alliance est scellée avec les Défenseurs, une organisation catholique secrète. Pour réussir, un appui militaire français est jugé indispensable. Décembre 1796 : Wolfe Tone revient, escortant une flotte française forte de 14 000 hommes. Mais une tempête d’hiver contraint les navires à faire demi-tour. Le rendez-vous manqué attise la colère des autorités britanniques, qui déclenchent une féroce campagne de répression. Un réseau d’espionnage infiltre les Irlandais unis, entraînant l’arrestation et l’exécution de leurs principaux chefs, dont Lord Edward Fitzgerald, figure emblématique du mouvement, mortellement blessé lors de son arrestation le 18 mai 1798.


Privés de leurs leaders, les Irlandais unis lancent leur révolte dans la nuit du 23 mai. Mais l’élan initial se brise face à un manque cruel d’organisation. Autour de Dublin, les rébellions se succèdent sans coordination, vite écrasées par les troupes loyalistes. La capitale, verrouillée sous un strict contrôle militaire, ne vacille pas. Un sursaut a pourtant lieu dans le comté de Wexford. Le 27 mai, à Oulart, les insurgés défont une milice venue de Cork. Revigorés, ils prennent Wexford, mais échouent à capitaliser sur cette victoire. En représailles, des actes de cruauté sont commis, notamment le massacre de plus d’une centaine de loyalistes brûlés vifs dans une grange à Scullabogue. Au nord, en Ulster, la flamme de la rébellion se rallume brièvement en juin. Les comtés d’Antrim et de Down se soulèvent à leur tour. Mais, là encore, mal préparés et sous-équipés, les insurgés sont rapidement écrasés.
Sursaut français et fin du rêve
Le 6 août 1798, une escadrille française menée par le général Humbert parvient enfin à débarquer à Killala, dans le comté de Mayo. Forte de 1 100 hommes, elle inflige une humiliante défaite aux Britanniques lors de la Course de Castlebar le 27 août. En pleine débâcle, les troupes royales fuient jusqu’à Athlone, abandonnant armes et matériel sur leur passage. Quelques jours plus tard, les Franco-Irlandais remportent un second succès à Collooney, près de Sligo. Bien que largement inférieurs en nombre, les soldats de Humbert parviennent à repousser l’avant-garde britannique.
Cette victoire tactique permit aux Franco-Irlandais de poursuivre leur marche vers le nord, galvanisant brièvement la cause rebelle là ou deux siècles plus tôt, les côtes de Sligo avaient été le théâtre du naufrage de trois navires de l’Invincible Armada espagnole en 1588. Pris dans une tempête, ils rentraient en Espagne, forcés de contourner les îles britanniques après une défaite cuisante de l’Armada face à la flotte britannique dans la tentative de renverser la couronne d’Elisabeth 1er et d’instaurer un monarque catholique. Mais ces victoires ne suffisent pas. Le 8 septembre, encerclée à Ballinamuck, l’armée franco-irlandaise capitule. La rébellion est terminée.

Dans le cimetière de Bodenstown il y a
une tombe verdoyante,
Et les vents d’hiver mugissent librement tout autour ;
Car bien mieux lui convienneLes éléments et la ruine
Jusqu’à ce que l’Irlande unie, puisse lui bâtir un tombeau
Le 12 octobre, Wolfe Tone est capturé en mer alors qu’il escortait un nouveau contingent français. Condamné à la pendaison, il choisit de s’ouvrir la gorge et meurt après plusieurs jours d’agonie. Ses derniers mots résonnent comme un testament :
« Depuis ma plus tendre jeunesse, j’ai considéré le lien entre l’Irlande et la Grande-Bretagne comme une malédiction pour la nation irlandaise… J’ai fait tout ce qu’il m’était possible de faire pour séparer les deux pays. »
La révolte des Irlandais unis s’achève dans le sang. Le mouvement est décimé, ses chefs exécutés, les représailles s’abattent sur la population catholique. Les rêves d’union entre les confessions se dissolvent dans la haine ravivée par les atrocités commises de part et d’autre. Ironie tragique, loin de desserrer l’étreinte britannique, la rébellion aboutit à son renforcement. En 1801, le Parlement irlandais est aboli. L’île devient officiellement une partie intégrante du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande. Le rêve de Wolfe Tone et des Irlandais unis, celui d’une nation libre, laïque et fraternelle, s’éteint — mais son écho, lui, résonnera encore longtemps dans la mémoire du peuple irlandais. Le célèbre groupe irlandais, The Wolfe Tones, lui rend d’ailleurs directement hommage dans son nom et ils lui dédieront la chanson suivante, Bodenstown Churchyard.
Sligo Rovers Football Club
Une fois n’est pas coutume j’ai tissé mon récit d’introduction historique de petits indices indiquant la ville du club irlandais qui sera abordé dans l’article, ainsi c’est Sligo qui est à l’honneur ! Pour la première fois, on quitte la côte est irlandaise pour aller sur la côte ouest , dans le Connacht.

Alors que le football se développe en Irlande sous l’impulsion de John McAlery, Sligo, ville de garnison, n’échappe pas à l’influence britannique. À la fin du XIXe siècle, les premiers matchs y opposent deux régiments de l’armée britannique. On raconte que les soldats défilaient à midi depuis leurs casernes jusqu’à un terrain à Forthill pour y disputer des rencontres sous les yeux curieux des habitants. Très vite, la population locale s’entiche de ce nouveau sport, et le football junior s’implante durablement dans la région.
C’est autour de 1908 que le nom de Sligo Rovers apparaît pour la première fois. Un club junior portant ce nom participe à la Junior Cup en 1910 et 1919. Mais il faut attendre le 17 septembre 1928 pour voir la fondation officielle du club tel que nous le connaissons aujourd’hui. Sous l’impulsion de John Kilfeather, premier président du club, les Rovers sont créées par la fusion entre « Sligo Town » et les « Sligo Blues » et s’installent naturellement au Showgrounds, stade toujours occupé par l’équipe à ce jour. Le premier match officiel a lieu à Ballyshannon le 23 septembre 1928, lors du premier tour de la nouvelle Connaught Cup. Les Rovers s’imposent 9-1 face à l’équipe locale, un départ en fanfare qui les mène jusqu’en demi-finale. Même si leur parcours s’arrête face à Athlone Hibs, l’équipe a déjà marqué les esprits. Mais l’apothéose de cette première saison survient en Free State Junior Cup. Les Rovers éliminent l’autre club local, United, au premier tour, puis prennent leur revanche contre Athlone Hibs avec une éclatante victoire 7-2. La finale se joue au Showgrounds, devant une foule de 3000 personnes, face aux Dublinois de Grangegorman. Les Rovers décrochent leur tout premier trophée grâce à un succès 3-0. Josie Lindey ouvre le score, Anthony « Gully » McKenna inscrit un doublé, et la légende commence à s’écrire. Car les succès vont suivre, une victoire en Connaught Junior Cup en 1930, puis le Miller Shield et la Sunday Alliance League en 1932. Plusieurs joueurs des Rovers de cette époque ont représenté l’Irlande au niveau junior, parmi lesquels Terry Rooney, Paddy McGowan, Johnny McManus, « Bunny » Fallon et « Guy » Callaghan.

Les débuts en league of Ireland et premier titre
À partir de 1932, Sligo Rovers amorce son ascension dans le football senior en rejoignant la Leinster Senior League, où il se distingue dès la première saison par des victoires notables contre les poids lourds du championnat. La saison 1933/34 marque un tournant avec trois titres remportés : l’Intermediate Cup, la Leinster League et la Metropolitan Cup, démontrant la solidité d’un club en pleine éclosion. Portés par ces succès, les Rovers intègrent en 1934 la League of Ireland, où ils réalisent une entrée remarquée : troisième place au classement, une demi-finale de Coupe, et une attaque prolifique emmenée par Gerry McDaid et Paddy Monaghan. Sur le plan individuel Paddy Monaghan entre dans la légende du club : sélectionné en mars pour représenter la League of Ireland contre la Welsh League, il devient en mai le premier joueur -et le seul à ce jour- des Rovers à être international en club . Il honore deux sélections contre la Suisse et l’Allemagne, malgré deux défaites. Malgré une deuxième saison plus irrégulière, marquée par des blessures et quelques défaites sévères, le club maintient un bon niveau offensif et continue à s’imposer comme une valeur montante du football irlandais.
Moins de dix ans après leur création, les Sligo Rovers réalisent l’exploit en décrochant leur premier titre de champion de la League of Ireland lors de la saison 1936/37, marquant un tournant majeur dans l’histoire du club et du football provincial.
Dirigés par le capitaine-entraîneur Jimmy Surgeoner, fraîchement arrivé de Ballymena, les Rovers entament la saison en fanfare, enchaînant 11 victoires consécutives pour creuser un écart de 12 points en tête du championnat. Une défaite cinglante 8-2 à Waterford freine leur envol, mais ne compromet pas l’objectif. Le titre est assuré lors de l’avant-dernière journée grâce à une victoire spectaculaire 4-3 à Cork, avec un triplé de Jack Symonds, ancien joueur de Cork promu avant-centre pour pallier l’absence d’Harry Litherland, ex-joueur d’Everton et grand artisan du titre avec 29 buts toutes compétitions confondues, dont 19 en championnat. Le but décisif est signé du local Billy Harrigan, faisant entrer le titre dans l’histoire puisqu’il couronne une équipe située hors de la province du Leinster pour la première fois. Le club termine la saison avec 10 points d’avance sur Dundalk, un écart énorme alors que la victoire ne procure que deux points.

Improbable Dixie Dean
Le 27 janvier 1939, un télégramme laconique est reçu par les dirigeants de Sligo Rovers. Il ne contient que six mots :
“Offer accepted, will be there Friday.”
L’expéditeur ? William Ralph « Dixie » Dean, le plus grand buteur de l’histoire du football anglais, une légende vivante.
À Everton, il a inscrit 383 buts en 433 matchs, remporté deux championnats, soulevé la FA Cup en 1933, et surtout, réalisé un exploit inégalé à ce jour : 60 buts en une seule saison de championnat en 1927-28. Il a aussi été international anglais à 16 reprises, pour 18 buts — une moyenne hallucinante, supérieure à un but par match. Alors pourquoi, à 32 ans, ce monument du football traverse-t-il la mer d’Irlande pour rejoindre un petit club irlandais ? Officiellement, Dean avait d’abord été contacté par Sligo Rovers pour l’aider à trouver un attaquant dans son rôle de recruteur. N’ayant personne à proposer, il aurait fini par dire : “Je viens moi-même.” La raison officieuse est plus pragmatique : l’argent. À l’époque, le salary cap en Angleterre limitait fortement les salaires, ce qui n’était pas le cas en Irlande. Les clubs irlandais pouvaient ainsi proposer de courts contrats bien rémunérés à des joueurs de renom.
La simple annonce de son arrivée provoque l’agitation dans toute la ville. Le jour dit, une foule massive — composée de curieux, de supporters, du maire et même d’une fanfare — se presse à la gare de Sligo pour l’accueillir. Mais lorsque le train entre en gare, ce n’est pas Dean qui en descend… c’est un vieux monsieur portant un cochon sous le bras. Un silence gêné s’installe, vite brisé par un spectateur amusé :
“Lui, il risque pas de marquer beaucoup de buts !”
Dean arrivera finalement par un autre train, plus tard dans la journée. Et cette fois, l’accueil est à la hauteur de sa réputation. À une époque sans télévision, sans internet, et même sans photographies dans chaque foyer, tout le monde connaît son nom et son visage. Il est une star avant l’ère des médias, un nom qui attire à lui seul des milliers de spectateurs. Dès son premier match, les guichets enregistrent des affluences records. La simple mention de son nom sur une feuille de match garantit une recette exceptionnelle. Durant son séjour de quatre mois, Dean va marquer 10 buts en 7 matchs de championnat, dont un mémorable quintuplé face à Waterford (victoire 7-1), un record toujours inégalé pour Sligo Rovers. Il participe également à la FAI Cup, où il inscrit un but en finale contre Shelbourne. Ce but fait de lui le premier joueur de l’histoire à avoir marqué en finale de la FA Cup et de la FAI Cup. Le match se termine sur un nul (1-1) à Dalymount Park, mais Sligo s’incline lors du replay. Et même après la défaite en finale, la légende continue. Sa médaille de finaliste, volée dans sa chambre d’hôtel, lui est rendue 40 ans plus tard, anonymement, par courrier posté depuis l’Irlande. Sans nom, sans message, simplement une enveloppe contenant la médaille perdue. En dehors du terrain, Dean continue de fasciner. Le jour de la Saint-Patrick, il arbitre une rencontre entre le Donegal et Sligo devant un millier de spectateurs, simplement venus le voir tenir le sifflet. Le soir même, il donne une conférence à guichets fermés sur les tactiques du football moderne au Wolfe Tone Memorial Hall de Letterkenny. Tout ce qu’il fait attire la foule. Dean évoquera toujours avec tendresse son passage à Sligo. Il le mentionnera dans ses interviews, ses correspondances, et jusqu’à sa famille, notamment sa petite-fille Melanie Prentice, qui entretiendra les liens entre la famille Dean et le club irlandais.

Dixie Dean s’éteindra en 1980, victime d’une crise cardiaque à Goodison Park, à l’issue d’un derby Everton-Liverpool. Ce jour-là, pour la première fois dans l’histoire, la BBC clôturera Match of the Day sans musique, en diffusant une image en noir et blanc de Dean, dans le silence. Quatre-vingts ans après sa venue à Sligo, le lien perdure. En 2009, un jeune défenseur du nom de Séamus Coleman effectue le trajet inverse, rejoignant Everton en provenance de Sligo Rovers pour 60 000 livres. En 2024, lorsque Everton revient à Sligo pour un match amical, c’est Coleman lui-même qui mène les Toffees dans un Showgrounds à guichets fermés. Un bel écho à ce que fut l’hiver 1939, quand un des plus grand buteurs de tous les temps foulait la même pelouse sous les couleurs rouge et blanche du Bit O’Red.

Pas de titres mais des légendes
En 1940, le club annonce qu’à cause des déficits liés à la deuxième guerre mondiale, il ne pourra plus participer à l’élite du championnat national et cesse ses activités. Le club réapparut après la guerre et entreprit de collecter des fonds pour revenir au plus haut niveau. Les demandes pour réintégrer la ligue pour les saisons 1946/47 et 1947/48 furent refusées, la ligue décidant de rester à huit équipes seulement. Les Rovers profitent du moment pour investir dans la rénovation du stade en préparation d’une nouvelle candidature pour la saison 1948/49. Cette demande fut acceptée et avec Transport, les Rovers sont de retour dans la ligue.

Sean Fallon fut une recrue notable pour le retour du club aux affaires, il réussira une belle carrière en équipe nationale ( il jouera pour les deux Irlande) ainsi qu’avec le Celtic Glasgow ou il sera surnommé « Iron Man ». Plus tard, il devient l’adjoint du grand Jock Stein lorsque le club écossais devint la première équipe britannique à soulever la Coupe d’Europe en 1967. Véritable légende des deux clubs, le lien entre les deux villes est évident pour Fallon, il sait bien que le Celtic a été crée par Andrew Kerrins, un frère mariste de Ballymount, village du comté de …Sligo ! Dévoué à sa communauté et à sa ville, Fallon n’aura eu de cesse de marquer positivement les esprits de tout ceux qu’il a rencontré, comme Sir Alex Fergusson qui ne cessera de répéter tout l’influence positive qu’aura eu Sean sur sa carrière d’entraineur.

Au début des années 50, les Rovers loupent de peu le titre durant deux saisons, s’écroulant à chaque fois en toute fin de saison. Ensuite l’équipe retourna petit à petit dans l’anonymat du fond de classement avec des déroutes en coupes et des changements d’entraineurs successifs. Une situation qui les mènera à deux doigts de la faillite suite à un sérieux manque de liquidités, 1000£ sont manquants pour pouvoir participer à l’édition 54-55 du championnat. Le club forma alors une société appelée Sligo Rovers Sports Association, destinée à collecter ces fonds. Les membres payaient une cotisation de 5 £ en échange d’un abonnement saisonnier et d’un droit de vote à l’assemblée générale annuelle. L’avenir du club, en jeu pendant cette levée de fonds, sera assuré suite au succès de l’opération.
C’est cette année-la qu’un certain Albert Straka rejoindra le club en tant qu’entraineur joueur. Viennois d’origine, âgé de 32 ans, 1,75 m, robuste, il parlait à peine anglais, avait porté les couleurs de clubs autrichiens reconnus comme le Simmeringer SC, l’Admira Vienne ou le Floridsdorfer AC, et avait soi-disant été coéquipier d’Ernst Ocwirk, capitaine et légende de la sélection autrichienne. Pour son premier match , une rencontre de FAI CUP contre les Shamrocks, c’est une foule de 7000 personnes qui se masse au Showgrounds pour voir le nouveau venu. L’atmosphère est électrique puisque Sligo compte sur la coupe pour sauver sa saison et c’est même un arbitre anglais, J.E. Bennison, qui est spécialement dépêché de Sheffield pour siffler la rencontre. Sligo est mené 2-1 en toute fin de match lorsque l’arbitre siffle un penalty. Dans le stade, des milliers de têtes cherchent désespérément une vue claire de la scène et ne savent pas exactement ce qui s’est passé ce qui pousse une centaine de supporters à envahir la pelouse.
Il fallut douze longues minutes pour dégager la foule qui avait envahi la pelouse. Des dizaines de personnes restaient encore autour du terrain, mais suffisamment d’espace avait été libéré pour que l’on voie nettement le but et le gardien de Shamrock Rovers, Charlie O’Callaghan. Bennison, l’arbitre anglais, est clair : ce sera la dernière action du match — un échec, et Sligo est éliminé ; un but, et un match retour est assuré. C’est dans ces circonstances que l’Autrichien s’avance, accompagné d’un silence de plomb. Albert Straka place calmement le ballon, prend son élan, et le frappe dans le coin du but, 2-2. Sligo est toujours en vie. Trois jours plus tard, Shamrock Rovers s’imposa 2-1 lors du match rejoué, avant de remporter la coupe. Mais le « penalty de Straka » était entré dans la légende. Aujourd’hui encore, il est commémoré d’un panneau au musée plein air du club, symbole d’un moment d’orgueil et de panache dans une saison autrement oubliable.
Toutefois, une enquête plus récente a révélé des zones d’ombre. Straka jouait avant son transfert à Sligo pour le FK Pottendorf, club évoluant en Landesliga Niederösterreich, soit la troisième division régionale situé à 14 km au sud de Vienne — bien loin du club annoncé quatrième de la Bundesliga autrichienne par certains journaux irlandais. Pire encore, Straka était probablement coiffeur de profession, selon plusieurs rapports d’époque. Malgré cela, certaines sources modernes le qualifient à tort d’international autrichien. Mais aucun élément d’époque ne le confirme. Tout comme le Hongrois Siegfried Dobrowitsch, signé par les Rovers en 1949 en tant que prétendu international — sans que cela n’ait jamais été prouvé —, Straka semble avoir enjolivé son CV, suffisant pour entrer dans l’histoire du club.


Une autre légende, qui elle restera bien plus longtemps au club, marquera l’histoire des Sligo Rovers dans cette décennie. Un jour d’août 1951, sous une pluie battante à la gare de Dublin, qu’un jeune homme descend d’un train, valise à la main, l’air un peu perdu. Un passant l’aborde : « Êtes-vous le nouveau joueur ? » Ce jeune ailier venu d’Écosse, né à Blackpool, s’appelait Johnny Armstrong. Ni lui, ni cet inconnu n’imaginaient alors qu’ils assistaient aux premiers pas d’une légende du club. À peine arrivé, Johnny est dirigé vers le Bureau de Poste Général pour y rencontrer Charlie Courtney, ancien secrétaire du club. L’essai prévu d’un mois va finalement durer douze ans. Le 19 août 1951, pour ses débuts, il marque déjà lors d’une victoire contre Bohemians. Trois matchs plus tard, il en est déjà à cinq buts. Le ton est donné : Sligo vient de découvrir un joyau.
Johnny Armstrong va devenir le meilleur buteur de l’histoire de Sligo en championnat avec 85 buts, un record encore inégalé. Toutes compétitions confondues, il dépasse la barre des 140 réalisations en 380 matchs. Son style audacieux, sa vista et sa capacité à surgir de nulle part faisaient de lui une menace constante sur le flanc gauche. Et pourtant, tout faillit ne jamais se faire : une grave blessure musculaire contractée en Angleterre aurait pu lui coûter sa carrière. Mais grâce à un traitement à Glasgow, il retrouva ses jambes… et son destin. Arrivé après un passage avorté à Chesterfield, où il avait attiré les regards de Millwall, Hearts et même les Rangers, Johnny Armstrong trouva à Sligo une terre d’adoption. Il n’y remportera jamais de trophée national, mais régala les foules avec ses reprises de volée, sa signature, dont une magnifique en 1955, qui captée par les caméras fit le tour des actualités cinématographiques.
Armstrong incarna à merveille cette époque où le talent et la passion primaient sur les paillettes. Il termina sa carrière à 38 ans, sans avoir jamais quitté le cœur des fans. Il se maria à Sligo, y fonda une famille, et son fils Reggie porta lui aussi le maillot rouge.Aujourd’hui encore, lorsqu’on évoque les grands noms du Showgrounds, Johnny Armstrong surgit comme une évidence. Non pour un palmarès, mais pour un nom, « The flying Scotsman » et une histoire : celle d’un ailier « tombé de la pluie », devenu immortel.

Accroupis de G à D: ?,?, Willie Bradley, Jhonny Armstrong, Albert Straka
Défaite fondatrice
La décennie 60 sera une autre traversée du désert ou le club disputera même une saison au second niveau de l’échelon national. L’éclaircie arrive en 1968 avec l’acquisition totale du stade, ce qui entrainera une série de rénovations. L’élan est positif. Deux ans plus tard, le 19 avril 1970, les Rovers foulent enfin la pelouse d’une finale de Coupe d’Irlande, trente ans après leur dernière apparition. Une finale de FAI Cup aux allures de marathon — trois actes, trois rendez-vous à Dalymount — trois hommes incarnent à la fois la bravoure et les promesses à venir.
David Pugh, l’un des grands noms de l’histoire du club, est au cœur de la défense. Né à Sligo, formé dans ses rues et ses valeurs, il rejoint les Rovers en 1963, à la reprise de l’activité après une année blanche. Imposant, sûr, respecté, il devient vite l’âme défensive d’une équipe qui se cherche. En 1967, il s’offre une parenthèse américaine au Boston Beacons, où il croise la légende Pelé. De retour en Irlande, il remporte une FAI Cup avec Shamrock Rovers avant de revenir à la maison, pour y écrire l’essentiel. Lors de cette fameuse finale de 1970, il manque de peu d’offrir le but décisif à son club de cœur, mais le destin s’acharne.frappé par le sort : une violente collision le laisse groggy, contraint de poursuivre la rencontre dans un état second. Pourtant, jusqu’au bout, il tient sa ligne, repoussant les assauts adverses avec un courage presque stoïque.

Tony Stenson, arrivé en 1969 de Sheffield Wednesday, au cœur d’un effectif en mutation. Son impact est immédiat. Défenseur rugueux mais élégant, il forme une paire redoutable avec Pugh. Mais dès le premier acte de la finale 1970, le sort le frappe : une entorse à la cheville l’éloigne du terrain… et Bohemians marquera peu après son départ. C’est un symbole cruel. Pourtant, Stenson s’accroche. Il résiste aux déceptions, participe à la montée en puissance des Rovers.
Enfin, Tony Fagan. “Fago”. Le cœur battant de Sligo. Né à deux pas du Showgrounds, il rêve, enfant, de porter ce maillot. Ce rêve devient réalité un 10 septembre 1967, contre les Shamrock Rovers. Il va incarner la montée progressive d’un collectif et d’un club qui apprend à croire en lui-même et ainsi devenir sa plus grand légende.
Cette finale perdue n’est pas une fin. Elle est un jalon. Et si les projecteurs vont bientôt briller plus fort , c’est aussi parce que Stenson, Pugh et Fagan en ont d’abord allumé la mèche.


Mousse de pinte, parfum de cigarette et titre de champion
L’intersaison 1974-75 offre à Sligo Rovers l’un de ces épisodes aussi rocambolesques que déterminants. Le club annonce l’arrivée du Derry man Johnny Crossan, alors en fin de contrat avec les Belges de Tongeren. Crossan commence même à recruter pour la saison à venir… sauf qu’il ne pourra jamais s’asseoir sur le banc : retenu en Belgique, son engagement reste lettre morte. David Pugh, fidèle parmi les fidèles, assure l’intérim pendant que le club cherche un nouveau guide. Billy Sinclair, ancien de Kilmarnock, Chelsea et Glentoran, tout juste revenu d’Australie, prend les commandes. À l’aube de la saison 1975-76, il pose les bases de son équipe : Alan Paterson (Sheffield Wednesday) dans les cages, Chris Rutherford et Graham Fox (Cardiff City) en défense, Mick Leonard (Celtic) et le jeune local Paul McGee en attaque. Tout cela avec l’expérience de Stenson, Fagan et de David Pugh qui même diminué physiquement reste toujours un exemple moral. Après une première saison intéressante mais toujours infructueuse Sinclair poursuit sa mue de l’effectif avec une précision d’orfèvre. Paul Fielding et Gary Hulmes arrivent de Rochdale, Michael Betts de Blackpool. Le 3 octobre 1976, face au champion sortant Dundalk, Sligo entame un championnat historique. Cette fois, plus question de flancher comme par le passé : McGee, Betts (doublé) et Hulmes signent une victoire inaugurale éclatante, 4-2. La dynamique est lancée.
Les Rouge et Blanc remportent quatre de leurs cinq premiers matches, avant deux accrocs contre Cork Celtic et St. Pat’s. Ce seront les seuls faux pas significatifs. Les Rovers repartent de plus belle, signant deux démonstrations consécutives à 5-0. La seconde, à Athlone, est un manifeste : Betts et Fagan rayonnent au milieu, Leonard, Hulmes et McGee dansent en attaque. Le 12 décembre, une victoire contre Drogheda propulse le club en tête du classement. La fin de parcours est plus laborieuse, mais le bloc défensif, mené par Graham Fox, et les parades d’Alan Paterson, fait la différence. Chaque point est arraché et tout se joue lors de la dernière journée, un dimanche de Pâques, le 10 avril 1977. Une victoire contre les Shamrock Rovers suffit pour le titre, un nul combiné à une victoire des Bohs forcerait un match d’appui.
Après six minutes, Charlie Ferry dépose un centre sur la tête de Hulmes : 1-0. Mais le doute s’installe puisque les Shamrocks égalisent puis prennent l’avantage, glaçant le Showgrounds. Mais Sligo, piqué au vif, se réveille en champion. Corner côté gauche, ballon envoyé dans la boîte… Chris Rutherford s’élève et catapulte une tête imparable dans la lucarne. Onze minutes plus tard, Paul McGee, parachève l’œuvre : 3-1. Le public envahit la pelouse. Quarante ans après leur premier sacre, les Sligo Rovers sont de nouveau champions d’Irlande. Graham Fox soulève le trophée dans une euphorie immense. Sinclair avouera plus tard avoir été paralysé de stress à l’idée de ne pas être champion , tellement cela semblait important pour la ville et la population. Heureusement pour lui, l’été 1977 ne sera fait que de rouge, de blanc et de gloire. Pensée pour David Pugh qui regarde son équipe sacrée alors qu’il avait mit un terme à sa carrière en début de saison, après un seul match , la faute à des maux de dos incompatibles avec le haut niveau.
Ce titre, Fagan est le premier à le dire, est une anomalie dans l’histoire du club, plus habitué à lutter pour sa survie en queue de classement. Il ne faut pas se mentir, la performance n’est pas née d’un régime draconien, d’une discipline militaire et d’un football total mais surtout grâce à une génération aux accents multiples, unie non seulement par la sueur des entraînements, mais aussi par la chaleur des troquets et les volutes de fumée.
À cette époque, le football irlandais vit au rythme d’une culture festive, où la convivialité prime. L’équipe de Billy Sinclair est jeune, fougueuse, et, comme le résume Fagan d’un sourire dans la voix, “elle aimait bien la pinte aussi”. Quand les recrues venues d’Angleterre et d’Écosse (Mick Leonard , Chris Rutherford et Graham Fox) débarquent à Sligo avec leurs valises et leurs espoirs d’un retour glorieux de l’autre côté de la mer d’Irlande. Fagan, le local, devient le guide des usages du coin et confident dans les soirées du pub. Après l’entraînement, il n’est pas rare de voir ce petit noyau s’attabler dans un bar de quartier, pintes à la main, les anecdotes de vie galloise ou écossaise échangeant librement avec les récits de Sligo.
“Je pensais que ces gars-là, venus de Grande-Bretagne, vivaient dans un bocal doré”, confie Fagan. “Mais en fait, c’étaient juste des jeunes normaux, qui espéraient faire leur trou.”
Petit à petit Sligo est devenu leur maison et vibre tout entier avec ces nouveaux visages. Et ces joueurs, loin de rester entre eux, s’ouvrent à la ville. Ils s’installent dans les foyers locaux, croisent les supporters dans les rues, trinquent avec eux après les matches. Une communion rare. Une alchimie précieuse. Fumer une cigarette dans le vestiaire après le coup de sifflet final n’étonne personne. C’est la norme. Tout comme descendre quelques bières en compagnie des supporters pour refaire le match. “C’était ça, le football d’antan”, rappelle Fagan. “Le contact direct, la proximité. Ça créait une ambiance positive dans toute la ville.” Le Sligo de 1977, ce n’est pas seulement une équipe qui gagne. C’est une bande de jeunes hommes venus d’horizons divers, soudés par la simplicité des instants partagés, les soirs au pub, les clopes dans le vestiaire, les rires au coin d’une rue. C’est un football humain, imparfait, mais vivant. Et c’est ainsi qu’ils sont devenus champions.

Sacrés champions, les Rovers gagnent leur billet pour la Coupe d’Europe des clubs champions. Le tirage leur offre une affiche de prestige : l’Étoile Rouge de Belgrade. L’honneur est immense, mais le tirage, aussi glamour soit-il sportivement, est moins séduisant financièrement. Un long voyage en Yougoslavie, des frais colossaux, et la perspective d’un retour à domicile sans enjeu… Pourtant, sur la pelouse du Marakana, Sligo offre une première mi-temps pleine de courage. À la pause, les deux équipes sont à égalité, 0-0. Mais la supériorité physique et technique des locaux finit par faire la différence. Score final : 3-0.

Au retour, les Showgrounds sont pleins à craquer pour accueillir l’un des géants du football continental. Il fut révélé plus tard que l’avion transportant l’équipe de l’Étoile Rouge et ses officiels, initialement prévu pour atterrir à Dublin, dut être dérouté vers Belfast en raison d’un épais brouillard. Sans visas pour l’Irlande du Nord, la délégation yougoslave fut contrainte de rester confinée dans l’avion pendant six heures sur le tarmac de Belfast, avant que le vol ne soit finalement redirigé vers Dublin.De là, les joueurs durent encore entreprendre un long trajet en autocar jusqu’au Nord-Ouest, n’arrivant à leur hôtel de Rosses Point qu’aux petites heures du matin du match.

Cela n’empêche pas l’étoile rouge de livrer un récital. En cinq minutes, ils ouvrent le score. À la fin, ils mènent 3-0 quand Kevin McCool est fauché dans la surface. Paul McGee s’élance mais voit son penalty repoussé. L’arbitre ordonne un nouveau tir, le gardien ayant anticipé… mais McGee bute encore sur lui. Rovers ne goûtera pas à l’honneur d’un but européen. Cette double confrontation restera pourtant un moment d’exception, une fenêtre ouverte sur le très haut niveau. Mais l’euphorie va s’estomper. Le championnat démarre bien, et les Rovers semblent prêts à défendre leur titre. Puis le coup de tonnerre : Paul McGee, joyau de l’équipe, s’envole pour QPR. Michael Betts, autre architecte du sacre, était déjà parti.
C’est trop pour l’équipe qui ne peut conserver son titre mais même si ses jeunes stars s’envolent, les club peut toujours compter sur Stenson et Fagan pour encadrer les nouveaux arrivant, c’est ainsi que l’équipe parvient en finale de FAI Cup face aux Shamrock Rovers de Johnny Giles. Dominés sur le terrain détrempé de Dalymount Park, les hommes de Giles s’en sortirent grâce à un penalty plus que discutable accordé en toute fin de première mi-temps, que Ray Treacy transforma. La faute supposée, un contact fantôme entre Steve Lynex et Paul Fielding, reste une injustice criante. L’arbitre John Carpenter, dont la performance fut jugée calamiteuse (au point d’être disqualifié après le match), devint persona non grata dans tout le Nord-Ouest. Gary Hulmes manqua à deux reprises l’égalisation, tandis qu’Alan O’Neill, le portier des Dublinois, réalisa une série d’arrêts décisifs.
Une défaite au goût de vol, une quatrième finale perdue… Qui sera suivie d’une autre trois ans plus tard alors que l’équipe décline en championnat. Après un parcours solide — avec notamment des buts décisifs de Harry McLaughlin, Paddy Sheridan et Liam Patton — Le Bit O’Red se heurte à une équipe de Dundalk supérieure dans tous les compartiments du jeu. Un corner direct de John Archbold et un but en contre de Mick Fairclough scellèrent un nouvel échec. Pour la cinquième fois en finale, Sligo repart bredouille.
1983 – La Coupe d’Irlande, enfin
La saison 1982-83 des Sligo Rovers devait entrer dans l’histoire du club, mais rien, au commencement de cette campagne, ne laissait présager une telle destinée. Le décor semblait même planté pour un long calvaire. Patsy McGowan avait quitté le banc pour retourner à Finn Harps, emportant avec lui la moitié de l’effectif des Rovers. Le club, plombé par des dettes croissantes, nomma Paul Fielding à la tête de l’équipe. Ancien latéral fiable du groupe champion de 1976-77, Fielding héritait pourtant d’un effectif affaibli et d’une marge de manœuvre quasi nulle. Ce fut donc sans surprise que la saison de championnat vira au cauchemar : quatre maigres victoires en 26 rencontres, une place en bas de tableau, et le spectre de devoir demander une réélection pour rester dans l’élite.
Mais le destin, comme souvent en football, s’amuse des certitudes. Lorsqu’arrive la FAI Cup, les Sligo Rovers ne figurent pas parmi les favoris. Et pourtant…Tout démarre discrètement avec une victoire sur Home Farm grâce à un penalty d’Andy Elliott. Puis vint un choc contre les Shamrock Rovers au Showgrounds. Menés au score, les rouges et blancs égalisent par Harry McLaughlin, avant que Tony Fagen ne donne l’avantage sur coup franc. La qualification en demi-finale est acquise. Opposés à Cobh Ramblers, modeste club hors ligue, Sligo pense tenir sa finale. Mais les Ramblers ouvrent le score à Flower Lodge et frôlent l’exploit, jusqu’à ce que Mick Graham égalise en toute fin de match. Le replay à domicile semble offrir une issue logique : Sligo mène 2-0 (Graham et McLaughlin), mais Cobh revint à 2-2. Nouveau replay, à Flower Lodge : 0-0. Puis encore un, au Showgrounds. Cette fois, les Ramblers frappent d’entrée : O’Neill inscrit un doublé, et à la pause, l’impensable prend forme. Mais les Sligo Rovers jettent leurs dernières forces dans la bataille. Chris Rutherford réduit l’écart de la tête, puis égalise, encore de la tête, sur un centre de Tony Stenson. En prolongation, McLaughlin déborde côté gauche et centre pour Gus Gilligan, qui marque de la tête. Sligo tient sa finale.
Le 24 avril 1983, les Rovers affrontent les Bohemians à Dalymount Park sous une pluie diluvienne. Pour les Bohs, c’est presque un match à domicile. Très vite, le spectre des finales perdues apparait tant le sort s’acharne sur les rouges et blancs. Après 19 minutes, Rutherford, héros des demi-finales, sort sur blessure. Peu après, Stenson, lui aussi, est touché à la tête mais reste quand même sur le terrain. À dix minutes de la pause, Barry Murphy donne l’avantage aux Bohs. À la mi-temps, Sligo revit ses habituels cauchemars de finales perdues. Mais le deuxième acte fut d’une tout autre mesure. À la 58e minute, Martin McDonnell envoie un coup franc fuyant dans la surface, repris magistralement par Tony Stenson d’une volée puissante, 1-1. L’égalisation galvanise les Rovers, et leurs supporters bravant le déluge transforment Dalymount en chaudron. À quinze minutes de la fin, Fagan, vigilant et autoritaire, intercepte une offensive des Dublinois et glisse calmement le ballon à McDonnell. Omniprésent et inspiré, ce dernier lève les yeux et, d’un subtil coup de pied, trouve Harry McLaughlin lancé sur l’aile gauche. Celui-ci reçoit le ballon, fixe le latéral, puis crochette vers l’intérieur. Apercevant Dermot O’Neill avancé dans sa cage, il décoche une merveille de lob millimétré, parfaitement dosé, qui va se loger dans la lucarne. Ce but n’est pas seulement décisif : il est magistral, un geste de pur génie.
Les Bohs ont bien une dernière opportunité, lorsque Donal Murphy arme une frappe puissante en direction de la lucarne. Mais Colin Oakley, héroïque, s’envole et, du bout des doigts, détourne miraculeusement le ballon en corner. C’est l’ultime frisson. Les supporters du nord-ouest savent alors que le sort est brisé. Quand l’arbitre siffle la fin du match, c’est toute la ville de Sligo qui explose de joie. Une joie forte, pleine, née de cinq défaites en cinq finales, lavées en une après-midi inoubliable. Tony Fagan, capitaine courage, soulève enfin la coupe, non sans faire tomber le couvercle dans l’euphorie générale – mais qu’importe. L’important, c’est qu’elle est enfin là.


À l’avant : Harry McLoughlin, Andy Elliot, Tony Fagan, Michael Savage et Martin McDonnell.
Le difficile adieu aux légendes
La malédiction brisée, Sligo va tout doucement dire au revoir à ses hommes en or, McLoughlin et la bande des Tony, Fagan et Stenson. Tous trois symbolisent une époque d’engagement total, de fidélité sans faille et de performances marquantes, inscrites à jamais dans la mémoire du Showgrounds. Mais comme souvent dans le football, même les plus belles histoires ont une fin. Et celle de ces deux piliers du club s’est refermée avec un mélange d’émotion, de tristesse et d’incompréhension.
Avec 315 apparitions et près de 50 buts inscrits, dont un titre de meilleur buteur en First Division (11 buts), Harry McLoughlin aura marqué de son empreinte chaque recoin du Showgrounds. Son départ , c’est l’adieu au joueur qui a brisé la malédiction en coupe. C’est le rideau qui tombe sur l’un des plus beaux parcours qu’ait connu un enfant de Sligo sous le maillot rouge des Rovers.

Tony Stenson, défenseur central au cœur vaillant, aura disputé 360 rencontres avec les Bit O’Red. Solide, régulier, précieux dans les duels aériens comme dans les moments décisifs, il aura été l’un des artisans majeurs du sacre national et de la victoire en coupe.Son départ laisse derrière lui un vide difficile à combler, tant son influence sur le terrain et dans le vestiaire fut essentielle.
Mais c’est le départ de Tony Fagan qui marque profondément les esprits.
590 matchs, vingt années de loyauté, de constance et d’amour du maillot. Arrivé au club à 17 ans, capitaine jusqu’à ses 37 ans, Fagan représente plus qu’un joueur : il est l’âme du club pendant deux décennies. Toujours présent, même à l’aube de la fin, il dispute l’intégralité de la saison 1986-87, ponctuée d’une demi-finale de Coupe d’Irlande et d’un maintien en Premier Division après une récente remontée. Et pourtant, au terme de cette campagne encourageante, la séparation se fait en moins de cinq minutes.
« J’ai demandé une augmentation, parce que je n’en avais pas eu depuis des années. On ne m’a même pas demandé combien. On m’a juste dit non. Alors j’ai dit ‘c’est fini’, et eux aussi. Je suis parti. J’ai descendu la route. C’était la marche la plus triste de ma vie », confiera-t-il plus tard.
« Sligo a eu les vingt meilleures années de ma vie. Ce fut un honneur.
Je devais partir, mais il faut savoir l’accepter », dit-il aujourd’hui, avec une dignité rare.
Pas d’hommage. Pas d’au revoir digne d’un capitaine ayant tant donné. Rien qu’un silence glacial. Une sortie par la petite porte pour celui qui symbolisait tout ce que Sligo pouvait espérer d’un joueur. Le club paiera le prix fort : relégué la saison suivante, il faudra attendre deux ans pour revoir Sligo dans l’élite. Fagan, lui, poursuit sa carrière du côté de Finn Harps, jouant encore avec abnégation malgré les blessures, jusqu’à un ultime coup du sort — une fracture de la cheville — qui le pousse à raccrocher à 39 ans.
Les Tony de Sligo — Fagan et Stenson — incarnent une époque, une ferveur, une fidélité que le football moderne peine à reproduire. Avant que d’autres n’écrivent l’histoire des Rovers, ces deux-là en ont posé les fondations.


Un triplé inespéré
En 1994, Sligo Rovers signe une saison entrée dans la légende du football irlandais. Ce n’est pas le triplé des puissants, ni celui des grandes écuries de Premier Division. C’est un triplé né en Deuxième Division, porté par une équipe en reconstruction, un club en quête de renouveau, et un capitaine, Gavin Dykes, dont le fighting spirit finit par faire basculer le destin.
Au commencement, rien ne laisse présager une telle épopée. L’été 1993 voit un large renouvellement d’effectif, Willie McStay prenant les rênes d’un groupe à rebâtir. L’équipe est jeune, encore en rodage, mais trouve peu à peu ses marques. Les premières promesses apparaissent en League Cup, où Sligo écrase Drogheda United en quart de finale (5-2) avant de céder de peu face à Derry City en demi-finale. Puis vient le First Division Shield, une compétition réservée aux clubs de deuxième division. Trois victoires et un nul permettent aux Bit O’Red d’atteindre leur première finale depuis plus de dix ans. Un nul vierge au retour, après une victoire 2-1 à Waterford, suffit à leur offrir le trophée. La dynamique est lancée. Portée par un Johnny Kenny en forme et l’impact immédiat des nouveaux projecteurs du Showgrounds, l’équipe transforme ses samedis soirs en forteresse. À domicile, elle ne perd plus. Et en mars, une victoire décisive contre Bray Wanderers scelle le titre de champion de First Division et la montée en Premier Division. Deux trophées sont déjà dans la poche.
Mais c’est en FAI Cup que Sligo Rovers écrit l’exploit. Une performance d’autant plus rare que le club évolue toujours officiellement en deuxième division durant la compétition. Le parcours débute dans la douleur contre Glenmore Celtic, modeste club amateur, qui arrache le nul au Showgrounds. Il faut un replay et des buts d’Eddie Annand et Gerry Carr pour passer. Puis vient l’onde de choc : Sligo élimine Cork City, vice-champion en titre, sur une pelouse détrempée et sous les nouveaux projecteurs. Le capitaine Gavin Dykes ouvre le score, incarnant la détermination de tout un groupe. En quart, Ger Houlahan envoie les siens en demi-finale face à Limerick. Le match initial est reporté pour cause d’intempéries, mais la reprise offre un nouveau moment de grâce à Annand, auteur du but décisif. Sligo s’offre alors sa première finale de FAI Cup depuis 1983. La finale, face à Derry City, se joue le 15 mai à Lansdowne Road, dans un stade rempli malgré une pluie persistante. Derry domine, touche le poteau d’entrée, mais Sligo résiste. Le gardien Mark McLean multiplie les parades, et la défense plie sans rompre. À la 72e minute, Eddie Annand déborde, obtient un corner, le tire lui-même. Gerry Carr s’élève au premier poteau, et d’une tête déviée, lobe Dermot O’Neill. Sligo mène, contre toute attente. Les dix-huit dernières minutes se jouent à l’instinct, à la hargne. Derry pousse, sans succès. McLean s’interpose une dernière fois dans un face-à-face crucial. Puis l’arbitre siffle. Sligo Rovers vient de remporter la FAI Cup pour la deuxième fois de son histoire. Gavin Dykes, enfant du club, soulève le trophée. Tout Sligo exulte. Ce n’est pas le triplé des puissants. C’est celui d’un club de deuxième division, champion en son rang, vainqueur de sa coupe, et triomphant sur le terrain de l’élite. Ce n’est pas la perfection, mais c’est une œuvre d’exception.


Je ne peux continuer le récit sans vous en dire plus sur Dykes. Avant de devenir le capitaine emblématique du triplé historique de 1994, Gavin Dykes laisse ses premières empreintes à Sligo Rovers dans des circonstances dignes d’un autre temps. Rien n’est lisse, rien n’est planifié, mais tout est à l’image de l’homme : franc, entier.
Son tout premier match avec Rovers, il ne le prépare pas dans un vestiaire, mais dans un bar. Il raconte : un après-midi, il savoure quelques pintes quand le téléphone fixe du pub se met à sonner. C’est son père, au bout du fil. Tony McGee, le secrétaire du club, vient de passer à la maison : ils ont besoin de lui, là, tout de suite. Dykes attrape un sac, trouve une voiture, fonce au Showgrounds. Il connaît à peine deux ou trois gars dans le vestiaire, composé en grande partie de Dublinois. Jerry Mitchell, le manager, le prévient qu’il ne devrait pas entrer en jeu. Mais quelques blessures changent la donne : Dykes est titularisé au poste de latéral droit. Les vingt premières minutes sont solides. Puis le corps le lâche, la gueule de bois se rappelle à lui. Il fait face à Patsy Freyne, l’un des ailiers les plus doués du championnat. Dykes, honnête, lui lâche : « Je suis en train de mourir, j’ai pris quelques pintes ce matin. » Et Freyne de rétorquer, hilare : « Moi aussi, mais c’était hier soir. » Ce genre d’échange résume parfaitement une époque où la franchise comptait autant que les jambes. Malgré tout, Dykes s’impose. Et ne quittera plus vraiment sa place.
Mais c’est en 1991, lors d’un match amical contre Tottenham, qu’il écrit une des pages les plus savoureuses de son histoire personnelle — et sans doute l’une des anecdotes les plus cultes du Showgrounds. Ce jour-là, face à une équipe anglaise composée de stars dont Gary Lineker, Gavin Dykes fait ce qu’il sait faire de mieux : marquer son territoire. Et tant pis si celui d’en face est une légende anglaise. Lineker, visiblement peu enchanté par l’état de la pelouse, lance à Dykes : « Vous n’avez pas de tondeuses ici ? » Mauvaise idée. Dykes, vexé, lui répond sans hésiter : « Je vais te tuer. » Le ton est donné. Peu après, sur un tacle appuyé, Lineker — qui ne veut pas risquer sa carrière internationale dans un match d’août sous la pluie de l’ouest irlandais — se plaint : « J’ai une carrière internationale à protéger, moi. » La réponse fuse : « Va te faire foutre, et ta carrière aussi. » Lineker demande immédiatement à sortir. Et quitte la pelouse la queue entre les jambes, battu autant physiquement que verbalement. Plus tard, Lineker évoque ce match dans un article pour The Times, décrivant Sligo comme le pire endroit de tous ses stages de pré-saison.
« En général, je laisse les défenseurs briller, je les laisse me tacler pour éviter les coups. Mais ce mec-là, celui de Sligo, il ne voulait pas briller. Il voulait juste me casser en deux. »
À travers ces anecdotes, Gavin Dykes incarne une partie de l’âme des Sligo Rovers : sans filtres, sans calculs, mais avec une loyauté brute et une intensité qui force le respect. Il n’était pas là pour poser avec les stars. Il était là pour défendre son club, ses couleurs, son terrain — tondeuse ou pas.

Après l’incroyable triplé de la saison 1993/94 une récompense attendait Gavin Dykes et ses coéquipiers : l’Europe. Une première aventure continentale, vécue sous la houlette d’un entraîneur au CV aussi improbable que prestigieux : Lawrie Sanchez, buteur légendaire lors de la victoire de Wimbledon en FA Cup 1988 face à Liverpool.
Mais c’est d’abord sans entraîneur que le club entame cette campagne européenne en coupe des vainqueurs de coupe, McStay étant parti entrainer le Celtic peu de temps avant le match face aux Maltais du Floriana. Cela n’à pas l’air de peser sur l’équipe puisque les Bit O’ Red prennent vite les devants. Padraig Moran inscrit le tout premier but européen de l’histoire du club, suivi d’un second de Mark Reid. Bien qu’ils se fassent rejoindre à 2-2 en fin de match, la performance est remarquable compte tenu du contexte. Pour le retour au Showgrounds, Sligo a trouvé son entraîneur au CV aussi improbable que prestigieux : Lawrie Sanchez, buteur légendaire lors de la victoire de Wimbledon en FA Cup 1988 face à Liverpool. Le match voit John Brennan devenir le héros du jour, marquant le but qui propulse Sligo au second tour — une qualification historique.
Le tirage au sort offre ensuite un rendez-vous de gala : le Club Bruges, géant belge habitué des soirées de Ligue des Champions. Le 15 septembre 1994, le Showgrounds est plein à craquer. Bruges ouvre le score, la logique semble respectée, mais l’orgueil sligois refuse de plier. Juste avant la pause, Padraig Moran glisse un ballon dans la course de Johnny Kenny. Son tir transperce le gardien belge. Le stade explose, le toit du Showgrounds semble prêt à s’envoler. Ce but est l’un des plus marquants de l’histoire du club. La seconde mi-temps voit Sligo pousser, Moran ayant même l’occasion de donner l’avantage aux siens. Mais les jambes belges tiennent, et Bruges arrache finalement la victoire, 1-2. Le retour en Belgique aurait pu virer au cauchemar après un but rapide, mais Sligo résiste. Mieux : Aidan Rooney refroidit le stade Jan Breydel avec un but égalisateur venu de nulle part. Bruges finit par l’emporter 3-1, mais Sligo sort la tête haute, avec les honneurs.
Ce que Dykes garde surtout, ce sont les à-côtés de la rencontre. Après le match aller, en ville, il croise des supporters brugeois perdus et affamés. Ni une, ni deux, il les emmène dans un takeaway du coin et leur paie quelques sacs de frites. À Bruges, il les retrouve et termine la nuit avec eux autour de bières et de chants. Nicky, un proche, se souvient.
« Gavin chantait Pretty Little Girl from Omaha avec moi à la guitare. On avait tout le bar en train de chanter. Sanchez n’en revenait pas, il ne savait pas où il avait mis les pieds. »

Les années noires en First Division puis le retour de l’espoir
Après l’euphorie du triplé historique de 1993/94 et l’aventure européenne. Le départ de figures clés, comme Willie McStay puis Steve Cotterill, a ouvert une période de turbulences. Jimmy Mullen a assuré un court intérim, suivi de Nicky Reid, qui a offert aux supporters un lot de consolation en remportant la League Cup contre Shelbourne. Mais l’embellie fut de courte durée. La saison suivante, malgré une fin de campagne héroïque, le club se sauva d’extrême justesse. Le miracle ne se reproduisit pas l’année d’après sous Jim McInally, et Sligo Rovers perdit sa place en Premier Division, terminant avant-dernier à huit points du maintien. Le début des années 2000 fut l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire du club. Sous la houlette de Tommy Cassidy, ancien sélectionneur de l’Irlande du Nord, les ambitions restaient élevées. Sligo conserva un statut professionnel en First Division, espérant un retour immédiat dans l’élite. Mais malgré une lutte acharnée jusqu’à la dernière journée, ils manquèrent les play-offs pour deux petits points. Don O’Riordan succéda à Cassidy dans un contexte de restrictions budgétaires. Il s’appuya sur de jeunes joueurs issus de la région, comme Keith Gilroy, transféré plus tard à Middlesbrough. Mais les résultats restèrent décevants, avec trois saisons consécutives à la 6e place sans réel espoir de promotion. L’introduction du « summer soccer » (championnat estival) n’apporta pas l’élan espéré. Sligo, miné par l’instabilité et des moyens limités, semblait s’enfoncer dans cette division devenue un cimetière.
Le tournant arriva en 2005 avec l’arrivée de Sean Connor, manager nord-irlandais sans expérience à ce niveau mais doté d’une vision claire. Il remodela l’équipe en recrutant à l’international et insuffla une nouvelle dynamique. Sligo retrouva les sommets de la First Division et valida sa montée après un nul 0-0 contre Athlone Town le 12 novembre 2005, mettant fin à cinq ans de galère. Un joueur incarna parfaitement l’attachement du club à sa ville cette année là : Conor O’Grady. Pilier du milieu de terrain, O’Grady ,enfin de la ville et dont le rêve d’enfant était de porté le maillot du Bit O’Red fut l’un des artisans majeurs de la remontée, en tant que joueur expérimenté et leader naturel. Il fut régulièrement capitaine durant les années suivantes, alors que Sligo se réinstallait progressivement dans le paysage du football irlandais de haut niveau. Un autre joueur va exploser à ses côtés, le dernier grand talent passé par les rovers, le tout jeune Seamus Coleman qui s’imposera très vite en défense.
L’équipe pense retrouver les succès et rêve à nouveau d’un sacre, malheureusement comme souvent, le sort s’acharne et les mauvais présages s’accumulent, Coleman est parti à Everton et O’Grady est suspendu pour la finale qui sera finalement remportée par le Sporting Fingal.
Quatre ans, quatre titres majeurs
En 2010, après seize ans sans FAI Cup et douze sans League Cup, Sligo frappe un grand coup avec un parcours réussi en coupe. En demi-finale, les Bohemians, prétendants au titre, sont dominés à Dalymount Park. Le but de Gavin Peers sur corner de Richie Ryan scelle une performance de référence et qualifie les Bit O’Red pour la première finale à l’Aviva Stadium. Face aux Shamrock Rovers, le duel reste indécis : 0-0 après prolongation. Place aux tirs au but. Eoin Doyle convertit le premier. Ciaran Kelly, gardien remplaçant propulsé titulaire, devient légende : trois arrêts, dont le dernier face à Patrick Kavanagh, offrent la FAI Cup à Sligo.
En 2011, les Rovers défendent leur titre avec brio. Les quarts réservent une nouvelle confrontation face aux Shamrock Rovers. Eoin Doyle, fait plier ses anciens coéquipiers. En demi-finale, face à Bohemians, McGuinness surgit à la 73e pour envoyer Sligo à nouveau à l’Aviva. Contre Shelbourne, c’est l’exploit d’Iarfhlaith Davoren, buteur pour la première fois avec le club qui relance l’équipe après l’ouverture du score adverse. Le match va aux tirs au but. Paul Cook, coach audacieux, relance Ciaran Kelly dans les perches à la 119e minute. Et comme en 2010, le héros répond présent. Deux arrêts, des penalties parfaits côté Sligo et Cretaro envoie les siens vers un doublé historique.


Le départ de Paul Cook, architecte des succès récents, jette une ombre sur le début de saison 2012. Mais Ian Baraclough, novice en Irlande, hérite d’un effectif solide, enrichi par des recrues clés : Gary Rogers, Danny North, Mark Quigley. À Shelbourne, les Rovers arrachent un nul à la dernière seconde par McGuinness malgré une expulsion. Et ce n’est que le début : une série de victoires les propulse en tête dès avril. Le triomphe 3-0 face aux Shamrock Rovers, avec un doublé de North, lance le rêve, une troisième titre est-il possible ? Mais tout n’est pas si facile , une défaite surprise à UCD, une élimination en coupe et la blessure de Danny North font vaciller le Bit O’Red. Heureuselent, Mark Quigley prend le relais du blessé : six matchs consécutifs avec but, et une équipe qui ne tremble plus dans les moments décisifs. Face à Drogheda, leur dauphin au classement, les Rovers frappent fort : 4-1. Puis vient le moment de vérité contre St. Pats. Cretaro illumine la première mi-temps d’un doublé. Mais les visiteurs reviennent à 2-2. À deux minutes de la fin, Quigley obtient un penalty qu’il transforme. Le Showgrounds explose. Sligo est champion d’Irlande pour la première fois depuis 1977.

La saison 2013 commence difficilement pour les Sligo Rovers, malgré leur statut de champions en titre. Fragilisés par le départ de cadres essentiels, les Rovers peinent à maintenir leur régularité en championnat. Après un début prometteur, l’équipe fléchit offensivement et perd pied dans la course au titre. Sur la scène européenne, le tirage au sort ne les épargne pas : face aux solides Norvégiens de Molde FK en Ligue des champions, Sligo résiste mais s’incline sur l’ensemble des deux matchs, laissant filer toute chance de prolonger l’aventure continentale. Mais alors que la saison semble leur échapper, les Bit O’Red retrouvent leur souffle en coupe. Portés par une dynamique plus solide, ils enchaînent jusqu’à la finale de la FAI Cup où, au terme d’un scénario haletant, ils arrachent la victoire face à Drogheda United. La rencontre débute mal : Drogheda ouvre le score et mène encore à quinze minutes de la fin. Mais l’entrée en jeu de Danny North change tout. Il égalise, puis donne l’avantage à Sligo sur un coup franc ingénieux – mais contesté – qui provoque l’exclusion d’un adversaire. Peu après, Gavin Peers doit quitter le terrain blessé alors que toutes les substitutions ont été utilisées. À dix contre dix, Drogheda égalise. Alors que la prolongation semble inévitable, North se mue en passeur : son centre trouve Anthony Elding, qui conclut avec sang-froid. Sligo s’impose 3-2 au bout du suspense, et décroche une troisième FAI Cup en quatre ans. Ce succès sauve une saison contrastée et confirme leur statut de spécialistes des finales, la malédiction est bel et bien brisée.

L’attente
Depuis le glorieux cycle des années 2010, Sligo est entré dans une période plus instable, entre élans d’espoir et rechutes douloureuses. Après quelques saisons en eaux troubles, le club connaît un regain de forme au début des années 2020. Ce sursaut d’orgueil lui permet de retrouver la scène européenne, en s’invitant deux années consécutives aux tours préliminaires de la Ligue Europa Conférence. En 2022, Sligo s’offre un exploit inoubliable : une double victoire face aux Écossais de Motherwell, une performance qui rallume la flamme dans tout le comté. L’élan s’interrompt cependant au tour suivant, mais la passion, elle, est ravivée. Malheureusement, cette dynamique n’a pas duré. En 2025, à l’heure ou j’écris ces lignes, le club est enlisé à l’avant-dernière place du classement, condamné pour l’heure à disputer un barrage pour rester dans l’élite, à huit longueurs de Waterford. Une situation qui rappelle les heures sombres que le club croyait avoir laissées derrière lui.
Mais à Sligo, on ne mesure pas la grandeur d’un club uniquement au nombre de trophées. Le club n’est pas un simple pensionnaire de Premier Division : il est le cœur vibrant d’une ville, le fil rouge d’une communauté entière. Il est le club des gens, de ceux qui vivent à l’ombre des montagnes de Benbulben, qui longent la Garavogue les soirs de match, qui, même dans la tourmente, ne cessent d’y croire. Au Summerhill College, cette appartenance prend racine tôt. Ce lycée, véritable berceau du football local, a formé des générations de jeunes qui ont fait la fierté du Bit O’Red ou du championnat irlandais. Paul Magee, John Kent, Enda Eames, Joe Murphy, John Caulfield, Conor O’Grady ou Alan Cawley sont tous passés par ses bancs avant de briller sur les pelouses. Beaucoup furent guidés par Michael McGowan. Ancien élève de Summerhill devenu professeur pendant plus de quarante ans, il enseignait l’histoire, l’anglais et le français avec la même passion qu’il mettait à encourager les jeunes footballeurs. Il a guidé, conseillé et inspiré ces noms. Son dévouement, tout comme celui d’autres, a façonné un héritage indélébile, où l’école, le club et la ville ne font qu’un.
Car Sligo est unique. Unique dans sa fidélité, dans son attachement viscéral à un club qui transcende les générations. Unique dans cette manière qu’a la ville de faire corps avec son équipe, peu importe le classement, peu importe la météo, peu importe les tempêtes. Le Bit O’Red n’est pas qu’un nom ou un écusson. C’est une mémoire collective, un cri du cœur, une maison pour tous ceux qui aiment sincèrement le jeu.

Merci !
Plus que face à la flotte anglaise, c’est sur les côtes irlandaises que l’Espagne perdra le plus de navires.
Au rugby, le Connacht est le parent pauvre des provinces. Ça se sent également au football ?
Oui clairement, dans toute l’histoire du foot irlandais, il n’y a que le palmares de Sligo auquel tu ajoutes la coupe d’Irlande de Galway remportée en 1991 pour le Connacht. C’est tout.
En sport gaélique, Galway reste la 3e équipe la plus titrée mais loin derrière Kerry et Dublin, tandis qu’en Hurling c’est très bas aussi.
Pour les raisons qui expliquent cela je pense que les commentaires de Robinson seront plus éclairés !
Encore un superbe article !
Dans cette lutte au maintien entre Cork et Sligo, mon soutien va aux Corcagiens, actuels derniers du championnat, pour des raisons P2F-esque, mais chaque article de cette série m’a donné envie de soutenir le club mentionné.
A force d’écrire tout ses articles, y’a t-il un club pour qui tu t’es pris de passion, plus que les autres ?
Merci Alpha !
En europe j’ai toujours supporté les Shamrocks, mais pas en Irlande car je ne peux jamais me résoudre à supporter une équipe dominante, je leur préfère Dundalk à ce titre !
Je dois dire que j’ai vraiment apprécié écrire sur le St. Pat’s. J’aime le côté communautaire et local de Sligo, je trouve ça beau ! J’aime bien ça aussi chez les Bohs, bien qu’étant un club dublinois il a une fantastique communauté ,très fortement marquée à gauche.
Mais au vu de mon goût pour l’histoire et les équipes abonnées à l’infortune, c’est Derry à la première place dans mon cœur !
Dean, 60 buts en une saison de championnat, pas mal mais je cite dans mon prochain texte un mec qui aura fait mieux en Europe ! Hehe
Hâte de lire ça !
Je pensais vraiment que c’était Dixie le record !
Clap clap ! Lineker, la grande classe sous le maillot de Tottenham.
Tottenham a souvent été une équipe avec de beaux joueurs et du jeu! Ça a changé depuis les années 2000..
Pour finir sur l’anecdote avec Lineker, le fils de Gavin Dykes l’avait rencontré à la coupe du monde au Qatar et s’est présenté à lui en lui rappelant son père et le match face à Sligo. Ce à quoi Lineker lui a répondu « oui je m’en souviens bien et je ne devrais même pas avoir à te parler ». Il y a pas à dire, ça l’a marqué !
Je n’avais pas du tout la prétention de connaître l’Histoire irlandaise, et cependant j’apprends vraiment beaucoup!
Les « mass rocks » par exemple, jamais entendu parler avant! Y aurait pas un héritage païen, là-dedans?
Il y a des détails qui claquent, Cf. cette photo de l’équipe championne en 36-37 si je comprends bien (c’est touffu, faudra que je relise) : à l’époque, si je ne m’abuse, l’Irlande n’était toujours pas indépendante, éh……… ==> ça fait considérer ces visages tout autrement je trouve.
J’aime bien ces histoires impliquant Dixie Dean. Je connais un peu le coin (Letterkenny en tout cas, ça oui), c’est fort la zone, éhéh..alors à l’époque?? C’est vraiment pas rien Dixie Dean, c’est un peu fou quand même. Mais alors une question : 7 matchs en 2 mois, ai-je bien lu??? Pourquoi une fréquence si faible?
Alors pour les mass rocks , les origines sont vraiment de cette époque de persécussion. Cela dit, ça sonnait pour eux comme un écho du temps « druidique », se servir d’anciens monuments de pierre pour en faire des « mass » poursuivait un peu l’héritage de cette tradition irlandaise catholique enfante du paganisme.
On parle de 7 matchs de championnats en quatre mois, oui. Mais il n’y avait que 22 matchs de championnats sur la saison, sachant qu’il arrive en janvier, il en manque déja une partie. Mais il à fait des matchs en plus en coupe, à l’époque, la FAI cup se jouait d’une traite au terme du championnat, sachant qu’ils iront jusqu’en finale, il a du jouer une dizaine de matchs avant de rentrer pour l’Angleterre en fin de saison !
Ah, je tiens à le dire car ce n’est loin s’en faut toujours le cas dans ta série irlandaise : je connaissais deux joueurs cités!, les ex- de Wimbledon Steve Cotterill et Lawrie Sanchez, donc.
Sans être des plus virulents, Sanchez ne dépareillait pas au sein du « gang », un dur.
J’avais vu un doc sur le gang et il parlait clairement d’une grosse baston entre Fashanu et Sanchez.