(Rappel des faits : Vingt ans que circulent, sur la toile, d’images attestant de l’existence dès 1957 de pénaltys tirés en deux ou trois temps. Et désormais même plus d’un demi-siècle que l’Australien Alston, en technicolor et devant les caméras du monde entier, réussissait un geste au fond binaire et vieux déjà d’une génération… Et cependant, dans chacun de ces deux cas : la fabrique des idiots de s’employer à les rapporter coûte que coûte au prétendu génie créatif de sa très occidentale créature, le « Hollandais volant » Johan Cruyff… Hier comme aujourd’hui. Et demain, probablement…)

« Dessiner, c’est mettre des patins
A son imagination. »
(Louise Portal, Jeanne Janvier)
Si, à la rigueur, l’oubli voire l’ignorance peuvent être évoqués dans le cas Lenstra, rien de tel toutefois ne peut l’être dans l’affaire Coppens. Si bien que, plus que d’une vulgaire histoire de paresse intellectuelle ou d’orgueil journalistique mal placé, cette incapacité chronique des mass-médias à vouloir leur rendre un jour justice procède-t-elle plus vraisemblablement, car plus profondément, de l’impossibilité fondamentale que présente de déboulonner l’impérieuse figure cruyffienne, joueur « total » parmi d’autres mais créatif quelconque, clé de voûte dialectique de la survalorisation aux forceps des valeurs prêtées au football « moderne », et partant d’un plein demi-siècle d’obtuse ringardisation des féconds âges dits « héroïques ».
A ce titre, les pharisiens de Sofoot s’illustreraient-ils encore singulièrement qui, le 18 février 2016 et devant composer avec les encombrantes références faites de Coppens par l’un ou l’autre internautes, évoqueraient soudain le souvenir de modestes joueurs italiens, exécuteurs aussi, en 1974, du « pénalty en trois temps »… Se gardant toutefois, méthodiquement, d’évoquer le précédent filmé en 1957, pourtant disponible depuis une bonne dizaine d‘années, la brève se concluait bien au contraire d’un pervers et rancunier : « On attend désormais qu’un joueur des années 1950, en Tchécoslovaquie, affirme que c’est en fait lui l’inventeur de ce geste »… – La raillerie et le mépris, il est vrai et plutôt qu’à la contrition, sans doute seront-ils toujours l’ultime refuge des cuistres.
Et c’est une autre vertu inconnue des mass-médias qui, à ce stade, incline à contextualiser pour comprendre. Coppens et dans une moindre mesure Lenstra, en dépit de qualités hors-normes reconnues alors par-delà les frontières, ne connurent guère que l’amateurisme et, à dire vrai, ne s’en plaignirent vraiment jamais ; eux qui, dans le football et depuis leurs clubs périphériques, ne voyaient guère qu’un champ infini de plaisir à prendre et à partager, un loisir par lequel trouvaient à s’épanouir leurs singulières personnalités, et auquel le plaisir pris suffisait amplement au bonheur sans qu‘il fût le moins du monde besoin d‘en rajouter.
Du temps déjà de sa carrière, et plus encore à compter de son terme : Coppens s’employa-t-il ainsi, et systématiquement, à couper court à toute rumeur médiatique qui entendît lui attribuer d’exploits ou hauts-faits qu’il n’avait commis. Mauvais client des médias (qui le lui rendirent bien), anarchiste de droite mi-tendre mi-cynique, et pourfendeur précoce du foot-business non moins que de la société de consommation, insensible enfin aux mirages du star-system et de l’évolution sociétale, et viscéralement attaché à sa ville comme Lenstra le serait à sa Frise : Coppens paierait en outre, du prix de sa postérité et à l’instar de Lenstra, de n’avoir évolué qu’au sein de clubs de tradition mais en cours alors accéléré de déclassement, loin des standards structurels et sociétaux qu’en Europe de l’Ouest imposeraient et véhiculeraient, à compter de la seconde moitié des années 1960, puis pour de bon durant la décennie suivante, les aguichantes, chevelues et surpuissantes armadas libertaires de l’Ajax ou du Bayern de Munich…
Car Maier, Hoeness, le « maoïste » Breitner… Cruyff, Neeskens, Suurbier… Si, de ces années-là, l’Histoire officielle ne s’entend guère qu’à psalmodier leurs titres, voire prétendus positionnements politiques ou autres pop et rock’n roll attitudes : que ne gagnerait-elle surtout à citer les dizaines d’entraîneurs et joueurs dont-ils obtinrent peu glorieusement le scalp – ou mieux encore : tout bonnement même celui d’un dirigeant de club en 1979, et jusqu’à l’exil contraint et forcé, au Cosmos, d’un Beckenbauer jugé trop conservateur et point assez arriviste (c’est dire) par ses susmentionnés équipiers.
Egos surdimensionnés et décomplexés, jouisseurs compulsifs obnubilés par le culte de la personnalité, le fric pour le fric, les grosses berlines et les filles faciles, tartuffes moraux : voilà qui serait un tableau plus réaliste de ce que furent vraiment ces opportunes idoles des temps nouveaux et, surtout, de ces valeurs soudain privilégiées que, ce-faisant, ils popularisèrent et véhiculèrent décisivement au travers du football et de la société ouest-européenne : primat de l’argent et de l’individu, du bling-bling et du star-system – et, pour mieux les servir : du technocratisme et du cynisme sur la fantaisie et la créativité, plus purs registres précisément où s’étaient illustrés les désormais surannés Coppens et Lenstra.

De tous ces fossoyeurs de la Vieille Europe, tous fascinés par le rêve américain et hantés du désir de réussir coûte que coûte ; de ces yuppies en somme : le plus radical et déterminé serait sans conteste le fils de bourgeois déclassé Johan Cruyff, auquel l’équipe de psychologues d’Ajax décela d’ailleurs très tôt de sévères troubles de la personnalité, courant du délire de grandeur à celui de paternité, et qui avec le temps aident à comprendre l’inclination profonde de Cruyff pour le pillage mémoriel.
Symptomatique de ces temps nouveaux, quoique depuis lors complètement généralisée au plus haut niveau : cette intrusion de la psychanalyse dans le vestiaire pourrait paraître invasive et déplacée si, plus intelligent qu’il n’était équilibré, instruit de ses limites et toujours soucieux de mettre toutes les chances de son côté, Cruyff n’avait précisément été le plus assidu et demandeur de ces séances de thérapie individuelle…
Des premiers enfin à s’être entourés d’agents de joueurs, et redoublant systématiquement de chantages ou sabotages pour obtenir gain de cause, les valeurs poursuivies par ces produits non moins qu’hérauts de la société de consommation tranchaient singulièrement avec celles, de tempérance voire solidarité inverses, manifestées tout au long de leur carrière par leurs illustres aînés Lenstra et Walter, ou non loin par le Belge Coppens lequel, çà et là, partageait ses primes avec les moins nantis de ses équipiers.
Et ainsi donc de Lenstra qui, après avoir déjà refusé les avances de l’Inter et de l’Ajax, se justifierait un jour, dans le poème (!) « Chez nous en Hollande », de n’avoir jugé opportun de compléter puis toucher le chèque pré-signé lui-transmis par la Fiorentina :

« Ils m’envoyèrent un chèque en blanc, je me pris le menton.
Car il y avait ce petit mot : Remplis-le et c’est bon.
Ma femme me dit : Eh, n’hésite pas, demande-leur un million!
Mais je lui répondis : T’es folle, imagine s’ils le font. »
En un mot comme en cent, puisque rien en eux n’avait pu ni ne pourrait céder à l’air mercantile et galopant du temps, et pour que fût possible la pleine légitimation d’un nouvel ordre du football européen, plus radical, plus mercantile, plus physique, résolument métropolitain et, pour tout dire, culturellement plus pauvre et souterrainement plus violent : ces monuments des années 1950 puis 1960, fertiles et têtus archétypes de l’« âge d’or » du football européen, seraient-ils progressivement condamnés à la ringardisation puis à l’oubli ; les temps modernes leur gardant tout au plus, quoique dans une obtuse culture du secret, de recycler çà et là (et faute de mieux) leurs lumineuses mais anonymes inspirations…
La fabrique du néant
Transposé aux années 1980 et 1990, leur sort fut en quelque sorte celui qu’eût pu signifier l’effacement des tablettes d’artistes tels Hagi ou Stojkovic, issus comme à Coppens et Lenstra d’un mauvais pan culturel et idéologique, et d’ailleurs contrariés de leur vivant footballistique par la disparition dogmatique des meneurs de jeu à l’ancienne.

Hagi et Stojkovic, toutefois, connurent-ils au moins d’un peu, à compter de la providentielle chute du Mur, de se produire pour de grands clubs institués et sous l’œil gourmand des diffuseurs-TV, machineries décisives (quoique insuffisantes – Cf. Coppens) de la trace mémorielle… Sur ce dernier point est-il d’ailleurs raisonnable d’avancer que l’esthète Panenka, resté en périphérie comme firent Coppens et Lenstra, serait aujourd’hui tombé dans l’oubli s’il n’avait exécuté sa célèbre feuille morte sous l’eurovision des caméras – sans quoi l’on parlerait sans doute, aujourd’hui et qui sait : d’une « Zidane »?
A juger du sort qu’il réserva à ses secrets modèles et ancestraux repoussoirs, voilà en tout cas un simulacre de paternité que n’eût hésité à faire sien puis à cultiver le Rastignac d’Amsterdam, qu’avait complaisamment abrité sous son parapluie l’arbitre d’une demi-finale d‘Euro, et qu’abrite encore, mécaniquement, l‘aliénante industrie de l’oubli et du divertissement.
Guest-stars :



« Pas des mots, mais des faits » et « Chez nous en Hollande »





J’évoque, je ne sais plus où, que Coppens s’employa moins à alimenter qu’à saper sa légende – une illustration s’impose, et je pense spontanément à l’histoire de son but du nez.
Ca survient contre Beringen, un club qui comptait à l’époque. Dans des conditions dantesques, le terrain a été transformé en bourbier……………et l’histoire retint (et retient encore) que Coppens, après avoir dribblé le gardien, se fit fort d’arrêter le cuir devant la ligne, de se mettre à quatre pattes..et de pousser du nez le lourd ballon du cuir au fond des filets.. ==> C’est la version des journalistes! Et même celle de je ne sais plus lequel de ses équipiers………….et même du futur sélectionneur national Guy Thys!
Et cependant, patatras : Coppens a toujours tenu à affirmer que c’était une fable journalistique, que le ballon était de toute façon trop lourd pour effectuer cela sur un terrain aussi détrempé, bref : du bullshit selon lui. Et une attitude qui l’inscrit aux antipodes des ficelles narratives du cruyffisme.
Quant à Lenstra, en matière de ficelles narratives : beaucoup trop binaire pour se plier à ce genre de singeries.
Certes porteur d’une vision très arrêtée, et qu’il affirma d’ailleurs avec beaucoup d’assertivité, quant à la façon dont le jeu se devait d’être joué. Mais à part ça, y a que dalle et RAS : son intérêt fut nul archi-nul à l’endroit des codes du cirque médiatique.
Les années 1970 eurent tôt fait d’enterrer les décennies précédentes aussi parce qu’elles bénéficièrent, pour la première fois, d’un flux massif d’images en couleurs. On sait, au moins depuis 500 ans, le pouvoir de l’image et, encore plus singulièrement, de l’image animée…
Ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard si la Coupe du monde unanimement considérée comme la plus belle de tout l’étang est aussi la première diffusée en mondovision et en couleurs !
Depuis, nous fûmes assez matraqués d’images pour considérer que le football dit « moderne » a débuté il y a une cinquantaine d’années. Avant, c’était le football, quoi ? « ancien » ? Bref, le vocabulaire employé dit aussi assez de choses…
Cruyff, et d’autres, s’employèrent assez bien à incarner ce virage décisif. Finalement, Cruyff mérite son statut d’icône des années 1970 : nul mieux que lui n’en incarna, dans le football, le Zeitgeist. Il sut coller parfaitement à son époque, comme tu l’écris fort justement.
La télé et les couleurs, bien sûr. Y a rien à faire : regarder le même match dans son noir et blanc d’origine, ou dans une version où il fut colorisé, c’est pas la même chanson. Il circule une vidéo de Lenstra en couleurs, ça le rapproche aussitôt, créée un supplément de lien avec notre regard.
Foots « ancien », « moderne ».. Au fond ce sont surtout les codes qui changent, car pour ce qui fut du terrain : l’archaïque Lenstra (il commence en équipe première en..1936!) continue à mettre tout le monde d’accord jusqu’à ses 40 ans, en 1960. Son jeu reste à niveau, et pas un peu..
Coppens idem : quoique physiquement diminué dès le mitan des 50’s, il n’est pas rare de retomber sur des archives lui prêtant encore d’avoir été l’homme du match dans la seconde moitié des 60’s..
Bon, et alors ? Coppens ou Lenstra ? Faut choisir, Alex, nous te sommons de choisir !
Il y a plein de trucs que j’aime chez les deux!
La fluidité du jeu de Lenstra, c’est quelque chose. Dégoulinant de facilité et (d’apparente) simplicité, joueur dont la qualité technique laisse à croire des moindres geste ou situation que tout coule de source, vraiment très fort.. Sur ce point, on est aux antipodes du jeu très somptuaire d’un Cruyff, lequel multipliait les gestes spectaculaires mais presque toujours inutiles – avec de surcroît énormément de déchet.
De ces deux NL, la véritable qualité technique, à savoir celle qui fait paraître faciles les choses difficiles : c’est chez Lenstra qu’elle est, et pas un peu.
Parfait ambidextre, jeu en mouvement extra. Même dans les airs il est très bon malgré un physique quelconque – mais le timing est toujours juste. Un joueur qui sent le jeu, et que sert une technique irréprochable.
Coppens maintenant :
Coppens aussi était ambidextre, et avait du répondant dans le jeu aérien. Joueur plus accrocheur, plus « canaille ». Plus de puissance que Lenstra aussi, vos actualités disaient vrai en le qualifiant de « bouledogue belge ». Beaucoup plus subversif et infiniment plus expressif aussi!, tout est plus gros chez lui : les frappes de balle, le culot, le cul, les effets de manche.. Coppens était très certainement (beaucoup!) moins sérieux que Lenstra, et probablement même moins soluble que Lenstra dans un système ou un collectif (reproche souvent formulé, à raison, contre l’amuseur public Coppens).
S’ils avaient été des clowns, allez : Coppens eût été l’auguste, et Lenstra le clown blanc.
Pour ma part : admiratif de la justesse de Lenstra. Mais Coppens est un personnage de football tellement énorme, doublé durant la première moitié des 50’s d’un footballeur de classe véritablement mondiale.. Moins élégant que son pair NL, mais il a mes faveurs.
Les années 70 marquent souvent un tournant, avec des stars qui dépassent le cadre de leur sport. Borg est l’homme de glace, Eddy le cannibale, Ali le champion contestataire, en omettant une bonne partie de ses zones d’ombre… Des figures qui demeurent quasi indépassables médiatiquement. Borg, si il n’avait pas arrêté sa carrière aussi jeune, aurait un palmarès encore plus impressionnant. Il est le plus grand champion de son sport, désolé Sampras, jusqu’à l’arrivée des 3 mutants récents.
Dans l’autre sport que je connais le mieux, le baske, c’est un peu différent. Déjà, il n’avait pas la cote mondiale qu’il a de nos jours et la NBA des années 70 est le parent pauvre de cette ligue. Malgre Kareem et Julius. Salles vides, came à gogo, ça va pas s’arranger avant la fin des années 80, la NBA ne retrouve le lustre des années Wilt, Robertson, Russell qu’avec le duel Bird-Magic.
Merckx n’a jamais aimé qu’on le surnomme de la sorte. C’était un compétiteur, ça oui, mais certainement pas quelqu’un qui voulût le pouvoir, le fric pour le fric ou écraser autrui.
Ce que je crois observer dans cette ère-pivot, c’est un déplacement du centre de gravité du sport vers son business. Il n’est plus tant une fin que, bien plutôt, un moyen pour se faire du fric, si possible beaucoup et (et c’est là que, pour ma part, la différence est le plus perceptible) très vite. Ces sportifs, pas qu’en football d’ailleurs, veulent devenir rentiers ; capitaliser sur les gains glanés en carrière pour pouvoir, ensuite et dès que possible, lancer et faire prospérer leurs petites affaires.
Jusqu’alors, cette idée de plan de carrière n’était pas tant palpable dans les parcours de footballeurs : Cruyff s’était fixé d’atteindre un enrichissement suffisant pour pouvoir arrêter les frais à 30 ans.. Borg que tu cites, empressé lui aussi de se reconvertir dans les fringues.. ==> On est très loin de ces Lenstra et Coppens qui jouèrent jusqu’à 40 ans, tant que le corps tînt bon.
Lenstra garda un souvenir contrasté de son expérience tardive du professionnalisme, n’y prit guère de plaisir et pourfendit surtout ce pan du sport quand la question lui était posée.
Coppens n’avait pas vraiment besoin de gagner sa croûte……..et cependant il tire sur la corde (usée – corps meurtri à ses 25 ans) jusqu’à ses 40 ans. Ce n’était pas pour l’argent mais il le fit, parce que ça l’amusait. Un rapport au sport pour le moins différent de celui d’un Cruyff, euphémisme – et dire qu’à sa mort j’ai lu que ce type « était le jeu », que dire……………………
Ali, toutes propositions gardées evidemment, est une réécriture à la Ché. Homme de pouvoir et d’appareil politique, ne rechignant jamais aux pires bassesses devant les plus faibles afin de faire fructifier son image de rebelle. Et pourtant certains de ses combats étaient complètement justifiés mais sa figure de héros romantique qui perdure et qui est désormais actée est assez déprimante.