Boca Juniors: 120 ans « d’or et de boue » (15)

En cette année 2025, l’institution xeneize fête ses 120 ans. En effet, le Club Atlético Boca Juniors a été fondé officiellement le 3 avril 1905 dans le quartier du même nom. Passé de club de quartier populaire à club mondialisé totémique, Boca Juniors a toujours, plus ou moins, gardé une certaine identité sur le terrain, à base de lucha et de garra. Car l’âme véritable du club, est, selon les dires, dans le maillot à défendre, qui serait plus important que le joueur. La tunique xeneize, c’est peut-être elle la véritable idole du club ! À la fois, club le plus supporté et, forcément, le plus détesté du pays, Boca Juniors cristallise les passions et les haines. Pour célébrer et parcourir son histoire, Pinte de foot vous propose un long format sous forme d’un Top 50, bonifié et étalé sur plusieurs semaines, de ses plus illustres bosteros.

Photo d’en tête: Boca Juniors, célébration victoire en Copa Libertadores 2000


2. Ángel Clemente Rojas

Ángel Rojas est pour beaucoup de supporteurs et de la bouche d’anciennes gloires xeneizes qui l’ont vu jouer, l’idole de Boca Juniors. La seule, avant l’avènement et la consécration de Juan Román Riquelme, alors que Diego Maradona est lui devenu plus grand que Boca et fut partagé avec toute l’Argentine et au-delà. Dans un club qui a construit son identité sur des valeurs collectives de combat, de courage et d’efforts, plus que sur la technique individuelle et le jeu spectaculaire, Rojas fut l’un des plus grands talents passé par le club, qui a brillé de par ses exploits individuels.

Pour César Luis Menotti, il était « l’ADN du potrero », car il avait forgé son jeu, ses mouvements de corps, ses gestes techniques sur ses terrains vagues chers à l’Argentine, ode à la liberté en dehors des schémas rigides et consignes strictes du football professionnel. Pour une génération de grands joueurs argentins, qui ont grandi avec lui, Rojas était leur idole. Ricardo Bochini, le fan de San Lorenzo, l’aimait pour son talent, tout comme Alejandro Sabella, hincha de Boca. René Houseman admirait sa gestuelle et voyait en lui son futur… jusqu’à Daniel Passarella, eh oui ! Le maître de River Plate était supporteur de Boca durant son enfance comme toute sa famille et avait cité Angelito pour seule idole. Enfin, Diego Maradona fut ravi de le rencontrer et avoua qu’il fut l’une des rares personnes au monde à qui il avait demandé un autographe. Ángel Rojas est pourtant un joueur bien méconnu en dehors de Boquita.

Il est né dans la ville de Sarandí, au sud de Buenos Aires, cité qui jouxte Avellaneda, territoire des  hinchas du Racing et d’Independiente. Le jeune Ángel passe son enfance à jouer au football dans son quartier avec ses camarades du coin, qu’ils croisent sur les potreros, certains plus tard rejoindront les rangs Rojo ou Celeste, tels Roberto Perfumo, Miguel Ángel Santoro, Raul Bernao ou Rubén Díaz. Rojas était plutôt hincha du Rojo et admirait Ernesto Grillo – qu’il retrouvera plus tard à Boca Juniors. Mais aucun des deux clubs d’Avellaneda n’est venu le chercher. Après un essai avorté à River Plate, il tente sa chance à Boca Juniors. Très vite, il devient l’enfant prodigue du club. Il débute en équipe première à l’âge de 18 ans en 1963. Le jeune Rojas était précédé d’une réputation de phénomène dans les catégories inférieures, à tel point qu’il attirait le public à ses matchs par sa seule présence. Dès sa première saison en équipe première, il laisse personne indifférent. Tout le monde parle de lui. Dès son premier match, El Gráfico, se demande si une idole est née à Boca… Rojas est un crack. Joueur hybride entre le 9 et le 10, entre le meneur et le buteur, très doué techniquement et doté d’une excellente lecture du jeu, il impressionne dès sa première touche de balle et sa mise en mouvement, qui fait la différence. Dribbleur hors-pair, il fait des ravages avec ses coups de reins dévastateurs et pour se sortir des situations les plus complexes, il se transforme en un magicien balle au pied. Rojas est rapidement titulaire, joue 21 matchs et inscrit 6 buts en championnat pour sa première saison. Et surtout, il gagne sa place dans le onze pour les phases finales de la Copa Libertadores, titulaire lors de la finale contre Santos.

Sa renommée franchit l’Atlantique. D’abord, lors d’une tournée européenne d’un mois en décembre 1963 et début janvier 1964, où Boca Juniors a marqué les esprits avec son jeune prodige en battant notamment sur leurs pelouses : le FC Barcelone, Naples ou l’Inter Milan. Mais une première blessure le met à l’arrêt plusieurs mois au printemps 1964, une saison où Boca finit champion, mais il joue très peu. En manque de rythme à son retour sur les terrains, il est finalement peu utilisé. C’est dans les matchs amicaux de prestige qu’il brille le plus. De nouveau, en juillet de cette année, il fait étalage de son talent dans des victoires en tournoi amical de prestige, organisé à Buenos Aires sur le terrain de River Plate, contre Botafogo (1-0) ou le FC Barcelone (3-2). Puis surtout lors d’un tournoi amical au Maroc en août 1964. Boca Juniors écrase Saint-Étienne 3-0, puis bat le Real Madrid des Di Stéfano et Puskas 2-1 avec un doublé de Rojas. À tel point que le Real Madrid veut le recruter. Mais Rojas, 19 ans, refuse, et se justifia plus tard : « ce que je voulais c’était continuer à Boca, j’étais heureux là-bas. Ce que j’aimais, c’était jouer, me divertir, dribbler, mettre des buts, être champion avec Boca, être avec les miens, battre River Plate, sortir avec les filles… ». Sa saison 1965 fut excellente et marque son retour aux sommets. Boca Juniors termine champion. Rojas inscrit 14 buts en 31 matchs. Il était devenu Rojitas, le « petit Rojas » pour qu’on le démarque d’Alfredo « El Tanque » Rojas, l’avant-centre international recruté à l’intersaison, qui était son contraire physiquement et dans le jeu. Boca Juniors enchaîne une série de 18 matchs sans défaite, dont 8 consécutives sans encaisser de but. Le numéro 10 xeneize est le fer de lance de son équipe, décisif à plusieurs reprises, notamment dans la victoire 2-1 face à River Plate à trois journées de la fin qui « assure » le titre. La magie et la splendeur de Rojas sont retrouvées. La star de Boca est convoqué en sélection pour les éliminatoires de la Coupe du Monde 1966. On lui prédit un avenir radieux.

Joueur extraordinaire, Rojas va malheureusement connaître une carrière de hauts et de bas. Il est trop irrégulier, comme durant la saison 1966, qu’il démarre pourtant bien – 6 buts en 13 rencontres de Copa Libertadores –, mais qui au fil des mois perd rapidement de sa superbe. Son tempérament volcanique et son manque de professionnalisme nuisent à sa carrière. Dès ses débuts, on lui avait flanqué Antonio Rattín, qui deviendra son grand ami, comme camarade de chambre pour le surveiller. Car Rojitas menait une vie plutôt rock’n’roll en dehors des terrains : flambeur, fêtard et image rebelle. Ses relations avec les entraîneurs sont compliquées, plusieurs manquements aux règles élémentaires de discipline et de vie de groupe lui sont reprochées. Son caractère parfois chambreur sur le terrain ne lui valut pas que des éloges chez ses adversaires, en particulier avec River Plate, comme l’épisode du vol de la casquette d’Amadeo Carrizo en 1968. Et cela se répercute sur son rendement et ses performances, à Boca Juniors et surtout en équipe nationale où il ne fut quasiment jamais appelé, seulement 2 sélections. Il faut dire qu’il ne faisait pas l’unanimité chez ses coéquipiers de sélection. Rojas n’est pas du voyage – sans surprise – avec l’Albiceleste pour le Mondial anglais. Malgré un talent remarquable, rarement vu à Boca Juniors, il avait toutes les conditions pour écrire les plus belles pages du CABJ et du football argentin, mais pour un ensemble de raisons, sa carrière ne sera pas aussi grande que les folles espérances du début. Rojas traverse deux années difficiles. Relégué sur le banc, puis en équipe B, en conflit avec son Président Armando, il touche le fond en 1967, plusieurs mois sans joueur, et se réfugie dans les sorties nocturnes et les verres entre amis.

Sa résurrection a lieu en 1969. Sous les ordres de Di Stefano, qui le relance après deux saisons difficiles, Boca gagne le Nacional 1969. L’une des meilleures équipes que connut le championnat argentin. Juste après l’élimination du mondial 1970, le football argentin est en plein doute, voit à travers le miroir son propre déclin. Le jeu proposé par ce Boca redonne espoir, chasse les ondes négatives et procure l’admiration des supporteurs de tous le pays. L’équipe devient celle de tout le peuple, elle hérite le surnom d’« El equipo de todos ». Avec un bilan de 13 victoires en 17 matchs pour une seule défaite, 35 buts marqués, 11 contre, Boca Juniors est apprécié par son jeu, offensif, rapide, précis. Le club bostero encensé par le football argentin, une chose rare. Pourtant Di Stéfano, l’ancien joueur de River Plate, de retour d’Europe, n’avait aucune expérience d’entraîneur auparavant. Il met en place un 4-2-4, hyper offensif, qui tranche radicalement avec le tournant défensif du football argentin, à l’image d’Estudiantes La Plata, vu comme l’équipe moderne par excellence. Di Stéfano en désaccord, fait partie de ceux qui tentent quelque chose de différent, à base d’un football dynamique, de changements de rythme, de déplacements de ses joueurs en blocs et de transitions défense-attaque rapides. Et ça fonctionne. Son équipe-type était la suivante : Rubén Sánchez dans les buts qui avait suppléé Antonio Roma ; Rubén Suñé, Julio Meléndez, Roberto Rogel, Silvio Marzolini formaient une défense implacable; un milieu offensif et créateur, avec la révélation de ce championnat Norberto Madurga, qui était plutôt un 10 sur le terrain et qui s’impose en profitant de l’absence de Rattín, avec son jeu libre, il apporte plus de vitesse, de technique et d’apport offensif, aligné avec l’Uruguayen Orlando Medina dans un rôle de « double cinq ». En attaque, les deux ailiers rapides et habiles, sortis des juniors, à droite, Ramón Ponce, et à gauche Ignacio Peña. Devant, l’avant-centre Nicolás Novello pour accompagner l’étoile Ángel Rojas,

Rojas est fondamental pour ce titre, il joue l’ensemble des 17 rencontres, toutes les minutes, inscrit 9 buts. On nota un changement d’attitude chez le joueur, plus concentré, plus sérieux pour un temps, on le croit enfin délivré. Moins spectaculaire, il joue plus collectif, met sa technique au service de l’équipe, un joueur transformé. Mais en coulisses, la relation Di Stéfano-Rojas est compliquée, Di Stéfano est agacé par l’indiscipline de Rojitas et en conflit permanent avec l’idole, qui a le soutien du vestiaire et de ses coéquipiers. Malgré l’excellent niveau de son joueur et de son équipe, lassé par la situation et une situation qui se dégrade, Di Stéfano part et retourne en Espagne. Les joueurs de Boca Juniors poursuivent sur leur lancée avec le Nacional 1970. Toujours décisif, Rojas inscrit le but égalisateur contre Rosario Central en finale, avant que Jorge Coch n’inscrive le but de la tête qui donne le titre. Ce sera son dernier trophée avec Boca Juniors. L’année suivante en Copa Libertadores 1971, le match contre le Sporting Cristal tourne à la bataille rangée entre les deux équipes. Après ce désastre, Armando ne pardonnera pas à Rojitas d’être parmi les provocateurs du pugilat qui entraîneront des sanctions envers le club. Rojas ne joue plus que par intermittence, offre quelques joies éphémères, comme lors d’un Superclásico en juin 1971, lors du Metro, il marque deux buts en 5 minutes pour permettre à Boca de revenir de 3-1 à 3-3. Considéré comme en déclin, il fut transféré en 1972 au Deportivo Municipal au Pérou. Il revient dès l’année suivante à Boca Juniors, mais son come-back est un échec. Il joue seulement avec l’équipe B, mais le public est nombreux à venir le voir jouer, preuve que, malgré une carrière irrégulière, Rojitas reste aimé. En 1974, il signe au Racing, sans convaincre puis fait des passages en deuxième division à Nueva Chicago, Lanús et Argentino de Quilmes.

Rojitas fut en résumé une étincelle, un éclair de génie dans un football qui se réinventait et un club qui en avait pas vu des masses. Une irruption talentueuse, autant brève que par parcimonie. Les hinchas de Boca s’en éprirent de passion. Un amour déraisonnable, à la vue de la large histoire du club, mais proportionnel à son immense talent et génie, à ce style qu’il dégageait sur les pelouses. Un Riquelme avant l’heure. Pour son coéquipier Silvio Marzolini, Rojas fut la seule idole de l’histoire du club. Pour beaucoup d’hinchas xeneizes, avant les années 2000, il en avait pas l’ombre d’un doute sur le tant aimé Ángel Rojas.

1. Juan Román Riquelme

Ce top 50 touche à sa fin avec la première place qui ne fait l’ombre d’un doute. Qui oserait le remettre en cause ? Les plus anciens, ceux qui ont vu Rojitas ? Malgré un énorme talent, le numéro deux fut trop irrégulier et il lui manquera toujours de ne pas avoir mis Boca tout en haut. Ou alors les fervents supporteurs de Diego Maradona pour contester ce choix ? Ce dernier était partagé avec tout le peuple argentin et n’a « donné » qu’une seule saison stratosphérique pour le club xeneize. Reste donc logiquement que le seul Juan Román Riquelme. Román appartient à Boca Juniors, il a régalé la Bombonera comme personne durant des années et a « offert » trois Libertadores aux Bosteros. Riqueme est bel et bien l’idole numéro un.

Juan Román est arrivé à Boca Juniors en 1996 en provenance d’Argentinos Juniors, tout jeune, tout frêle, tout timide, plein de talent, plein d’espoir et d’attentes. Issu d’une famille fanatique de Boca Juniors qui avait refusé que l’aîné des dix enfants aille à River Plate. Le gamin était déjà catalogué de petit génie des potreros à San Fernando, dans la banlieue nord de Buenos Aires. Son talent mis au service des « affaires » et combines du père, autour de matchs de foot et de poignée de pesos, que même des années plus tard, sur ces terrains défoncés, Román continuera à fréquenter. C’est donc Argentinos Juniors qui vient le dégoter et l’intègre à ses équipes de jeunes. Après s’être fait remarqué avec les inferiores,Riquelme, qui vient tout juste d’intégrer l’équipe réserve, ne jouera aucun match en équipe première avec le Bicho avant son transfert à Boca Juniors. Chez les Bosteros, c’est la fin du mandat de Carlos Bilardo qui le lance dans le grand bain de la Primera en novembre 1996. Puis, c’est Héctor Veira qui reprend l’équipe, mais il ne le fait jouer que par moment, l’exilant sur le côté gauche où Román est moins à l’aise. L’entraîneur doit composer offensivement avec le fantasque et excellent Diego Latorre, le retour crépusculaire de Diego Maradona, les nouvelles recrues Martin Palermo et Guillermo Barros Schelotto, tous ne peuvent pas être alignés sur le terrain. Pour que Riquelme puisse s’exprimer, il a besoin de plus de liberté, de s’émanciper, d’être central pour son équipe. L’arrivée de Carlos Bianchi va changer la destinée de sa carrière et du club.

En 1998, Bianchi tourne la page du Boca débridé de la dernière décennie et fait de Riquelme le personnage central de trois saisons exceptionnelles pour le club. Bianchi, qu’il considéra au final comme son père, lui fait entièrement confiance et lui confie les clés du jeu. Riquelme, toujours le buste droit, peut enfin s’exprimer sans limites, et faire étalage de sa parfaite panoplie du meneur de jeu : l’intelligence, le contrôle du ballon, la vision de jeu, les dribbles, les passes courtes qui créent les décalages rapides, les transversales qui désorientent les défenses. Riquelme se met au service de l’équipe et de son œuvre personnelle. Positionné en meneur de jeu axial, derrière Mellizo et Palermo, bien qu’il aime aussi aller sur le côté, il dicte le tempo. Le jeu est convaincant, les résultats suivent, les trophées s’amassent. Bianchi a transformé Boca en machine à gagner. Le club s’est trouvé sa nouvelle idole. Mais c’est en Copa Libertadores, que Riquelme prend une dimension plus importante.

Lors de la campagne 2000, il est phénoménal lors de cette nuit magique à Buenos Aires le 24 mai 2000. Dans une Bombonera en ébullition, qui finira en folie, Boca Juniors affronte River Plate pour le quart de finale retour. À l’aller, Riqulme avait marqué sur un coup franc, tout juste à l’entrée de la surface sa distance favorite, qui avait scotché River Plate mais qui n’avait pas empêché une défaite 2-1. Au retour, Boca renverse son rival au terme d’un match intense et d’une grande maîtrise. Entré sur le terrain avec une attitude gagnante et des joueurs prêt à laisser leur vie sur le terrain, Boca fait le jeu avec Riquelme aux manettes et prend les risques, en un mot : joue ce match, pas d’attentisme. En face, l’équipe de Gallego est déséquilibrée et désorientée, plus timide et calculatrice, leur tactique était de verrouiller le match en renforçant le bloc défensif et procéder par contre. Riquelme débloque la rencontre avec une passe décisive pour Chelo Delgado, puis il délivre tout un peuple avec un penalty plein de sang froid pour le 2-0 synonyme de qualification. Et enfin, il conclut le chef d’oeuvre collectif et individuel en étant à l’initiative du troisième, qui marque la résurrection de Palermo. Sa prestation artistique est totale avec un geste fou, ce petit pont sur Yepes, le long de la ligne de touche, sous les « olé » du public, et qui se retrouvera dans toutes les compilations Youtube. De nouveau précieux et impérial en finale contre Palmeiras, Riquelme mène Boca Juniors à la victoire finale.

Le rêve et la magie de Riquelme continue jusqu’à ce nouveau chef-d’œuvre à Tokyo lors de la Coupe Intercontinentale face au Real Madrid. Durant 90 minutes de maîtrise technique, Riquelme donne un cours magistral à la planète entière sur la définition d’un numéro 10. L’enganche de Boca, sur son air de faux lent et avec sa touche latino, rend fous les Merengues grâce à sa protection de balle et son contrôle du match. Libéré par un doublé de Palermo, c’est Román qui impose le tempo de la rencontre à sa guise. Il danse sur Makelele, régale avec ses qualités techniques, et distille le jeu pour son équipe. La planète foot s’incline devant sa prestation qui permet à Boca de se hisser sur le toit du monde. En fin d’année 2000, Boca réalise le triple et Riquelme est, à 22 ans, au sommet de son art.

Malgré les départs de plusieurs cadres, Riquelme démontre l’année suivante qu’il est le leader et l’âme de cette équipe. De nouveau, il éclabousse la Copa Libertadores de son talent, justifiant qu’il est le meilleur joueur sudaméricain du moment. Boca Juniors survole son groupe et se permet de laisser filer le dernier match à Cali contre le Deportivo. En phase finale, Riquelme est monstrueux par ses actions décisives, ses coups de pieds arrêtés, impliqué dans la majorité des buts de Boca. Buteur de la tête face à Júnior (Barranquilla), étincelant face à Vasco da Gama que Boca détruit en 30 minutes au match retour (3-0) et gigantesque contre Palmeiras. Accroché à la Bombonera, Boca s’en remet à Riquelme, qui réalise une nouvelle prestation de génie, personne n’arrive à lui prendre la balle des pieds, et bien qu’il prenne des coups, il se relève et contrôle la partie pour permettre à un Boca en souffrance de garder la balle. Son sacrifice à lui pour l’équipe. En finale, Boca Juniors est de nouveau sacré aux tirs aux buts face à Cruz Azul. Quelques semaines avant, Riquelme avait défié la direction et Macri, avec sa célèbre célébration de « topo gigio »lors d’une nouvelle démonstration face à River Plate en championnat (3-0). Il n’y a qu’un seul roi à Boca, c’est Román. En 2000 et 2001, Boca Juniors est au sommet. Riquelme est au sommet.

Le départ pour l’Europe devient inévitable. C’est le FC Barcelone qui le recrute à l’été 2002. Le club catalan veut concurrencer les Galactiques du Real Madrid et mise sur Riquelme. L’Argentin avait déjà impressionné le Barça lors d’un amical en août 1999, où durant 30 minutes, Riquelme avait retourné la défense catalane. Et même plus loin, lors de tournois internationaux sur le Vieux Continent avec les jeunes d’Argentinos Juniors, il avait tapé dans l’œil de recruteurs blaugranas. Mais rien ne se passe comme prévu à Barcelone. Van Gaal est sourd au talent de Riquelme et le fait jouer sur un côté. Le Hollandais ne comprend pas le joueur, bien qu’il concède qu’il soit le meilleur joueur de l’équipe quand elle a la possession. L’entraîneur néerlandais ne sait pas composer avec le numéro 10 argentin et c’est une incompréhension mutuelle, alimenté dès le départ par le fait qu’il dise qu’il ne voulait pas de l’Argentin. Sur quelques matchs, Riquelme montre néanmoins qu’il est un génie, se permet un récital de temps en temps, notamment dans un Clásico où le public l’applaudit. Mais ce n’est pas suffisant. L’arrivée de Rijkaard et Ronaldinho clôt l’aventure barcelonaise de Riquelme. Il est envoyé à Villarreal et sa colonie de sudacas, où il va pouvoir, à nouveau, exprimer tout son talent.

Dans une équipe à la touche latina, qui fleure bon les matés et asados, il met le sous-marin jaune sur la carte du football européen. L’équipe est coachée par Manuel Pellegrini. Riquelme forme un duo génial avec Diego Forlán qui dévaste tout sur son passage. Villarreal termine à la troisième place à l’issue de la saison 2004-2005 et séduit tous les observateurs du football espagnol. Surtout, Riquelme est éblouissant face aux « gros », Real Madrid et FC Barcelone en tête, dans un match où il tient à démontrer à son ex-club l’immensité de son talent. La saison suivante, Riquelme et Villarreal réalisent un parcours européen de haut niveau en Ligue des Champions. Mais ils sont stoppés en demi-finale par Arsenal, et Lehmann qui arrête un penalty de Riquelme au retour, laissant Román figé à onze mètres, paralysé par son échec. Le rêve d’une finale de C1 s’envole et quelques semaines plus tard, ce sera avec la sélection argentine que le rêve se brisera, marquant une année 2006 qui aurait pu être l’apogée de la carrière de Riquelme.

Riquelme s’était vu confiée le jeu de la sélection par José Pékerman. L’entraîneur le connaissait parfaitement depuis les U20 argentins, avec lequel il avait remporté le Sudamericano et le titre mondial en 1997, une génération qui avait survolé ces compétitions. Riquelme avait obtenu dans la foulée une première cape en A, en 1997, appelé par Daniel Passarella sous le charme du prodige. Marcelo Bielsa l’avait convoqué en 1999 pour son premier tournoi international, la Copa América. Bielsa avait fait confiance au trident offensif de Boca Juniors. Mais El Loco ne rappellera plus Riquelme pendant trois ans, mis à part pour un amical en 2002 quelque mois avant la Coupe du Monde asiatique. Bielsa lui préférait Juan Sebastián Verón, Pablo Aimar ou Marcelo Gallardo. Le meneur de jeu de Boca Juniors ne rentre tout simplement pas dans les plans de Bielsa, pour des considérations tactiques et des questions de goût. Alors que Riquelme est excellent avec Boca, la porte de la sélection lui est fermée. C’est donc l’arrivée de Pékerman qui va rabattre les cartes. Il hérite du 10 et du jeu de l’équipe. L’Argentine séduit collectivement. Riquelme rayonne. Lors de la Coupe du Monde 2006, l’Argentine fait forte impression et Riquelme est magistral dans son registre préféré. Mais en quart de finale, face à l’Allemagne, alors que l’Argentine déroule avec Riquelme en contrôle, Pékerman le sort. Tout bascule. L’Argentine déraille, le pays hôte reprend le dessus, égalise et se qualifiera au bout des tirs aux buts.

Malgré une offre de Ferguson pour le recruter à Manchester United durant l’été, Riquelme reste à Villarreal, mais quelque chose semble s’être cassé, la magie a cessé d’opérer. Le football européen semble de nouveau se révéler une question insoluble pour le football argentin de Riquelme, forcément en décalage avec l’Europe. Peu importe, à 29 ans, quand d’autres attendent la pré-retraite pour y retourner, Riquelme décide de revenir à Boca Juniors en pleine force de l’âge au début de l’année 2007, prêté par Villarreral. Miguel Ángel Russo s’est installé sur le banc avec un plan de jeu offensif. Il peut compter sur le retour de cadres, comme Hugo Ibarra, Martín Palermo ou Clemente Rodríguez, sur Rodrigo Palacio ou de l’éclosion d’Éver Banega, qui prend la relève de Fernando Gago. Et Riquelme fait de la Libertadores son œuvre d’art encore une fois. Contre Vélez en huitièmes, il met un corner direct au match retour pour soulager Boca, après avoir été à la manœuvre de la claque infligée à l’aller (3-0). En quart, dans une double confrontation accrochée (0-0 à l’aller en Argentine), il délivre son club au retour en ouvrant la marque par une action de génie qui met trois défenseurs dans le vent contre les Paraguayens de Libertad. Et en demi, dans un match épique contre le Cúcuta Deportivo, sous un fort brouillard (le match fut retardé), alors que Boca a été battu 3-1 à l’aller en Colombie, Riquelme entame la remontada (victoire finale 3-0) du plus beau coup franc de sa carrière selon lui. Et pour parachever le tout, et finir sur 8 buts en 11 matchs, il y a le double chef-d’œuvre de la finale face au Gremio. Un coup franc à l’aller, un doublé au retour, dont un sublime premier but. Riquelme a survolé la compétition et remporte sa troisième Copa Libertadores, la dernière à ce jour pour Boca Juniors.

Riquelme revient en sélection suite à ses performances sur le sol sudaméricain. Il est excellent lors de la Copa América 2007. L’Argentine fait forte impression et donne des leçons de foot, collectivement à très haut niveau. Mais patatras, nouvelle désillusion pour l’Albiceleste qui se heurte encore au Brésil en finale, après 2004. Riquelme gagnera tout de même la médaille d’or aux Jeux Olympiques d’été en 2008. En 2009, il est fâché avec Diego Maradona, devenu sélectionneur, et ne participera pas au Mondial. Bien que démarrée sous les meilleurs auspices, la relation entre les deux géants de Boca était devenu compliquée, Maradona n’appréciant guère qu’on lui fasse de l’ombre. Pourtant, c’est bien Riquelme qui l’avait remplacé dans les cœurs des hinchas de Boca. Entre-temps acquis définitivement par un transfert record de 15 millions de dollars, le plus cher du football argentin, et prolongé en 2010 pour quatre ans, Riquelme se consacrait uniquement à Boca Juniors. D’aucun le voit terminer sa carrière au club.

Les résultats de Boca Juniors furent moins bons, avant un retour au premier plan avec un titre de champion – son cinquième et dernier – l’Apertura 2011 où l’équipe termine invaincue. Riquelme reste de loin le leader technique de l’effectif à chaque saison. Dans une compétition continentale qui souffre, elle aussi, d’une dégradation de son niveau et de son football, Riquelme porte Boca Juniors une nouvelle fois jusqu’en finale. Le club argentin tombe face au Corinthians. Lessivé, désemparé et ému par la défaite, Román annonce qu’il met fin à sa carrière. Après des mois de mobilisation xeneize pour le faire revenir sur sa décision, l’idole fait son retour avec le maillot de Boca en mars 2013, avant de déterminer définitivement sa carrière, après 388 matchs et 92 buts sous le maillot de Boca Juniors en mai 2014. Et Román prend le contre-pied, en signant à Argentinos Juniors en Primera B. Un retour à son club formateur, qui venait de descendre en seconde division ; un championnat de déglingue, de traquenards, guet-apens, de terrains défoncés, mais comme un air d’authenticité du football argentin. Juan Román, qu’il ne s’est pas éternisé dans un club secondaire en Europe, ni pour un contrat juteux dans un club d’oligarques ou détenu par un actionnaire de fonds de pension, ou céder à un pont d’or au Qatar, aux États-Unis, en Chine ou ailleurs. Román participe à la remontée d’Argentinos Juniors. Dernière mission accomplie et se retirer définitivement.

Juan Román Riquelme a sûrement était l’un des joueurs les plus clivants de sa génération. Entre ceux qui voyaient un artiste ultime, un esthète balle au pied, l’un des derniers représentants, si ce n’est le dernier, de la caste des numéros 10, El Ultimo Diez, une espèce en voie d’extinction au jeu devenant anachronique. Et d’autres, qui ne jure que par le contraire dans l’ère des stats et des datas, par le palmarès et les ligues des champions. Ajoutant un profil rigide, derrière ce regard ténébreux et un visage énigmatique, parfois arrogant, hautain ou individualiste. Un pecho frío, comme le qualifient ses plus fidèles opposants au pays. La carrière et l’empreinte de Riquelme ne peut se résumer à ça.

Derrière cette image d’éternel nonchalant et d’une dégaine typiquement argentine, Riquelme était un surdoué au service de son équipe. Il commandait avec ses pieds et s’imposait comme le centre de gravité de l’équipe, laquelle s’articulait à ses mouvements et son rythme. Surtout, Riquelme rendait meilleure ses coéquipiers, et sans un charisme débordant, s’imposait naturellement dans un rôle de líder. Depuis les tribunes, il se dégageait quelque chose que peu de joueurs peuvent provoquer, un temps suspendu, à chaque touche de balle, il pouvait se passer quelque chose, de rare, d’unique. Riquelme est l’ambassadeur d’un football qui ne s’explique pas. Román est lui toujours resté argentin, il a été couronné à Boca Juniors et a régné sur les numéros 10. Un géant xeneize, héros de matchs historiques, un talent immense, des trophées à la pelle, des passes décisives et gestes d’anthologie, autant de pierres qu’il a posé durant treize saisons auriazules à la construction, patiente et solide, de son propre culte et monument à Boca Juniors.

14 réflexions sur « Boca Juniors: 120 ans « d’or et de boue » (15) »

  1. La Coupe Mohammed V dont tu parles était un événement annuel considérable au Maroc. Le père d’un ami m’en parlait avec enthousiasme. C’était l’occasion de voir les très bonnes équipes espagnoles, le Boca est venu plusieurs fois. Flamengo, Inter, quelques équipes françaises de renom…Confrontés aux champions du Maroc, très régulièrement le FAR.

    0
    0

Laisser un commentaire