Hugo Sotil sous les couleurs du Barça

Le jour où Hugo Sotil défia la direction du Barça

En 1973, le FC Barcelone recrute un attaquant péruvien portant le patronyme d’Hugo Sotil. Surnommé El Cholo bien avant Diego Simeone et lui aussi en raison de ses origines modestes, Sotil a su s’extirper des quartiers pauvres de Lima en exploitant son talent pour le football. Son histoire est intimement liée à la future légende Teófilo Cubillas, puisqu’après avoir formé un tandem avec lui dans les équipes de jeunes de l’Alianza Lima, il le retrouve en tant qu’adversaire au cours des six saisons et demi qu’il passera au Deportivo Municipal – dans le même temps, Cubillas est resté à l’Alianza.

C’est Rinus Michels en personne qui avait fait le déplacement au Pérou pour superviser quelques-uns des meilleurs joueurs du championnat. Le Néerlandais, alors entraîneur du Barça, était à la recherche d’un attaquant pour épauler leur future recrue star, Johan Cruyff. Les dirigeants catalans qui l’accompagnent ce soir-là l’avaient mis sur la piste de Cubillas et Sotil, déjà observés en 1970 à l’occasion de la Coupe du Monde au Mexique. Lors de la compétition, Cubillas s’était largement montré à son avantage, en marquant pas moins de 5 buts en 4 rencontres. Les Péruviens s’étaient hissés jusqu’en 1/4 de finale et avaient buté contre le Brésil (2-4) au cours d’un match exceptionnel entre deux équipes portées vers l’attaque. Sotil, quant à lui, avait participé à quatre des rencontres de sa sélection, sans marquer le moindre but.

Mais lorsque Michels débarque au Pérou, il assiste à un tout autre spectacle. Il a, en ligne de mire, la rencontre Deportivo – Alianza, au cours de laquelle il va pouvoir observer les deux joueurs. Chacun dans une équipe. Et contrairement au mondial mexicain, c’est bien Sotil qui va impressionner tout son monde ce jour-là. El Nene Cubillas n’arrivera pas à déployer son football, bien empêché en cela par la défense du Depor qui fera un match impeccable. De son côté, Sotil saisit sa chance. À l’issue de la rencontre, les dirigeants barcelonais lui posent une question très simple : « Tu veux venir jouer en Espagne ? ». La réponse est évidemment positive. Sotil est aux anges.

Mais l’idylle entre les deux parties ne sera pas longue. Si Sotil impressionne en duo avec Johan Cruyff pour sa première saison au Barça, allant jusqu’à totaliser 11 buts, obtenir un titre de champion et des commentaires élogieux de la part de l’entraîneur du Real Madrid, son goût prononcé pour la boisson dégradera lentement mais sûrement ses performances à la pointe de l’équipe. Dès l’été 1974, le recrutement de Johan Neeskens, autre Néerlandais et ami de Cruyff, pénalise Sotil qui doit alors laisser son temps de jeu, victime de la règle n’autorisant pas plus de 2 étrangers à figurer sur la feuille de match. Il tente alors d’obtenir la nationalité espagnole pour relancer sa carrière mais, ce qui devait être une simple formalité administrative prend un temps considérable. Il ne joue donc aucun match officiel lors de la saison 1974-75 et, lorsqu’il obtient finalement son passeport espagnol le 20 août 1975, il mène déjà une vie dissolue marquée par les soirées alcoolisées. Le niveau de jeu exceptionnel qu’on lui avait connu ne reviendra, lui, pratiquement jamais. Toutefois, cela ne l’empêchera pas de défier l’autorité de son club et d’écrire une belle page de l’histoire du football péruvien.

Car 1975, c’est l’année de la trentième édition de la Copa América. La compétition se déroule dans tous les stades d’Amérique du Sud, entre juillet et octobre. La direction du FC Barcelone, qui lance sa saison et espère reconquérir un titre de champion après une 4e place décevante, n’est pas très enthousiaste à l’idée de laisser partir son joueur. Celle-ci lui interdit formellement d’y participer. « Le FC Barcelone ne m’avait pas donné sa permission. Ce n’est pas comme aujourd’hui, quand la sélection t’appelle et que tu dois y aller à tout prix. À l’époque, il n’y avait rien de tout cela et le club m’interdisait d’y aller ! », relate-t-il au cours d’une interview, donnée en 2022. « Ils m’ont dit : oublie la Copa América ! ».

Sotil ronge d’autant plus son frein que les siens multiplient les bonnes performances. En effet, le Pérou réalise un tour de poule convainquant, terminant en tête devant ses rivaux voisins du Chili et de la Bolivie. Qualifiée en demi-finale, l’équipe Inca élimine ensuite le Brésil grâce à Casaretto et Cubillas et un score cumulé de 3-3 favorable aux Péruviens. Il ne reste que la Colombie à affronter au cours d’une finale aller-retour qui se jouera d’abord à Bogota, puis à Lima. Malheureusement, les deux finalistes n’arrivent pas à se départager : la Colombie l’emporte à domicile 1-0, tandis que le Pérou gagne 2-0 dans son stade. Le cumul des buts étant ignoré pour l’occasion, un ultime match, une finale parmi la finale, devra se jouer à Caracas pour décider du champion continental.

De l’autre côté de l’Atlantique, Sotil recommence enfin à jouer au football, et engrange quelques matchs de Liga. En parallèle, personne ne comprend dans son pays d’origine pourquoi il ne fait pas partie de l’équipe, même si les résultats sont là. Certains de ses compatriotes sont convaincus qu’il a oublié ses racines, d’autres racontent qu’il n’est plus un Péruvien. Alors, au moment où la dernière rencontre entre le Pérou et la Colombie se profile, il décide de prendre le taureau par les cornes et d’obliger la direction du Barça à réagir. Sotil prétend avoir filé en douce à l’aéroport de Madrid afin de prendre un vol direct pour le Vénézuéla et ce, sans avertir ses dirigeants. Une posture en public qui vise peut-être à se donner bonne conscience vis-à-vis des critiques acerbes en provenance de son pays d’origine, car sa décision de participer à cette rencontre était déjà connue 48 heures avant la rencontre, comme en atteste un article paru dans El Mundo Deportivo à l’époque. Le plus vraisemblable étant que le joueur avait bien reçu l’autorisation de partir, alors que le club abordait une semaine sans aucun match, et que la direction barcelonaise ne voyait pas de raison particulière de retenir son joueur dans ces conditions.

Ainsi, le soir du dimanche 26 octobre, après un match de Liga victorieux à domicile face au Racing Santander, Hugo Sotil prend un téléphone. « Dès la fin du match contre Santander, j’ai appelé ma femme pour lui demander de me prendre un billet d’avion pour Madrid », explique-t-il. « Le lendemain, j’ai pris la correspondance pour Caracas ». Un voyage fatigant, car la finale a lieu le 28, et le joueur a à peine le temps de poser le pied sur le sol vénézuélien qu’il est déjà mis à contribution. « Je suis venu comme une fleur au Vénézuéla avec mon par-dessus très européen et une cravate, ainsi qu’une petite valise contenant mes affaires. Marcos Calderón – le sélectionneur péruviens – était surpris, mais il m’a accueilli avec humour, puis il m’a envoyé directement à l’entraînement. Il a vu mon par-dessus et m’a dit : ‘’Espagnol, hein ? Aller, retire-moi ça et va courir’’. Avec ce vêtement et ma petite valise, le staff croyait que j’étais un dirigeant. ‘’C’est El Cholo ! Mais pourquoi es-tu venu ?’’ m’ont-il demandé après m’avoir finalement reconnu. ‘’Juste pour voir vos tronches’’, leur ai-je lancé en rigolant. Puis j’ai été courir. J’étais heureux de faire mon retour, mais très fatigué ».

Sa participation aurait pu également être remise en cause, puisqu’au moment du contrôle des joueurs, quelques heures avant le match, les officiels de la CONMEBOL lui ont fait remarquer que sa participation n’était pas possible, en raison de son passeport. En effet, le joueur n’avait sur lui que des papiers espagnols. Finalement, après discussion, Hugo est autorisé à prendre part à la rencontre. Toutes les barrières semblaient levées, pour le meilleur … et uniquement pour le meilleur. Le Pérou remportera cette trentième édition par le plus petit des scores, grâce à qui ? Sotil, qui trompera le gardien colombien suite à un mauvais renvoi de son défenseur, consécutif à une frappe de Cubillas.

Mais la belle histoire ne s’arrête pas là. Agustí Montal Costa, le président du Barça, l’appelle dès qu’il pose le pied en Espagne. « À mon retour, le FC Barcelone m’a convoqué », continue Hugo. « J’y ai été sans crainte, car le club m’avait aussi convoqué pour le match face à Oviedo, ils n’allaient donc pas me punir. Je me suis assis dans le bureau du Président, nous étions seuls, et celui-ci m’a dit :  »vous vous rendez compte de ce que vous avez fait ? Aucun joueur ne fait ça ! Vous avez mis votre travail et votre famille en danger.’’ À ces mots, j’ai cru m’évanouir… puis il m’a dit : ‘’Ne refaites plus jamais ça. Allez à la clinique, il vous reste encore un peu de travail’’. Mon fils venait de naître… ».

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